lundi 15 mars 2021

La Retenue : récit d'un inceste

 " Lorsque j'ai dit à ma grand-mère ce qui se passait, juste avant mes 14 ans, une bombe a explosé. Sa réaction dans le lieu clos de la voiture a été fracassante : 'Tu l'as bien cherché.' "


C'est le récit en 140 pages d'un inceste qui se commet durant 7 longues années, des 7 aux 14 ans de l'autrice, et de la sortie de l'état de victime par une rupture familiale longue, chaotique et difficile, et enfin le récit et la dénonciation par l'écrit des faits subis. La sortie du livre était programmée aux Editions des Femmes, seul "éditeur militant", écrit Corinne Grandemange, à avoir accepté de la publier, bien avant de savoir qu'il y aurait une affaire Duhamel / Kouchner. 

L'autrice victime est issue du même milieu social, et les faits se passent à la même époque que dans l'ouvrage de Kouchner, les années post-soixante-huit, années érotiques. Le grand-père est un écrivain connu sur le tard, on ne saura pas qui, tout est anonymisé, ce qui permet de se concentrer sur le crime et les circonstances de son accomplissement. Une grande famille recomposée, à gros capital culturel donc, la grand-mère aristocrate bohème, admirée et adorée, ayant eu des enfants de plusieurs lits, malgré ses conditions de vie précaires, et aimant les recevoir tous sous le même toit dans une grande gentilhommière qu'elle a réussi à acheter et restaurer. L'oncle cadet, ils ont dix ans d'écart, est logé au même étage que sa nièce dont il abuse. Tout le monde couche avec tout le monde. Evidemment, tout le monde sait ou a un sérieux doute, mais dans le huis-clos familial élargi, personne ne parle, personne ne donne l'alerte. Ce qui arrive est la faute de la victime, tel qu'énoncé par la grand-mère au moment de l'annonce. Pas de porte de sortie, hormis par l'écriture et la publication, l'oncle sera sermonné à huis-clos par sa mère, personne ne présentera de regrets ni d'excuses. La Famille, lieu clos de toutes les turpitudes, lieu d'amoralité, mais sacrée, intouchable. 

Il y a dans ces récits d'inceste deux énigmes anthropologiques à mon avis. Corinne Grandemange en pose une : comment peut-on avoir du désir sexuel pour un-e enfant ? Je rajouterais pour ma part, par quel archaïsme issu des cavernes, les hommes sautent-ils ainsi sur tout ce qui bouge, 
sans états d'âme ? Pourquoi les femmes sèment-elles aussi avec insouciance pour dire le moins, les enfants, et donc le malheur dans pas mal de cas, alors que généralement, elles vivent dans une grande faiblesse économique et dans une grande précarité, et qu'elles les laissent ainsi évoluer dans un environnement toxique avec insouciance ? De mon point de vue, ce sont deux énigmes anthropologiques totalement sans réponse. Un autre archaïsme est celui de ces femmes solidaires quoiqu'il arrive, solidarité de femelles envers les mâles auxquels elles sont alliées par mariage, ou qu'elles ont mis au monde. Mais ce dernier s'explique selon moi, et sans leur trouver d'excuses, par la domestication multimillénaire à laquelle nous avons été soumises, par eux, pour leur reproduction. Cela pèse lourdement sur notre psyché, bien que de en plus de femmes, d'autant plus méritantes d'aller à contre-courant, se soulèvent contre cette aliénation, dénoncent, défendent leurs enfants avec acharnement devant une société tolérante à l'inceste au motif que la famille est un lieu d'amour et de sécurité, alors qu'on sait que ce n'est pas toujours vrai. Le déni et le silence ne protègent que les agresseurs. Le sentiment d'impunité chez les inces-tueurs est total. 

" Il se relève et me regarde. Il me dit que de toute façon un jour je le dénoncerai. Il est debout face à moi. Je suis toute nue sur le lit. Je sais qu'il a raison. Un jour je le dénoncerai. 
Il y a ses mots qui cognent : 
"Non je ne t'aime pas. Je t'aime bien "

Aux Editions des Femmes. Une écriture précise, "sans gras" seul conseil 
-d'écrivain- donné par le grand-père, indifférent par ailleurs au ressenti de sa petite fille. Corinne Grandemange se consacre désormais à l'écoute de jeunes enfants à mi-temps pour l'Education Nationale et à la poésie. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire