Mary Daly
(Si Dieu est mâle, alors, le mâle est Dieu).
"Le mythe de la Chute peut être envisagé comme le prototype du nommer faux. Elizabeth Cady Stanton a vu juste en montrant le rôle clé du mythe du mal féminin comme fondement de la structure entière de l'idéologie phallique chrétienne. Comme je l'ai indiqué le mythe prend des proportions cosmiques puisque le point de vue mâle se métamorphose en point de vue de Dieu. Cela aboutit à un nommer faux cosmique. Il nomme faussement le mystère du mal, le jetant dans le moule déformé du mythe du mal incarné en femme. De sorte que les images et les concepts du mal sont rejetés hors de vue et ses implications profondes ne sont pas réellement confrontées. Ce colossal nommer faux du mal implique le nommer faux des femmes, des hommes et du bien. La conséquence de cette dislocation du mystère du mal a été la dislocation de la "solution" chrétienne, point que je développerai dans un prochain chapitre. A partir de l'émergence de la conscience des femmes, on réalise que la controverse sur le basique nommer faux patriarcal du mal doit venir en priorité des femmes. En nous délogeant nous-mêmes du rôle de "l'Autre", en disant intérieurement et extérieurement nos propres noms, nous les femmes en extrayons le mystère du mal, de son contexte faux, et ainsi ouvrons-nous la voie à voir et nommer de façon plus adéquate le Mal.
LES EFFETS DU MYTHE
Comme le dit un auteur : "La chute de l'homme devrait plutôt être appelée la chute de la femme, car une fois de plus, le deuxième sexe est blâmé pour tout le mal dans le monde. L'attitude négative des mâles est dirigée contre les femmes. Clairement ceci est le climat psychologique qui a engendré le mythe et l'a maintenu crédible. Il y a plus cependant : le mythe a légitimé non seulement la haine de soi des hommes, extériorisée et dirigée contre les femmes, mais aussi une haine de soi intériorisée par les femmes. Aussi longtemps que le mythe du mal incarné en femme dominera la conscience humaine et ses arrangements sociaux, il permettra la victimisation des femmes, à la fois par les hommes et par les femmes. Il est maintenant reconnu que ce qui caractérise un groupe opprimé, c'est que ses membres souffrent d'une conscience divisée. Freire décrit ce phénomène :
Les opprimés souffrent de la dualité installée dans leur être intime. Ils découvrent que sans liberté, ils ne peuvent vivre authentiquement. Cependant, bien qu'ils aspirent à une existence authentique, ils la craignent. Ils sont en même temps eux-mêmes et en accord avec l'oppresseur dont ils ont intériorisé la conscience.
Ce problème qui a été perçu comme le dilemme de tous les groupes opprimés, est plus tragiquement encore le cas des femmes, êtres divisés par excellence*. [....] Ayant été séparées de leur moi, les femmes veulent parler mais elles restent silencieuses. Leur désir d'action est globalement réduit à agir par procuration à travers les hommes. A la place de vivre leur propre dynamique, les femmes sont submergées de rôles supposés plaire aux mâles. Quand une rebelle essaie de montrer son identité, c'est à dire créer sa propre image, elle s'expose à une existence menacée dans une société sexiste. C'est en partie pourquoi les hommes et les femmes s'identifient aux objectifs d'un groupe supérieur, et voient les femmes rebelles comme "l'ennemi". Il est aussi possible qu'en attaquant la rebelle, les femmes attaquent aussi les hommes, au sens où la rebelle est la victime par procuration, objet plus vulnérable d'un ressentiment réprimé. Il semble qu'une société sexiste génère une instabilité chronique à localiser le problème, à appréhender les causes de la destruction. La religion patriarcale ajoute au problème en intensifiant le process à travers lequel les femmes intériorisent la conscience de l'oppresseur. Le jugement des mâles ayant été métamorphosé en jugement de Dieu, le devoir religieux des femmes est d'accepter le fardeau de la culpabilité, puisqu'elles se voient à travers les yeux du chauvinisme mâle. Le process d'intériorisation de ces images ne s'arrête pas à l'exigence religieuse. Il semble bien que conditionnées à se voir "mauvaises" ou "malades", elles le deviennent réellement. Les femmes assignées à vivre le rôle abject assigné au sexe femelle paraissent réellement "mériter" le mépris accumulé sur le deuxième sexe.
LE "PECHE ORIGINEL" DES FEMMES
[...] Quand j'écris sur la complicité des femmes, je veux dire complicité qui a été dans une large mesure, imposée par le conditionnement. L'expression "péché originel" est alors détournée de son contexte sémantique originel. Le nouveau sens retient la connotation d'un défaut hérité. Cependant, on comprend que le "péché" est hérité à travers un processus de socialisation, c'est le fardeau d'un être condamné à vivre le rôle de "l'Autre". La faute ne doit pas être vue comme existant en premier dans les individus victimisés, mais plutôt dans les structures démoniaques du pouvoir qui induit les individus à intérioriser de fausses identités."
Mary Daly - Beyond God the Father (non traduit en français).
Mary Daly est une féministe, philosophe et théologienne américaine (1928 - 2010)
* En français dans le texte
"Enlevez le serpent, l'arbre fruitier et la femme du tableau, et vous n'avez pas de Chute, pas de Juge sourcilleux, pas d'enfer, pas de punition éternelle, - donc pas besoin d'un Sauveur. Ainsi tombe le fondement de toute la Théologie chrétienne. C'est la raison pour laquelle dans toutes les recherches bibliques, ses commentaires et critiques, les savants ne s'attaquent jamais à la position des femmes."
Elizabeth Cady Stanton