6 reasons female nudity can be powerful. Soraya Chemaly est activiste féministe et contribue à différents médias américains.
[ A
partir du buzz et de la fascination qu'a créée la série américaine Girls de Lena Dunham où le personnage
féminin apparaît dans une nudité casuelle, de
l'interdiction par Facebook de monter des tétons -alors que
des vidéos de décapitation y sont visibles-, et de
l'appel à crowdfunding d'un documentaire « Free the nipple »], de nombreuses personnes semblent étonnées
par l'expression de la nudité non sexuelle des femmes -car
l'excitation sexuelle en serait la seule utilité. La vraie question n'est pas de savoir si la seule raison
de monter des seins de femmes est l'excitation ; la vraie question
est qui a le droit de dire à quoi cela sert, où et
quand ils peuvent être montrés et par qui. C'est une
question de pouvoir. C'est un sujet qui affecte toutes les femmes.
[...]
Pourquoi exposer au monde la nudité non-sexuelle des femmes est important.
1 – Trop souvent, le corps des femmes est siège de pouvoir,
d'honneur et de honte pour les hommes. Ce n'est pas bon pour nous.
Nos corps, et ceux des gens qui ne se conforment pas à la
binarité des genres, sont sujets à des jugements
moraux, alors que ceux des hommes ne le sont pas, notamment dans
l'espace public et dans celui de la contestation. Certaines d'entre
nous expérimentent leur corps, en particulier dans la nudité,
comme objet de répression, d'oppression et d'impuissance.
Aussi, le représenter, non pas comme appartenant à
quelqu'un, mais comme nôtre, à l'encontre des
représentations dominantes, est important.
2 - La nudité des femmes est habituellement traitée comme une
offense morale, une cause de préoccupation et de discussion,
on lui permet rarement d'être source de pouvoir non-sexuel. La
nudité mâle est chose entièrement différente.
Quand un homme (hétéro) moyen est nu ou demi-nu, c'est
considéré comme humoristique, comme dans les
clubs d'hommes pariant de se mettre à poil. Ou c'est un signe
de virilité ou d'athlétisme. Exception : les images de
torture d'irakiens à Abu Ghraib, hommes vulnérables,
humiliés et en souffrance, qui sont féminisés
dans leur nudité.
3 –
La nudité des femmes n'est pas juste une question de
sexualisation, c'est aussi une question de hiérarchies
sociales, comme celles de classe et de race. Les corps de femmes non
idéalisés, utilisés de façon autonome,
minent un continuum narratif sur le corps-pour-le-sexe et les
différences raciales. Quand notre production culturelle est
sur des représentations hyper-genrées, racialisées
et sexualisées de la nudité, c'est plus facile de
maintenir des idées racistes et sexistes : des corps de
femmes échappant à l'approbation sociale et aux
contextes sexualisés sont un défi. La
régulation culturelle de la nudité des femmes et les représentations de la sexualité sont également signes
de pouvoir en ceci que les corps des femmes sont utilisés pour
nous opposer les unes aux autres et renforcer les hiérarchies
masculines. Les corps noirs, notamment ceux des femmes, ont toujours
été objets de consommation publique : vente, viol,
élevage, expérimentations médicales... et le
pouvoir persistant de mythologies racistes et sexistes à
propos des femmes blanches et des hommes noirs, du viol et du sexe,
sont perceptibles chaque jour. Quand les femmes prennent en main les
circonstances de leur propre nudité, elles défient les
tentatives des autres de les placer au sein de ces hiérarchies.
[...]
4 –
La nudité des femmes comme protestation sociale n'est pas
nouvelle : elle est parole critique, expressive et censurée.
Lady Godiva n'est pas la seule femme à utiliser sa nudité
à des fins politiques. Les excellents récits de Barbara Sutton racontant son expérience de manifestations dévêtues
sont pleins de discernement, d'analyses historiques et politiques. Les femmes ont régulièrement utilisé leur nudité
pour protester contre la corruption et l'exploitation qui vont avec
le colonialisme. C'est une des raisons pour lesquelles la narration
néocoloniale des (topless) Femen est offensive. Avant elles,
il y a eu la protestation, topless également, de la tunisienne
Amina Sboui (qui fut arrêtée, soumise à un test
de virginité et obligée de fuir), et de l'activiste
égyptienne Aalia Magda (elle aussi en exil) postant des images
d'elle nue pour protester contre la charia et la censure. En janvier
dernier des centaines de femmes du Delta du Niger marchaient à
moitié nues en protestation contre les pratiques de Shell
envers leur communauté, répétition de
protestations similaires antérieures. Elles étaient
pacifiques, au contraire de celles d'Argentine le mois dernier, où
quelques 7000 femmes envahissent une cathédrale défendue
par 1500 hommes catholiques récitant le rosaire. Elles
crachèrent, hurlèrent, peignirent au spray les hommes,
et furent accusées sans la moindre trace d'ironie, d'user de
violence de genre contre les hommes catholiques. La plupart de ces
femmes étaient seins nus.
La
nudité exprime aussi de façon permanente et essentielle
la critique sociale de femmes artistes. Les travaux de Lorna Simpson,
Judy Chicago, Ana Medieta, Carolee Schneemann, Yoko Ono, Marina
Abramovic, Hanna Wilke, et de tant d'autres, parlent d'identité,
de race, de sexe et de classe, utilisant la nudité des femmes
pour le faire. Quand les journaux, le cinéma, les actualités
télé, les médias sociaux et en ligne refusent de
montrer la nudité des femmes comme faisant partie de la
protestation politique des femmes, ou comme déclaration
artistique, ils nient leur égalité de droit à
l'expression. Et quand ils font ça pendant que prolifèrent
des alternatives grossièrement réifiantes, ils
condamnent doublement les femmes au silence.
5 –
Ce n'est pas que les femmes n'ont pas le droit d'être des
objets sexuels, mais nous avons aussi le droit de démanteler
un canon discriminatoire. Dans son essai de 1977 « What
Wrong With Images of Women ? », l'historienne d'art
Griselda Pollock décrivait une culture visuelle patriarcale
globale et commerciale, qui use symboliquement du corps des femmes et
rend impossible pour nous d'utiliser nos propres corps pour défier
efficacement cette culture. C'est le symptôme de la position des
femmes dans le monde, que l'efficacité de l'utilisation de
notre nudité pour protester est ténue. De nouveau,
prenez Femen. Hormis leurs façons de faire, leur bizarre
provenance et leur concentration sur deux choses : a) l'utilisation
de leur corps nu pour exprimer l'agression et la rage, et, b) le fait
qu'elle apparaissent en phase avec les requêtes de l'idéal
de beauté de la culture Occidentale globalisée: elles
sont minces, jeunes, grandes, topless et presque toutes blanches.
Dans les termes de Louise Pennington, elles passent avec succès
le test de baisabilité patriarcale. Et quelques medias gobent
tout. Les mêmes médias qui chaque jour font des choix à
propos de quoi ne pas montrer : des mannequins protestant contre le
racisme de leur métier, des foules de femmes en colère,
de féministes anti-catholiques, et de pacifiques et déterminées
vieilles femmes nigérianes. Ce n'est pas la faute des Femen.
Ce n'est certainement pas elles qui prennent les décisions à
propos de ce qui fait l'actualité. Utilisent-elles le biais ?
Les femmes devraient-elles le faire ? Femen est exactement ce de quoi
doutent de nombreuses féministes : que la nudité peut
être un outil d'activisme efficace. Cependant, chaque
controverse nous permet de penser que nos propres corps et « leur
place » sont utilisés pour saper nos intentions et
nos souhaits.
6 –
La nudité non sexuelle des femmes est un défi pour le
capitalisme et son utilisation des femmes comme produits, supports,
actifs, et ressources distribuables. Rien sur Terre n'est utilisé
à ce point pour tirer les ventes et les profits, montrer la
richesse et le statut des hommes, que les corps de femmes nues ou
demi-vêtues. Si vous pensez que les femmes font ce choix et
sont complices, et bien, sûr, certaines les sont, vous êtes dans la
définition même de la misogynie. Tant que nous n'aurons
pas un égal accès aux ressources et que nous serons
sujettes à une constante prédation, la question ne se
pose même pas. En attendant, quand des femmes utilisent leur
corps de façon non sexuelle pour défier les puissants
intérêts qui profitent de cette sexualisation, les mots
que nous devons utiliser ne sont pas « indécent »
ou « obscène », mais bien « menaçant »
et « déstabilisant ». Les femmes qui
utilisent publiquement leur nudité pour faire du commentaire
social, de l'art, ou pour protester, détruisent les mythes :
elles sont actives, pas passives, fortes et non vulnérables,
ensemble et non pas isolées, leur action est publique, située
hors du domaine privé, généralement elles sont en colère
et non pas charmantes !
Aux Etats-Unis, [...] les politiques des médias sociaux, comme de tous autres statuts et ordonnances publiques reflètent
les normes courantes qui privilégient l'hétérosexualité,
combinent corps des femmes, indécence et sexe (une mauvaise
chose), et insistent pour que ces corps (et le sexe) soient tenus en
réserve, distribués et consommés selon les
règles patriarcales. Ces règles, et les obsessions
puritaines qui les gouvernent, sont les raisons pour lesquelles nous
avons des industries milliardaires en dollars de « good girls gone wild » et un Internet nourri de gonzo
pornograghie, soigneusement labellisées pseudo-transgressions,
qui ont peu à voir avec l'autonomie des femmes et rien pour
miner un status quo bien enraciné.
Nous savons toutes que la prohibition des tétons des femmes
n'a rien à voir avec les tétons des femmes, mais tout à
voir avec le contrôle. La menace que posent les femmes topless
et la nudité non-sexuelle est définie culturellement,
elle peut donc être redéfinie. Aussi, en tant que
société, nous pourrions repenser cet outil
Photoshop déformant.
Soraya Chemaly
Iconographie : dans l'ordre Free the nipple, Femen Québec, Femen Free Amina, Femmes du Delta du Niger contre compagnies pétrolières.
Liens : La série "Girls" est diffusée en France sur la chaîne OCS City
Une interview de Lena Dunham dans Télérama.
Liens : La série "Girls" est diffusée en France sur la chaîne OCS City
Une interview de Lena Dunham dans Télérama.