samedi 23 mars 2024

Ce très commode universalisme lexical qui nous fait endosser les crimes masculins

 Cela a commencé par un xweet (soyons aussi créative que le mirifique repreneur de la plate forme X) de France Info rapportant que "les peines planchers à l'encontre des délinquants récidivistes n'ont eu qu'un 'faible effet dissuasif ', selon une étude " (ah, les études de France Info !) relayée par La Croix. Auquel j'ai répondu : "Et vous savez que les quelques 3200 femmes incarcérées sur 73 000 sous écrous pour 60 000 places disponibles, elles, ne récidivent jamais ? La récidive est masculine, mais on lit et entend sans arrêt 'la prison est l'école de la récidive'. Car les hommes, fournissant largement la population carcérale, fait passé sous silence universel, récidivent. 

Depuis environ 125 ans de déconstruction et d'épistémologie féministe (anthropologique, sociologique, psychologique, mythologique, juridique...), soit six ou sept générations bien tassées, la parité en prison n'est toujours pas atteinte dans les prisons françaises et mondiales, les femmes y étant scandaleusement sous-représentées. Pire, même, on n'en parle JAMAIS. Une abonnée m'a aussitôt répondu que depuis 1992, année de la mise en place de stages de récupération de points de permis de conduire, un professionnel de la sécurité routière lui avait précisé qu'il n'y voyait qu'une à six femmes sur vingt participants, sans évolution non plus depuis 30 ans. Il y a encore des stages où il n'y a aucune femme ! Le refus d'obtempérer du délinquant routier n'est décidément pas notre genre. 

Alors Mesdames, on joue petit bras ? On renâcle à délinquer ? On refuse le braquage de banque ? On se contente de filmer les émeutes des "jeunes" par la fenêtre de son immeuble à Aubervilliers, Dijon ou La Courneuve ? On obtempère docilement quand la police ou la gendarmerie vous demandent de vous arrêter et de vous garer ? On ne sort toujours pas une lame quand un mec vous parle mal ? On ne trucide pas Jules quand il vous quitte ? Même la baffe lestement envoyée à un lourdaud insistant qu'on voyait dans les films des années 40 et 50 n'a plus cours : désormais c'est la paralysie de tous les membres lorsqu'on se prend une main au cul ou que les insultes fusent ? Je suis moi, dans ce cas, pour le cumul des mandales. 

Et pourtant, il y aurait matière à redire et à riposter. Cantonnées dans les basses zones de l'économie sur douze ou treize métiers du soin, sans machines ni outils comme ceux des hommes pour gagner en productivité, mal payées, un bon braquage de banque bien organisé devrait aider à "finir les fins de mois" SIC comme écrit la presse ventriloque. La misère sociale, la répression et l'absence de perspectives qui sont toujours invoquées pour justifier les passages à l'acte des émeutiers (émeutière n'a pas de féminin !) ne seraient la plaie que des seuls hommes ? Mais qui est la plus maltraitée par la société patriarcale des familles, des tribus et des entre-soi étouffants banlieusards et des quartiers ? Injonctions vestimentaires, demande de papiers pour rentrer dans son logement, comme Yvette au Blosne à Rennes, discrimination à l'embauche, au salaire, à la promotion professionnelle, abandon de la femme et des enfants par les géniteurs, moi je n'appelle pourtant pas ça la félicité domestique ! Et les mecs, ils vous parlent bien ? La misogynie tisse littéralement le langage et les comportements publics comme privés. Et Jules qui se tire quand il en a assez de mômes braillards et ingouvernables, vous abandonnant dans le pétrin, il ne mérite toujours pas de représailles peut-être ? Non, je demande. Parce qu'il y a tout de même matière. Et des baffes se perdent. 

On en a tout de même une qui s'est énervée ces derniers jours : c'est alors traitement double standard dans la presse nationale et régionale. La Dépêche du Midi le 17 mars titre : "une femme" (ah tiens ? On n'écrit plus le pudique 'un individu', une 'personne' appliqué aux hommes ? Pour les femmes, on y va franc du collier, on nomme ?), "Une femme donc, déchaînée (vous lisez ou entendez 'déchaîné' à propos de la violence masculine vous ? c'est vrai qu'eux ne sont pas 'enchaînés' comme nous, aussi on devrait lire 'désenchaînée' s'ils écrivaient en français correct et factuel) s'en prend à une dizaine de chasseurs avec une matraque et un lacrymo (quel héroïsme, cette femme contre 10 chasseurs, tous mâles, forcément) et en envoie deux à l'hôpital ! En roulant dessus avec sa voiture. Une héroïne. Notez que dans la suite de l'article, la femme en question s'est spontanément présentée ensuite à la gendarmerie, ce que les hommes, eux, ne font jamais. Mais ça m'a fait la journée et même la semaine, j'ai bien aimé, malgré le traitement inéquitable de la Dépêche du Midi. Là où les mâles délinquent, c'est présenté comme fatalité, la totalité de l'espèce renvoyée à la violence de la société, mais qu'une femme manifeste de façon un peu visible sa contrariété d'être emmerdée par des chasseurs lors d'une balade en forêt, c'est stigmatisation par les patriarcaux mutiques sur la violence masculine, mais gardiens de l'ordre sur le troupeau des femelles. Et il n'y aurait pas de quoi s'énerver ? 

Ainsi disparaît sous un universalisme de bon aloi le grand calme des femmes, contrastant avec les constantes incartades, incivilités, et les crimes masculins, les femmes toujours passées sous silence, invisibles, indétectables par leurs radars, toujours vues en creux, comme contrepoint inaudible. Mais imaginez qu'un jour nous commencions à monter en puissance dans la délinquance, puisque le féminisme est aussi un plaidoyer pour la parité, que ne va-t-on pas entendre ? Des cris, que dis-je, des hurlements d'indignation, une logorrhée d'anathèmes : j'imagine les plateaux télé avec toutologues, psychologues, médecins, psychanalystes (molosses du patriarcat, invariablement muets sur la violence masculine), experts en sécurité en train de se battre les flancs pour tenter d'expliquer la mutation. J'ai hâte de voir ça. 

Ce billet est un pamphlet ironique. Evidemment que je suis universaliste tout en gardant un œil critique sur les impasses du système. Toutefois, je ne suis pas de ces féministes réformistes pensant que si les femmes sont capables de nettoyer un évier, elles sont capables aussi bien de riveter une aile d'avion (ce à quoi j'adhère), donc qu'elles peuvent et doivent gagner la parité partout, y compris dans les activités délétères et inamendables pratiquées historiquement par les hommes : corridas, chasse, pêche, combats de coqs, guerres et autres joutes stupides où ils s'illustrent régulièrement pour l'ébahissement puis la résignation des foules. 

Passer sous silence à ce point notre calme tout en déplorant les méfaits et les crimes commis par les hommes me semble contre productif, car je ne vois pas comment lutter contre un fléau -coûteux socialement- sans jamais le nommer. Mais jetez-moi des pierres pour manquement à l'universalisme aveuglant auquel les femmes ont tellement peur de s'attaquer, ça me va aussi. Même si celles qui le font actuellement, dont je ne fais pas partie, les décoloniales, différentialistes culturelles et autres woke, errant dans des impasses théoriques, incapables de voir la totalité de l'oppression, fragmentent nos luttes, voire les cannibalisent,  et sont la meilleure caution au statu quo ante. 

Image : une contemporaine Diane vengeresse. 

dimanche 25 février 2024

Hors d'atteinte

Cette semaine, j'ai lu ce roman que j'avais mis il y a quelques semaines sur mes étagères virtuelles de Goodreads et Babelio. Il m'avait paru prometteur et pile dans ma ligne éditoriale ! 


Erin, jeune femme parisienne abîmée par une liaison avec un homme pervers manipulateur qui la dévalorise, la tient les doigts en crochet sur la nuque quand ils sont ensemble dans la rue, trouve la force de rompre. Elle adopte un chien prénommé Tonnerre, loue une petite maison avec jardin dans les Pyrénées, une voiture, rassemble ses affaires et ses économies, et prend la tangente. C'est la belle histoire d'une réparation en escaladant les pics, en randonnant dans la neige avec son chien devant elle. C'est l'histoire d'une reprise de confiance en soi, d'assurance retrouvée. Erin se reconstruit, se consolide en compagnie d'animaux : son chien, un chat à moitié sauvage et affamé qui finira par lui faire confiance et l'adopter, un renard qui passe familièrement au fond du jardin, un cerf sur le bord de la route, des marmottes siffleuses en montagne, et une hulotte qui tambourine sur son toit la nuit. De belles rencontres, surtout animales, mais aussi humaines. Un bel hommage à la nature revigorante et aux animaux, compagnons sincères et amicaux, sans jamais juger. Un petit roman court de 150 pages qui fait du bien, publié chez les Editions Cambourakis, engagées et féministes. 

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Dans mes pérégrinations sur les plateformes sociales, j'ai remarqué deux publications sur X/Twitter (on ne sait plus comment l'appeler !) : un post d'une abonnée demandant aux hommes "non violents" de rejoindre les féministes afin de faire avancer notre cause. Nouveau concept : 'nos alliés'. Je tombe sur un deuxième de Sandrine Rousseau, qu'on ne présente plus, post dédié à l'affaire Gérard Miller, où, tombant des nues, elle publie que si les "alliés" s'y mettent eux aussi à agresser et violer des femmes, sur qui pouvons-nous alors compter ? Sur nous-mêmes par exemple ? En effet, Gérard Miller soutenait sur tous les plateaux, du temps de sa puissance médiatique, la parole des femmes contre celle des agresseurs. Il me semble que poser la question c'est y répondre. Il n'y a pas plus d'alliés que de beurre en broche, il nous faut compter uniquement sur nous-mêmes, c'est cela qui est révolutionnaire et sain. En qualité de féministes matérialistes tout au moins, nous sommes engagées dans une lutte des classes, classe sociale femme revendiquant la considération et des droits égaux face à la classe sociale homme qui a tous les pouvoirs ; où verrait-on ailleurs qu'en féminisme, par exemple des syndicalistes, demander à des patrons plus conciliants que les autres (il y en a) de se joindre à leur combat et revendiquer avec eux de meilleurs salaires et conditions de travail ? J'ai bien peur que le transfuge de classe (Edouard Louis, ou Annie Ernaux pour en citer deux très connus) ne va que dans un sens, le vertical ascendant : du supposé bas, vers le supposé haut. En féminisme, je peux en citer deux qui sont restés confidentiels et sans émules, car réputés traîtres à leur classe : Léo Thiers-Vidal pour la France, John Stoltenberg pour les Etats-Unis. Lisons-les, chérissons-les, à mon avis ils n'auront pas de postérité, hormis bien entendu, leurs ouvrages. Le patriarcat les méprise comme il méprise tous ceux qu'il considère comme "déclassés". Refuser la virilité pour aller vers le camp des femmes correspond à un déclassement pour le système patriarcal. 

Dans mon précédent billet, écrit un peu à l'humour, je parlais des femmes qui se trouvent des beaux ténébreux en prison : il semble que ce n'est pas si rare finalement. Dans un article de Charlie Hebdo du mercredi 21février, Laure Daussy évoque un cas assez étonnant : la dame est une rescapée de meurtre conjugal. Elle rencontre son mec au parloir, où il lui sort déjà une lame, elle se met avec lui quand il sort, il la maltraite et la cogne, elle dépose plainte, mais continue malgré tout la relation, pour enfin le quitter et le poursuivre devant les tribunaux. Elle fera l'expérience de la justice défaillante auprès des femmes, qui ne la convoque même pas au procès de son prince, qui depuis a été expulsé vers le Maroc, où il pourra faire de nouvelles victimes. A lire l'article, la jeune femme est pourtant combative, mais étonnamment après avoir subi les pires avanies. C'est une disposition des femmes de tout supporter, sauf la solitude (condamnée par la société c'est vrai) ce qui ne manque pas de m'ébahir. Et les femmes sont la seule classe sociale impliquée émotionnellement, affectivement, avec l'oppresseur. 

Je pense que les hommes n'ont rien à gagner, de leur point de vue, à faire cause commune avec les femmes. S'ils en espéraient un gain, il y a longtemps qu'ils nous auraient rejointes. Mais ils ont tout à perdre d'une autonomisation des femmes de leur emprise : le pouvoir économique, social et politique, sans parler d'une domestique gratuite à la maison. Ils nous ont domestiquées, castrées psychiquement et métaphysiquement durant des millénaires, une entreprise de démolition littéralement, affectant durablement notre psyché -ce qui explique le masochisme de pas mal d'entre nous et notre capacité à tout gober- en nous persuadant que sans eux nous ne sommes rien, qu'il n'incomberait qu'à nous de montrer notre solidarité, alors qu'eux s'affranchissent de cette obligation. Et l'entreprise marche du feu de dieu. Aux récalcitrantes, ils répliquent par la terreur, en en tuant une de temps en temps, ça fait tenir à carreau les autres ; ils peuvent aussi, en guise d'avertissement, plus bénin pensent-ils, s'attaquer à nos animaux en faisant un carnage, dans l'atonie de la société vu que c'est que des bêtes après tout. Donc personne ne dit rien avant une prévisible escalade. Il est temps de déceler dans leurs pratiques viriles, chasseuses et désinvoltes, pour dire le moins, vis à vis de la nature et de tous les êtres vivants, dans leur comportement de maîtres et possesseurs de tout ce qui vit et bouge, dans leur prétention à réguler (mais pour qui se prennent-ils ?) les autres espèces, à piétiner les autres terriens, les symptômes annonciateurs de graves passages à l'acte. C'est une question de sécurité publique et de survie de l'espèce. 

" They are only great because we are kneeling. " *

Etienne de la Boétie. Discours de la servitude volontaire. 

* 'Ils sont grands parce que nous sommes à genoux'.

vendredi 2 février 2024

Trous noirs

Comme escompté, mon billet ci-dessous n'a pas marché. Flop. Notez tout de même que le module statistique de Blogger n'est pas du tout au point, qu'il ne me comptabilise pas des tas de trucs, exemple l'audience qui vient lire sur l'adresse générale n'est pas comptée dans les statistiques d'un billet donné, et pire, la navigation sur mon blog, non plus. Avec des statistiques comme cela, c'est difficile de compter. Mais quand même, j'ai d'autres indices. Statistiques et culturels. Le sujet femmes se défendant elles-mêmes, n'est pas du tout porteur. Il n'y a qu'à constater le mutisme sur mes plateformes sociales quand j'évoque le sujet. Quand j'ai un partage, c'est quasiment à coup sûr le fait d'un homme, les femmes sont plus timorées, quand j'ai un favori, j'atteins le niveau maximum de leur soutien. Les femmes trouvent encore normal de faire dévolution de leur sécurité à l'adversaire de classe. La légende du preux chevalier est tenace. Le nombre de femmes violées, torturées, tuées après avoir fait confiance à un homme sur une route, pour un 'lift', un dépannage, un service, ou simplement chez elles, est numériquement hallucinant, mais la croyance est tenace. Et l'oppresseur, on vit avec. Imaginez la scène chez la femme de Dino Scala, ou chez le pompier Robert Greiner, à 6 heures du matin, la Gendarmerie débarquant et expliquant à Madame que Monsieur ne rentrera pas ce soir, son ADN a été retrouvé sur les scellés d'une victime de viol et une scène de meurtre remontant à plusieurs années, vu que nous ne lâchons jamais l'affaire. Sur le moment, elles doivent voir flou. 

Les 'femmes de droite' d'Andrea Dworkin sont toujours d'actualité, hélas : on espère avoir trouvé le 'bon numéro' comme prescrit par les hautes instances patriarcales et ses innombrables agent-es, on fait tout comme il faut dans la banalité sociale, on promène le chien, on repasse bien les torchons, on fait double journée pour un demi-salaire, et normalement, ça doit voguer jusqu'au port, vent faible, mer calme, quiétude familiale. Quitter la proie de la domesticité au service de tous, (souvent avant d'être larguée en rase campagne vers 50 ans pour une plus jeune, mais je sors du sujet !) pour l'ombre de la liberté, de l'autonomie et de l'autodétermination, de la légèreté, la liberté de s'affirmer dans un chemin hors du troupeau n'est pas pensable. C'était exactement ainsi que raisonnaient les 'femmes de droite' décrites par Andrea Dworkin dans son ouvrage. 

Malgré le Dieu Moloch qui a toujours faim et qu'il faut nourrir. Malgré les féminicides, qu'on décompte en se récriant que l'état patriarcal ne donne pas assez de moyens, alors que sa police et sa justice arment les agresseurs, en tous cas, ne les désarment pas. Souvenez-vous des centaines de bracelets électroniques anti-rapprochement tout neufs qui traînaient, et traînent encore à mon avis, inemployés, dans leurs tiroirs, les "revenez demain", les plaintes classées sans suite, pendant que les femmes meurent. Faire un exemple sur une de temps en temps, et toutes les 'pisseuses' se tiennent à carreau, terrorisées. Le système fonctionne du feu de Dieu, la soupe est prête, les enfants lavés et couchés, plus qu'à se mettre devant la télé ou Netflix. Pour effacer les petites humiliations multi-quotidiennes qu'ils se coltinent au boulot, rien de tel qu'une femme et une famille sur qui se venger à la maison. 

Plus perturbant encore, les méchants trouvent preneuse. Guy Georges, tueur d'une série de sept femmes, et sa peine touchant à sa fin, donc accessible à une demande de libération, a trouvé épouse en prison, une de ses visiteuses a succombé à son irrésistible attraction (apparemment) et l'a épousé. Nordhal Lelandais, autre tueur sériel d'une fillette et d'hommes, vient d'être père d'un 'enfant parloir' conçu lors d'une visite dans sa geôle. Pauvre môme : encore un qui commence sa vie avec un pédigrée social chargé. Il y a aussi le terroriste Carlos : il a trouvé femme en tôle. Elle était son avocate, elle est devenue sa femme tout en restant son avocate. La femme couteau suisse, en somme. Je pense que si on fait une enquête sérieuse, on va en trouver de pleines charrettes. Non, franchement, vous qui êtes dehors et qui vous plaignez que la drague ne marche pas, tentez l'incarcération ; ça se joue, votre âme sœur, selon la terminologie en vigueur, vous attend peut-être au parloir. 

Moi, je pense que les femmes devraient sortir armées, mais bon, opinion personnelle non consensuelle, pas populaire, tue l'aaamourrrrr. J'ai regardé un samedi Au bout de l'enquête sur France 2, normalement dédiée aux cold cases, mais les émissions sur le crime faisant de l'audience, ils ont embrayé sur les faits divers qui ont défrayé la chronique. Sans un mot plus haut que l'autre : les psychopathes tueurs sont à 99,99 % des hommes, les victimes, lacérées, étranglées, violées, découpées au couteau, tuées au fusil de chasse (dans ce cas, la chasse est ouverte toute l'année !) sont à 99,99 % des femmes, mais silence, motus, pavé sur la langue, énorme éléphant invisible dans la pièce, etc, etc. Ce dernier numéro donc, était sur les deux Frères Jourdain, deux gros mâles frustres du quart-monde, élevés aux allocations familiales et aides diverses (l'élevage est subventionné partout, c'est dingue) vu qu'il faut fournir des troupes fraîches à l'oppresseur ; les frères Jourdain donc, aux mains en battoirs ont enlevé (sans violence, elles sont montées dans leur camion sans contrainte, à quatre), violé et torturé pendant des heures, avec tous instruments imaginables, par tous les orifices possibles, puis étranglé et enterré quatre jeunes filles trouvées au Carnaval du Portel, en Pas-de-Calais, en 1997. La dernière a même été enterrée vivante, l'autopsie lui a trouvé du sable dans la trachée. 

Les hommes font ça et la société et ses psychologues disent que  le mal est sans pourquoi* ! Sans même mettre en garde, sans donner les moyens de se défendre, sans avertissement, rien. On vous livre au bourreau sans états d'âme. Pire même, en encourageant, voire forçant par tous moyens, par dressage social, injonctions, menaces de rater sa vie, les femmes à s'en trouver un, et à s'attacher des sacs de sable et des boulets aux pieds, des menottes aux poignets, de façon que toute cette violence contre nous, violence contagieuse, traversant les générations, se gravant dans les mémoires et les gènes, fabriquant des générations de femmes craintives, des cortèges de mortes, blessées, marquées à vie, où les hommes peuvent venir puiser et se servir, en boucle, perpétuant à jamais un continuum tragique, un terrible hachoir, un meat grinder.


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" Un soleil noir. Au capital d'empathie très restreint "

C'est ainsi que l'autrice de Vers la violence, Blandine Rinkel, décrit le père qui a enchanté, fasciné, et saccagé son enfance. Ogre séduisant à grosse moustache, montrant ses trente-deux dents quand il riait, conteur de légendes antiques et de la sienne propre largement inventée, serrant la gorge de sa fille avec une main en jouant au jeu de la barbichette, lui tordant les bras avec ses grosses mains, balançant des coups de pieds dans la gueule du chien de la famille quand il rentrait du travail, et dissimulant une grenade dans un des tiroirs de son bureau : on est glacée de terreur pendant la première partie du roman, l'enfance de la narratrice ; pour l'épouse qui croit le désarmer par la douceur, et pour sa fille qu'il nourrit de viande de cheval pour l'aguerrir et empêcher chez elle le goût pour les activités de "fillette". Un dressage paternel implacable qui la fera, à l'âge adulte, adopter des conduites à risque, à se mettre en danger. Puis, elle s'éloigne du père toxique pour devenir danseuse et végétarienne, écrivaine, poly-artiste, tous métiers et marotte de "fillette". Un magnifique roman sensible bien écrit, décrivant les séquelles laissées par la violence latente dans laquelle baigne l'héroïne. Roman couronné par le Prix des lectrices de Elle, prix qu'il mérite largement. 

*Citation de Laure Heinich dans Corps défendus.

Un trou noir est un corps céleste dont la force gravitationnelle est telle qu'il attire et absorbe tout objet et toute la lumière qui passe à sa proximité, sans rien restituer. D'où sa couleur noire opaque. 

dimanche 14 janvier 2024

Se défendre

 Une philosophie de la violence, par la philosophe Elsa Dorlin.


Des juifs du Ghetto de Varsovie qui décident de mourir les armes à la main plutôt qu'en attendant passivement leurs bourreaux, en passant par les suffragistes anglaises qui importent le Jujitsu pour riposter aux violentes attaques de la police, et au Black Panther Party qui se démarquait du Mouvement pacifiste des droits civils conduit par le Pasteur Luther King, Elsa Dorlin écrit une philosophie de la violence.

Dans ses premiers chapitres, l'ouvrage est une histoire du droit de se défendre à travers les âges, de qui peut porter une arme, un peu à la manière de Camus dans L'homme révolté, histoire de la révolte, ou de Surveiller et punir, histoire du châtiment par Michel Foucault. Sont typiquement exclu-es du droit de se défendre, les esclaves, les femmes, deux catégories qui ont un propriétaire, qui ne s'appartiennent pas, et les colonisés renvoyés à des mœurs sauvages, violentes, et qu'il convient donc de civiliser et dont il faut se protéger. Le droit de porter une arme et de se défendre individuellement, privilège des hommes et des propriétaires pour défendre leurs biens, sera progressivement codifié dans le droit, allant des personnes privées à la puissance publique des états et des démocraties. Juridiquement, la justice deviendra un droit régalien des états qui, seuls, détiendront le monopole de la violence. A l'exception toutefois des "vigilants", résiduellement tolérés aux Etats-Unis, séquelle historique d'un état ségrégationniste où les afro-américains paient un lourd tribut en terme de morts violentes, aggravée par le deuxième amendement de leur constitution qui permet à tout citoyen de s'armer. La figure du justicier reste très prégnante dans toutes les formes de la culture étatsunienne (vigilantisme).

J'ai trouvé les chapitres 6 et 7 particulièrement ardus sur les sujets de l'intersectionnalité, de l'anticapitalisme et du racialisme, assignant à résidence. Ils opposent féministes noires et féministes blanches, querelle malheureusement actuelle et non résolue, les féministes "blanches" ayant été instrumentalisées par les lyncheurs du Sud au motif qu'elles auraient été victimes de violeurs noirs. Mais, précise l'autrice, une partie d'entre elles se rebiffèrent contre cette odieuse instrumentalisation en faisant valoir que des violeurs blancs violent des femmes blanches aussi bien que leurs sœurs noires. Elle fait aussi une vive critique des "endroits safe" * qui ne seraient pas si "safe".

C'est au chapitre 8 que le cas des femmes est abordé de façon substantielle avec l'étude du cas Bella, l'héroïne de Dirty Week-end, roman d'Helen Zahavi paru en 1991 en Grande-Bretagne, et aussitôt ridiculement mis à l'index par la censure anglaise. Les censeurs n'ont, en effet, pas apprécié le constat des multiples agressions, de la plus vénielle à la plus grave, que subissent les femmes dans l'espace public et chez elles, constat que fait très bien Bella. Ni qu'elle introduise dans cette insécurité permanente sa "puissance d'agir" en trucidant les importuns, contrant ainsi les représentations victimisantes communément admises, qui vont de pair avec des stratégies politiques de recours à la protection de l'état dont on voit ce qu'elles donnent : plaintes pour coups, agressions et viols rarement prises en compte par la justice, non traitées, voire refusées, femmes laissées sans protection face à l'agresseur intime, victimes accusées d'imprudence, voire victimisation de l'agresseur, dans ces inversions dont les patriarcaux ont le secret, etc.

La norme dominante est la féminité vulnérable : scopophilie, voyeurisme sadique, érotisation des femmes sans défense et de leurs corps blessés ou de leurs cadavres outragés qui plombent aussi le cinéma, les séries, la littérature noire, les descriptions des "faits divers". Les insupportables et incessantes campagnes de dénonciation des violences faites aux femmes en sont les témoins. En montrant des femmes à terre, couvertes de bleus, levant en signe de seule défense une main ensanglantée en premier plan, elles sont un tribut offert aux agresseurs en situation de puissance, capables de battre, blesser et tuer. Elles humilient les victimes toujours montrées dans l'impuissance, alors que les corps des agresseurs eux, restent hors champ. Elles montrent, selon Elsa Dorlin, les failles d'un féminisme qui n'a pas construit pour toutes une communauté dans laquelle puiser une " rage auto-protectrice ", d'être, " non pas en sécurité, mais en capacité d'élever sa puissance ". Autrement dit, " l'autodéfense en réponse aux agressions ne constitue pas ou plus une option politique pour le féminisme ". Leur stratégie politique est le recours aux aides financières et à la protection de l'état, pourtant à l'évidence patriarcal, et dont on sait ce qu'elles donnent. Le nombre de tuées semble incompressible.

Tout en reconnaissant d'un coup d'œil les fragiles, les abîmées, celles qu'ils pourront attaquer, les dominants sont ignorants des autres, précise Elsa Dorlin. Ils sont engagés dans des postures cognitives qui leur épargnent de voir les autres, là où les gens du care, les femmes, les racisé-es, vivant en hétéronomie, catégories sociales cantonnées aux soins, elles/eux, sont engagés dans la considération et l'observation fine du sujet de leurs attentions et soins dans le but de survivre. 'Un jour, il faudra sortir les couteaux' comme énonçait, pour les mêmes raisons, Christiane Rochefort, dans sa préface à la première édition en français de Scum Manifesto.  

Un ouvrage empowering à mettre entre toutes les mains. C'est de la philo, avec citations de philosophes et le vocabulaire qui va avec. 

Deux citations : 

* " Safe est un pharmakon, un remède, une injonction qui soulage face à des vies invivables. Mais c'est aussi une injonction qui empoisonne, qui contraint des vies militantes à la retraite, qui les pousse à quadriller leur propres camps de retranchement, à purger leurs rangs. "


" 'Passer à la violence'  -celle de l'action directe et de la revendication sans compromission- est ainsi lié au constat que la revendication d'une égalité civile et civique ne peut être adressée pacifiquement à l'état puisque ce dernier est le principal instigateur des inégalités, qu'il est vain de lui demander justice car il est précisément l'instance première qui institutionnalise l'injustice sociale, qu'il est donc illusoire de se mettre sous sa protection puisqu'il produit ou soutient les mêmes dispositifs qui vulnérabilisent , qu'il est même insensé de s'en remettre à lui pour nous défendre puisqu'il est précisément celui qui arme ceux qui nous frappent. "

Leur violence est politique. Nous n'avons pas à demander à l'opposant sa permission, son autorisation ou sa validation pour lutter contre notre oppression.  

J'ai trouvé la référence Se défendre dans La terreur féministe par Irene. 

oOo

Les techniques de défense évoquées dans le billet

Le jujitsu est une technique japonaise de combat basée sur les points de déséquilibre et les faiblesses de l'adversaire. Il a été introduit en Angleterre par un maître japonais au début du siècle dernier, et adopté par les féministes suffragistes pour lesquelles il l'avait adapté, puis créé un club. 

Le krav-maga est une technique d'auto-défense au corps à corps, incapacitante pour l'agresseur, inventée par un Juif slovaque qui rejoint la Palestine en 1942. Il est devenu une sorte de mythe fondateur de l'état Hébreu et est praticable par tout le monde, femmes incluses. 

Je rajoute le Tai-chi, également art martial, chinois cette fois. Souvent pratiqué par des femmes, il n'est généralement pas vu ainsi, et pourtant Emmanuel Carrère en fait la démonstration dans Yoga en racontant l'anecdote qu'une de ses camarades femme de club de Taï Chi, attaquée dans le métro par un voleur de sacs à mains, s'en est tirée en faisant le mouvement ' les mains séparant les nuages ', déséquilibrant son attaquant, le renvoyant dans le mur avant de le faire tomber, puis fuir. Les mouvements de Tai-chi chuan sont lents, fluides, mais bien maîtrisés et réalisés très vite, ils sont redoutables, ce qui en fait sans aucun doute un art martial, selon Emmanuel Carrère.

Que vous appreniez une de ces techniques, ou d'autres, techniques dont vous n'aurez sans doute pas à vous servir, en tous cas pas tous les jours, présente un autre avantage selon moi : elles développent notre confiance en nous, notre assertivité, elles nous autonomisent, nous délivrent de la peur, et nous donnent une autre allure dans les lieux publics. Cela fait une considérable différence.

samedi 9 décembre 2023

La revanche des autrices - Enquête sur l'invisibilisation des femmes en littérature

Par Julien Marsay, agrégé de lettres modernes, administrateur du compte Twitter Autrices Invisibilisées. 


" Il vaut mieux être ma femme qu'un écrivain de second ordre. " 
André Malraux, à propos de sa femme Clara, écrivaine à l'oeuvre importante, et traductrice en français de Une chambre à soi de Virginia Woolf, une pas-grand-chose selon son glorieux mari.   

Elles s'appellent Héloïse, Louise, Christine, Marie-Madeleine, Aurore, Sidonie, Germaine, Louise encore, Marie, Marguerite, Madeleine, Olympe, Antoinette. Elles ont écrit des poèmes, des manifestes, inventé le roman moderne, publié de leur vivant des best-sellers comme on ne disait pas de leur temps, été rééditées tellement leurs oeuvres avaient de succès, cartonnaient dirait-on aujourd'hui, certaines étaient même traduites en plusieurs langues. Elles sont veuves, célibataires ou divorcées, elles cherchent à s'émanciper des tutelles masculines qui subordonnent les femmes, et elles vivent de leur plume comme les hommes. Qu'à cela ne tienne, à part quelques incontournables qui surnagent, la postérité a oublié leur nom. Bien aidée, la postérité, par le torpillage masculin de leur talent et de leur héritage. Selon plusieurs techniques et coups bas, comme ils savent en commettre.

La moquerie d'abord : "Précieuses (ridicules)", "femmes savantes" (Molière), ou "bluestockings" (les anglais), traduit par bas-bleus en français, les qualificatifs ridicules et péjoratifs ne manquent pas pour moquer les autrices.
L'omission dans les anthologies et les académies qui attribuent des prix littéraires, composées par de savants littérateurs se piquant de différencier le bon du mauvais goût, le génie du médiocre, le bon grain de l'ivraie, est le premier stade de l'effacement, le génie étant apanage masculin, avec en second l'attribution de l'oeuvre d'une femme à un homme. Comme si une anthologie n'était pas subjective, et le bon goût, juste le (mauvais ?) goût que quelqu'un (et d'une époque) qui se pousse du col et distribue des médailles. Les autrices femmes ont été systématiquement écartées des anthologies et des manuels scolaires, tous écrits par des hommes, bien sûr. Le Lagarde et Michard qu'on ne présente plus, en prend pour son grade. Que dire de l'Académie Française, ce bastion resté longtemps hostile à la pénétration des autrices ? Même pensum du côté des Prix littéraires dont les récompenses vont toujours majoritairement aux auteurs hommes quand bien même la production de littérature serait devenue paritaire, ainsi que l'élection du public lecteur. A tel point que le Prix Femina (jury féminin, attribuant ses prix indifféremment à l'un ou l'autre sexe) est créé en 1904 pour contrebalancer le prestigieux mais misogyne Goncourt, sélectionnant et récompensant toujours des hommes. 

Echappent au sort commun Louise Labé, Marie-Madeleine Pioche Lavergne dite Madame de Lafayette du nom de son époux, Sidonie-Gabrielle Colette (dont l'oeuvre était usurpée par son mari Willy, seul signataire, à ses débuts), Olympe de Gouges et George Sand née Aurore Dupin, qui choisit, elle, de publier sous un pseudonyme à prénom d'homme, autre façon de s'effacer en tant qu'autrice, de s'auto-invisibiliser, l'environnement étant supposé à raison défavorable. Elles sont toutes désormais consacrées dans et par les programmes scolaires. Ne pas signer ses oeuvres est un autre moyen de s'auto-annuler. Les autrices signaient peu leurs oeuvres, hélas. Il est ainsi plus facile de les attribuer à un mâle de leur entourage, au motif qu'il est impensable qu'une femme puisse produire de tels chefs-d'oeuvre. Ainsi se moque la postérité. 

Le musellement, l'étouffement, sous le qualificatif de "muse de" est aussi une autre bonne façon de faire taire l'artiste ou l'autrice. Une muse se contente d'inspirer, elle ne dit rien, ne produit rien. Or, la plupart de celles qu'on nous présente aujourd'hui comme "muses" ont leur production d'oeuvres en propre. Marie de Gournay, éditrice de Montaigne et écrivaine elle-même, illustre bien ce statut. Epouse de, sœur de, amante de, combien d'autrices ont-elles subi le sort de l'effacement, du pillage de leurs oeuvres par un homme, cancelisées, annulées, leur auctorialité déniée. L'ouvrage regorge d'exemples de femmes plagiées, dépouillées de leur statut d'autrice au profit d'hommes de leur entourage. 

L'autodafé est aussi un efficace moyen d'effacer une autrice : la correspondance de Flaubert avec Louise Colet, autrice prolifique du XIXè siècle de récits de voyage, de romans autofictionnels, de manifestes protestataires et féministes, reconnue, éditée, mieux, traduite, n'est constituée que des lettres de Flaubert à Louise, les lettres de  Louise ayant été brûlées un soir par Gustave Flaubert lui-même, avec l'aide de Maupassant, Gustave ne voulant pas laisser à la postérité une 'correspondance trop intime', vu que Louise était accessoirement son amante. Notez qu'il ne vient pas à l'idée de Gustave de brûler ses propres lettres au nom de la préservation de son intimité ! L'enfer des femmes est pavé des bonnes intentions, ou des intentions hypocrites des hommes. La misogynie de l'époque fait le reste. Pour des ressources sur Louise Colet : lien vers Louise, fière de lettres, sur le site numérique de la BNF

La postérité des autrices.
Grâce au travail d'exhumation des féministes, qui n'hésitent d'ailleurs pas à retourner le stigmate (bas-bleu par exemple, ou pétroleuses, qu'elles s'attribuent à elles-mêmes), grâce au cinéma, à ses metteuses en scène et scénaristes, grâce aux femmes autrices qui leur consacrent des biographies, grâce aux réseaux numériques sociaux et leur hashtags #herstory, #womensart, autrices invisibilisées, compte Twitter administré par Julien Marsay, Les Sans Pages pour Wikipedia, cette encyclopédie numérique à la testostérone, bien d'autres ; grâce également à des sites internet spécialisés, elles sortent de l'ombre et prennent leur revanche. Et grâce à ce louable livre-enquête, écrit par Julien Marsay, professeur de lettres modernes, voulu pour donner des outils et des ressources aux professeur-es de littérature et de philosophie. N'hésitez pas à vous en emparer, à vous en inspirer si vous êtes professeure, il est bourré de ressources, enrichi de longues citations des autrices évoquées, et sa lecture fait du bien. 

Au vu de tout ce qui précède, je me permets quelques conseils si vous avez un projet d'écriture ou d'oeuvre artistique :

Si vous tenez à vous marier, ne faites pas comme Clara Malraux (qui était riche et André, non, lequel a d'ailleurs profité du mariage pour dilapider la fortune de sa femme). Optez pour le contrat de mariage qui préserve vos avoirs personnels, même modestes, présents et à venir. Vous n'êtes pas à l'abri du succès. Et au contraire de Clara Goldschmidt / Malraux, gardez impérativement votre nom, même (surtout) si votre mari est lui aussi artiste ou auteur. 
Signez vos oeuvres. On apprend à la lecture du livre que les femmes signaient peu leurs oeuvres, même Madame de la Fayette ne signait pas. 
Revendiquez votre signature et poursuivez tous les plagiats et toutes les contrefaçons. On ne vient pas se servir dans votre production, c'est odieux. Vous pouvez aussi publier sous pseudonyme, ainsi pas de confusion possible avec André ou Jean-Michel, auteur lui aussi, si vous portez son nom. Se faire un prénom est déjà difficile pour un homme, alors pour une femme, c'est quasi mission impossible.
Défendez votre personnalité indépendante et votre oeuvre, vous avez la valeur que les éditeurs et votre public vous reconnaissent, pas celle de femme de, fille de, mère de, maîtresse de, muse de. 
Si vous avez des enfants, défendez pied à pied votre espace : le bureau où maman travaille, à la porte duquel on frappe avant d'entrer, et où d'ailleurs, comme dans le "bureau de papa" on ne rentre de préférence pas. Sauf s'il y a le feu, et encore ! 
D'ailleurs, voici un modèle d'indépendance qui peut inspirer : Siri Ustvedt. Presque personne ne sait que Paul Auster et elle forment un couple à la ville, et vivent ensemble à Brooklyn, mais dans des espaces séparés, jalouse qu'elle est de son indépendance et de son oeuvre traduite en seize langues. J'ai chroniqué sur ce blog Un monde flamboyant, son chef d'oeuvre, sur le sujet artiste et femme de, mère de, artiste invisibilisée et annulée. 

A vos plumes. Exprimez-vous, défendez vos idées et vos oeuvres, en mémoire de toutes ces femmes autrices inspirantes. 

vendredi 24 novembre 2023

Le nouvel ordre capillaire mondial, mâle bien sûr

Peroxydé chez deux d'entre eux, cheveux rabattus vers l'avant ou vers l'arrière, ou brun noir en moumoute choucroutée, le nouvel ordre capillaire mondial, mâle comme il se doit, est en cours d'apparition. 

Le pionnier Donald Trump, 45è Président des Etats-Unis, couleur orange, est ex-putchiste en cours d'investigation. Déjà candidat à sa succession en 2024 malgré les juges qu'il a aux basques, mais la justice va moins vite que lui. La crapulerie paie, pourquoi se priver ? Exploit juridique sous son mandat : l'annulation de l'amendement de Roe vs Wade, autorisant l'avortement au  niveau fédéral aux USA, en 1973. Une grave atteinte aux droits des femmes. Sans compter son statut établi d'agresseur sexuel. 


Ses deux imitations : Javier Milei, nouvellement élu Président populiste d'extrême-droite de l'Argentine, pays en cours de naufrage. Signes distinctifs : moumoute choucroute brune et tronçonneuse, comme dans massacre à la tronçonneuse. Programme : faire couler le navire une bonne fois, pour en reconstruire un autre, tant pis pour les passagers, il n'y aura pas de canots de sauvetage pour tout le monde. Et supprimer le droit à l'avortement pour les femmes, droit récemment acquis, déjà contesté. Il faudra m'expliquer longtemps comment on redresse un pays en renvoyant les femmes à la reproduction, alors que déjà il n'arrive pas à nourrir et faire vivre décemment ceux déjà là, mais les voies des saigneurs patriarcaux sont impénétrables. Et clairement, l'imagination est au pouvoir. Voter pour des gangsters is the new trend, la mentalité d'esclave, le goût pour le Père Fouettard font le reste.


Anti-Européen, partisan d'un référendum pour tenter un "Nexit" (Netherlands Exit), anti-immigration, le parti de Geert Wilders arrive en tête aux législatives aux Pays-Bas. Droite dure, mais à tendance sociale à la Le Pen en France, ce qui lui vaut le sobriquet de "Geert Milders" (mild, doux en anglais alors que Wild toujours en anglais, veut dire sauvage). Je ne parierai pas dessus. Pas d'immigration en Europe veut dire retour des femmes au foyer, et fortes incitations à produire du Hollandais chair à usines. Minimisant le danger climatique et confiant en notre capacité à tout résoudre par la technique, il appelle à davantage d'extraction de pétrole et de gaz (la croissance, inamendable mantra biblique patriarcal oblige). Les Pays-Bas, déjà sous le niveau de la mer, terre de polders et de digues, ont les meilleurs ingénieurs hydrauliciens du monde, donc la mer peut monter, ils sauront faire face, Wilders dixit ! (Source TV5 Monde). En attendant, il va lui falloir trouver des  alliances pour gouverner, selon les charmes inépuisables de la proportionnelle intégrale. 

C'est dans les vieux pots et avec les vieilles recettes qu'on fait les meilleures soupes. Rajoutez une grosse pincée de mentalité d'esclave, et vous avez un fumet d'années 30 du siècle passé. La nature humaine dans ses sempiternelles ornières. Le pouvoir éternellement au masculin. Rien à sauver. 


Bad news pour les femmes russes, héritières du communisme et de ses lois autorisant l'avortement, le Tsar Poutine (chauve, lui), enlisé en une guerre d'un autre siècle à sa voisine l'Ukraine, a subi des pertes immenses d'hommes sur les champs de batailles -on parle de 120 000 morts et de deux fois plus de blessés- considérerait remettre en cause le droit à l'avortement, en tous cas en restreindre les conditions d'accès, selon cet article en anglais de BBC World. La Russie est en pleine crise démographique avec une population vieillissante, des hommes soit décédés, soit en très mauvaise santé, une guerre sur les bras. La tentation est forte de renvoyer les femmes au foyer et à la reproduction forcée. Recette ancestrale à double gain : tandis qu'elles sont très occupées à l'élevage, eux s'occupent à mettre le binz dans le monde.


Naufrage capillaire avant le naufrage tout court ? Il est encore temps de se ressaisir. L'avenir n'est pas écrit. 


Article écrit au bar du Titanic. 

mercredi 25 octobre 2023

Stéréotypes de genre increvables

Un matin sur Twitter trouvé ça, d'une association sud-américaine (je ne sais pas si le lien est visible aux non abonnées, le Vandale qui dirige Xwitter depuis un an, Vandale dont on se serait passées si seulement il n'avait pas vu le jour, faisant n'importe quoi au gré de ses caprices de mâle immature casseur de jouets) dénonçant les violences faites aux femmes, et ici plus précisément les mariages précoces, précédée du message en anglais : 'according to gender stereotypes, girls should : - Get married ; - Take care of the house and their husbands ; - Become mothers. These ideas normalize that a girls marries or enters a relationship with an adult man. Let's put an end to theses mandates'. (Ces idées normalisent qu'une fille épouse ou entre en relation avec un homme adulte. Mettons fin à ces réquisitions). L'affiche en illustration est plus radicale : A girl's role is not to get married (le rôle d'une fille n'est pas d'être mariée). Ce qui est parfait. Toutefois la radicalité de la première assertion est adoucie, édulcorée par #NOTBefore18 (pas avant 18 ans). Dommage. 


A quoi j'ai répondu dans la même langue : "Not only girls. According to patriarchy, all women SHOULD get married, take care of the house and their husbands, and do husbandry aka become mothers. Let's break this doom. Anatomy is not destiny." Rompons la malédiction. Anatomie n'est pas destin. Si la destination de la fille est le mariage et l'enfantement, l'âge n'est plus qu'une modalité dans la logique patriarcale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, qu'est-ce qui empêche puisqu'il faudra de toutes façons y passer ? Le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d'enfant n'est pas une option, puisque toute alternative est prohibée, même dans la formulation. Et c'est cela qu'il faut contester me semble-t-il, si on est féministe. J'aurais rajouté que le destin d'une fille est d'abord d'aller à l'école, au collège, à l'université, pour avoir tous les outils pour se choisir en connaissance de cause et en autodétermination un destin personnel qui peut tout à fait être en dehors du mariage et de la maternité. 

On a l'impression que les féministes se battent sur des segments de lutte sans jamais voir la big picture, l'image globale, la Matrice. Je sais qu'il y a urgence sur les mariages précoces, mais elles suivent un agenda imposé par le patriarcat. Le mariage est imposé aux fillettes pour toutes sortes d'excuses : une bouche de moins à nourrir, c'est bon à prendre quand on est pauvre, et qu'un homme se propose de l'acheter pour... lui faire des enfants, (et accessoirement pour avoir une larbine gratuite à la maison). La pauvreté et l'oppression des femmes (on ne sait d'ailleurs laquelle précède l'autre) s'enchaînent dans une boucle sans fin. L'asservissement des filles dans le mariage est une boucle rétro-active négative qui entretient le sous-développement et la stagnation dans l'indigence. La pauvreté et le sous-développement prospèrent dans l'asservissement des filles et des femmes. Donc la lutte pour le développement ne peut réussir que par l'investissement sur les filles. Il faudrait donc arriver à dire que la maternité est de toutes façons un fardeau imposé aux femmes, qu'elle gâche toutes leurs autres potentialités, sinon, c'est emplâtre sur une jambe de bois. Le monde continue sa course fatale, dirigé par la médiocrité masculine puisque le pouvoir est leur chasse gardée, aux femmes étant dévolue la charge accablante de la maternité. C'est à ce point impoli de dire que le mariage et la maternité sont des pièges, des entraves, des boulets aux pieds et des menottes aux poignets ? Mais le féminisme c'est être impolie, c'est dire non, le féminisme est sacrilège puisqu'il dénonce les vaches sacrées patriarcales et refuse de s'y soumettre ! Réfléchissez : cette insistance à vouloir à tout prix nous marier et nous faire des enfants leur libère la place, eux se gardent la "maison des hommes" comme disent les Aborigènes, la politique. Avec les résultats catastrophiques que l'on sait. 

Pour les patriarcaux "de gauche", la lutte des classes sociales est prioritaire à la lutte des classes de sexe. Les exemples sont infinis et ça dure depuis les origines du socialisme. Un exemple fictionnel mais représentatif du réel, parmi tant. Je suis tombée un soir d'octobre sur Arte, qui jouait le film Un amour impossible (2018, par Catherine Corsini, metteuse en scène talentueuse, ça aide bien). Une femme des années 50 est séduite par un homme (odieux de bout en bout) qui lui fait un enfant sans vouloir endosser la paternité, qui finit par épouser une femme de sa classe. L'héroïne jouée par Virginie Efira (la seule à vieillir dans le film, les autres acteurs sont remplacés au fur et à mesure) sourit sans arrêt dans l'adversité. Elle n'arrête jamais de sourire, n'émet aucune plainte. Elle veut juste faire reconnaître sa fille par son géniteur, donc elle ne cesse pas les contacts, bien qu'épisodiques. Or, il apparaît que le père est incestueux et que c'est l'amant de passage qui l'apprend à la mère. Le film est tiré d'un roman à succès de Christine Angot, -que je ne lis plus-, il est d'ailleurs quasi autobiographique. J'ai tenu parce que je voulais savoir où tout cela menait, n'ayant pas lu le roman. La scène finale est une leçon politique de la fille à sa mère. La dernière actrice à jouer la fille, qui s'est fait la tête d'Angot de façon frappante, explique à sa mère que le problème est social, ils n'étaient pas de la même société, lui riche, de la gentry, elle pauvre et juive. Et ? RIEN. La classe de sexe est évacuée, invisibilisée, pour Angot l'oppression des femmes est la même que celle des ouvriers, l'amant occasionnel est un patron comme un autre. L'oppression spécifique des femmes est évacuée. Angot ne voit pas l'oppression des femmes, ou, autre explication, cela lui est tellement douloureux, le conflit de loyauté avec les hommes est tel, qu'elle préfère ne pas la voir. J'ai trouvé la leçon de la fin du film odieuse. 

Les fondations / fondamentaux des sociétés humaines, c'est la haine des femmes et de leur corps. C'est un phénomène anthropologique : il traverse toute l'histoire, toutes les sociétés, et toutes les géographies. Mais les femmes, à l'instar de Christine A. préfèrent ne pas la voir et se raconter une autre histoire pour le plus grand intérêt des hommes. Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour (sentimental, passion), se demande Ti-Grace Atkinson ? Bonne question. Jamais désirées, sauf pour des raisons contraires à nos intérêts de classe, jamais les bienvenues, alors que la naissance d'un garçon est tellement désirable, jamais bien, ni assez convenables, toujours considérées comme bouches improductives à nourrir -le comble alors qu'elles font toutes les corvées-, toujours esclavagisées dans le travail domestique, sexuel et reproductif, maintenues dans les basses zones et basses besognes (utiles) de l'économie quand elles ont un emploi, tandis que les hommes parasitent aussi bien leurs mères, sœurs, filles et femmes, en "travaillant" à produire toutes sortes d'objets inutiles ou même nuisibles, toxiques. Je me demande s'il ne serait pas temps d'arrêter cette collaboration avec l'oppresseur. 

Que faire ? écrivait Lénine. What should we do ? 

Il y a tant de choses autres et passionnantes à faire ! Cultiver des géraniums, apprendre l'arabe, le mandarin ou le russe (vous en aurez pour un bout de temps, vu la difficulté de ces langues !), adopter un chien dans un refuge plein à craquer, lire tout Proust (à mon avis, c'est mieux que Christine A.) ou Vassili Grossman, faire de l'adduction d'eau dans le Tiers-Monde, un vrai boulot utile celui-là, administrer un site internet coopératif, militer pour l'environnement (il y a à faire, vu les Moujiks en face), et même tricoter ou faire du crochet, apprendre à jouer aux échecs ou au poker, franchement, la liste est infinie. Alors pourquoi s'emmerder à faire de la reproduction à l'identique ? 

"Avoir des enfants, qui à leur tour auraient des enfants, c'était rabâcher à l'infini la même ennuyeuse ritournelle."

Simone de Beauvoir. 

A huit milliards d'humains vivant sur la bête, dont les ressources ne sont pas infinies vu notre goinfrerie impénitente, il n'y a pas péril pour l'espèce, c'est même le contraire, nous sommes menacées de trop plein ! On a quelques années pour voir venir. Le temps que les hommes comprennent que ça ne PEUT PAS continuer comme ça. Et puis, s'ils n'en prennent pas conscience, à quoi bon continuer une aventure misérable pour la moitié de l'humanité ? Ce chaudron bouillant que nous avons réussi à fabriquer à force d'industrie et de croissance biblique imbécile, va devenir, est déjà de toutes façons de plus en plus invivable. Il est temps d'en prendre conscience.

jeudi 5 octobre 2023

Le chaudron militaire turc : la production de la violence masculine

" Dans le processus de militaro-masculinisation, les jeunes hommes apprennent à tuer et à baiser : inséparable alliance. "


Par la sociologue turque réfugiée en France Pinar Selek, la fabrique de la masculinité hégémonique. 

Quelles sont " les ténèbres qui font d'un bébé un assassin " ? Les six étapes-rites qui font d'un enfant garçon un homme : le rite de la circoncision vers 10 ou 11 ans, rite qui sépare le garçon de sa mère où le petit sultan assiste, encouragé par cette dernière à l'égorgement d'un bélier -pour "conjuguer ensemble le pénis et le sang ?" se demande l'autrice- et le fait entrer dans le monde masculin ; la durcir et baiser, la première expérience sexuelle souvent au bordel, parfois conduit par le père, qui peut être concomitante avec la troisième initiation, le service militaire ; puis se trouver un travail, une position dans la société ; se marier et enfin, devenir père, l'ultime étape. 

Le service militaire (obligatoire pour les mâles durant six mois en Turquie, interdit aux homosexuels et aux trans, sur présentation d'un certificat médical, à base d'examens humiliants lors de l'incorporation) constitue un passage initiatique homosocial * qui inculque aux garçons la violence via des brimades, l'enfermement, l'encasernement, la soumission à des ordres et des tâches répétitives, absurdes, voire maltraitantes, les brimades, les bizutages des aînés et de la hiérarchie étant tolérés et même encouragés. 2000 appelés perdraient ainsi la vie dans leurs casernes. Pas mal en reviennent avec un PTSD non soigné, évidemment. Puis on les initie au combat et au maniement des armes. Ainsi le "Mehmetçik" (petit Mehmet) devient-il un "Mehmet" dans une patrie nationaliste où l'armée constitue historiquement et plus que jamais la colonne vertébrale. Devenir un homme en rampant. 

Bien que la méthode sociologique employée par Pinar Selek, à base de questionnaires faisant remonter un verbatim constitue la trame de l'ouvrage, on est ici dans l'anthropologie. Faisant le lien entre Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme), les travaux de Foucault (Surveiller et punir), en passant par ceux des féministes Monique Wittig et Colette Guillaumin " qui ne définissent pas l'hétérosexualité comme une simple pratique sexuelle mais comme une norme imposée ", Pinar Selek écrit en cent pages un ouvrage universel sur la fabrique du masculin hégémonique. C'est à la fois implacable, terrifiant et magistral. A lire absolument.

La page de l'ouvrage chez Des Femmes

" Le service militaire réunit matériellement les hommes et crée une unité apparente, autour d'un critère précis : avoir un pénis 'qui fonctionne'. Basé sur une idéologie patriotique valorisée par les familles, il rassemble 'ceux qui ont le pouvoir de baiser' pour former le corps principal de la nation.

" L'expérience du service militaire en Turquie n'est qu'un exemple du rôle des structures militaristes dans la transformation d'un enfant en un sujet de la violence masculine. Elle démontre comment les ténèbres qui font d'un bébé un assassin sont façonnées par cette raison du pouvoir dans laquelle les sujets masculins s'intègrent, en s'habituant, à différents degrés, à la hiérarchie, à l'arbitraire, à l'irrationalité... "

" La citoyenneté masculine prend ainsi forme dans l'uniforme. Ce processus met à nu la place de la masculinité normative dans l'organisation de la violence politique ainsi que dans la structuration sociale de la violence. La reproduction de l'identité masculine par la violence sert à la militarisation et à la généralisation de la violence politique par les corps masculins. [...] Proclamés pachas dans leur enfance, ils apprennent à combattre non seulement les ennemis de l'Etat, mais également quiconque oserait effleurer leur honneur masculin caché dans le corps des femmes de leur famille. "

* " Les communautés homosociales exclusivement masculines de l'armée, des équipes de football, des internats, des supporters sportifs, des organisations mafieuses consolident la masculinité, réorganisent le déséquilibre entre les sexes et les espaces de lutte de pouvoir entre les hommes. " Hilar Onur / Bertin Konyuncu, cités dans l'ouvrage. 

Pinar Selek vit et publie désormais en France car elle est victime de la répression que subissent les intellectuels en Turquie. Elle sociologue et écrivaine. 

Les citations de l'autrice sont en caractères gras et rouges. 

dimanche 17 septembre 2023

Marie Huot Libertaire, néomalthusienne, antispéciste, féministe...


L'Atelier de Création Libertaire a publié en 2023 cet ouvrage sur Marie Huot, femme oubliée de l'histoire. Son auteur, l'historien Sylvain Wagnon de l'Université de Montpellier, m'a proposé de le lire. En voici un court résumé.

Marie Huot est née Mathilde Marie Constance Ménétrier en 1846 dans l'Yonne, d'un milieu bourgeois, et est décédée en 1930. Avec son mari Anatole Théodore Marie Huot, un fonctionnaire de l'Instruction Publique et libre-penseur, elle évolue et milite dans le mouvement libertaire de la fin du XIXe siècle. Poétesse, journaliste, grande voyageuse, oratrice hors-pair, elle devient conférencière et milite contre la vivisection, contre la tauromachie introduite en France au moment du Second Empire, réhabilite Malthus avec des camarades, et préconise la grève des ventres, prône l'amour libre et l'éducation sexuelle, et aborde la question de l'avortement auprès des femmes qui pâtissent de grande pauvreté comme soutiens d'immenses familles, puisque les moyens de contraception arriveront bien plus tard. Marie Huot est passionnante par sa faculté de voir les choses globalement, top down, et de lier les problématiques sociales entre elles. Alors que le patriarcat a la capacité d'instaurer les déconnexions, le féminisme radical, lui, rétablit les connections, lie la pensée et l'action, d'où sa dangerosité pour l'ordre établi, selon une citation de Robin Morgan. Marie Huot, comme ses contemporaines, a cette capacité de restaurer les connections, elle pense large, comme son style. Elle cherche et tâtonne, explore sans réticences l'eugénisme et le malthusianisme, participe à un mouvement antivaccins du temps de Pasteur. Mais comment la juger à l'aune de ce que l'on sait aujourd'hui, elle qui vivait à la charnière des deux derniers siècles ? 

Libertaire, elle milite au sein des cercles anarchistes avec son amie de Louise Michel dont elle gardait les chats quand celle-ci était arrêtée ou absente, en exil. Leurs chemins divergeront quand Louise Michel privilégiera la lutte sociale à la lutte antispéciste, car elle ne voulait pas disperser ses forces.

Néomalthusienne : avec l'anarchiste Paul Robin, arguant que la bourgeoisie pratique l'eugénisme et la restriction des naissances pour éviter le morcellement des héritages, tout en encourageant le peuple à fournir toujours plus de chair à usines, maintenant ainsi les salaires bas, et de chair à canon pour régler les problèmes de ressources, frontières et trop-plein, ils tentent de réhabiliter le malthusianisme en l'intégrant à la lutte révolutionnaire. Education sexuelle, connaissance du corps et apprentissage de l'hygiène, déconnexion de la sexualité et de la procréation (hantise des clercs obsédés par la procréation), amour libre et émancipation des femmes sont les causes qu'elle défend au sein de la Ligue de la Régénération humaine et ses publications. Là où son néomalthusianisme défend l'émancipation des femmes et la maternité libre, ses camarades anarchistes verront, eux, une émancipation de la classe ouvrière du capital, désarmant ce dernier par un manque de bras, espérant provoquer par la pénurie de main d'oeuvre des salaires élevés. Etonnant pour notre époque contemporaine où le malthusianisme nous est toujours présenté comme une idée de droite réactionnaire, ces anarchistes, quoique minoritaires, réussissent à en faire une idée révolutionnaire. 

" Tant que la femme ne sera pas délivrée de la maternité obligatoire, il lui sera impossible de s'affranchir réellement et d'échapper à la tutelle de l'homme comme au joug de la société. "

Déjà minoritaire au sein de la mouvance révolutionnaire, le coup d'arrêt au mouvement néomalthusianiste viendra en 1920, après la grande boucherie de la deuxième guerre mondiale, avec la loi du 31 juillet 1920 "réprimant provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle" texte où l'avortement est défini comme un crime. Cette loi confirme donc a posteriori l'exactitude des analyses des néo-malthusiens : les femmes sont renvoyées au gynécée, priées de pondre pour refaire le stock de chair à manufacture et de chair à canon, dont se repaît l'ogre patriarcal. 

Antispéciste, antivivisectionniste. Déjà militante de la SPA de l'époque qu'elle juge trop laxiste sur le sujet, elle crée la Ligue populaire contre la vivisection en 1883, ligue qui lutte contre toute forme de maltraitance, en interpellant directement ses opposants : elle frappe de son ombrelle le nez d'un médecin, l'accusant de torturer de façon inutile des chiens et des singes dans son laboratoire de recherche. Elle aura aussi une querelle avec Pasteur, car elle lui reproche ses expériences sur des chiens pour valider son vaccin contre la rage. Marie Huot s'oppose aux courses de taureaux, lorsque l'impératrice Eugénie de Montijo se met en tête d'introduire la corrida, tradition sudiste, en France. Elle publie des textes, monte à la tribune, pétitionne des ministres, et va à des corridas à Paris et à Nice avec des groupes de militant-es armées de sifflets, imagine même un moment y aller avec un revolver, puis se ravise car "entre des mains antivivisectionnistes, ça détonne avec les principes". Il est à noter que le mouvement féministe anglo-saxon, puis étasunien pour le suffrage des femmes, comptait dans ses rangs des antivivisectionnistes, un lien bien oublié aujourd'hui, puisque lorsque les historiens se penchent sur les débuts du mouvement social de défense des animaux, ils ne lui trouvent plus que des "pères". Comme à l'habitude, les femmes pionnières sont effacées de l'histoire pour laisser place à des hommes qui se sont ralliés tardivement à la cause, mais qui s'imposent et récoltent tous les lauriers à la place de leurs devancières. Pour retrouver ce lien historique, lire le billet de Fred Côté-Boudreau sur l'origine du mouvement anti-vivisection.
   
Végétarienne : ridiculisée par les (hommes) amateurs de potées et autres cassoulets, elle revendique "ne plus manger que des légumes et boire de l'eau". Elle fait l'expérience aussi d'être jugée d'une sensiblerie de femmelette, on lui renvoie au nez la concurrence des causes, elle qui juge durement la "tartufferie humanitaire". Comme on peut le voir, rien n'a changé, c'en est quasiment désespérant. 

POSTERITE de MARIE HUOT

Ses héritièr-es sont évidemment tout-es les valeureux-ses activistes contemporains pour les animaux, aussi bien les végétariens et véganes que les antivivisectionnistes / anti expérimentation animale, les militants pour l'arrêt de l'élevage intensif et pour la fermeture des abattoirs. D'autant que depuis plus d'un siècle, la population mondiale est passée de 1,5 milliards à 8 milliards, que les classes moyennes (4 milliards) revendiquent leur statut social en mangeant de la viande (industrielle) dans des proportions inégalées. Sans oublier les anti-corridas, puisque les choses sont quasiment encore dans le même état qu'il y a un siècle. 

Les DINKies : Double Income No Kids, foyers à double revenu sans enfant, plutôt identifiés couples de lesbiennes et de gays, mais pas seulement.
Les refusant-es de la parentalité, dits childfree puisque ce sont plutôt les anglo-saxons qui portent le mouvement #NoKids #StopHavingKids, et que les français-es sont très timides sur le sujet, hésitant toujours à sortir du placard. Refusez d'ôter la vie pour passer à table, et de l'infliger à des innocents qui ne vous ont rien demandé, et vous serez voué-es aux gémonies, aurait-elle pu écrire. 

Le mouvement Birth Strike (grève des ventres) de 2019 : initié dans la dynamique des collectifs Extinction Rebellion, le mouvement veut attirer l'attention sur les dégradations environnementales, économiques et sociales de notre biotope, et interroge nos choix individuels de mettre des enfants dans un monde soumis au bouleversement climatique. Des dissensions au sein du mouvement amènent à sa dissolution à l'été 2021, et témoignent comme à l'époque de Marie Huot, de la grande difficulté de faire du refus de la maternité une lutte politique contre les injonctions patriarcales, et bien sûr de la difficulté à faire percer dans nos consciences et comportements les effets catastrophiques du changement climatique. Pas plus que la pauvreté la plus sordide des couples et des femmes ne dissuadait les maternités multiples du temps de Marie Huot, le changement climatique n'infléchit aujourd'hui notre "propension au lapinisme", comme écrivait Françoise d'Eaubonne il y a cinquante ans.

L'auteur de la biographie de Marie Huot, Sylvain Wagnon, conclut en ces termes sur l'échec du Mouvement Birth Strike : 

" L'échec de cette campagne illustre, comme lors de la prise de position de Marie Huot, la grande difficulté de faire de la maternité un levier de lutte politique. Pour autant la question est de plus en plus présente devant l'immobilisme et la résistance à toute prise en compte réelle de la situation environnementale et climatique. Cela pose comme au XIXe siècle, la place d'une telle revendication au sein de la question sociale et politique. "

Quelques unes des phrases de Marie Huot en guise de viatique, car la route est encore longue et le combat continue : 

Faire des enfants après une guerre ? 
" Comment osent-ils recommencer des berceaux ceux qui viennent de fermer des tombes ? "

" Selon le droit primitif de la nature, nul n'a de droit particulier sur quoi que ce soit. Qui a dit cela ? Bossuet, et après lui tous les anarchistes. Prêchez d'exemple, au moins. "

" Oui ça me va de vous dire à tous que vous méritez les affres et les souffrances. Est-ce que vous les épargnez aux autres créatures ? N'admettez-vous pas l'esclavage à l'étage en-dessous ? Et traitez-vous mieux qu'on ne vous traite vos frères asservis ? "

" Combattre pour l'animal, à la bonne heure ! La tâche est plus ingrate, le ridicule l'a sanctifiée ; et comme il faut y apporter plus de désintéressement, d'amour et de haine, ça me va ! Et puis combattre pour l'homme ça manque d'abnégation, l'égoïsme et la vanité y trouvant bénéfice...  
 
Deux de ses textes écrits dans une langue magnifique sont reproduits en fin d'ouvrage. 


samedi 19 août 2023

La planète malade


Pendant cet été où les images de la planète qui brûle montrent un spectacle terrifiant sur tous les médias, images de méga-feux s'attaquant aux "paradis" consommés par les touristes, Rhodes, Corfou, en Grèce, Tenerife dans l'archipel des Canaries, Maui dans l'archipel des Hawaï avec sa capitale détruite, ses 12 000 habitants, ceux qui n'ont pas péri dans les flammes devenant des réfugiés de l'intérieur, ce qui oblige les touristes et campeurs à fuir en maillot de bain, les flammes leur léchant la peau et les fumées asphyxiantes leurs brûlant les poumons ; tandis que les forêts canadiennes subissent le même sort en balançant dans l'atmosphère l'équivalent d'une année d'émissions carbone du Japon, pays développé, fétichiste de la Marchandise, le Un Hebdo publie un numéro (458, 2 août 2023) sur ce que nous dit aujourd'hui Guy Debord, inventeur du concept de la société du spectacle. Je me suis jetée dessus. 

Guy Debord, 1931 - 1994, est le fils d'un fabriquant de chaussures de luxe. Après une période littéraire "surréaliste" il devient théoricien révolutionnaire marxiste. Il va s'appliquer son premier slogan "ne travaillez jamais" en vivant du produit de l'héritage de ses parents, puis ayant eu l'intuition de l'avènement de la société de consommation en lisant un chapitre du Capital de Marx consacré à la nature fétiche de la marchandise, il fonde l'Internationale Situationniste (IS) en 1957, qui restera un groupuscule révolutionnaire à l'exclusion facile, dont toutefois les numéros de la revue du même nom où il publiait ses idées sont considérés, même avant sa mort, comme patrimoine national par la BNF. Il publie La société du spectacle en 1967 : il y développe que la production sans fin de marchandises aboutit à une accumulation de spectacles. Il se suicide à 62 ans, miné par la maladie. Sa biographie plus complète est à lire dans le Un Hebdo. 

Gallimard, collection blanche, publie en 2004 trois textes de Guy Debord, textes initialement parus en 1966 sur les émeutes raciales de Watts ghetto noir de Los Angeles, en 1967 sur la Révolution culturelle chinoise, et un dernier court texte, inédit de 1971 qui donne son titre à l'ensemble : La planète malade aborde le thème de la pollution et de sa représentation. "C'est du spectacle sous toutes ses formes et de ce qu'il engendre qu'il s'agit.". Visionnaire, ce texte est, 52 ans après, d'une éclatante actualité. Je vous en propose quelques extraits. 

" L'époque qui a tous les moyens techniques d'altérer absolument les conditions de vie sur toute la Terre est également l'époque qui, par le même développement technique et scientifique séparé, dispose de tous les moyens de contrôle et de prévision mathématiquement indubitable pour mesurer exactement par avance où mène -et vers quelle date- la croissance automatique des forces productives aliénées de la société de classes : c'est à dire pour mesurer la dégradation rapide des conditions mêmes de la survie au sens le plus général  et le plus trivial du terme. 
[...] On mesure et on extrapole avec une précision excellente l'augmentation rapide de la pollution chimique dans l'atmosphère respirable ; de l'eau des rivières, des lacs et déjà des océans, et l'augmentation irréversible de la radioactivité accumulée par le développement pacifique de  l'énergie nucléaire ; des effets du bruit ; de l'envahissement de l'espace par des produits en matière plastique qui peuvent prétendre à une éternité de dépotoir universel ; de la natalité folle ; de la falsification insensée des aliments ; de la lèpre urbanistique qui s'étale toujours plus à la place de ce que furent la ville et la campagne ; ainsi que des maladies mentales... 
Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade. 

Le développement de la production s'est entièrement vérifié jusqu'ici en tant qu'accomplissement de l'économie politique : développement de la misère, qui a envahi et abîmé le milieu même de la vie. La société où les producteurs se tuent au travail, et n'ont qu'à en contempler le résultat, leur donne maintenant franchement à voir, et à respirer, le résultat général du travail aliéné en tant que résultat de mort. Dans la société de l'économie surdéveloppée, tout est entré dans la sphère des biens économiques, même l'eau des sources et l'air des villes, c'est-à-dire que tout est devenu le mal économique, 'reniement achevé de l'homme' qui atteint maintenant sa parfaite conclusion matérielle. Le conflit des forces productives modernes et des rapports de production, bourgeois ou bureaucratiques, de la société capitaliste est entré dans sa phase ultime. 

La fonction dernière, avouée, essentielle, de l'économie développée aujourd'hui, dans le monde entier ou règne le travail-marchandise, qui assure tout le pouvoir à ses patrons, c'est la production des emplois. On est donc bien loin des idées 'progressistes' du siècle précédent sur la diminution possible du travail humain par la multiplication scientifique et technique de la productivité, qui était censée assurer toujours plus aisément la satisfaction des besoins antérieurement reconnus par tous comme réels, et sans altération fondamentale de la qualité même des biens qui se trouveraient disponibles.

Guy Debord, 1971.

Comme ressource supplémentaire, l'ex-ingénieur Olivier Lefebvre, dans son ouvrage Les ingénieurs qui doutent, paru en mai 2023 aux Editions L'échappée, propose, à propos des 'bullshit jobs' (à ne pas confondre avec les 'shitty jobs' utiles mais mal payés) qu'il a occupés, en étant bien payé et considéré, son explication / éclairage très intéressants sur la pensée de Guy Debord. 
 



Merci au Fédiversien "intrigué" qui a galéré et passé beaucoup de temps à remettre cette phrase dans son contexte d'origine, le numéro 3 de décembre 1959 de la revue l'Internationale situationniste, à la fin de la note sur le sens du dépérissement de l'art. C'est tout à fait sympathique ce travail collaboratif :))