J'ai toujours considéré le cinéma de Cronenberg comme l'un des meilleurs. Lors de mes crises de cinéphilie aiguë, je pourrais même me relever la nuit pour en manger, tellement j'aime ! Les éprouvantes transformations corporelles de Jeff Goldblum dans La Mouche, les images biologiques d'eXistenZ et son plat de bidules gluants (et vomitifs) dans le restaurant chinois, les inquiétants jumeaux gynécologues de Faux-semblants, et surtout, plus proches, ses deux dernier films Eastern promises et A history of violence montraient une maîtrise parfaite de la mise en scène et leurs histoires d'anti-héros (mâles tout de même) faisaient froid dans le dos. Je suis donc allée, sans lire aucune critique, les yeux fermés, voir Cosmopolis, adapté du roman de Don DeLillo. Mais puisque les critiques, subjugués par le Maître et ne voulant pas se déjuger, n'ont pas osé dire que son dernier film est une bouse, ça n'aurait rien changé.
Donc, Robert Pattinson, avait besoin de se sortir de 4 films de vampires pour minettes, par un emploi dans un vrai film d'auteur : il est servi. Il joue le rôle d'un spéculateur (sur le Yuan) de 28 ans, milliardaire, obsédé par la symétrie des équations mathématiques et accessoirement par l’asymétrie de sa prostate ! Nous vivons avec lui sa dernière journée dans sa limousine de 7 mètres de long, sorte de chambre anéchoïque bourrée de liège et blindée, qui lui épargne les bruits des émeutes venant de l'extérieur (le bas peuple se révolte) et sa rencontre avec différentes personnes (son associé -22 ans déjà, donc vieux, qui s'occupe de sa sécurité), sa gouroue économique, et deux autres femmes -dont Juliette Binoche qu'on ne voit jamais, dans sa courte prestation, ni assise ni debout mais toujours allongée- qui lui rendent des services sexuels (interminables les rapports) en essayant de lui vendre quelque chose. Il a enfin un troisième rapport sexuel, je le trouve filmé comme tel car pendant toute la longuissime scène il gémit : son médecin qui lui fait un toucher rectal et lui trouve une prostate asymétrique. Les dialogues du roman de DeLillo sont restitués à l'identique, ce qui donne un film verbeux et
statique ; pendant les trois premiers quarts d'heures, je me suis demandé si Cronenberg n'avait pas versé dans le cinéma bavard français, style Rohmer ou Honoré, où les héros font l'exégèse de leur vie, mais sans leur talent tant c'est factice. Je vous fais grâce des écrans tactiles qui saturent le cinéma actuel, de la laideur du cinéma numérique, et des restes de crème fouettée pendant les trois derniers quarts d'heure sur la joue de Pattinson qui s'est fait entarter lors d'une tentative de sortie hors de sa limousine !
OK, les hommes sont des héros décadents et déshumanisés, ils ont ruiné la planète avec leur appétits de gloutons insatiables et surpuissants, ils vampirisent et parasitent l'humanité, les femmes leur servent au mieux de défouloirs pour leur besoins sexuels, et donc les pauvres, ils sont très malheureux ! Je les plains. Mais franchement, est-ce que ça valait une sélection à Cannes ? Est-ce que ça leur donne le droit de nous emmerder avec leur vide existentiel et les productions "artistiques" que cela leur inspire ?
La presse pourtant pas suspecte de féminisme énervé a administré une volée de bois vert à ce festival et ses sélectionneurs : dans le Figaro ICI "Vieux festival cherche grands films"et Le Nouvel Obs ICI : un terne palmarès pour une édition sinistre !
Ce cinéma d'auteurs mâles est bel et bien à bout de souffle. Les dernières technologies mises au service du cinéma n'y changent rien. Et quelque chose me dit que l'année prochaine, les choses pourraient changer. C'est en tous cas ce que je souhaite au Festival de Cannes. Et même si le cinéma n'a pas de sexe (hormis le sexe masculin qui n'est pas un sexe, mais représente l'universel, pardon, l'Universel comme il se doit) le cinéma des femmes peut présenter une alternative à ce cinéma funéraire, comme l'explique Noémie Lvovsky dans la vidéo ci-dessous (la pub peut être arrêtée au bout de 4 secondes) :
Noémie Lvovsky répond à l'absence de femmes dans... par lesinrocks
Cosmopolis est un roman de Don DeLillo, excellent écrivain américain que j'aime énormément et dont je recommande la lecture. Dans Chien galeux (Running dog), il a écrit ceci :
"J'ai été mariée au même homme pendant onze ans de ma vie. J'étais à ses ordres. Sans bien m'en rendre compte. Ses ordres muets. D'une manière ou d'une autre mystérieusement, sans que ce soit jamais évoqué. C'est dans l'air entre nous. Cela passe par des ondes hertziennes, de galaxie à galaxie."
"Le génie absolu des hommes. Veux-tu savoir ce que c'est ? Les hommes veulent. Les femmes se contentent de traîner dans le coin. Les femmes croient qu'elles font une carrière de tonnerre de Dieu, tut, tuut. Rien, elles ne vont nulle part, je peux te le dire. Les hommes veulent. Bang, Crac, Boum. L'impact, nom de Dieu. Les hommes veulent tellement. Cela nous étourdit un peu, nous fait perdre les pédales. Que sommes-nous devant cet énorme désir, ce besoin éternel et buveur de sang qui les tient ainsi ?"
"Ils sont fous, c'est leur génie secondaire. Ils sont totalement fous. Fous furieux. Réfléchis. Pense un peu. Ils sont dingues. Et nous sommes leurs femmes. Nous vivons avec eux."
Running Dog - 1978