" Too few to count "
Les criminelles sont "trop peu nombreuses pour compter".
Le crime et la délinquance sont masculins, même si cela ne s'énonce pas facilement. La France est marquée par la pensée universaliste, donc si l'espèce humaine commet les pires horreurs, cela ne peut pas manquer d'affecter les deux sexes à égalité. C'est l'antienne qu'on vous sert à chaque fois que vous soulignez les insupportables comportements antisociaux des mecs. D'ailleurs on se garde bien de publier les chiffres de la délinquance entre les deux sexes et le vocabulaire sert à noyer le poisson : "les jeunes", commode adjectif substantivé désigne généralement tous types de délinquants, occultant le fait qu'on ne parle que de garçons ; violence "conjugale" ou mieux "intra-familiale", permet de masquer qui cogne sur qui. Les filles, c'est connu, ne sont jamais jeunes. Vieilles comme le monde, elles sont : si elles sont frustrées (et il n'y a pas de raison qu'elles le soient moins que les mecs vu que la société les maltraite davantage), elles ont tendance, soit à faire contre mauvaise fortune bon cœur, soit à retourner leurs frustrations plutôt contre elles-mêmes. Bien qu'elles représentent plus de 50 % de la population, les femmes tiennent une part infime parmi les auteurs d'infractions. Rappel : selon le Ministère de la Justice, qui gère les prisons, 97 % des places d'incarcération sont occupées par les hommes. On nous objectera que les femmes ont moins d'opportunités vu qu'elles sont enfermées socialement dans le conjugo et à la maison. Au fait qu'en disent les féministes ?
Chrystèle Bellard en distingue deux sortes : les féministes matérialistes qui expliquent que si les femmes sont moins agitées et criminelles, c'est à cause de leur socialisation. Mais les femmes étant après tout des hommes comme les autres (Beauvoir), l'émancipation pour laquelle elles se battent devrait faire que, alleluia, à la fin, quand nous aurons gagné, on pourra aligner des
Les féministes essentialistes, elles, opposent le courant radical de la "spécificité" : elles revendiquent la "femellité" des femmes, faite de douceur, d'attention à l'autre, elles défendent " un territoire, un savoir, une éthique et un pouvoir féminin ". Heu, merci, non plus.
Mais dans tous les cas, les deux courants féministes identifiés par Chrystèle Bellard (CB) prennent pour modèle criminel l'étalon masculin ! Ce que conteste CB.
On peut être d'accord avec elle : en effet, malgré la révolution féministe qu'on va dater des débuts du suffragisme, il y a maintenant un siècle, malgré l'empouvoirement des femmes qui s'en est suivi, l'émancipation, l'autonomisation, l'agentivité gagnées, les criminelles ne sont qu'une poignée aux Assises, elles restent des étrangetés criminelles. Les femmes restent (désespérément ?) calmes au niveau social. D'un calme olympien même. Tandis que les hommes eux, sont surreprésentés dans les meurtres, la violence, la tuerie de masse.
Mais écrit CB :" il ne s'agit pas de se demander pourquoi les femmes commettent moins de crimes que les hommes, mais bien plutôt pourquoi eux en commettent tellement plus ? " Au contraire, il serait " plus cohérent de considérer la criminalité des femmes comme la norme : elle est le meilleur modèle des deux, la criminalité des hommes devrait donc être étudiée en fonction d'elle. "
Criminelles et fantasmes
La femme étant de toute éternité, selon les mythes culturels et religieux un potentiel danger pour l'homme, la criminelle agite d'autant plus les fantasmes qu'elle est minoritaire (voir ci-dessus). L'empoisonneuse diabolique hante la littérature : La Brinvilliers, Thérèse Desqueyroux..., et les faits divers : Violette Nozières (victime d'inceste paternel, muse des Surréalistes), Marie Capelle, épouse Lafarge, et (merci CB, elle a été totalement invisibilisée par l'histoire :) Hélène Jégado tueuse en série bretonne, "elle pourrait être LE tueur en série le plus important du XIXème siècle", elle a semé la mort en Bretagne pendant 18 ans, elle pimentait la soupe de ses employeurs à l'arsenic, elle n'a été jugée que pour 3 meurtres et 4 tentatives de meurtres alors qu'elle aurait tué au moins 23 personnes, certains disaient 80. Mais les faits étaient couverts par la prescription. " Dans l'imaginaire collectif, l'empoisonneuse présente l'image inversée de la mère nourricière ". Sauf que, patatras : les plus nombreux criminels empoisonneurs sont les hommes, l'empoisonnement n'arrive qu'en neuvième position chez les femmes, c'est un fait statistique, leur arme favorite étant l'arme blanche ! Le couteau de cuisine sans doute, puisque la cuisine est leur lieu de destination ?
Autre archétype, la "diabolique" qui a tendance à mener sa vie sans respecter les rôles qui lui sont dévolus. Effectivement, pas beau, ça ! " Instigatrice, muse sanglante, les journalistes lui attribuent un surnom choisi dans le domaine animalier (d'une pierre deux coups, sexisme et spécisme, ça peut toujours servir). Elle est ainsi tour à tour une "veuve noire", une "mante religieuse", une "mygale", une "vipère, ou encore une "pieuvre". Pas mal d'avocats, et pas des moindres, se sont ridiculisés en abusant de ces adjectifs à leurs procès. Les meurtrières sont généralement jugées au prisme du genre qui fonctionne en double face : certains de leurs actes sont excusables parce c'est une femme, d'autres impardonnables parce que c'est une femme. Il y aurait des comportements criminels acceptables pour une femme, d'autres impardonnables, la tolérance dépendant de son respect des normes féminines." Quand une femme transgresse gravement, au contraire d'un homme, cela fait vaciller la société toute entière, écrit CB. Le genre demeure donc un élément discriminatoire puissant dans la sphère pénale. L'idée demeure que toute femme qui commet un délit est doublement coupable, d'un délit réprimé par la loi et d'un délit contre l'ordre moral.
Hors des fantasmes, les femmes criminelles
Les femmes tuent maris, amants, patrons, enfants (le crime d'infanticide est le crime féminin le plus répandu), elles violent, peuvent être pédophile, tabou suprême. les femmes sont des êtres humains qui tuent par intérêt, par vengeance, par passion, par amour.
Il y a la femme trahie qui tue plutôt Valentin, les femmes tuant leurs rivales sont rares, la mère meurtrière, -l'infanticide est l'acte criminel le plus féminin-, elle-même comportant deux catégories : la néonaticide, généralement considérée avec indulgence par la société, sans doute au prix de l'exaltation permanente de la tellement géniale maternité-c'est-que-du-bonheur. Une extrême minorité de néonaticides arrive en Cours d'Assises. A ce sujet, le traitement judiciaire compréhensif réservé aux femmes qui tuent leur nouveau-né à la suite d'un déni de grossesse est, je trouve, particulièrement choquant. On reconnaît ici le même travers que chez les féministes considérant la femme comme éternelle victime des hommes, de leur violence, la même croyance en la faiblesse constitutive des femmes. Et l'évitement sociétal d'affronter la mise en place de mesures de prévention.
Le deuxième catégorie de mère meurtrière est la libéricide : prototype Médée qui égorge ses enfants parce qu'elle est rejetée par Jason pour une autre femme. Autre nom : suicide altruiste, qui est plutôt un travers des pères quittés par la mère. Mais des femmes tuent leurs enfants handicapés.
Meurtre du conjoint : il est admis que les femmes tuent pour se libérer d'un homme violent, maltraitant, pour mettre fin à une liaison toxique, alors que les hommes eux, tuent leur conjointe parce qu'elle veut les quitter ! De quoi mettre à mal une croyance ancrée qui veut que les femmes sont demandeuses de conjugo alors que les hommes, eux, ne se mettraient en couple que sous la pression de leur conjointe. Encore une légende patriarcale réduite à néant.
CB distingue les meurtres des autres violences : maltraitances à nourrisson, violence maternelle ; pour y remédier il faut cesser de présenter la maternité comme le bonheur absolu, il faut en finir avec l'angélisme propagandiste, la maternité sacralisée. Taboues, les infractions sexuelles commises par des femmes : viols, pédophilie, généralement exercés sur les filles, avec la complicité d'un homme ou non. Chez les femmes aussi, les agressions sexuelles sont la manifestation d'un pouvoir sur la victime. La définition du viol en droit français est non genrée, contrairement au droit de pays comparables au nôtre : il n'y est pas question d'attributs que les femmes n'ont pas. En matière d'abus sexuels, la prise de conscience, et donc la législation, sont récentes : la réalité criminelle du viol date des années 60, l'inceste des années 80/90, l'affaire Dutroux introduit la pédophilie dans les faits divers ; pour l'inceste et la pédophilie des femmes, il faudra attendre les années 2000 avec l'affaire Outreau.
Immatures, dépressives, adolescentes mineures, peu diplômées, sous l'influence de drogues, de l'alcool, ou d'un homme, violentées pendant leur enfance, les femmes criminelles sont toutefois de tous les milieux sociaux. L'enquête de CB est faite sur un panel de délinquantes, sur les archives des tribunaux, sur des entretiens de criminelles de la prison centrale des femmes de Rennes. Ses tableaux statistiques sont en fin d'ouvrage. A lire. L'autrice débunque à tout va nos croyances.
En conclusion, Chrystèle Bellard propose une comparaison des deux contentieux masculin et féminin mais en prenant celui des femmes comme référence. " Il s'agirait alors d'analyser l'excédent criminel masculin, afin d'identifier ce qui, chez les hommes, ou plus probablement dans leur socialisation, dysfonctionne. " CB propose d'asexuer le concept de violence, d'arrêter de l'associer au genre masculin, et de considérer la criminalité féminine comme norme criminologique ; la société pourrait ainsi se fixer comme objectif " de supprimer cet écart, d'uniformiser le volume des contentieux, en ramenant les hommes à un niveau de dangerosité comparable à celui des femmes. "
" Il faudrait faire preuve de bon sens : que les filles soient éduquées à prendre soin des autres, à respecter les règles et à réfléchir avant d'agir explique pour beaucoup leur moindre criminalité. Présenter cela comme l'illustration voire la cause des inégalités subies par les femmes, une injuste discrimination à combattre semble être une conclusion absurde. Ces acquis caractérisent une socialisation réussie et on peut se féliciter que les femmes possèdent de telles facultés."
Il n'y a plus qu'à. Pour cela, il faut inverser le paradigme actuel sur lequel vit la société : la dévalorisation des qualités des filles et femmes, et à l'opposé, l'exaltation, la flatterie dont bénéficient les garçons pour leurs comportements virils, cossards, irresponsables, m'as-tu-vu, cruels, dilettantes, j'en passe. Leurs mères sont-elles prêtes à renoncer au prestige douteux d'avoir élevé un tel misfit comme revanche sur leur vie dévalorisée, jouant ainsi contre leurs intérêts de classe ?
Les citations de l'auteure sont en caractères bold et rouge.
Edit le 31 mai 2020
Pour instruire la dernière citation de CB sur les filles, avant qu'on nous accuse d'essentialisme ce qui ne va pas manquer d'arriver, je rajoute ce qu'écrit Colette Guillaumin dans Sexe, race et pratique du pouvoir, sur les "qualités de femmes", les "traits féminins" (liens entre être humains, attention aux autres, inventivité dans la vie matérielle quotidienne) tant prisés par l'autrice de cet ouvrage :
" Loués comme tels, ces traits sont les CONSEQUENCES, heureuses, estimables (tout ce qu'on voudra) mais conséquences tout de même, d'une relation matérielle. D'une certaine place dans une relation d'exploitation classique ". Ca va mieux en le précisant.
Liens supplémentaires sur le traitement double standard que subissent les femmes criminelles et les fantasmes qu'elles agitent :
Les amazones de la terreur Par Fanny Bugnon, historienne, chroniqué sur mon blog en 2015
Présumées coupables, les grands procès faits aux femmes, le beau catalogue de l'exposition des Archives Nationales en 2016, toujours disponible en bibliothèques ou en librairies.