La "vitupération des femmes" par la "forteresse assiégée"
"Parce qu'elle est la première a construire un état, la France est pionnière dans les progrès de la domination masculine". Il y a eu quantité de souveraines et de gouvernantes : quand la loi salique (mythe masculin) ne les empêchait pas de monter sur le trône, elles étaient vilipendées, leur mémoire gravement salie dans les livres d'histoire "afin d'illustrer le bien-fondé de la prétendue décision des fondateurs du royaume : les femmes qui ont régné, toutes usurpatrices, ont toujours engendré des catastrophes". Il a pourtant de grandes intellectuelles, autrices,
poétesses : Marguerite de Navarre, Christine de Pisan, Hélisenne de Crenne...), malgré cela, "en France toutes les femmes sont soumises à leur mari, même les reines". La forteresse assiégée (les mâles menacés dans leurs prérogatives) se défend pied à pied : les reines deviennent des productrices d'héritiers.
"On dit que si les femmes savaient, elles voudraient commander" ! (François Béroalde de Verville - 16ème siècle). Comme on le voit, les assiégés par l'excellence des dames développent des discours légitimant la répartition inégale des pouvoirs. Pourtant en 1607, Charles Maupas, auteur d'une grammaire françoise énonce que tout nom d'office d'homme est masculin et tout nom d'office de femme se met au féminin (accessoirement, le féminin procède du masculin, tout comme Eve a été formée de la côte d'Adam, vieux fantasme de l'engendrement masculin) : "avocate, clergesse, dompteresse, apprentisse, doyenne, emperière, financière, officière...". Elles font des tas de métiers, vous remarquerez qu'elles ne sont pas timides comme aujourd'hui ! Il édicte des règles : demandeur, demanderesse, défendeur, défenderesse (ces deux derniers persistent en langage juridique), docteur, doctoresse (dans les campagnes encore aujourd'hui on dit doctoresse, sagesse de la langue populaire qui refuse de nier les femmes), philosophe, philosophesse, peintre, peintresse... Inventeur, inventrice, procureur, procuratrice, vainqueur, vainqueresse, capitaine, capitainesse, libraire, librairesse. Elles excellent dans tant de métiers que cela ne peut plus durer : tous ces mots en esse disparaîtront, dont pilosophesse qui les fit ricaner car il se terminait en "fesse". Sans rire, on a "l'humour" qu'on peut quand on est assiégé. Autrice, aussi, va leur causer de gros soucis. Arrive Louis-Nicolas Becherelle en 1834 qui édicte que, bien que les femmes exercent ces métiers : "on ne dit pas professeuse, graveuse, compositrice, traductrice, etc., par la raison que ces mots n'ont été inventés que pour les hommes qui exercent ces professions". Après qu'un Sylvain Maréchal, poète et militant politique, ait défendu un Projet de loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes en 1801 ! Les vilains jaloux. Bescherelle, encore : "La masculinité annonce toujours une idée grande et noble". Et puis : "Les femmes poètes sont de mauvaises ménagères ; la rime s'accorde mal avec l'économie" d'un certain Boiste.
Le masculin l'emporte.
Comme dans le mal nommé "Club des Lecteurs" de ma médiathèque : j'ai beau dire qu'il n'y a que des femmes à la plupart des réunions, ou alors un seul homme et 6 femmes : moi j'appelle cela un Club des Lectrices, mais rien à faire, les bibliothécaires (des femmes, mais mot épicène) me regardent noir. Je suis une affreuse féministe castratrice. Le masculin l'emporte partout : dans les pronoms attributs-barbe au menton. Je suis malade, je suis enrhumé, dit un de ses amis à Madame de Sévigné : "je LA suis aussi" répond celle-ci très rationnellement. Le monsieur la tance en disant qu'on doit dire "Je LE suis aussi". Madame de Sévigné rétorque que si elle employait LE pour parler d'elle, elle aurait l'impression d'avoir de la barbe au menton. Bescherelle (encore lui !) cautionne : le pronom LE doit être généralisé. Le genre des inanimés : ne cherchez pas là non plus de logique, mais sont généralement féminin, les "sons mols", et masculins, les "sons durs". Et de genre féminin, les mot se terminant par un e MUET ! Il y a plein d'exceptions : aigle par exemple, qui était un féminin jusqu'au 1er empire, et qui devient masculin quand Napoléon décide d'identifier cet oiseau avec son pouvoir ! Eliane Viennot évoque également l'accord des participes présent ou gérondifs. Aujourd'hui il sont invariables, mais il ne l'ont pas toujours été : au XVIIIème siècle on trouve des testaments de femmes "couturière, âgée de 25 ans, native de Paris, demeurante Rue Neuve Saint-Sauveur n° 329" ou "y demeurante et étante en bonne santé" ! Là également, le prétendu "neutre" masculin a prévalu.
Je me souviens de certaines de mes profs (groupies) qu'enchantait la langue française, tellement logique et tellement précise, selon elles ! Mais il n'y a aucune logique : il s'agit de conventions imposées de force par le pouvoir masculin assiégé qui utilise tous les moyens, même les plus déloyaux, pour mieux nier le féminin, donc les femmes. La langue française est genrée. Pour la précision, elle repassera aussi : refuser de dire pompière ou croupière quand c'est une femme qui endosse la fonction, j'appelle cela de l'imprécision organisée. Aujourd'hui, les pronoms relatifs lequel / auquel sont en passe de remplacer laquelle et lesquel-les, auxquel-les, qui s'accordent obligatoirement avec ce qui a été énoncé avant eux : toustes les femmes et hommes politiques font désormais la faute, y compris les nationalistes crispés, suivez mon regard.
Passionnant à lire, ce livre est l'histoire de la formation et de l'harmonisation du français, ce patois du latin, par un pouvoir politique masculin centralisateur. Je sais que plein de gens pensent que cette querelle du féminin est futile : comme illes se trompent ! Refuser la féminisation des noms de fonction, par exemple, est loin d'être innocent. Sur 90 métiers environs, les femmes sont cantonnées à une douzaine, mal payés, et tous au service des hommes et de la collectivité. Il y a un siècle, dans les administrations et les écoles en Bretagne, on voyait affiché "Défense de cracher par terre et de parler breton". Quand on veut nier, diffamer, péjorer, distinguer, renvoyer à l'altérité, on utilise la langue. Le français est misogyne, spéciste et, en ce qui concernait le breton, raciste. Lisez ce petit livre : la langue est politique, et n'oubliez jamais que le langage humain est performatif, il crée le réel. En l'espèce : la détestation du féminin, donc des femmes.
Non le masculin ne l'emporte pas sur le féminin - Editions iXe