LA FEMME CELTE - Mythe et sociologie
Jean markale - Petite Bibiothèque Payot - 1972 - 1989 pour la postace.
Tout d'abord, il faut préciser que Markale n'est pas historien, il étudie les mythes celtes, il était proche d'André Breton et des Surréalistes, et pro-féministe. La Femme Celte est écrit sur la constatation suivante énoncée dans sa préface : "L'idée de la supériorité de l'homme sur la femme, structure mentale disions-nous, est si puissante, si commune, si normale, que nous l'acquérons en quelque sorte à notre naissance. Toute l'éducation de l'enfant repose sur cette inégalité sexuelle. [...] Cela n'a pas changé depuis des millénaires. Cela a été entretenu par la morale d'essence masculine qui nous gouverne depuis Moïse, et par toutes les religions, le Christianisme en particulier...[...] Il est indéniable qu'il manque quelque chose à la femme, mais ce quelque chose est d'ordre purement psychologique : ce sont les hommes qui lui ont retiré ce quelque chose à une époque peu déterminable de l'Histoire, et les femmes par résignation et par suite de l'installation de cette structure mentale, se sont faites indiscutablement les complices inconscientes de cette escroquerie masculine qui rejaillit actuellement sur la société incapable de trouver son équilibre...".
Les dieux, c'est l'histoire d'une revanche : les cultes anciens célébraient la Déesse mère solaire aux temps où les hommes ne savaient pas qu'ils étaient aussi acteurs de la perpétuation de l'espèce ; quand ils découvrent leur participation au processus, d'égaux (ou inférieurs) qu'ils étaient, ils vont se proclamer supérieurs à la femme. "Cela se traduit sur le plan mythologique par l'apparition de dieux-époux de la Déesse-Mère primitive". Puis "le plan de l'égalité ne lui suffisant plus, puisqu'il comprenait toute la portée de sa puissance, il allait passer directement au plan de la domination".
Dès lors, contrainte à laisser la place au vainqueur, la Déesse solaire va s'enfoncer dans la nuit, se dissimuler dans les forêts, se tapir au fond des grottes, s'engloutir au fond des mers, des lacs et des fontaines, s'exiler dans des îles inaccessibles, d'où elle peut ressurgir à tout moment, car le féminin est irréductible, il est la moitié et la meilleure part de l'humanité.
"Les mythes transmettent de façon symbolique les réalités du passé" écrit Markale, et ils sont centrifuges : plus on s'éloigne du centre et de l'origine, plus ils deviennent difficiles à déchiffrer, déformés par la tradition orale. La Princesse engloutie (Dahud-Ahès) avec la Ville d'Ys qui revient hanter les vivants, les Notre-Dame de la Nuit et des Landes (terres), les déesses et princesses rebelles, les "Filles-fleur" qui disent non au père donc à l'autorité, telles Lilith, qui refuse à Dieu le compagnon qu'il lui propose, la blonde et solaire Yseult* qui se choisit un amant contre l'avis de son Père le roi Mark de Cornouailles, Morgane et Viviane, les Fées qui hantent la Forêt d'Avalon et de Brocéliande, Mélusine (Mala Lucina du latin : mauvaise lumière) en Poitou : elles sont toutes fascinantes et séduisantes, telles les sirènes surgissant des eaux et dont les chants viennent ensorceler les marins dans l'Odyssée. Elles disent toutes NON, elles refusent l'autorité des vieux Pères : elles en sont d'autant plus fascinantes et... dangereuses pour les hommes et le Patriarcat.
La révolte des fils contre les pères ne menace pas l'ordre patriarcal, il permet d'ailleurs son remplacement en le rajeunissant ; il n'en est pas de même de la révolte des filles contre les pères, qui est vécu comme sacrilège, impensable, menaçant l'ordre politique et social.
Les femmes devront se consacrer au foyer, elles ne feront pas de politique, elles se contenteront de donner des fils qui renouvelleront le patriarcat.
Quand les religions institutionnelles ou en cours d'implantation ne peuvent vraiment plus contrôler les déesses-fées, tant leurs peuples leur vouent un culte impossible à éradiquer, elles les assimilent, en font des saintes. Deux exemple parmi des milliers : Bridget de Kildare, Sainte Patronne de l'Irlande (Imbolc chez les Gaëls) :
qui sera vite supplantée par Patrick, évêque, et désormais vrai patron (padre, padrone, père) de l'Irlande !
Quand Nicolazig, paysan laboureur de son état, déterre en juillet 1624, avec sa charrue un fragment de statue représentant une femme (fragment restauré ci-dessus), on crie au miracle, lui le premier, et comme on est le 25 juillet, veille de fête de Sainte-Anne dans la Bretagne païenne devenue chrétienne, on déclarera qu'il s'agit de la grand-mère du Christ qui apparaît opportunément dans un champ à Auray. Un sanctuaire y est élevé. On se gardera prudemment de relever que Nicolazig (qui ne sera jamais canonisé ni même béatifié, souligne Markale) vit en Bretagne Sud près d'une ancienne et importante voie romaine du sud de la Presqu’ile de Bretagne, reliant Nantes à Quimper (actuellement la RN 24), et traversant les sites mégalithiques de Carnac (Kermario et Le Ménec tout proches), sites voués à des cultes très anciens. Que ferait à cet endroit situé à des milliers de kilomètres de la Palestine sa terre natale, une statue de la grand-mère du Christ, franchement ?
Les religions patriarcales et leurs avatars séculiers (Royautés de droit divin) n'ont qu'un seul but :" faire accepter l'autorité d'un homme sur les autres hommes en la plaçant sous la tutelle à la fois rassurante et redoutable d'une puissance céleste" à laquelle d'ailleurs ils croient ou... pas" ! La mère devient esclave du Fils chez les Chrétiens, héritiers de l'empire Romain, qui détournent "les forces spirituelles et psychiques de leur but primitif afin d'en faire un instrument docile au service de la domination d'une caste, les nantis, prêtres et nobles, la plupart du temps parfaitement athées...". Et mâles !
De ce livre touffu, il faudrait aussi parler de la quête du Graal, cet inaccessible interdit, caché au fond de grottes sous les eaux, Graal en forme de chaudron, de coupe, d'amphore, symbole d'un ventre féminin maternel, le paradis qu'ils ont perdu et dont ils sont inconsolables. Le persan Paradis signifie verger : Eve et les déesses sont associées à des vergers, emplis de fruits merveilleux. Les dieux mâles jaloux en ont chassé les déesses, et par la même occasion eux-mêmes, en rendant les femmes responsables de la perte de l'innocence des ordres anciens. Mais la Déesse solaire** est toujours là, dans les lacs, les fontaines, dans les forêts, dans les terres-landes que les hommes veulent, dans leur rage, faire disparaître sous le béton : elle peut prendre différentes apparences et ressurgir, et ses peuples ne s'y trompent pas ! Et alors, bon sang de bois, quel retour de refoulé !
Elihah, qui a lu il y a longtemps cet ouvrage, rajoute son grain de sel sur la Vierge et la Virginité ICI, notion intéressante développée aussi par Markale, mais son livre est tellement touffu, qu'on ne peut humainement pas tout citer ! Il faut le lire.
25/2/13 - Je rajoute un lien vers un texte d'Evelyn Reed, "Is Biology Woman's Destiny ?" paru en 1971 dans International Socialist Review en anglais (je ne le trouve pas en français hélas), article inspiré des travaux d'Engels "Origines de la Famille, de la Propriété Privée et de l'Etat". La maternité, au lieu de réduire les femmes à leur utérus et de peser sur leur destin humain, les aurait rendues plus intelligentes socialement en les obligeant à la solidarité et à la coopération (hin hin, Norman Mailer !) dans les société primitives où elles avaient le leadership. Et ce n'est pas essentialiste, mais bel et bien une construction sociale et culturelle humaine.
* Iseut ou Iseult pour Chrétien de Troyes, Isolde pour Wagner.
** Soleil est de genre féminin dans la plupart des langues celtiques et germaniques.