dimanche 31 juillet 2022

Moins nombreux, plus heureux

Du néo-malthusianisme. Une épistémologie féministe.

Le 15 novembre 2022, nous devrions atteindre les 8 milliards d'humains sur la planète d'après les calculs de l'ONU. Ce 28 juillet, d'après les calculs du Global footprint network, nous sommes le jour du dépassement, à savoir que l'humanité a consommé toutes les ressources que la planète arrive à reconstituer en une année. Nous vivrons donc à crédit le reste de l'année. Crédit ouvert sur les générations futures, s'il y en a. Ce jour du dépassement arrive tous les ans un peu plus tôt. Pour continuer à soutenir ce train de vie, il nous faut les ressources d'une planète trois quarts, sachant qu'il existe des disparités entre pays, et entre le nord et le sud. Le jour du dépassement était cette année le 5 mai pour la France, ce qui équivaut à vivre avec les ressources de 2,8 planètes. Que nous n'avons pas évidemment. Nous ne pouvons donc pas continuer comme cela.


Ce blog existe depuis 12 ans : il a été conçu sur la ligne éditoriale de la lutte contre le patriarcat sans langue de bois et sans compromission telle que peuvent en proposer certaines réformistes libérales ; ma source d'inspiration a été Françoise d'Eaubonne, féministe matérialiste universaliste, militante du MLF, ayant produit une oeuvre considérable, mais au moment de sa disparition en août 2005, son oeuvre était à peu près oubliée. Un de mes billets fondateurs fut un résumé de Le féminisme ou la mort, son ouvrage écoféministe où elle s'attaque notamment à la surpopulation humaine sur une planète de 40 075 kilomètres de circonférence, auquel on ne rajoutera pas 100 mètres, écrivait-elle. Depuis ces billets, mon travail a payé, désormais Françoise d'Eaubonne et son oeuvre sont republiées par différents éditeurs, et ses idées sont reprises et promues par des féministes intersectionnelles, qui, selon moi, réactualisent ses idées selon la sensibilité de notre époque, et oublient qu'elle était avant tout universaliste. Françoise d'Eaubonne, même si elle n'a pas revendiqué l'expression, était néo-malthusienne, c'est-à-dire pour la limitation des naissances dans l'intérêt des femmes qui ont payé de leur vie et paient encore le plus lourd tribut à la reproduction humaine. Et dans l'intérêt de l'humanité.  

Le malthusianisme est une théorie de l'économiste Malthus (1766 - 1834), par ailleurs prêtre anglican, et patriarcal grand teint. Sa thèse sur les rapports de production préconise un contrôle strict des naissances, en comparant la rareté des ressources, forcément limitées sur une planète finie, avec l'augmentation de la population qui elle, est exponentielle, ce qui est exact. Les solutions qu'il propose pour y remédier sont un contrôle des couples, des femmes naturellement, et l'arrêt des aides aux plus pauvres. Bien sûr, il n'émet aucune critique sociale sur la façon dont les femmes notamment, sont contraintes à la reproduction par l'idéologie patriarcale (dont il est lui-même sans doute un fier représentant). En tant que curé, je pense qu'il ne s'est pas reproduit, tout au moins pas officiellement, mais avec les hommes on ne sait jamais. Malgré un nombre important de pauvres sur la terre, cause invoquée, le sous-développement, ses thèses ne s'avéreront pas à cause des gains de  productivité industrielle et de la révolution de la productivité agricole, au moins pendant les deux siècles suivants. Mais pas de chance, ses idées seront reprises par les pires immondes tyrans que produit l'histoire pour justifier leurs politiques coloniales de destruction, et par contrainte sur les corps. Car le patriarcat procède par la contrainte sur le corps des femmes et son exploitation en leur enjoignant de se reproduire ou en le leur interdisant, en les contraignant au service domestique, sexuel et reproductif des hommes et de la société, en les privant d'éducation, selon la méthode des talibans renvoyant actuellement les femmes afghanes au Néolithique. 

Fin du XIXè siècle, début du XXè siècle, des hommes anarchistes et quelques féministes, dont Madeleine Pelletier et Emma Goldman, Nelly Roussel, Gabrielle Petit..., décidèrent que c'était trop. Les femmes, selon eux, payaient un trop lourd prix sur leur santé physique d'abord, sur leur santé psychique, sociale et économique ensuite. Surchargées d'enfants sans autre possibilité de développer leurs talents propres, épuisées, esclavagisées au service reproductif de l'espèce, par l'entretien de leurs nombreux enfants, pour fournir des bras aux patrons d'usines, tels étaient les griefs de ces néo-malthusiens. Ils et elles revendiquent aussi de ne plus fournir de chair à canon à la Patrie, au nom de la défense des intérêts de la classe ouvrière. Certains de ces anarchistes sont de fervents partisans de la contraception et de la stérilisation masculine volontaire, dans une société historiquement nataliste. Les femmes du mouvement s'engagent aussi contre la prostitution. 

Malheureusement pour ces pionniers, le mouvement anarchiste néo-malthusien, réprimé depuis son surgissement, subit un coup d'arrêt à la fin de la Première Guerre mondiale. Après 5 ans de boucherie, 20 millions de morts dont près de 10 millions de militaires, on pria les femmes de retourner au gynécée produire de la chair à usine et de la chair à canon. Il fallait remplacer les pertes. Le premier féminisme, celui des droits civiques, dopé par le pouvoir qu'avaient pris les femmes lorsque les hommes étaient à la guerre, calqué sur le mouvement civique des Afro-américains, revendiqua lui aussi le droit de vote pour les femmes que les françaises obtinrent péniblement en 1948. Il fallut encore attendre les années 60 et 70 pour que les femmes s'emparent de la question de leur fécondité, jusque-là contrôlée étroitement par les hommes, et revendiquent pour elles la contraception et l'avortement. 

Françoise d'Eaubonne reprend le flambeau dans Le féminisme ou la mort. Partant du constat que les femmes ont été annihilées dans la littérature, notamment par les textes sacrés des pères de l'Eglise (des églises avec ou sans clergé, de toutes obédiences, c'est une constante), après avoir constaté l'injustice des rapports de production, notamment entre la classe sociale hommes et la classe sociale femmes, elle arrive aux mêmes conclusions que Malthus, en faisant une analyse différente et surtout en proposant non pas le contrôle, mais au contraire la libération des femmes : donner le pouvoir aux femmes, afin de le rendre ensuite généreusement à l'humanité tout entière. Son néo-malthusianisme est donc bien une épistémologie féministe. Et on ne peut qu'adhérer. Le féminisme ou la mort a été publié en 1974 : nous étions alors 4 milliards sur la planète. Il ne nous a fallu qu'un demi-siècle pour doubler ce nombre. Nous voyons la biodiversité animale et végétale s'effondrer autour de nous, les terres cultivables se couvrir de béton, les rendements agricoles baisser, le cycle de l'eau se modifier, les températures monter, le climat s'emballer. Françoise d'Eaubonne, visionnaire. 

Mon corps, mon choix.

Un enfant si je veux. Quand je veux

Ce furent les slogans du deuxième féminisme des années 60 / 70, celui des droits reproductifs. On peut déplorer avec Christine Delphy que la radicalité du "si je veux", était bien tempérée par le "quand je veux". Malheureusement, au moment où ces droits au contrôle de leur fécondité est gagné par les femmes, ce qui est bien le moins, et après que les hommes ces éleveurs, aient fermement résisté, apparurent en 1982 les techniques de procréation médicalement assistée, opportunément destinées à soigner l'infertilité des couples aboutissant, comme écrit Marie-Jo Bonnet, "au forçage des corps" (thème évoqué dans un précédent billet  dans son ouvrage La maternité symbolique). Les moyens de contraception se diffusant dans la société, la maternité choisie aboutit à l'enfant roi ; après des siècles de maternité malheur, d'infanticides, puis d'enfants quand je veux, on arriva inévitablement à l'enfant à tout prix. Si tu n'es pas mère, tu as raté ta vie. Nous avons été durement rattrapées par l'injonction patriarcale à la maternité. Provoquant femmes abandonnées, surchargées, "conciliant" vie professionnelle et vie de famille, divorces, séparations, difficultés économiques, violences maritales. 

Piégées, les féministes durent se mettre à défendre les mères, les femmes battues, les femmes élevant seules les enfants, et à compter les mortes par féminicide. Etonnamment, sans rien proposer comme mesures de prophylaxie : à savoir rappeler que le mariage et la maternité sont des injonctions patriarcales, que les femmes sont toujours les perdantes de ce jeu social, que la maternité est toujours exercée au détriment des femmes qui y sacrifient leurs autres potentialités, et tout bien étudié, le célibat avec des amoureux ou des amoureuses, au fond ce n'est peut-être pas si mal ? Si vous voulez passer pour une virago, une ennemie du genre humain, c'est exactement l'idée à lancer, la phrase à dire dans les dîners de famille et même les réunions féministes : on vous fusille immédiatement sans sommation. 

Il est temps de mettre un peu de subversion dans tout cela. Pour être moins nombreux et plus heureux, sans contrainte (l'injonction à la maternité est une contrainte) mais au contraire par l'autonomisation, l'autodétermination des femmes : il est temps d'éduquer les filles autrement. En premier lieu, chez nous, je préconiserais d'interdire les émissions de Faustine Bollaert et ses témoignages de femmes sacrificielles qui ont subi les pires avanies et outrages, mais s'en sont sorties par l'aaaamourrrr. Le tout raconté avec force sourires niais. Ce n'est pas anecdotique, cela fait système, on sait le public de femmes qui regardent, qu'il faut les conforter dans la transmission sociale de la tradition, si délétère soit-elle. Excusez-moi, mais je ne supporte pas. Même chose pour les émissions de M6, docs et reportages sur les femmes sacrifiées sur l'autel de la conjugalité mais tellement victorieuses tout de même, vantant la féminité, cette impuissance. Elles prétendent bien sûr le contraire. 

Changer : méthode

Donc puisqu'il faut être force de proposition, planétairement : éducation des filles en priorité, école, collège, lycée, université. Incitation à faire carrière, peu importe laquelle, ce qu'elles veulent, dans le secteur marchand, associatif, politique, dans la défense de animaux, de la biodiversité, dans les arts, les sciences, la technique ou la littérature, la diplomatie. Les femmes sont créatives. En étant payées ou en bénévolat, avec un revenu assuré autrement, sans dépendre d'un homme. Ce. Qu'elles. Veulent. On sait que partout une fille qui fait des études se mariera plus tardivement, aura moins d'enfants. Donc on investit sur les filles et femmes, ça nous changera. Si elles se marient et décident d'avoir des enfants, on les aide aussi, allocations familiales ou équivalent, mais pas à guichet ouvert comme maintenant, dégressives à partir du 3ème enfant. Et SURTOUT, on met sérieusement en branle la protection des enfants et des femmes, on arrête de sanctuariser la famille, cette cellule privée où on sait que peuvent advenir les pires saloperies. On a arrêté de vous bourrer la tête avec des contes de fées, mais vous voulez des enfants ?  Pas d'objection, mais vous les élevez comme des parents responsables, biologiques ou non d'ailleurs (il faut vraiment arrêter avec la biologie !), vous leur assurez un avenir et vous rendez des comptes à la société qui vous aide. Société qui ne laisse plus passer aucun coup, aucune agression, aucune femme, aucun enfant maltraité. Parce que là aussi, il y aurait à dire. L'enfant instrumentalisé pour l'ego de ses parents, ou pour lui servir de revenu ou de bâton de vieillesse, de poupée béquille, c'est terminé. De toutes façons, c'est intolérable, on n'instrumentalise pas un être né libre, c'est ce que dit le droit, à ses propres fins et usages. Enfin devenus adultes responsables, on n'élève autant que possible que les enfants dont on peut assurer l'avenir dans un monde aux ressources limitées, sachant qu'un enfant né dans l'hémisphère nord consomme plus de ressources que celui né dans l'hémisphère sud. Investir sur les filles et femmes, c'est retour sur investissement assuré. D'autant plus si on ne leur a pas cassé la tête au préalable. Le patriarcat, imposture universelle, entreprise de démolition.

Pour conclure, moins d'invités au banquet, ça ne veut pas dire que le banquet est raté ou moins amusant, moins réussi, au contraire. On peut s'y occuper mieux des invités, être aux petits soins, être plus attentif aux besoins de chacune et chacun. On peut mieux y prendre en compte ce qu'il reste dans le garde-manger, mieux gérer la ressource qui n'est pas infinie. On a aussi le droit de choisir de n'inviter personne, d'aider les autres, de préférer une solitude pleine, féconde, et productive, créative. Autrement. Nous naissons par hasard dans un monde indifférent, écrivait Raphaël Enthoven dans Franc-Tireur la semaine passée, donc inutile en plus de forcer le malheur et le tragique sur des innocents qui ne nous ont rien demandé. 

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