Je vous propose cette semaine la traduction d'un texte tiré de Gyn / Ecology sur la mystique de la Trinité masculine : Père, Fils et Saint-Esprit. Mary Daly, l'auteure (1928-2010), est une féministe radicale américaine, docteure en théologie, philosophe et professeure d'université. Les dieux mâles mentent, les dieux des mâles racontent l'HIStoire d'une revanche sur les femmes.
"J'ai déjà discuté de la Trinité chrétienne comme étant le paradigme des processions, représentant le système clos de la communion auto-congratulatoire, yeux dans les yeux, entre les pères et les fils. C'est la fusion modèle, le comité central, le conglomérat suprême. Quelques théologiens ont généreusement alloué aux femmes une vague identification avec la troisième personne, si nous acceptons l'implication fausse que la féminité du Saint Esprit a quelque chose à voir avec les femmes. [...] La Triple Déesse pré-héllénique est parfois identifiée comme Hera-Demeter-Korê, et dans le mythe irlandais, il y a une triple déesse Eire, Fodhla et Banbha... Le modèle basique selon certains est Fille, Nymphe et vieille femme, et selon d'autres, Fille, Mère et Lune. Ces trois volets ne sont en aucune façon un modèle familial. Ils sont signification temporelle, spatiale, cosmique. [...]
Le fait est que le monde ancien ne connaissait pas de dieux. La paternité n'était pas honorée. Quand le patriarcat devint la structure sociale dominante, un moyen commun de légitimation de cette transition d'une société gynocentrique fut le mariage forcé de la Triple Déesse, dans ses différentes formes, à une trinité de dieux. Ainsi Hera fut remplacée par Zeus, Demeter par Poséidon, et Korê par Hadès.
Quand nous regardons la Triple Déesse dans le panorama des différentes trinités de dieux qui ont précédé la Trinité chrétienne, d'autres symboles chrétiens se présentent comme de pâles dérivés : ainsi le mythe Pélagien de la Création, Eurynome, la Déesse de toutes choses, est représentée sous la forme d'une colombe et elle pond l'Oeuf universel. Son nom sumérien était Iahu, signifiant "noble colombe". Ce titre passera plus tard à Yahvé (il y a similarité phonétique, y compris avec Jupiter), Créateur. Quand nous voyons le symbole du Saint Esprit représenté sous la forme d'une colombe dans ce contexte, son absurdité devient évidente. On est tenté de se demander comment il pourrait pondre un oeuf ! [...]
Statue "Hecate Chiaramonti", sculpture romaine
Mais il y a plus à considérer concernant la triplicité de la Déesse. Kerényi fait allusion au fait étonnant qu'un des noms de la Déesse était Trivia -nom utilisé de façon équivalente à ceux d'Hécate, Artémis et Diane. La figure classique d'Hécate, Déesse des sorcières, était construite sous forme de triangle, les trois faces regardant trois directions différentes (remplacées plus tard par trois jeunes filles dansant). Les statues d'Hécate étaient installées aux croisements de trois routes : d'où le nom Trivia (Trois voies, en latin). L'idée du croisement de trois routes était naturellement cosmique, car ces croisement pointent la division possible du monde en trois parties -ce que faisaient les anciens. Ainsi Hésiode dans la Théogonie acclame la Déesse comme la maîtresse de trois royaumes -terre, ciel et mer- une suzeraineté qui a été sienne bien avant l'ordre de Zeus. Même au Moyen Age, les croisements*, spécialement les endroits où trois routes convergeaient, étaient vus comme des lieux de prédiction et d'avènements surnaturels. En Suède, par exemple, les sacrifices aux elfes étaient faits à la "rencontre de trois routes". Dans les Highlands d'Ecosse, la divination devenait possible si on s’asseyait sur un tabouret à trois pieds** à la rencontre de trois routes quand l'horloge sonnait 12 coups de minuit à Halloween (le sabbat des sorcières). De telles croyances n'ont évidemment pas totalement disparu.
A la lumière de la signification cosmique du terme trivia, croisement de trois routes et Déesse qui porte ce nom, la signification contemporaine du terme en anglais (en français aussi) doit être réexaminée. Le terme anglais (français aussi) est selon le dictionnaire Merriam Webster, dérivé du latin Trivium (croisement, carrefour, littéralement, trois voies), défini comme "choses sans importance", "triffles" (des nèfles ou tripette en français populaire). L'adjectif trivial est défini comme "commun, ordinaire, sans distinction"..., de peu de valeur ou d'importance : insignifiant, faible, mineur, léger". Naturellement, selon les valeurs patriarcales, ce qui est "commun' est "de peu de valeur", car dans une société hiérarchique basée sur la compétition, la rareté est intrinsèquement associée à la "valeur". Donc, l'or est plus important que l'air frais, et par conséquent, nous sommes forcé-es de vivre dans un monde où l'or est plus facile à trouver que l'air pur !
L'étrangeté de cet état d'esprit / mythologie devient évidente quand nous réalisons que la Trinité chrétienne est dogmatiquement déclarée "omniprésente". Cette omniprésence n'est jamais équivalente à la trivialité, inutile de préciser. Cependant, il y a une apparente contradiction dans le fait que l'androcratie, qui fait de la rareté un prérequis inhérent à la grande valeur, trouve convenable de nommer son prétendu infini, parfait et suprême dieu "omniprésent". L'apparente contradiction disparaît quand nous réalisons l'implication du fait que le Patriarcat est la Religion des Retournements. Le dieu "omniprésent" n'est pas "un lieu commun" parce qu'il n'a pas de lieu. Correctement nommée, son "omniprésence" est une "omni-absence". Son absence de partout est nommée "présence" partout, et la "présence" consiste précisément en nommer-faux. L'ubiquité du nommer-faux masque la menaçante Absence, qui est l'essence du dieu patriarcal. Elle lui confère une valeur infinie dans le royaume raréfié du système de valeurs de la Religion des Renversements. L'infinie absence de la divinité du dieu patriarcal est l'ultime rareté - raréfiée jusqu'au Point Zéro. Il y a un sens caché dans l'appellation "Omega" qui, décodée, signifie Rien Ultime.
Le nom de la Déesse, Trivia, devrait alors fonctionner comme un rappel constant de cette réduction du réel par la religion patriarcale, multidimensionnelle présence du Rien, créé par les pères à leur image et à leur ressemblance. Quand les femmes entendent les termes trivia, trivial, trivialiser, ils devraient leur rappeler l'omniprésence du Retournement, dont l'ultime signification est le re-tournement de l'énergie de l'engendrement de la vie, symbolisé par la Déesse, en un nécrophilique Amour du Rien. Dans la terre des pères, les femmes sont triviales, concernées par la trivialité, méritant d'être trivialisées. Dans le Temps Préhistorique des femmes, l'espace-temps de Trivia, les femmes sont libres de trouver la trivialité cosmique de leur propre génie créatif. "
MARY DALY - GYN / ECOLOGY
Mes propres commentaires sont en italique.
*En Bretagne, les calvaires sont toujours placés aux croisements de routes ou chemins, ils sont évidemment postérieurs et remplaçants de rites plus anciens que l'Eglise chrétienne n'a pas réussi à éradiquer
** Dans un passage des Guérillères, Monique Wittig parle d'un fourneau à trois pieds "Je reste aussi ferme que le fourneau à trois pieds", écrit-elle. Je n'hésite pas à faire le lien. Elle fait sans doute allusion à cette triplicité de la Déesse.