En Bretagne, nous avons des chapelles, des oratoires, des ermitages et des grottes païennes à ne savoir qu'en faire. Chaque village ou presque a son/sa (fausse) sainte, son pardon, et donc sa chapelle dédiée, avec les reliques de celui-ci. Difficile de démêler la foi chrétienne du paganisme, la légende de la sainteté, les mérites de la sainte et la superstition. Et il y en a tant que les bretons et l'état n'arrivent plus à les entretenir, et dans la plupart des villages, elles pourrissent sur pied. D'où un jour l'idée de mettre en valeur ce patrimoine (matrimoine ?) en y organisant des expositions.
Le concept
Ces chapelles -désaffectées pour la plupart, plus de culte, plus de bancs ni de chaises- possèdent pour la plupart d'entre elles des retables modestes ou impressionnants, mais tous baroques boursouflés et colorés comme celui du chœur de Saint Nicodème en Pluméliau, chapelle départ de l'exposition (ci-dessus) : retable au-dessus de l'autel,
et celui de la nef (détails) :
Comme on s'en rend compte, tout cela nécessiterait une bonne restauration. Le concept donc, dans ce contexte, est d'exposer dans ces chapelles vides où on ne célèbre plus de culte, sauf celui du saint une fois par an lors du pardon, de l'art contemporain : peintures, installations, sculptures ; dans la nef, sur les murs ou dans les jardins ou cloîtres. Comme en 2008 cette oeuvre de David Tremlett par exemple :
Inutile de vous dire qu'au début, les villageois (précision lexicale : ploucs en breton, appartenant au Plou (mutation en plo, plé, plu, etc... comme dans Plozévet, Plouguenast, Plougastel, Plumieux...) au village donc, n'étaient pas tous d'accord. Certains se demandant même ce que ces iroquois d'artistes "de Paris" (ou même pire, de Londres, Tokyo, Milan...) venaient faire dans LEURS chapelles inutilisées ! Sacrilège : de la peinture et de la sculpture passe encore, mais abstraites, qui ne représente rien, mais où allons-nous, mon bon monsieur ! Des énervés faisaient même disparaître les panneaux de signalisation des chapelles le long du parcours pour perdre les visiteurs. Depuis, ça s'est un peu arrangé, l'expo est un vrai succès et d'autres chapelles voudraient bien se raccorder au réseau !
Il faut en effet signaler que les chapelles étant dans la vallée du Blavet en Centre Bretagne, entre Pontivy, Pluméliau et Hennebont, dans la campagne entre les champs de maïs et les tunnels à poulets et à porcs avec trémie en bout de bâtiments, il faut un solide fléchage pour entreprendre le parcours de routes vicinales ! En effet, vous risquez le Wrong turn - détour mortel , rappelez vous ce film de 2003 où des vacanciers se trompent de route dans une forêt de Virginie et sont attaqués par des monstres dégénérés à moitié cannibales -je suis durablement influencée par les films d'épouvante que je vais voir en première séance à leur sortie- brrrr. (Bon, normalement après cette réflexion, dès parution de ce billet, on devrait me déposer des tas de fumier devant ma porte durant tout l'été, ça m'apprendra !).
Ca ne fait rien, je prend le risque. Donc, circuit rouge 2012, départ du presbytère Saint Nicodème :
Je vous ai sélectionné deux chapelles que j'aime bien (et qui se méritent car elles sont toutes deux au bout d'un raidillon descendant vers une rivière pour l'ermitage Saint Gildas, une grotte dans un lieu tellurique, un endroit chtonien, ou shinto si vous êtes japonaise, qui inspire tous les artistes qui y passent car c'est toujours réussi. J'ai photographié le détail frappant (une tête de goule, un ange naïf ?), car le bâtiment n'a rien de remarquable, hormis le fait d'être encastré sous un rocher en surplomb :
S'y expose en fond de grotte, dans le noir, une vidéo de Bertrand Gadenne où on voit un renard aller et venir sans fin sur un fond noir. C'est de la mise en scène (renard de refuge filmé sur une scène de théâtre devant un rideau noir, car capturer un renard sauvage pour faire cela est interdit par la loi) et c'est superbe !
Et deuxième chapelle après 500 mètres à pied à travers champs sur un raidillon à maïs et à vaches, Notre-Dame du Cloître à Quistinic,
où s'expose Mari Minato, artiste japonaise qui a installé en trois endroits sur les murs chaulés, ses peintures abstraites (elles seront détruites à la fin de l'expo) dont voici une :
Au retour, saluée par des génisses Frisonnes, encore appelées Prim'Holstein, célèbres productrices de lait, conceptuelles en diable elles aussi, je trouve :
très abstraites même, style all over et dripping à la Jackson Pollock ! Voire aplats noirs à la Soulages.
Évidemment, comme chaque année, je me suis perdue en revenant, les organisateurs étant incapables de me guider jusqu'au bout vers le retour au presbytère. Il m'ont plantée devant trois routes, fourche à trois dents d'égale importance ! Donc, je fais la gueule. J'aurais pourtant bien visité un deuxième circuit. Qui vivra verra.
Liens pour aller plus loin : L'Art dans les chapelles ; Leurs éditions d'art ; et l'expo Des œuvres qui voyagent au Palais de Justice / Parlement de Bretagne à Rennes si ça ne vous dérange pas de passer dans un portique détecteur de métaux pour entrer !