"La cité des hommes, jadis une enclave à l'intérieur du monde non-humain, se répand sur la totalité de la nature terrestre et usurpe sa place"
Hans Jonas - Philosophe -
Le principe de responsabilité.
Anthropocène :
La puissance humaine égale celle des temps
géologiques ; nous sommes devenus une force géophysique agissant sur la planète.
"
Les coffres forts de nos banques sont mieux protégés que l'Océan Austral qui est pourtant notre poumon principal".
"
Il existe parmi les hommes des barbares qui aiment verser le sang, des brutes qui assouvissent sur les bêtes un besoin de tuer. On ne peut plus l'autoriser. De tels actes relèvent du crime".
[les baleines] "
sont d'énormes mammifères qui mettent très longtemps à mourir".
"L'homme est une sale bête, et une bête sale".
"
Nos descendants nous maudiront".
"
Réveillerons-nous les défenseurs ? Il le faut. Sans quoi la Terre sera bientôt vide. Humains et non humains auront disparu. Car leurs sorts sont liés. Voilà ce que nous répétons à un système qui s'est emballé et fonce vers les dangers qu'il a programmés.
Toutes ces citations sont dans Le règne du vivant, roman d'Alice Ferney, Actes Sud Editeur. Des
activistes environnementaux sillonnent les mers australes et les glaces de l'Arctique où ils traquent, dans ces lieux de non droit, les voyous des mers et des océans équipés d'engins de guerre (harpons à têtes explosives, localisation par sonar et satellite géo-stationnaire), qui massacrent au nom de leur profit le plus immédiat, les requins, les poissons et les mammifères marins, même dans les sanctuaires et les réserves marines qui leur ont été concédés. Les gouvernements et leurs polices corrompues averties, arrêtent.... les militants écologistes. Bien que les noms ne soient pas les mêmes, il est difficile de ne pas reconnaître dans les héros de ce roman les militants de
Sea Shepherd et dans le héros principal, le capitaine Paul Watson, qui se mettent entre les prédateurs humains et les requins, les dauphins et les baleines, et après les sommations d'usage alertent les polices nationales qui n'interviennent pas. Équipages de bénévoles, cuisine exclusivement végane à bord, rôdés aux campagnes de guérillas marines et aux techniques de communication de masse, ils prennent tous les risques sans jamais se mettre hors la loi pour sauver les animaux marins et les océans du globe, alors que les gouvernements et les forces de l'ordre sont aux abonnés absents. C'est un beau roman magnifiquement écrit : lisez-le de toute urgence. La planète est en péril et nous n'en avons pas de rechange.
Voici le très beau texte du préambule, écrit par le journaliste norvégien Gérald Asmussen, principal témoin :
"Avant de m'asseoir pour consigner cette histoire, je l'ai
vécue. J'ai vu se lever l'activiste et croître sa
détermination. Que pourrais-je faire ? se demande un homme qui
contemple un désastre, et c'est le commencement des miracles.
J'ai suivi pareil homme, refoulé pareille colère, rêvé
pareil renouveau : j'apercevais le même désastre.
Avant de revenir dans la chambre de mon enfance, dans la maison de
ma mère, à K, j'ai vu le monde. J'ai couru les océans
sans loi, ces pâturages liquides pour lesquels je n'étais
pas fabriqué. Je ne m'y trompais pas, l'homme appartient à
la terre, les eaux vivantes n'ont pas besoin de lui. J'avais pourtant
besoin d'elles, comme on désire l'éternité au
lieu de la mort, le ciel au lieu de l'enfermement, et sentir au lieu
de penser.
J'ai réclamé les eaux profondes, j'ai respiré
leur haleine salée, scruté les ténèbres
de leurs nuits immenses. J'ai fréquenté l'esprit des
flots. J'ai appris leur géographie et leur langage. Les
courants et les vents ont livré pour moi leurs secrets : toute
la circulation du froid et du chaud entre les pôles et ce grand
foyer électrique qu'est l'équateur. J'ai imaginé
ces fondations du monde à travers les millions d'années
: leurs épilepsies, leurs accalmies, le long mariage de
l'océan primordial et de ses rivages. Tout avait commencé
là. Les mini-météorites, tombées de
l'espace dans ce bain originel, avaient apporté les acides
aminés, robots minuscules capables de se répliquer.
Parfois une erreur survenait : une nouvelle forme apparaissait. La
diversité était en route. Notre monde se composait,
fabuleux, inconcevable, à couper le souffle. J'ai bu sa
splendeur comme un cordial. J'ai reçu les frissons, les
inquiétudes, les ivresses, les joies. La haute mer surpasse la
terre dans les impressions qu'elle suscite. Peur, liberté,
émerveillement ont dans cet inhabité aussi peu de
limites que l'air, l'eau ou le temps. Je me suis abandonné aux
heures et aux lieux. J'ai atteint les confins de notre espace. J'ai
contemplé la beauté des mers circumpolaires où
vivent ceux des animaux qui aiment se tenir éloignés
des hommes. Je me suis éloigné avec eux, et aux
questions de ma raison j'ai ajouté les questions de ma
rêverie.
J'ai vu des murailles, des arcades, des fosses, des blocs de
brume, des jambages de nuées, des trombes, des cataractes.
J'ai contemplé des eaux turquoise et des couronnes de verdure,
des archipels volcaniques, des épaisseurs de neige, des
effondrements de parois, des réverbérations
miraculeuses, des labyrinthes et des châteaux de glace. J'ai vu
les veinures bleues dans les faces des grands icebergs, là où
l'eau s'apâlit autour de ce qu'elle couvre. J'ai deviné
l'étreinte mortelle de la banquise en hiver, j'ai senti sa
présence d'obstacle. J'ai connu la surprise des harmonies
australes, la lune jaune et l'océan comme de l'argent fondu,
le ciel rose comme une fleur de fuchsia.
J'ai écouté des souffles, des murmures, des
plaintes, des passages d'oiseaux, des sauts, des plongées, des
chants nuptiaux. Je me suis inscrit dans le mouvement fluide des
créatures de ces lieux. J'ai filmé des chevauchées,
des cabrioles, des caresses et des dévorations. J'ai envié
les iguanes marins réchauffant leur peau hérissée
à la chaleur des roches. J'ai applaudi la course des manchots,
noir et blanc comme des pies, semblables à des torpilles
vivantes dont les bonds surfilaient l'eau. J'ai fait silence, j'ai
retenu mon souffle à l'apparition des baleines. J'ai senti la
puissance du dauphin dans la valse éternelle de l'eau et la
densité de sa chair musculeuse sous le lustre gris de sa peau.
La vitesse faisait partie de lui comme la pensée faisait
partie de l'homme. J'étais un être cérébral.
Je me découvrais dans ce contrepoint. J'ai admiré ces
aptitudes que je ne possédais pas. J'ai rêvé des
cachalots qui remontent des profondeurs, verticaux comme des
plongeurs. J'écoutais le grincement de leurs dents. J'ai suivi
jusqu'à l'horizon le vol des pétrels et leur
hennissement m'a saisi. J'ai vu la vie habiter toutes les formes,
s'accomplir et se transmettre à travers elles, tenace,
résistante, sauvage, et mourir les individus qui
l'enfermaient.
J'ai cherché les grands poissons, les mérous géants,
les espadons, les requins monstrueux. Ils avaient disparu. J'ai
regardé la mer intouchée et la mer épuisée.
Au cœur du Pacifique, dans le nœud de ses courants vers le nord,
j'ai filmé la grande décharge du monde : sur trente
mètres de profondeur un continent de plastique, sacs, bidons,
bouteilles, de toutes les marques, dans toutes les langues et de
toutes les couleurs. Jusque dans ses espaces inatteignables, le globe
terrestre devenait l'égout des hommes. J'ai recherché
le vide et le silence, je fuyais ce monde en croissance. J'ai pisté
ses destructeurs. J'ai traversé les sanctuaires et poursuivi
les braconniers. J'ai vu la violence de l'homme industriel se jeter
sur la richesse des mers, ses mains de fer mettre à mort les
plus gros, les plus rapides, les plus formidables prédateurs.
J'ai vu les grands chaluts ramasser en aveugle une faune inconnue.
J'ai su de quoi les humains sont capables. J'ai redouté ce
qu'ils font quand ils se savent invisibles, en haute mer, sur la
banquise, dans le face-à-face sans mot avec les bêtes à
leur merci. J'ai combattu l'horreur : les tueries, les mutilations,
les dépeçages, l'entassement des cadavres. J'ai vu
mourir noyées dans leur sang des baleines qui criaient comme
des femmes. On nous disait qu'elles n'avaient ni âme ni
langage. Leur conscience d'elles-mêmes traversait l'onde et
vrillait mes oreilles. Ces proies inoffensives et tendres, je ne
doutais pas qu'elles eussent une intériorité. Je connus
leur valeur et leur fragilité. Nous leur devions une
protection. Loin sur l'eau, dans les immensités sans côtes
ni havres, à écouter la voix du vent, à regarder
le lent gonflement des vagues, ou bien la mer couchée que la
tempête met debout, je me suis senti à la fois
insignifiant et responsable. Quel usage faisions-nous du monde ? La
question s'est levée comme une vague qui m'a submergé.
Avant de consigner par écrit cette histoire, je l'ai
filmée, close et tragique : les patiences et les attentes, les
longs appareillages, la peine et l'ennui, la quête et le
découragement, la bataille et la victoire, le danger, la peur
et la chute. Je suis peut-être le témoin d'un meurtre.
Je détiens des images. Les polices du monde austral me
recherchent-elles ? La grande mafia d'Asie me traque-t-elle ? Je suis
dans la maison de ma mère à K. Côtes de Norvège.
Qui viendrait me chercher là ? Je suis le petit-fils d'un
fameux harponneur. Je porte son nom et le même prénom.
Quel meilleur camouflage ? J'attends celui qui me trouverait.
L'énergie du combat ne doit pas s'éteindre. J'ai
conservé tant de tristesse. Ma mémoire obstinée
est émue. Je voudrais ne rien oublier. Je pense à ce
qui s'est passé. Qu'y a-t-il de différent à
l'écrire ? Je serai dans mes phrases, je choisirai chaque mot,
tandis que les films ne capturent que le fait visible et le présent.
Je remonterai le cours des choses, je révélerai les
corruptions, les infamies. J'éclairerai la prédation du
monde, l'arrogance et la cruauté des hommes, leur insatiable
cupidité. La mer est trop magnanime. Que fait-elle ? Me
suis-je souvent demandé. Pourquoi les vagues ne se
cabrent-elles pas ? Pourquoi n'envoient-elles pas par le fond tous
les navires hors la loi qui la violent ? Nous avons poursuivi les
chasseurs pirates, les tueurs, ces bandits qui rejetaient vivants les
requins mutilés, les tortues asphyxiées par les filets,
les oiseaux aux ailes brisées. Ils nous ont envoyé
leurs sbires. Au moment de commencer ce récit, épopée
d'un homme convaincu, je n'aurai pas la pudeur de l'océan qui
engloutit les crimes, je ne serai pas l'eau dans laquelle se disperse
le sang versé. Je ferai appel à tout mon mauvais
caractère".
Gérald Asmussen, caméraman à bord de
l'
Arrowhead, septième campagne antarctique."
Opération ICEFISH, la campagne 2014-2015 expliquée par le Capitaine Peter Hammarstedt pour Sea Shepherd. Sous-titres en français.
Liens :
Comment les lobbies ont gagné sur le dossier de la pêche en eaux profondes
La BD de Pénélope Bagieu pour
BLOOM Association
Le plaidoyer écologique d'Alice Ferney dans Sud-Ouest
Le dossier du Dauphiné Libéré sur la CBI -Commission Baleinière Internationale.