dimanche 17 septembre 2023

Marie Huot Libertaire, néomalthusienne, antispéciste, féministe...


L'Atelier de Création Libertaire a publié en 2023 cet ouvrage sur Marie Huot, femme oubliée de l'histoire. Son auteur, l'historien Sylvain Wagnon de l'Université de Montpellier, m'a proposé de le lire. En voici un court résumé.

Marie Huot est née Mathilde Marie Constance Ménétrier en 1846 dans l'Yonne, d'un milieu bourgeois, et est décédée en 1930. Avec son mari Anatole Théodore Marie Huot, un fonctionnaire de l'Instruction Publique et libre-penseur, elle évolue et milite dans le mouvement libertaire de la fin du XIXe siècle. Poétesse, journaliste, grande voyageuse, oratrice hors-pair, elle devient conférencière et milite contre la vivisection, contre la tauromachie introduite en France au moment du Second Empire, réhabilite Malthus avec des camarades, et préconise la grève des ventres, prône l'amour libre et l'éducation sexuelle, et aborde la question de l'avortement auprès des femmes qui pâtissent de grande pauvreté comme soutiens d'immenses familles, puisque les moyens de contraception arriveront bien plus tard. Marie Huot est passionnante par sa faculté de voir les choses globalement, top down, et de lier les problématiques sociales entre elles. Alors que le patriarcat a la capacité d'instaurer les déconnexions, le féminisme radical, lui, rétablit les connections, lie la pensée et l'action, d'où sa dangerosité pour l'ordre établi, selon une citation de Robin Morgan. Marie Huot, comme ses contemporaines, a cette capacité de restaurer les connections, elle pense large, comme son style. Elle cherche et tâtonne, explore sans réticences l'eugénisme et le malthusianisme, participe à un mouvement antivaccins du temps de Pasteur. Mais comment la juger à l'aune de ce que l'on sait aujourd'hui, elle qui vivait à la charnière des deux derniers siècles ? 

Libertaire, elle milite au sein des cercles anarchistes avec son amie de Louise Michel dont elle gardait les chats quand celle-ci était arrêtée ou absente, en exil. Leurs chemins divergeront quand Louise Michel privilégiera la lutte sociale à la lutte antispéciste, car elle ne voulait pas disperser ses forces.

Néomalthusienne : avec l'anarchiste Paul Robin, arguant que la bourgeoisie pratique l'eugénisme et la restriction des naissances pour éviter le morcellement des héritages, tout en encourageant le peuple à fournir toujours plus de chair à usines, maintenant ainsi les salaires bas, et de chair à canon pour régler les problèmes de ressources, frontières et trop-plein, ils tentent de réhabiliter le malthusianisme en l'intégrant à la lutte révolutionnaire. Education sexuelle, connaissance du corps et apprentissage de l'hygiène, déconnexion de la sexualité et de la procréation (hantise des clercs obsédés par la procréation), amour libre et émancipation des femmes sont les causes qu'elle défend au sein de la Ligue de la Régénération humaine et ses publications. Là où son néomalthusianisme défend l'émancipation des femmes et la maternité libre, ses camarades anarchistes verront, eux, une émancipation de la classe ouvrière du capital, désarmant ce dernier par un manque de bras, espérant provoquer par la pénurie de main d'oeuvre des salaires élevés. Etonnant pour notre époque contemporaine où le malthusianisme nous est toujours présenté comme une idée de droite réactionnaire, ces anarchistes, quoique minoritaires, réussissent à en faire une idée révolutionnaire. 

" Tant que la femme ne sera pas délivrée de la maternité obligatoire, il lui sera impossible de s'affranchir réellement et d'échapper à la tutelle de l'homme comme au joug de la société. "

Déjà minoritaire au sein de la mouvance révolutionnaire, le coup d'arrêt au mouvement néomalthusianiste viendra en 1920, après la grande boucherie de la deuxième guerre mondiale, avec la loi du 31 juillet 1920 "réprimant provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle" texte où l'avortement est défini comme un crime. Cette loi confirme donc a posteriori l'exactitude des analyses des néo-malthusiens : les femmes sont renvoyées au gynécée, priées de pondre pour refaire le stock de chair à manufacture et de chair à canon, dont se repaît l'ogre patriarcal. 

Antispéciste, antivivisectionniste. Déjà militante de la SPA de l'époque qu'elle juge trop laxiste sur le sujet, elle crée la Ligue populaire contre la vivisection en 1883, ligue qui lutte contre toute forme de maltraitance, en interpellant directement ses opposants : elle frappe de son ombrelle le nez d'un médecin, l'accusant de torturer de façon inutile des chiens et des singes dans son laboratoire de recherche. Elle aura aussi une querelle avec Pasteur, car elle lui reproche ses expériences sur des chiens pour valider son vaccin contre la rage. Marie Huot s'oppose aux courses de taureaux, lorsque l'impératrice Eugénie de Montijo se met en tête d'introduire la corrida, tradition sudiste, en France. Elle publie des textes, monte à la tribune, pétitionne des ministres, et va à des corridas à Paris et à Nice avec des groupes de militant-es armées de sifflets, imagine même un moment y aller avec un revolver, puis se ravise car "entre des mains antivivisectionnistes, ça détonne avec les principes". Il est à noter que le mouvement féministe anglo-saxon, puis étasunien pour le suffrage des femmes, comptait dans ses rangs des antivivisectionnistes, un lien bien oublié aujourd'hui, puisque lorsque les historiens se penchent sur les débuts du mouvement social de défense des animaux, ils ne lui trouvent plus que des "pères". Comme à l'habitude, les femmes pionnières sont effacées de l'histoire pour laisser place à des hommes qui se sont ralliés tardivement à la cause, mais qui s'imposent et récoltent tous les lauriers à la place de leurs devancières. Pour retrouver ce lien historique, lire le billet de Fred Côté-Boudreau sur l'origine du mouvement anti-vivisection.
   
Végétarienne : ridiculisée par les (hommes) amateurs de potées et autres cassoulets, elle revendique "ne plus manger que des légumes et boire de l'eau". Elle fait l'expérience aussi d'être jugée d'une sensiblerie de femmelette, on lui renvoie au nez la concurrence des causes, elle qui juge durement la "tartufferie humanitaire". Comme on peut le voir, rien n'a changé, c'en est quasiment désespérant. 

POSTERITE de MARIE HUOT

Ses héritièr-es sont évidemment tout-es les valeureux-ses activistes contemporains pour les animaux, aussi bien les végétariens et véganes que les antivivisectionnistes / anti expérimentation animale, les militants pour l'arrêt de l'élevage intensif et pour la fermeture des abattoirs. D'autant que depuis plus d'un siècle, la population mondiale est passée de 1,5 milliards à 8 milliards, que les classes moyennes (4 milliards) revendiquent leur statut social en mangeant de la viande (industrielle) dans des proportions inégalées. Sans oublier les anti-corridas, puisque les choses sont quasiment encore dans le même état qu'il y a un siècle. 

Les DINKies : Double Income No Kids, foyers à double revenu sans enfant, plutôt identifiés couples de lesbiennes et de gays, mais pas seulement.
Les refusant-es de la parentalité, dits childfree puisque ce sont plutôt les anglo-saxons qui portent le mouvement #NoKids #StopHavingKids, et que les français-es sont très timides sur le sujet, hésitant toujours à sortir du placard. Refusez d'ôter la vie pour passer à table, et de l'infliger à des innocents qui ne vous ont rien demandé, et vous serez voué-es aux gémonies, aurait-elle pu écrire. 

Le mouvement Birth Strike (grève des ventres) de 2019 : initié dans la dynamique des collectifs Extinction Rebellion, le mouvement veut attirer l'attention sur les dégradations environnementales, économiques et sociales de notre biotope, et interroge nos choix individuels de mettre des enfants dans un monde soumis au bouleversement climatique. Des dissensions au sein du mouvement amènent à sa dissolution à l'été 2021, et témoignent comme à l'époque de Marie Huot, de la grande difficulté de faire du refus de la maternité une lutte politique contre les injonctions patriarcales, et bien sûr de la difficulté à faire percer dans nos consciences et comportements les effets catastrophiques du changement climatique. Pas plus que la pauvreté la plus sordide des couples et des femmes ne dissuadait les maternités multiples du temps de Marie Huot, le changement climatique n'infléchit aujourd'hui notre "propension au lapinisme", comme écrivait Françoise d'Eaubonne il y a cinquante ans.

L'auteur de la biographie de Marie Huot, Sylvain Wagnon, conclut en ces termes sur l'échec du Mouvement Birth Strike : 

" L'échec de cette campagne illustre, comme lors de la prise de position de Marie Huot, la grande difficulté de faire de la maternité un levier de lutte politique. Pour autant la question est de plus en plus présente devant l'immobilisme et la résistance à toute prise en compte réelle de la situation environnementale et climatique. Cela pose comme au XIXe siècle, la place d'une telle revendication au sein de la question sociale et politique. "

Quelques unes des phrases de Marie Huot en guise de viatique, car la route est encore longue et le combat continue : 

Faire des enfants après une guerre ? 
" Comment osent-ils recommencer des berceaux ceux qui viennent de fermer des tombes ? "

" Selon le droit primitif de la nature, nul n'a de droit particulier sur quoi que ce soit. Qui a dit cela ? Bossuet, et après lui tous les anarchistes. Prêchez d'exemple, au moins. "

" Oui ça me va de vous dire à tous que vous méritez les affres et les souffrances. Est-ce que vous les épargnez aux autres créatures ? N'admettez-vous pas l'esclavage à l'étage en-dessous ? Et traitez-vous mieux qu'on ne vous traite vos frères asservis ? "

" Combattre pour l'animal, à la bonne heure ! La tâche est plus ingrate, le ridicule l'a sanctifiée ; et comme il faut y apporter plus de désintéressement, d'amour et de haine, ça me va ! Et puis combattre pour l'homme ça manque d'abnégation, l'égoïsme et la vanité y trouvant bénéfice...  
 
Deux de ses textes écrits dans une langue magnifique sont reproduits en fin d'ouvrage.