Cet article en anglais est paru dans le Hindustan Times sous la plume de Taslima Nasreen le 9 mars dernier. C'est un texte puissant, avec zéro relativisme culturel dedans. C'est pour ces raisons que je vous en propose la traduction.
"Sans parler de « Féminisme
Occidental », je n'ai pas la moindre idée de ce
qu'est le « Féminisme Oriental ».
N'ayant aucune familiarité avec ces concepts, j'ai depuis
l'enfance remis en cause un grand nombre de diktats conseils et
proscriptions venant de la famille et de la société
dans son ensemble. Quand, contrairement à mes frères,
je n'étais pas autorisée à jouer dehors, quand
j'étais appelée « impure » durant
mes règles, ou quand on me disait que j'avais grandi et que je
devais me couvrir complètement avec une burka noire si je
voulais sortir, j'interrogeais, je n'ai jamais cédé
facilement.
Quand d'étranges garçons
me hurlaient des insultes, tiraient mon voile ou pinçaient mes
seins en passant, je protestais. Je ne pouvais ravaler ma colère
quand je voyais des maris battre leur femme, des jeunes mères
gémissant d'anxiété et de peur d'avoir une
fille. En observant le visage des femmes violées, je sentais
leur souffrance de façon aigüe, je perdais mon contrôle
en apprenant les trafics de femmes de ville à ville, d'un pays
à l'autre pour les livrer de force à la prostitution.
Aucune logique intellectuelle ne pouvait me faire accepter la torture
des femmes par les hommes, la société, l'état.
Mais personne n'était témoin de ma souffrance, de mes
pleurs et de mon refus d'accepter, l'incapacité à
exprimer, à tolérer les cris, la logique, la raison,
jusqu'à ce que je commence à écrire.
La société dans
laquelle j'ai grandi a généré des questions chez
beaucoup de gens. Ils étaient forcés d'accepter les
réponses données par les leaders du patriarcat. Je n'ai
jamais cédé à cette coercition. Personne ne m'a
appris à désobéir. Je n'ai pas appris la
défiance dans les livres. Il n'est pas nécessaire de
lire d'épais et lourds livres pour devenir consciente, nous
avons juste besoin d'yeux pour voir. Aucun livre non plus n'aide à
devenir courageuse. Pour exiger des droits pour les femmes, on n'a
pas besoin de digérer Betty Friedan ou Robin Morgan, notre
propre conscience est suffisante.
Si j'ai faim, je dois manger, si je
subis le fouet, je dois combattre et rejeter le fouet ; si je suis
opprimée, je dois me lever – ces sentiments sont universels.
La Féminisme n'est pas la propriété de
l'Occident. Il est le combat ardent de toutes les femmes abusées,
opprimées, torturées, livrées à
l'irrespect, ignorées, qui se rassemblent et mettent leur vies
en jeu pour la défense de leurs droits.
J'ai appris que les femmes
occidentales aussi ont eu leur part d'épreuves. Abusées
et ensanglantées, elles ont eu le dos au mur. Elles ont crié
; à travers les siècles, elles ont été
victimes du patriarcat, de la religion, des traditions misogynes..., comme leurs sœurs d'Orient. Des fanatiques religieux les ont
brûlées vives, des traditions misogynes leur ont imposé
des cages métalliques sur le corps au nom de la chasteté,
elles ont été transformées en esclaves
sexuelles. Orient ou Occident, Nord ou Sud, les femmes souffrent
toujours de la même façon du « crime »
d'être des femmes.
Les droits humains sont universels.
Ceux qui parlent de droits séparés pour les Orientaux
et cherchent à se mettre à distance des droits humains
universels, prétendant que cette stance représente une
victoire sur l'oppression imposée par les Occidentaux,
aboutissent en réalité à blesser l'Est plus que
l'Ouest.
Une question souvent soulevée
prétend que j'ai heurté des sensibilités
religieuses. Le féminisme s'est de tous temps opposé à
la religion ; quiconque a la plus simple connaissance des droits des
femmes sait cela. La religion est patriarcale d'un bout à
l'autre. Je devrais suivre une religion et je devrais reconnaître
les droits des femmes – ce slogan équivaut à dire que
je devrais boire du poison avec du miel. A chaque fois qu'une attaque
des femmes est motivée par une prescription religieuse,
immédiatement le slogan « les sensibilités
religieuses ne doivent pas être heurtées »
est prononcé par ceux qui sont anti-démocratiques,
contre la liberté de parole, et opposés à
l'indépendance des femmes. En aucune façon, je n'assimile une barbarie
à la culture.
Alléguant que j'ai heurté
les sensibilités religieuses musulmanes, une poignée de
conservateurs insulaires ignorants prononcent le verdict que mes
positions sont des positions occidentales, considérant les
orientaux avec des yeux d'occidentale. Cette proposition insensée
et illogique de fondamentalistes islamiques est souvent soutenue par
des Indiens prétendument séculiers au nom de la
tolérance.
J'ai critiqué le
Christianisme, le Judaïsme et d'autres religions misogynes.
Habituellement, personne ne relève le fait. Personne ne prend
une fatwa pour m'assassiner pour avoir blessé les sentiments
des non-musulmans. Mais il ne manque pas de gens qui sans problème
acceptent l'intolérance et respectent les « sensibilités
religieuses » de ceux qui prennent une fatwa ; ces gens
m'étiquettent comme « intolérante »
sans le moindre doute. Il doivent me considérer musulmane, et
voir mes actes comme l'expression d'un orgueil démesuré
destiné à heurter les sentiments religieux musulmans.
La vérité est que si
l'on croit aux droits des femmes, on doit d'abord rejeter sa propre
identité religieuse. Je m'en suis libérée depuis
mon adolescence. J'étais à peine une enfant que j'ai
été injustement accablée du fardeau d'une
identité religieuse de la même manière que tous
les enfants. Nous ne marquons pas un bébé ou un enfant
de l'idéologie politique de ses parents ; nous ne nommons pas
« communiste » un enfant de parents communiste.
Mais nous trouvons normal d'étiqueter un enfant de deux ans
Hindou, Musulman ou Chrétien. Quand l'enfant grandit, il peut
choisir la religion de ses parents ou une autre, ou n'en choisir
aucune. C'est ainsi que cela devrait être. J'ai adopté
avec succès ce principe dans ma vie. J'ai choisi la foi en
l'Humanisme. On ne doit pas me prendre pour une « réformiste
musulmane ». Je ne suis pas plus une réformiste que
je n'appartiens à une quelconque communauté religieuse.
Ma communauté est celle des humanistes agnostiques, libres de
toute religion."
Taslima Nasreen