Scène de tribunal : Zain, garçon de 12 ans (c'est ce qu'il pense, il n'a jamais été enregistré à l'état civil, et il en paraît 10) sorti de prison, arrive menotté devant un juge, ses père et mère sont dans l'assistance. L'enfant s'adresse au juge : " je peux porter plainte contre mes parents pour m'avoir fait naître. La seule chose que j'ai entendu, c'est 'dégage d'ici, fils de pute' dit-il au juge. Je veux que les gens qui sont incapables d'élever des enfants n'en aient pas".
Né dans un bidonville de Beyrouth, Zain survit au milieu d'une famille innombrable, entre ses frères et sœurs qui dorment serrés les uns aux autres sur des matelas étalés au sol la nuit, ses journées se passant à tenter d'acheter ou marchander de la nourriture contre de menus services aux commerçants dans les rues grouillantes et sales, entre les abris de tôle et de cartons ; le soir quand il rentre c'est pour tâter des torgnioles de son père qui le traite communément de "fils de pute" devant sa mère. Zain est un grand récalcitrant lucide à la langue bien pendue, il fait la gueule, ne sait pas sourire. Il ne connaît pas l'insouciance de l'enfance. Les choses se gâtent encore plus alors qu'il rentre un soir et qu'il voit sa sœur cadette de 11 ans maquillée, pomponnée, présentée à un mec de 40 ans. Pressentant ce qui va se passer, il engueule tout le monde, et tente de dissuader sa petite sœur de jouer le jeu des présentations. Finalement, la fillette s'en va, suppliée par Zain qui tente en vain de la retenir. Révolté contre ce dernier coup familial, il part de chez ses parents avec son baluchon dans un sac poubelle. La suite du film montre Zain survivant dans la rue, recueilli par Rahil, migrante éthiopienne sans papiers bientôt virée par son "référent" pour qui elle travaille chez des bourgeois beyrouthins, et qui a sa vie entre ses mains puisqu'elle n'a aucun papier et qu'il lui a confisqué son passeport. La dame a un bébé, Yonas, non sevré, qu'elle confie à Zain quand elle travaille. Jusqu'au jour où Rahil ne reparaît pas. Zain est en charge de bébé Yonas : le nourrir au biberon alors qu'il a toujours tété le lait de sa mère, et lui assurer des couches propres. Une épreuve évidemment. D'autant qu'un commerçant trafiquant de chair humaine lui propose de l'argent contre le bébé, Zain refuse. Il construit de ses mains avec des ustensiles récupérés un véhicule dans lequel transporter le bébé avec lui, et quand il doit s'éloigner pour chercher leur pitance, il attache Yonas par le pied au chariot. A bout de ressources, il finit par céder, la mort dans l'âme, Yonas au commerçant qui le lui demandait et rentre à la maison. Pour y apprendre que sa sœur est morte de sa grossesse à l'entrée de l'hôpital où on l'a refusée pour manque de papiers d'identité. Zain saisit alors un couteau et va tenter de tuer le "beau-frère" pédophile arrivant juste à le blesser, c'est la raison pour laquelle il est devant un juge et qu'il inverse le procès, c'est lui qui demande qu'on juge ses parents pour l'avoir fait naître.
" Je ne veux pas que mes parents aient d'autres enfants ; la vie, c'est de la merde ". " T'as pas de cœur, t'es un monstre ", hurle-t-il à sa mère qui lui annonce dans sa prison qu'elle est de nouveau enceinte et qu'elle attend une nouvelle petite sœur pour Zain. Le rêve de Zain, c'est d'aller en Suède : " les enfants meurent de mort naturelle là-bas " dit-il dans un contre-sens qu'il ne perçoit pas. Noir, très pessimiste, cash, pas un gramme de guimauve, sans concession. Les seules bonnes nouvelles, c'est que Rahil réapparaîtra et qu'elle retrouvera son bébé Yonas.
Film coup de poing, juste et poignant, on se demande durant tout le film quand la metteuse en scène va mollir, vu la charge livrée ici contre la sacro-sainte parentalité, sur le sort que les humains réservent à leur enfants, sans aucun compromis ni aucune mièvrerie. Zain accuse ses parents et ce monde de misère qui l'a si mal accueilli lui, le bébé Yonas et sa sœur, vendue par ses parents à un pédophile contre mariage précoce et prise en charge du fardeau. Car c'est ainsi que les humains traitent leur progéniture, comme un compte en banque, une marchandise aliénable au plus offrant.
Formellement, le film tourné dans un bidonville de Beyrouth, est magnifiquement mis en scène ; Nadine Labaki sait faire bouger sa camera et nous offre des plans séquences virtuoses et de toute beauté. Elle mérite ses trois prix, dont le prestigieux Prix spécial du Jury de Cannes 2018. Merci à ARTE de l'avoir diffusé. On ne le retrouve pas en accès direct sur leur plateforme, mais sur des sites de cinéma en VOD.
Depuis le tournage du film, la situation à Beyrouth s'est encore aggravée par la destruction du port, due à l'explosion de 2750 tonnes de nitrate d'ammonium en août 2020. Si chez nous, il n'y a pas de situation couramment comparable, on peut tout de même penser que les quatre enfants de Magali Blandin, dont le père a tué la mère le 10 février 2021 de deux coups de batte de baseball, pourraient tenir le même discours que celui de Zain. Cette odieuse affaire de féminicide, qui a eu lieu en Ille et Vilaine, démontre une fois de plus que des pater familias pervers narcissiques violents tuent la mère de leurs enfants, et que ce n'est pas rare. Incestueux, violeurs, alors même que la société leur reproche d'être absents, je me demande si ce n'est pas mieux qu'ils ne soient pas là ! Mais le mieux est de ne pas les mettre au monde, Zain a raison, les faire naître juste parce qu'on a un appareil génital et qu'on ne sait rien faire d'autre est la pire des motivations. Foutez la paix aux enfants à naître les parents, ils vous le demandent, occupez-vous de ceux qui sont déjà là et que personne n'a accueillis dans la dignité, l'intégrité physique, la sécurité, un toit, et de quoi manger. Ils n'ont besoin de rien d'autre. Foutez nous la paix avec vos protestations d'amour, plus personne n'est dupe.
La semaine dernière dans un coin d'écran j'ai aperçu le témoignage d'une femme battue et incestuée avec sa sœur par son père durant des années, leur mère complice : la justice a condamné le père abuseur violeur à seulement deux ans de prison, considérant qu'elles étaient consentantes. La culture de l'insémination et de la dégradation par le viol fait des ravages. A la fin de l'interview il était précisé à son de trompe que cette dame était l'heureuse mère de cinq enfants. J'en suis restée commotionnée ; on sait que le viol et l'inceste sont épidémiques, que le traumatisme laisse des traces, suit les générations et expose d'autres victimes à subir le même crime, l'affaire Laeticia Perrais le confirme à souhait, le viol était endémique dans la famille. La propagande patriarcale nataliste bat toujours son plein, sans aucun recul, aucune prophylaxie, ni aucune mise en garde aux victimes qui, sûrement, compensent ainsi le délaissement que des parents lobotomisés par la propagande, irresponsables et indignes, leur ont infligé dans l'enfance, en s'entourant d'enfants béquilles, alors qu'elles sont extrêmement fragiles, proies désignées de nouveaux agresseurs. La maltraitance humaine aux enfants est une histoire sans fin.