Il y a eu des moments dans l'histoire où les femmes s'organisaient entre elles, loin de la tutelle des hommes. Les plus connues sont les amazones, sociétés de femmes rapportées par la littérature épique et plus récemment, par des explorateurs/colonisateurs, puis les moniales, ces femmes religieuses encloses dans les couvents. Le troisième cas est moins connu, car leur statut est moins clair : il s'agit des Béguines, ces communautés de femmes veuves ou célibataires de la région de Gand et de Liège, qui essaimeront en Europe, vivant seules ou en compagnie d'autres femmes dans des maisons individuelles regroupées et encloses dans un béguinage.
Femmes pieuses ne prononçant pas de vœux, elles sont des sortes de religieuses laïques. Leur statut peut être transitoire, elles peuvent se (re)marier, retourner dans leur famille ; elles viennent de toutes les classes sociales, aristocrates, bourgeoises ou simples marchandes, artisanes, ouvrières. Elles enseignent, traduisent des patois régionaux en latin, copient des livres, tiennent des hospices, sont sages-femmes, médeciennes ou transforment les herbes en potions. Elles sont aussi tisserandes, fileuses, soyeuses. Elles sont protégées par le roi (à Paris, par Louis IX et ses successeurs) et mal aimées par les papes de Rome en conflit permanent avec le pouvoir royal. Mais ce sont réellement des sociétés de femmes, sans tutelle masculine dans leurs béguinages, qu'elles administrent et gèrent elles-mêmes, vivant de leur travail, de dons et legs, de leurs pensions de veuves, ou d'héritages dont elles mettent une partie en commun. Une vraie exception à cette époque où les femmes sont des mineures placées sous la tutelle d'un père, d'un frère, d'un mari. Elles ne vont pas tarder à sentir un retour de bâton, un ressac, un backlash comme on ne disait pas à l'époque même si le phénomène est le même. Des femmes qui font la loi chez elles, ce n'est pas supportable par le pouvoir masculin qui se veut sans partage.
Le roman d'Aline Kiner, historienne spécialiste du Moyen-Age, commence au début du 14ème siècle lorsque les Templiers sont condamnés pour hérésie, et que s'allument les bûchers de l'Inquisition. Dans ce Paris des années 1300, les femmes subissent comme aujourd'hui la terreur machiste et les crimes spécifiques contre les femmes : viols de hasard, viols maritaux, mariages précoces, meurtres et profanations lors de mauvaises rencontres, maternités contraintes après un viol. En juin 1310, une illustre Béguine, Marguerite Porete, mystique chrétienne, considérée aujourd'hui comme une auteure majeure de cette époque, est brûlée vive en Place de Grève à Paris, pour hérésie, alors que son livre Le miroir des âmes simples circule et commence à être traduit en latin.
Pendant tout le roman d'Aline Kiner plane la menace d'une reprise en main par le clergé et les monastères, malgré la protection de Philippe le Bel qui ne faiblit pas. Autour de personnages attachants de femmes, l'intrigue avance montrant leur résistance : elles tiennent à leur autonomie, leur indépendance, leur communauté d'entraide pacifique et bienfaisante. En bonnes politiques, elles entretiennent leur réseau de sympathisants. C'est compter sans l'acharnement du Pape et des moines dominicains pour lesquels c'est trop d'indépendance : pas de maris, pas de vœux, ni de statut les attachant à la vie séculière ni à la vie monastique. De plus, elles travaillent, donc, elles seront accusées de prendre le travail des hommes ! Ça vous rappelle quelque chose ? C'est vraiment une vieille, très vieille histoire avec toujours les mêmes accusations resservant sous tous les prétextes. A la fin du roman, tout est en place pour que commence le féminicide des sorcières. Les bûchers flamberont pendant trois siècles : 80 % des victimes de la chasse aux sorcières seront des femmes.
Liens pour aller plus loin : les appeler féministes est sans doute exagéré, ni le mot ni la notion n'existaient, et elles ne contestent pas l'autorité masculine en général, ni celle de l’Église en particulier, mais elles tiennent à leur indépendance pour la gestion quotidienne de leurs affaires et de leurs maisons. Rien que cela, pour l'époque, c'est révolutionnaire.
Les Béguines, des "féministes" avant l'heure
L'enclave de paix et de tranquillité d'Amsterdam (anglais, photo)
Les "visionnaires" béguines : les femmes mystiques contre l'Eglise
Marguerite Porete, écrivaine subversive.
mercredi 31 janvier 2018
mardi 23 janvier 2018
Nouvelle offensive contre l'IVG et les droits des femmes
Niki de Saint Phalle - ABORTION - Freedom of choice - 2001 - Lithographie, autocollants.
Les ennemis de la liberté de choix des femmes sont de nouveau en train d'attaquer nos droits. Au Parlement polonais, dominé par une majorité ultra-conservatrice, on discute de nouvelles restrictions du droit à l'IVG, les anti-choix manifestent en France le même jour que la Women's March 2018.
En 2001, il y a 17 ans, l'artiste Niki de Saint Phalle posait via l’œuvre ci-dessus la question de la surpopulation, montrait que les prétendus pro-life tuent des obstétriciens pratiquant des interruptions de grossesse tout en prétendant défendre la vie, et qu'une partie du monde ne mange pas à sa faim. Les prolife acceptent aussi parfaitement la guerre, et la mort ou les atteintes à la santé des femmes quand elles sont obligées d'avoir recours à l'avortement clandestin. Cela ne leur pose aucun problème déontologique.
Tout cela n'a rien à voir avec la défense de la vie, mais tout à voir avec la contrainte faite aux femmes d'être à la disposition des hommes pour reproduire leurs gamètes, les laisser faire carrière sans la concurrence des femmes, et au final, fournir une abondante chair à canon pour leurs guerres incessantes. Piètre défense de la vie, adhésion sans faille aux vieilles antiennes patriarcales.
Donc, rappelons à ces éleveurs du Néolithique, préférant la quantité industrielle à la qualité, que la loi autorisant l'IVG n'empêche personne de faire des portées de 12 s'illes souhaitent encombrer la planète de leurs descendants -certainement parce qu'illes se trouvent intéressants et beaux. Pas plus qu'une loi sur la fin de vie n'empêche les "pro-vie" de boire le calice jusqu'à la lie en profitant de leur cancer jusqu'au bout ! La liberté individuelle et le droit des femmes à disposer de leur corps et de faire leurs choix sans passer par l'autorisation d'un curé, d'un père, d'un psy, même pour les mineures, est inscrit dans la loi. Ils nous emmerdent avec leur acharnement.
Nous sommes 7,6 milliards sur la planète, l'humanité n'est pas en voie de disparition. On est davantage à la merci d'une "bonne guerre" pour éliminer le trop plein, vu les enragés agités du bocal incompétents, limite psychopathes, que les électeurs portent au pouvoir. Il y a plein de gens qui fuient leurs pays en guerre, et qui cherchent refuge en Europe, je n'ai jamais entendu des "pro-vie" défendre leur droit à un accueil décent.
Tant que j'y suis, je ne supporte plus non plus l'amalgame qui est fait entre ces obsédés de la natalité et nous, féministes, au sujet de la GPA (gestation pour autrui). Je perds mes abonnés gays sur Twitter quand je twitte mon opposition à cette technique d'élevage et d'exploitation / marchandisation du corps des femmes qui me révulse. Faut-il rappeler aux gays que les féministes les ont toujours soutenus lors des combats qu'ils ont menés pour la reconnaissance de leurs droits, y compris le mariage (cette institution patriarcale dont je n'ai pas voulu pour moi) et la PMA pour les lesbiennes (PMA dont je n'aurais pas voulu non plus) parce que dans ce cas, il s'agit d'égalité. Pourquoi accorder la PMA uniquement aux hétérosexuelles en couple, et pas aux lesbiennes dans la même situation ? Ceci précisé, la stérilité n'est pas une tare. Il n'y a pas de droit à l'enfant, ce n'est pas un droit humain. C'est parfaitement déplaisant cette sensation d'être assimilée aux pires curés obscurantistes tellement haineux des femmes qu'ils les veulent asservies à la reproduction, ce soupçon d'être passée côté sabre et goupillon. Mais je ne me fais aucune illusion, la GPA est parfaitement compatible avec le néolibéralisme, comme la prostitution. Elle rentre dans l'économie informelle qui fait des êtres humains des entrepreneurs d'eux mêmes, quitte à vendre leur corps en cas de mauvaise passe économique, le fait que les mauvaises passes économiques ce sont les femmes qui les prennent plein pot ne sera pas évoqué. Choix sur catalogue, stimulation ovarienne, prise d'hormones, implantation d'embryon, étroite surveillance pendant 9 mois et même plus, aucune liberté de mouvement, abandon par contrat de l'enfant que vous avez porté, je pose la question en les regardant bien dans les yeux, QUEL HOMME FERAIT CELA POUR UNE FEMME ?
Les gays qui n'aiment pas charnellement les femmes, trouveraient quand même normal d'accéder à leur ventre en payant 9 mois de grossesse étroitement surveillée entravant la liberté de mouvement et de circuler d'une femme, pour se procurer une descendance ? La technique est disponible et appliquée avec succès dans d'autres pays, je suis pessimiste, elle sera légalisée. Elle rentrera par la porte dérobée de la nationalité, par la mise devant le fait accompli : comment refuser à un enfant né à l'étranger de l'achat d'un ventre, la nationalité française ? Vous conviendrez avec moi que faire payer à un enfant l'irresponsabilité de ses parents est injuste.
L'adoption semble la solution pour les couples stériles, ce que sont les couples d'hommes gays. Seulement, il n'y a plus d'enfants à adopter en Europe : on ne peut pas le regretter, c'est un progrès humain que les femmes ne soient plus obligées d'abandonner leurs enfants dans des orphelinats. Il y a des enfants adoptables dans le monde tiers, toutefois, prudence aussi de ne pas tomber dans le piège du riche néocolonial, décrit par le Storify à suivre sur ce lien. Un enfant, un être humain, ne sont pas des marchandises aliénables par contrat commercial.
Le changement climatique est un défi sans précédent que nous allons devoir affronter avec les désordres et les conflits qu'il préfigure, d'ailleurs il est déjà là ; la biodiversité disparaît, la terre et ses ressources sont menacées par la surpopulation humaine, MAIS le sujet c'est les techniques de procréation au service des mecs. On en reste sidérée. Depuis les éleveurs nomades du Néolithique, ils n'ont pas progressé d'un centimètre : leurs "besoins", leurs gamètes, les femmes à leur service. Au final leur irresponsabilité auront raison de nous en tant qu'espèce après qu'ils auront fait le vide autour de nous. Comptez sur moi pour garder l’œil sec. On dirait bien que les hommes sont des trous noirs au sens astro-physique du terme : ils absorbent tout mais ne rendent RIEN. Il est temps de prendre le pouvoir.
Niki de Saint Phalle - Artiste, plasticienne, sculptrice, féministe française - 1930-2002
Ici, très chamanique, avec un de ses serpents "arbres de vie" en acrylique. On peut en voir un monumental dans la cour du musée des Beaux-Arts d'Angers.Je vous le conseille, il est bourré de bonnes vibrations :)
mardi 16 janvier 2018
Quelques définitions du Wickedary de Mary Daly
Wickedaire : dictionnaire de sorcières dont les définitions remettent les choses en place, entreprise salutaire connaissant les habitudes patriarcales de fausser le langage et les définitions.
Verbicide n : Forme de biocide. Le meurtre systématique des mots ; la réduction de mots vivants à la condition de simples bruits se faisant écho à travers le monde creux des hommes creux.
Logocide n : Le meurtre sytématique du Logos (la Raison) en Patriarcat, l'Etat de la Mort dormante.
État de Peur : Etat créé, maintenu et légitimé par un incessant terrorisme phallocratique.
Commentaire bitocratique : "Comme l'amour sied à l'homme, la peur sied à la femme. Comme à l'esclave. Non seulement la peur lui sied, mais aussi le tremblement." Saint Jérôme.
Verbigération n : Répétition continuelle de phrases stéréotypées ; une forme de verbicide ; l'incessant, déprimant babillement de la médiasphère.
La société des miroirs : 1- Le Patriarcat, la maison des miroirs, le monde des renversements ;
2 - société dans laquelle les femmes servent de miroirs grossissants, réfléchissant les hommes deux fois leur taille normale ;
3 - société manufacturée par les phallocrates qui projettent leurs propres déficiences sur tous les Autres, dans une tentative de les faire réfléchir leur propre soi inadéquat.
Utilisation, phallique : la caractéristique phallique pratique de maltraiter les autres -les femmes, les mots, et toute la nature ; l'incessant abus des femmes et des animaux "utilisés" pour un tel abus/excès d'usage.
Commentaire phallocratique : " Nous enverrons des femmes dans l'espace, et nous en userons de la même manière que nous en usons sur terre -pour les mêmes objectifs." James Lovell, astronaute US
Vampirisme : composante essentielle du Mystère de l'Homme.
a - L'épuisement de l'énergie des femmes par les maris, les pères, les figures paternelles, sous le déguisement de l'amour.
b - L'épuisement des ressources de la Terre par les technocrates tels les magnats du pétrole, de l'exploitation minière, de la capture d'animaux...
Onctueux fossoyeurs : Les huileux entrepreneurs de la société nécropolitaine. Exemple : les pétromonarchies, les hiérarchies religieuses.
Gaspilleurs : ceux qui sèment ruines et dévastation. Destructeurs, dévastateurs. Les célèbres et célébrés conquérants, missionnaires et héros de la civilisation.
Par exemple Jules César qui se vantait : "Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu".
Commentaire féministe : "Le mâle... a fait du monde un tas de merde". Valerie Solanas.
"Nous ne voulons personne de ces "pays de merde" - Donald Trump
Yahvé & Fils : Mythique paradigme pour n'importe quelle corporation phallocratique ; pour n'importe quelle entreprise familiale paternaliste à organigramme entièrement masculin.
Pierre, Paul, Jacques : des gens pris au hasard, le commun de l'humanité : TOUT LE MONDE, CHACUN ; les trois personnes de la Trinité papocratique ; le commun populaire ; RIEN, PERSONNE.
Mary Daly 1928-2010, est une féministe radicale américaine, théologienne, philosophe et professeure d'université. Auteure de Gyn/Ecology, son œuvre majeure.Définitions que je trouve -et traduis, elles sont basées sur des jeux de mots en anglais, donc certaines sont carrément intraduisibles !- dans l'Intergalactic Wickedary of the English Language, paru en 1987 aux Etats-Unis.
samedi 6 janvier 2018
3096 jours - Le refus de la victimisation
Quand Natascha Kampusch est sortie en 2006 de la cave de 5 m2 où elle était détenue depuis 8 ans et demi, plus personne ne la cherchait, on ne l'a pas crue quand elle a décliné son identité, pour la police Natascha Kampusch, disparue depuis 1998 était morte et on n'avait pas retrouvé son cadavre. Il a fallu les résultats d'un test ADN pour qu'on la croie. Elle n'était évidemment pas reconnaissable, elle pesait à peine 45 kg.
Née en 1988 en Autriche, habitant avec sa mère et son père dans une banlieue de Vienne, Natascha Kampusch, 10 ans, petite boulotte dépressive selon sa propre description, est enlevée en 1998 sur le chemin de l'école, la première fois qu'elle faisait le trajet seule. Son ravisseur Wolfgang Priklopil est un type effacé, discret, vivant dans un pavillon enclos, volets fermés et ne recevant pas de visites, un ancien électricien de chez Siemens qui vit de travaux de maçonnerie et de plomberie, de travaux de réhabilitation de pavillons, sans doute non déclarés. Priklopil, homme discret, était un vrai méchant : paranoïaque, anorexique, en tous cas ayant des troubles alimentaires, manipulateur sadique et sans doute impuissant. Natascha Kampusch réfute dans son récit qu'il l'ait violée, bien qu'il la faisait parfois dormir étroitement attachée à lui dans son lit par peur qu'elle s'enfuie. Il la battait, l'affamait, la faisait travailler comme une esclave, la torturait psychologiquement, mais il n'était pas un agresseur sexuel.
"Le combat a duré 8 années et demi, j'en ai perdu chaque bataille, mais pas la guerre". Natascha Kampusch pourrait faire sienne cette phrase de Christiane Rochefort dans La porte du fond. Natascha a traversé l'enfer, elle en est ressortie en acier trempé. C'est du moins ce que laisse entendre son récit publié en 2010 et traduit immédiatement en plusieurs langues, succès de librairie, tant l'affaire est hors-norme, écrit en collaboration avec deux journalistes. Elle y livre sa vérité de victime pour contrer les fantasmes et approximations, voire les mensonges que provoquent ce type d'affaire de tortionnaire de femmes et d'enfants. Elle dit comment elle a survécu dans 5 m2, comment elle a négocié une radio, une télé, des crayons, du papier, elle décrit les affres de la faim, la douleur des coups répétés et la dissociation pour tenir, la peur effroyable d'être enfermée dans le noir pendant les week-ends derrière un bloc de béton où on ne l'aurait pas entendue crier, face à un pervers maltraitant et paranoïaque qui prenait ses week-ends, et vers qui deux témoignages convergents et un chien policier conduisaient dès les premiers jours de l'enquête, mais que la police autrichienne n'a pas creusés. Natascha Kampusch refuse d'être "rangée dans le tiroir syndrome de Stockholm", elle refuse de nommer "monstre" son kidnappeur, elle le classe clairement dans l'espèce humaine, et nomme le mal :
" ... j'ai compris que j'avais un peu trop idéalisé cette société . Nous vivons dans un monde où les femmes sont battues et ne peuvent fuir les hommes qui les maltraitent, bien que la porte leur soit théoriquement grande ouverte. Une femme sur quatre est victime de graves violences, une sur deux fait l'expérience au cours de sa vie d'une agression sexuelle. Ces crimes sont partout, ils peuvent se produire derrière chaque porte, chaque jour, et ils ne provoquent que chez quelques personnes des regrets superficiels et un haussement d'épaules.
Cette société a besoin de criminels comme Wolfgang Priklopil, pour donner un visage au Mal qui l'habite et le tenir à distance. Elle a besoin de ces images de caves transformées en cachots, pour ne pas avoir à regarder dans toutes ces maisons où la violence montre son visage lisse et bourgeois. Elle a besoin de victimes, de cas spectaculaires comme le mien pour se décharger de la responsabilité des crimes quotidiens commis sur des victimes anonymes que l'on n'aide pas -même si elles réclament de l'aide.
En se fondant sur des crimes comme celui que j'ai subi, la société construit en noir et blanc, les catégories du Bien et du Mal qui lui permettent de tenir debout. Il faut que le bourreau soit une brute pour pouvoir rester soi-même du bon côté. Il faut agrémenter ses méfaits de fantasmes sado-masochistes et d'orgies débridées jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien à voir avec sa propre vie.
Et la victime doit être brisée et le rester, afin que l'externalisation du mal puisse fonctionner. Une victime qui n'endosse pas ce rôle personnifie la contradiction dans la société. On ne veut pas voir cela, car il faudrait alors se poser des questions. "
A rapprocher du refus de la victimisation par Christiane Rochefort :
" Je ne sais pas pourquoi mais je n'y arrive pas. Sale mentalité, hein. Il paraît que je ne marche pas dans la combine. La combine profitable qui est : on est prié de continuer à s'opprimer soi-même quand il n'y a plus personne pour le faire.
Sinon c'est l'anarchie quoi. "
Natascha Kampusch a réclamé à titre de dédommagement aux victimes dû par l'état auchichien la maison de Priklopil (suicidé sous un train quelques jours après sa fuite) : en en devenant propriétaire, elle évitait les touristes et les visites malsaines de curieux sur les lieux de sa détention ; elle a publié ce livre et un deuxième en 2016, Dix ans de liberté, livres qui lui ont permis de faire ses études ; elle a accordé en exclusivité une interview à la Télévision autrichienne, interview gratuite mais dont les droits de diffusion à l'étranger ont été reversés à des associations d'éducation de filles. Natascha Kampusch a été beaucoup critiquée pour son attitude volontariste de maîtrise de son destin, et son refus du statut de victime. Ce qui ne veut absolument pas dire qu'elle ne reste pas fragile. On lui souhaite le meilleur.
Deux ans après le retour à la société de Natascha Kampusch, une autre "disparue" autrichienne Elizabeth Fritzl échappe à une séquestration de 24 ans - de 1984 à 2008- dans la cave sous la maison de son père incestueux kidnappeur, et de sa mère qui "ne savait rien". Sept enfants conçus et mis au monde dans la cave, quatre vivants, son histoire est racontée par Régis Jauffret dans Claustria. Contrairement à Natascha Kampusch qui vit dans la lumière et publie, Elizabeth Frizl et ses quatre enfants ont été "exfiltrés", tels des repentis djihadistes ou mafiosi, ou des lanceurs d'alerte très exposés. Après indemnisation du préjudice, plus paiement de 24 années de retard d'allocations familiales pour les enfants quelle a mis au monde et élevés pendant sa séquestration, elle a disparu sous une nouvelle identité, de nouveaux papiers, fournis par l'administration autrichienne dont les carences, dans cette affaire aussi, sont patentes. Le père Fritzl purge une peine de prison à vie. Ces hommes, agresseurs et pères abusifs peuvent vraiment dormir sur leurs deux oreilles, tant la société et sa police sont négligentes et tolérantes aux crimes commis envers les filles, les femmes et leurs enfants. Et il n'y a pas de bon moyen d'être une victime, ce statut vous vaudra le scandale, le voyeurisme, et bien sûr, les injonctions de la société qui sait toujours mieux que les femmes, même quand elle a failli à les protéger, ce qui leur convient. Double peine.
Les citations tirées du livre de Natascha Kampusch sont en caractères gras et rouge.
Née en 1988 en Autriche, habitant avec sa mère et son père dans une banlieue de Vienne, Natascha Kampusch, 10 ans, petite boulotte dépressive selon sa propre description, est enlevée en 1998 sur le chemin de l'école, la première fois qu'elle faisait le trajet seule. Son ravisseur Wolfgang Priklopil est un type effacé, discret, vivant dans un pavillon enclos, volets fermés et ne recevant pas de visites, un ancien électricien de chez Siemens qui vit de travaux de maçonnerie et de plomberie, de travaux de réhabilitation de pavillons, sans doute non déclarés. Priklopil, homme discret, était un vrai méchant : paranoïaque, anorexique, en tous cas ayant des troubles alimentaires, manipulateur sadique et sans doute impuissant. Natascha Kampusch réfute dans son récit qu'il l'ait violée, bien qu'il la faisait parfois dormir étroitement attachée à lui dans son lit par peur qu'elle s'enfuie. Il la battait, l'affamait, la faisait travailler comme une esclave, la torturait psychologiquement, mais il n'était pas un agresseur sexuel.
"Le combat a duré 8 années et demi, j'en ai perdu chaque bataille, mais pas la guerre". Natascha Kampusch pourrait faire sienne cette phrase de Christiane Rochefort dans La porte du fond. Natascha a traversé l'enfer, elle en est ressortie en acier trempé. C'est du moins ce que laisse entendre son récit publié en 2010 et traduit immédiatement en plusieurs langues, succès de librairie, tant l'affaire est hors-norme, écrit en collaboration avec deux journalistes. Elle y livre sa vérité de victime pour contrer les fantasmes et approximations, voire les mensonges que provoquent ce type d'affaire de tortionnaire de femmes et d'enfants. Elle dit comment elle a survécu dans 5 m2, comment elle a négocié une radio, une télé, des crayons, du papier, elle décrit les affres de la faim, la douleur des coups répétés et la dissociation pour tenir, la peur effroyable d'être enfermée dans le noir pendant les week-ends derrière un bloc de béton où on ne l'aurait pas entendue crier, face à un pervers maltraitant et paranoïaque qui prenait ses week-ends, et vers qui deux témoignages convergents et un chien policier conduisaient dès les premiers jours de l'enquête, mais que la police autrichienne n'a pas creusés. Natascha Kampusch refuse d'être "rangée dans le tiroir syndrome de Stockholm", elle refuse de nommer "monstre" son kidnappeur, elle le classe clairement dans l'espèce humaine, et nomme le mal :
" ... j'ai compris que j'avais un peu trop idéalisé cette société . Nous vivons dans un monde où les femmes sont battues et ne peuvent fuir les hommes qui les maltraitent, bien que la porte leur soit théoriquement grande ouverte. Une femme sur quatre est victime de graves violences, une sur deux fait l'expérience au cours de sa vie d'une agression sexuelle. Ces crimes sont partout, ils peuvent se produire derrière chaque porte, chaque jour, et ils ne provoquent que chez quelques personnes des regrets superficiels et un haussement d'épaules.
Cette société a besoin de criminels comme Wolfgang Priklopil, pour donner un visage au Mal qui l'habite et le tenir à distance. Elle a besoin de ces images de caves transformées en cachots, pour ne pas avoir à regarder dans toutes ces maisons où la violence montre son visage lisse et bourgeois. Elle a besoin de victimes, de cas spectaculaires comme le mien pour se décharger de la responsabilité des crimes quotidiens commis sur des victimes anonymes que l'on n'aide pas -même si elles réclament de l'aide.
En se fondant sur des crimes comme celui que j'ai subi, la société construit en noir et blanc, les catégories du Bien et du Mal qui lui permettent de tenir debout. Il faut que le bourreau soit une brute pour pouvoir rester soi-même du bon côté. Il faut agrémenter ses méfaits de fantasmes sado-masochistes et d'orgies débridées jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien à voir avec sa propre vie.
Et la victime doit être brisée et le rester, afin que l'externalisation du mal puisse fonctionner. Une victime qui n'endosse pas ce rôle personnifie la contradiction dans la société. On ne veut pas voir cela, car il faudrait alors se poser des questions. "
A rapprocher du refus de la victimisation par Christiane Rochefort :
" Je ne sais pas pourquoi mais je n'y arrive pas. Sale mentalité, hein. Il paraît que je ne marche pas dans la combine. La combine profitable qui est : on est prié de continuer à s'opprimer soi-même quand il n'y a plus personne pour le faire.
Sinon c'est l'anarchie quoi. "
Natascha Kampusch a réclamé à titre de dédommagement aux victimes dû par l'état auchichien la maison de Priklopil (suicidé sous un train quelques jours après sa fuite) : en en devenant propriétaire, elle évitait les touristes et les visites malsaines de curieux sur les lieux de sa détention ; elle a publié ce livre et un deuxième en 2016, Dix ans de liberté, livres qui lui ont permis de faire ses études ; elle a accordé en exclusivité une interview à la Télévision autrichienne, interview gratuite mais dont les droits de diffusion à l'étranger ont été reversés à des associations d'éducation de filles. Natascha Kampusch a été beaucoup critiquée pour son attitude volontariste de maîtrise de son destin, et son refus du statut de victime. Ce qui ne veut absolument pas dire qu'elle ne reste pas fragile. On lui souhaite le meilleur.
Deux ans après le retour à la société de Natascha Kampusch, une autre "disparue" autrichienne Elizabeth Fritzl échappe à une séquestration de 24 ans - de 1984 à 2008- dans la cave sous la maison de son père incestueux kidnappeur, et de sa mère qui "ne savait rien". Sept enfants conçus et mis au monde dans la cave, quatre vivants, son histoire est racontée par Régis Jauffret dans Claustria. Contrairement à Natascha Kampusch qui vit dans la lumière et publie, Elizabeth Frizl et ses quatre enfants ont été "exfiltrés", tels des repentis djihadistes ou mafiosi, ou des lanceurs d'alerte très exposés. Après indemnisation du préjudice, plus paiement de 24 années de retard d'allocations familiales pour les enfants quelle a mis au monde et élevés pendant sa séquestration, elle a disparu sous une nouvelle identité, de nouveaux papiers, fournis par l'administration autrichienne dont les carences, dans cette affaire aussi, sont patentes. Le père Fritzl purge une peine de prison à vie. Ces hommes, agresseurs et pères abusifs peuvent vraiment dormir sur leurs deux oreilles, tant la société et sa police sont négligentes et tolérantes aux crimes commis envers les filles, les femmes et leurs enfants. Et il n'y a pas de bon moyen d'être une victime, ce statut vous vaudra le scandale, le voyeurisme, et bien sûr, les injonctions de la société qui sait toujours mieux que les femmes, même quand elle a failli à les protéger, ce qui leur convient. Double peine.
Les citations tirées du livre de Natascha Kampusch sont en caractères gras et rouge.
lundi 1 janvier 2018
Bonne année 2018 !
2017 a indubitablement été parsemée d'événements féministes. De la Women's March on Washington qui a été un événement mondial, aux femmes qui, dans le sillage de l'affaire Weinstein, n'arrêtent plus de témoigner partout dans le monde du harcèlement et des agressions sexuelles subies. On a l'impression que cela ne s'arrêtera plus. A tel point que le site du fameux dictionnaire en ligne Merriam-Webster, qui fait des statistiques sur les recherches de définitions qui arrivent sur son site, déclare le mot féminisme #WordOfTheYear pour cause d'élévation soutenue des recherches et de pics liés aux événements ! Le mot de l'année. Réjouissons-nous.
C'est tout de même étonnant que les gens cherchent à ce point le sens du mot "féminisme", on pourrait penser que son sens a pénétré la société, mais prenons les choses positivement.2017 saw both a sustained rise in 'feminism' lookups and a number of event-driven spikes.— Merriam-Webster (@MerriamWebster) 12 décembre 2017
'Feminism' is our #WordOfTheYear. https://t.co/CrEhuZe7HB
Espérons qu'en 2018, les femmes continueront à descendre dans la rue, à trouver la force de dénoncer leurs agresseurs, même s'il y a prescription, car parler c'est redevenir sujet après avoir été traitée en objet. Parler, c'est reprendre possession de soi et de son destin. Je nous/vous souhaite une année 2018 féministe.
Le Twitter des activistes radicales @UntamableShrews propose ci-dessous une liste inspirante d'actions (hacktions) pour 2018, en vue de miner le patriarcat et faire la révolution.
Street art à base de stickers, de stencils, de craie, de collages/marouflages, de graffiti...
Le Twitter des activistes radicales @UntamableShrews propose ci-dessous une liste inspirante d'actions (hacktions) pour 2018, en vue de miner le patriarcat et faire la révolution.
Pour les non anglophones, en voici la traduction :2018 Shrew Year Revolution. Make activism part of your everyday routine. Here are some simple ideas for every day activism that will make a huge difference if we all do collectively. Got any more to add? pic.twitter.com/B1ZseV3uPv— Untameable Shrews (@untamableshrews) 29 décembre 2017
Street art à base de stickers, de stencils, de craie, de collages/marouflages, de graffiti...
Écrivez des lettres, faxez, téléphonez, twittez, aux annonceurs sexistes, aux politiciens, et boycottez les entreprises qui exploitent sexuellement les femmes ;
Favorisez la prise de conscience par des tracts dans les boîtes aux lettres, sur les pare-brise de voitures ;
Engagez-vous sur le long terme dans les associations de femmes, et faites des dons. Le changement est lent ;
Écrivez, téléphonez, faxez, tweetez aux organismes de droits humains à propos de l'esclavage sexuel des femmes et filles engagées dans le business de la pornographie et de la prostitution ;
Faites campagne pour le modèle nordique (pénalisation des clients) et organisez des manifestations et des flash mobs.
Cette liste n'est pas limitative, laissez libre cours à votre créativité. Il est très utile de s'abonner aux sites internet, collectifs, groupes Facebook, comptes Twitter qui proposent tous ces types d'actions. On est ainsi informées en temps réel des actions qui se préparent !
Cette liste n'est pas limitative, laissez libre cours à votre créativité. Il est très utile de s'abonner aux sites internet, collectifs, groupes Facebook, comptes Twitter qui proposent tous ces types d'actions. On est ainsi informées en temps réel des actions qui se préparent !
En 2018, la terreur change de camp ?
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