vendredi 21 février 2020

Comment tweeter sans devenir folle


Le réseau social Twitter rend fou, c'est prouvé ! On a quelques cas cliniques sous les yeux en permanence : Donald Trump et ses tweets compulsifs, la monarchie saoudienne, ses marées de robots trolls à zéro abonnés pour contrer les opposants, et pas mal d'hommes et femmes politiques qui tweetent d'abord, réfléchissent après, effacent, présentent des excuses quand on leur présente des captures d'écrans indestructibles, enfin des journalistes en mal d'inspiration dont le réseau social qui, rappelons-le est un site d'updates (mises à jours) permanent et intarissable, est leur principale source d'information, tout en dégueulant bien entendu sur son instantanéité, son pseudo anonymat (rien n'est anonyme sur Internet), et sa péremption quasi instantanée, un tweet chasse l'autre. Durée de vie d'un message montre en main : 18 minutes !

Je vais fêter mon neuvième tweet-anniversaire le 11 mars prochain, j'ai donc un peu de bouteille et d'expérience sur ce réseau que, par ailleurs, j'adore malgré sa chronophagie boulimique ; j'avoue aussi que je consulte peu les commentaires et les messages en dessous des tweets des autres, ça aide à garder une bonne santé mentale et à ne pas trop désespérer de l'humanité. De plus, je n'ai pas d'iphone ni de smartphone, je tweete depuis un ordinateur portable qui a un fil à la patte, ce qui me permet, si la pression et la fièvre montent, de me déconnecter et d'aller me dégonfler le ciboulot sans avoir la tentation de consulter mes notifications toutes les 30 secondes. En un mot comme en cent, je marche dans la rue en regardant devant moi, je conduis ma voiture avec un œil sur les feux tricolores, ce qui est gage d'une conduite homogène, décarbonée au maximum.

Je  vais donc me permettre quelques conseils aux twittas (et twittos pourquoi pas ?) qui passeraient par ici. Twitter est un réseau social -c'est à dire une micro-société- d'informations et de mises à jour ultra rapide et performant qui renseigne en quasi temps réel de ce qu'il se passe sur la planète, c'est pour cette raison que les journalistes l'adooooorent ! Il est aussi plus techno et "happy few", élitiste que Facebook qui, disons-le tout net est le réseau de tout le monde, y compris de votre arrière grand-père :) Twitter est excellent, comme tous les réseaux sociaux, pour faire de l'activisme, du militantisme. C'est même pour cela que j'y suis.

Il a toutefois les défauts de ses qualités, en fait plus de défauts que de qualités. Pour connaître ses principaux défauts, il faut remonter à sa conception en 2006 : twitter est un site de listes non réciproques par défaut, retenez, c'est essentiel, les abonnements s'y font sans autorisation préalable, c'est son talon d'Achille qui permet tous les dérapages. Mise en copie de la moitié de la planète, duplication par le biais des partages, vos notifications deviennent vite ingérables, vos opposants peuvent s'y déchaîner en meute, Twitter est un parfait outil de harcèlement. Twitter est de plus truffé de faux comptes et de robots (bots) qui démultiplient l'effet partage. Deux cas récents illustrent mon propos : Mila, l'instagrameuse, croyant parler à une trentaine de personnes sélectionnées remet fermement en place un lourdaud qui la tanne, l'échange est aussitôt transporté sur et amplifié par Twitter, Mila reçoit des menaces de mort, doit fermer son compte Instagram, la classe politique s'en mêle, Mila change d'école ! Deuxième cas : Griveaux, candidat à la mairie de Paris, retire sa candidature après qu'un sexto volé sur une boîte électronique où il dormait depuis 2018 (une BALE, ça se pirate, effacez vos messages) trouve une audience malveillante via Twitter provoquant la chute du candidat. Aussi prudence. Et ne faites pas aux autres ce que vous n'aimeriez pas qu'on vous fasse.

Il ne faut pas se cacher derrière son doigt ni faire violette sous la mousse, on est sur les réseaux sociaux pour être lu-e, pour créer de l'influence. Le nombre d'abonnement est le moyen le plus évident de mesurer votre audience, même s'il y en d'autres, et que les faux abonnements pullulent, les achats d'abonnements frauduleux aussi. Quand on voit certain-es avec des 17 000 abonné-es vu ce qu'elles racontent, on peut être perplexe. Et relativiser, ne pas se prendre au sérieux, ne pas se faire d'illusions sur ses abonnées et ce qu'elles, ils lisent de ce que vous publiez.


Quelques conseil pour intéresser et augmenter votre audience :

- Soyez assidue. Twitter, le plus chronophage des réseaux sociaux, exige du travail, de la présence, du temps, et même de la préparation, quel que soit votre sujet.
- Ayez une identité : avatar, profil descriptif, et ne retweetez pas sans arrêt par le bouton RT proposé par Twitter, on ne verra que l'avatar des autres, vous allez vous perdre dans l'océan des twittos.
- Ayez une ligne éditoriale claire ; vous pouvez toutefois y déroger en twittant des chatons ou des animaux rigolos, ou toutes autres plaisanteries qui détendent l'atmosphère, montrent que vous n'êtes pas une bonne sœur dévouée exclusivement à une cause. Rien de plus fastidieux que ces comptes militants mono-tâche, dédiés à un mono-sujet, généralement dramatique, qui deviennent vite lancinants, y compris pour l'émettrice qui, en plus de fatiguer son audience, finit inexorablement par se fatiguer elle-même.
- Restez polie et courtoise en toutes circonstances, même si un bon fight de temps en temps est payant, car n'oubliez jamais qu'"Internet est CONTRE", il n'est jamais pour. C'est contradictoire mais c'est ainsi, les réseaux sociaux, comme la vie, ne sont pas simples.
- Be yourself, défendez vos idées, même si elles ne sont pas main stream, consensuelles ; défendez les portées par d'autres, mais en restant sur les idées, proscrivez les attaques ad hominem.
Ne vous immiscez pas dans les conversations des autres, grossièrement, ou en parlant d'autre chose que du sujet de départ, c'est extrêmement déplaisant.
- Ne retweetez pas sans vérifier l'information : Twitter est un piège, il est bourré de fake news, de tweets anciens présentés comme nouveaux, certaines images sont piégées. Débunkez, faites des requêtes sur un moteur de recherche avant qu'on ne vous débunke. Les twittas-os sont cruelles. Avec le temps, l'expérience vient, mais restez en alerte tout le temps.
- Respectez la Netiquette : ne polluez pas, ne spammez pas, ne trollez pas, vous ferez la différence. Dites merci sans obséquiosité ; partagez celles et ceux qui vous partagent s'ils sont intéressants (notez qu'il y a des twittas-os qui ne font que de l'observation, qui s'abonnent juste pour lire les autres, qui émettent peu, illes ne cherchent pas la notoriété) ; ne mettez pas non plus les autres en copie du moindre de vos articles alors que vous ne partagez personne. Si vous promouvez un sujet, vos idées, ne prétendez pas faire violette sous la mousse, personne n'est dupe. En cas de tweet multi-adressé, vous pouvez répondre au seul envoyeur ou à une sélection : Twitter a une fonction décocher que personne n'utilise, c'est quand même un monde !
- Allez fouiller ailleurs que dans les tweets proposés par Twitter : la monoculture est dans l'algorithme "ce que vous avez manqué, "ceci pourrait aussi vous intéresser" ! C'est l'enfermement à coup sûr ; allez lire les comptes des gens qui vous partagent, lisez vos abonnements, la majorité d'entre eux est absolument passionnante et compétente, Twitter est une source de savoir, partagez en retour. Vive la biodiversité.

Enfin, par-dessus tout, si vous sentez que la fièvre monte, que le transport au cerveau n'est pas loin (ça vous arrivera régulièrement), débranchez tout, déconnectez-vous, éteignez votre ordinateur ou votre téléphone, laissez les sur votre bureau, sortez, allez marcher trois heures le temps de dégonfler, rencontrez des gens IRL, c'est la seule façon d'éviter l’hôpital psychiatrique ou la prison. Ou même pire, la privation de votre réseau social favori : Twitter suspend. Twitter restreint. Twitter ferme des comptes. Twitter a ses bannis. Et devinez qui fait les chiens de garde ? Des ALGORITHMES truffés de mots-clés. Ils sont bêtes comme pas permis. Alors prudence. 

A bientôt sur la twittosphère ! 

Lien complémentaire : Mon article sur Technically Wrong, applications sexistes, algorithmes biaisés, et autres menaces des technologies toxiques, par Sara Watcher-Boettcher, qui explique entre autres les travers de trois réseaux sociaux.

mardi 11 février 2020

Défense et éloge des blasphématrices


Photo prise au Maroc, envoyée par Betty Lachgar @IbtissameBetty
13 pays punissent le blasphème de la peine de mort : Afghanistan, Iran, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Nigeria, Pakistan, Qatar, Arabie Saoudite, Somalie, Soudan, EAU, Yemen).

La confusion et le bal des faux-culs sont à leur comble dans ce qu'il est convenu d'appeler désormais l'affaire Mila : confusion entre insulte, blasphème, les croyants et leurs représentants choqués, le mot "respect", "blessure", ces lèpres du langage, employés jusqu'à la nausée, les prétendus propos vulgaires : ah mon dieu, c'est une fille qui pretend faire un toucher rectal à Dieu, bordel, les mémères femmes politiques s'insurgent ! Ségolène Royal en tête. Le secrétaire National du Parti Communiste Fabien Roussel, pour qui la "religion est l'opium du peuple", mais à condition d'un minimum de "respect" (minute 18, Marx doit s'en retourner dans sa tombe), l'extrême-gauche, et une partie du PS, reniant leur principes laïques et républicains, qui pensent faire recette aux élections avec des concessions sur les exigences religieuses, tous sont travaillés par les idées des activistes de l'Islam politique...

Le reproche de jeunesse, âgisme inversé, on a tellement l'habitude de la stigmatisation des séniors en "vieux cons" que ça fait tout drôle : Mila a 16 ans, François de la Barre en avait 19 quand il refusa d'enlever son chapeau devant le passage d'une procession ; il était turbulent, il a bien dû grommeler quelque chose, l'histoire ne l'a pas retenu ; il n'insultait ni ne blessait personne, il opposait un refus individuel de libre-penseur face à un système qu'il estimait obscurantiste et contre la raison. La valeur n'attend pas le nombre des années : Etienne de la Boétie a écrit Discours de la servitude volontaire à 18 ans, Jeanne d'Arc menait des armées à 17 ans, et Greta Thunberg, (je la rajoute, elle défie le pouvoir planétaire masculin majoritaire ignorant les avertissements du GIEC) comme pas mal d'autres militantes pour le climat, ont toutes moins de 20 ans. Et alors ? Tou-tes étaient / sont concerné-es par l'avenir qu'on leur bâtit au moment où elles étaient / sont jeunes, toustes étaient / sont concerné-es par nos renoncements.

Il faut arrêter aussi avec toutes ces "blessures" : la chouinerie est désormais élevée à un point paroxystique. On guérit de blessures narcissiques, elle nous rappellent que le monde ne tourne pas autour de notre nombril et de notre petite sensibilité. Les vraies blessures ont une autre allure. Devoir abjurer la foi de ses parents sauf à risquer de perdre la vie, être mutilée sexuellement par diktat patriarcal, être enlevée, volée comme du bétail, et engrossée par des fanatiques comme les filles de Chibok, devoir quitter un pays en guerre pour sauver sa vie, en voilà de vraies blessures dont on peut ne pas se relever, dont on portera les cicatrices la vie entière.

Mila n'a insulté personne, c'est elle qui a été insultée. Échangeant en petit groupe sur ses goûts en matière de femmes, elle a été grossièrement remballée par un Jacky haineux des lesbiennes (genre être lesbienne, c'est pas naturel, je vais te montrer ce que je fais avec ma bite tu vas voir...), bref le connard qui pense qu'il peut "convertir" une lesbienne en hétéro, parce qu'elle n'aurait pas trouvé le "bon coup", encore une croyance de l'hétéro de base, bas de plafond. Partage de l'échange (limité au départ à un groupe Instagram) sur Twitter, le media parfait pour l'envoi en multicopie et donc instrument de harcèlement, les tenants de dieu et d'un Islam intégriste se sont déchaînés (on va t'égorger sale chienne, sale pute, sale gouine... j'en passe), les menaces de mort et l'adresse de son lycée ont été échangées massivement par une meute de haineux. Tant et si bien qu'elle a dû être déscolarisée et fermer ses réseaux sociaux. La voilà, la vraie violence. Les humains sont plus importants que leurs dieux et prophètes fantasmatiques, leur liberté et leur sécurité sont plus importantes que les figures historiques réelles ou supposées telles. La démocratie ne reconnaît pas le sacré. Les démocraties lui opposent le droit. Du coup, on ne blasphème pas, on exprime son opinion. Le racisme assignant à résidence une personne ou un groupe de personnes n'est pas une opinion, c'est un délit. Qu'est-ce que certain-es ne comprennent pas là-dedans ? 

Illustration de la différence entre insulte raciste et blasphème (non existant, donc non réprimé en France) par deux cas de droit jugés par les tribunaux en France : Brigitte Bardot écrivant "les musulmans sont des barbares" tombe sous le coup de la loi Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme, les musulmans sont un groupe de personnes, elle est logiquement condamnée à une amende et aux dépens pour propos racistes.
Michel Houellebecq écrit dans un de ses romans "l'Islam est la religion la plus con" : les plaignants sont déboutés, Houellebecq a le droit d'émettre une opinion en exerçant sa liberté d'expression. L'Islam, ce ne sont pas des personnes ni un groupe de personnes, c'est une idéologie comme le christianisme, le libéralisme, le capitalisme ou le communisme... on peut donc dire que ce sont des systèmes de pensée très cons, ils sont absolument, éminemment criticables.

Rappelons-nous aussi que ces systèmes de croyance, ces récits édifiants, ont tous été forgés contre les femmes, que le Père-Tout-Puissant est le garant du système patriarcal oppresseur, et que les bûchers ne sont jamais loin des femmes libres de leur parole, donc perçues comme insolentes. Jeanne d'Arc en a pâti pour avoir transgressé son rôle de femme assignée à la reproduction, en ralliant et conduisant une armée, François-Jean Lefebvre de la Barre a été supplicié puis conduit au gibet pour avoir "blasphémé", donc transgressé l'ordre religieux des mâles, Greta Thunberg est renvoyée à ses études (il se trouve que le système suédois permet une année sabbatique pour se frotter à d'autres connaissances) par de vieux machistes, et priée de laisser le gouvernement du monde à la Maison des hommes, la politique. Sous-texte : les bonnes femmes aux fourneaux, les vaches seront bien gardées. Vu le déplorable état du monde, il est temps d'essayer autre chose, sérieusement. Les femmes au pouvoir n'a jamais été essayé, du moins pas sur de larges échantillons. Aussi cultivons l'insolence, la libre-pensée et notre liberté d'expression ; elles ne s'usent que si on ne s'en sert pas. Et franchement, on a été bien polies jusqu'à maintenant, vu ce que ça nous a rapporté, il est temps d'essayer autre chose. 

Quelques insolentes blasphématrices contemporaines :







FEMEN, groupe de féministes performeuses venues d'Ukraine, menacées de mort par les autorités de leur pays, enlevées avec simulacre de mise en mort dans une forêt ukrainienne, elles ont fui pour sauver leur vie. Les trois photos, respectivement : "Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n'avez pas réussi à brûler", évacuées d'une crèche en Italie, tronçonnant une croix en soutien aux Pussy Riot.


PUSSY RIOT : groupe punk-rock féministe russe, embastillées par Vladimir Poutine en camp de travail en Sibérie après une performance dans une église orthodoxe russe, performance jugée blasphématoire en 2012, elles feront deux ans de camp "pour vandalisme et incitation à la haine religieuse".

MILA récemment : je ne mets pas de photo, elle a besoin de retrouver l'anonymat, vu que des fanatiques veulent lui faire un sort aka, la violer et l'égorger.
Espérons que la série s'arrête là, mais j'ai des doutes.

Lien Sur la "politesse" et les "blessures" à ménager : La liberté d'expression est-elle réductible à la politesse, éditorial par Valérie Toranian Rédactrice en Chef de La Revue des Deux mondes