mardi 23 avril 2019

Pipeline vers nulle part

Un défit amusant, Mesdames : tentez de vous présenter au travail dans ce type d'accoutrement, juste pour voir.
(Photo de Jack Dorsey, créateur de Twitter ;)

Vous allez vite vous rendre compte que les mecs dans les entreprises sont frappés d'extra-territorialité, depuis Bill Gates qui travaillait, pas douché, dans son garage, -c'est en tous cas ce que dit la légende- et Zuckerberg qui arrivait aux cours -quand il y allait- à la fac en robe de chambre, chaussettes blanches dans des sandales. L'important est que la légende urbaine du geek méritant, travaillant pas lavé dans son garage, en se nourrissant (mal) de pizzas graisseuses ou de pommes, se transmette et occulte la prosaïque réalité : en fait, ils sont tous diplômés du MIT ou de Harvard, et ils sont cooptés avant la fin de leurs études par des entreprises prestigieuses qui étalent ainsi leurs mafias, boys clubs, et autres fraternités masculines tout en se battant les flancs "parce que femmes refuseraient de venir" se joindre à ces pourtant tellement conviviales boîtes de mecs !

Donc, pour montrer comment ça marche au cœur de cette industrie, je vous propose, pour ce nouveau billet, la traduction de quelques pages de Technically wrong par Sara Wachter-Boettcher, consultante en technologies web. Elle est, de ce fait, stratégiquement placée au cœur de ces entreprises de technologies sexistes et toxiques.

" Évidemment que les industries de technologie ont des problèmes de pipeline : les universités diplôment relativement peu de femmes en études d'informatique, et encore moins d'étudiants noirs et hispaniques. Par exemple, les chiffres les plus récents rapportés par la National Science Foundation (NSF) pour 2014, donnent 18 % de femmes ayant obtenu une licence d'informatique. Ce qui est intéressant au sujet de ces chiffres de la NSF, c'est qu'en comparant les statistiques à travers le temps, on voit qu'en réalité les femmes obtiennent moins de diplômes en informatique, rien de plus.

Originellement la programmation informatique était catégorisée "travail de femmes", puisqu'elle était agrégée à des compétences administratives comme la frappe sous la dictée (en réalité durant la seconde guerre mondiale le mot ordinateur/trice était associé, non pas aux machines, mais aux femmes qui les utilisaient pour calculer des données). Tandis que de plus en plus d'universités commençaient dans les années 60 à proposer de plus en plus de formations diplômantes en science informatique, les femmes se précipitèrent sur ces études  : 11 % des majors sortant de ces écoles d'informatique en 1967 étaient des femmes. En 1984, elles étaient 37 %. A partir de 1985, ce pourcentage tomba chaque année jusqu'en 2007, où il se stabilisa à 18 % jusqu'à 2014.

La bascule coïncide parfaitement avec l'avènement de l'ordinateur personnel (PC) dont le marketing cibla exclusivement les hommes et les  garçons. Nous entendîmes alors sans cesse des histoires à propos des Steve Jobs, Bill Gates, Paul Allen -bricoleurs de garages, génies masculins, geeks. Les compagnies d'informatique aussitôt suivies des entreprises de l'Internet, toutes mettaient en avant, à la barre, des hommes, soutenus par des armées de techniciens qui leur ressemblaient.

Et pendant le même temps, les femmes arrêtèrent d'étudier les sciences informatiques, alors même que plus que jamais les femmes accédaient aux études universitaires. Je ne prétends pas savoir de façon précise les raisons de ce basculement, mais si des gens ne peuvent s'imaginer travaillant dans un champ de connaissances, alors ils ne l'étudieront pas. Et c'est très difficile de se projeter dans une profession où personne ne vous ressemble *. C'est aussi pourquoi il est critique que des compagnies de technologies, non seulement recrutent un staff diversifié, mais aussi qu'elles travaillent aussi très dur pour le garder. Car à moins que la tech ne puisse montrer des gens, toutes sortes de gens, réussissant dans sa culture, les femmes et les groupes sous-représentés continueront à réussir ailleurs, dans des endroits où ils pourront s'imaginer en harmonie avec leur lieu de travail. En d'autres mots, accusez le pipeline autant que vous voulez, mais les gens différents ne sauteront pas dedans les yeux fermés avant d'être sûr-es que c'est pour eux un endroit où ils seront en sécurité quand ils l'intègreront, peu importe le nombre de filles noires que vous enverrez en code camp !

Aujourd'hui, cependant, les compagnies de technologie font de gros efforts pour retenir les femmes et les minorités sous-représentées qu'elles arrivent à recruter. En 2008, une étude qui incluait des milliers de femmes travaillant dans le secteur privé en sciences, ingénierie et technologie (SET, qui rassemble un large panel de métiers pas seulement de l'Internet ou du développement logiciel), les chercheurs trouvèrent que plus de la moitié des femmes quittent leurs emplois "à cause d'environnements hostiles ou à cause une pression extrême au travail'. Un autre observe que près d'un tiers des femmes dans ces positions techniques et scientifiques, se sentent entravées dans leur carrière, et pour les femmes noires, ce chiffre peut atteindre 50 %.

Vous pouvez tenter de prétendre que cette diminution est due à des femmes qui partent pour s'occuper de leur famille. Sûrement pas. Seulement 20 % de celles qui quittent ces postes techniques et scientifiques quittent définitivement l'emploi salarié. Le reste (80%) soit emporte ses compétences vers un autre secteur industriel (dans une association ou dans l'enseignement, disons), ou elles évoluent vers des positions non techniques.

Les professionnels appellent le phénomène "le seau percé" : il se produit quand les femmes et les groupes sous-représentés s'en vont parce qu'illes en ont assez de cultures d'entreprises biaisées où illes ne peuvent pas progresser. Aucun pipeline au monde ne peut compenser cette fuite hors des compagnies technologiques. Cate Huston, chef de service chez Automaticc (la compagnie derrière Wordpress) et proéminente programmeuse, va jusqu'à assumer qu'elle a envisagé cette direction elle-même, et elle dit que ses collègues font pareil :

- " nous en plaisantons mes autres collègues femmes et moi, de ce que nous ferons quand nous partirons. Devenir avocate. Retourner aux études. Produire un acte de disparition, me dit une amie, me laissant seule expliquer le chaos qu'elle laissera derrière elle. Je lui réponds : sauf si je pars la première."

Ainsi le cycle se reproduit-il : la tech renvoie un autre round de communiqués de presse détaillant les maigres améliorations de la diversité et appelant à des programmes supplémentaires d'enseignement de code à des bacheliers, pendant qu'une autre génération de femmes et de gens issus de la diversité essaient de gagner davantage de visibilité et de valeur dans une industrie qui veut afficher des chiffres, mais qui ne veut en aucun cas bouleverser sa culture pour gagner, garder et intégrer des gens de la diversité. "

oOo

Ce qui est écrit dans ce texte est validé par ce qu'on voit des différentes tentatives en France des écoles telles 42, Epitech et d'autres, qui mettent en avant des associations de filles, à bureau et présidents garçons, puisqu'il n'ont pas de filles ou pas assez- tentatives de donner le change sans modifier d'un iota une culture faite de présentéisme, de "piscines" d'inspiration militaire, de jours d'intégration -l'autre nom du bizutage, de boys'clubs, de fraternités masculines toxiques, où jamais des filles n'iront, hormis quelques-unes, des femmes qu'ils mettront en avant pour montrer qu'ils ne sont pas sectaires/sexistes, femmes condamnées à servir de paravent à une culture inhospitalière de la virilité. Enfin, pourquoi ce serait aux femmes et aux gens issus de la diversité de s'adapter aux boîtes masculines et pas l'inverse ? Ils ne peuvent même pas utiliser l'excuse d'avoir été là en premier, puisque c'est faux, les boulots de défrichages fastidieux sont généralement confiés aux femmes ; en réalité, ils nous en ont évincées pour s'installer et prendre toute la place.

Le mythe du garage, la légende urbaine geek : en fait de mec qui bricole tout seul dans son garage, en mangeant gras et en ne dormant pas, c'est pipeau. Ils sont en majorité diplômés du MIT ou de Harvard et ils sont recrutés sur une appartenance (la plus prisée, le genre masculin) d'où le nécessaire mythe du garage pour donner le change.

Notez aussi que chez Google, une femme ne va pas pisser seule : elle est obligatoirement accompagnée aux toilettes, son accompagnant attend devant la porte qu'elle ait terminé, ce qui en dit long sur les rapports de bienveillance, et la confiance qu'entretient cette compagnie avec le sexe féminin.


" Le travail intellectuel des femmes fut à l'origine des technologies de l'information, les femmes ont élevé les opérations rudimentaires des machines en art appelé programmation. Elles ont donné le langage aux machines. Elles ont transformé des systèmes informatiques bruts en services publics, montrant comment des produits industriels pouvaient être mis au service des gens si l'intention y était. Quand l'Internet était encore un assortiment d'hôtes sans règles, elles construisirent des protocoles pour diriger le flot du trafic et le faire croître. Avant que le World Wide Web arrive dans nos vies quotidiennes, des femmes ingénieures et scientifiques créèrent des systèmes pour transformer de vastes banques de données digitales brutes en connaissance ; nous avons transformé des stocks de données primaires en pure simplicité. Les femmes ont bâti les empires de l'ère des dot-com, elles furent parmi les premières à établir et faire prospérer des communautés virtuelles. Les leçons qu'elles ont apprises ce faisant pourraient nous servir aujourd'hui, si seulement nous écoutions. "

Broadband - The untold story of the women who made the Internet
Introduction
Claire L Evans

* Ca marche dans les deux sens : pas mal de femmes ne se sentiront pas à l'aise dans un univers strictement masculin mais, et là, je fais appel à mes souvenirs de candidate à des postes commerciaux dans des entreprises d'informatique et de technologies : je sentais bien aussi que des mecs dirigeants de boîtes de mecs ne se voyaient pas engager une femme pour leur services commerciaux, aussi attractif qu'eût été son CV ! Ce fut mon expérience de candidate ou de commerciale dans des univers masculins. Les candidatures de femmes sont ainsi bel et bien rejetées des procédures de recrutement.

vendredi 12 avril 2019

Soyons intersectionnelles avec les femmes battues

Je tombe sur ce thread (fil) de tweets il y a quelques jours :


Dans ce fil Chokodoc (à dérouler en cliquant dessus), l'homme (MonMec) est présenté comme le sauveur : on s'en sort bien parce qu'on peut l'appeler au téléphone et qu'il rapplique aussi sec. Sauf que 1) tout le monde n'a pas le dispositif MonMec, ou encore quand on en a besoin, MonMec n'est pas là, immédiatement disponible sous la main ; 2) le sauveur, dans pas mal de cas, peut se révéler être l'agresseur, c'est le cas pour les femmes battues : MonMec devient l'agresseur. Janus : sauveur ET agresseur, la double face du conjugo. Cela peut se révéler être un piège redoutable.

Et c'est un problème. C'est quoi l'intersectionnalité ? Pour Osez le féminisme, et d'autres, l'intersectionnalité s'applique aux femmes noires et autres "racisées" qui, c'est vrai sont doublement discriminées et maltraitées : une fois parce que femme, une deuxième fois parce que femmes noires. Elles peuvent même être victimes, troisième peine, du sexisme des hommes noirs, le sexisme n'étant pas réservé aux blancs, pas plus que le racisme d'ailleurs. Intersectionnalité : étude sociale et reconnaissance des hiérarchies d'oppression. Le problème survient lorsqu'elle est utilisée politiquement, qu'elle fragmente les luttes, ce qui accessoirement sert le système patriarcal qui se frotte les mains, permet le différentialisme culturel (on ne va pas accuser les grands frères d'être sexistes, ils sont victimes du racisme et du post-colonialisme, du coup on leur pardonne leur sexisme, condescendance absolue), qu'elle lui sert d'alibi politique, niant l'universalisme du statut d'inférieures sociales des femmes, de toute la classe sociale femmes. Exemple, ne parlons pas du sexisme des hommes noirs, ce ne serait pas politiquement correct.

Les femmes battues donc. Un marché de la subvention et de l'influence, une bonne opération pour les politiques. Au départ, comme la Fondation Abbé Pierre, les Restaus du Coeur, USAID, ou Médecins du monde, la Banque Alimentaire..., c'est une bonne idée charitable, qui permet de soulager la misère d'autrui par la solidarité. Mais c'est aussi une défausse de sociétés inégalitaires sur des "charities" comme disent les anglais : la charité c'est une vertu religieuse ; la justice sociale, c'est ce qu'organise par l'impôt et la répartition, la sécurité de toustes, une société démocratique. On n'est plus sur le même sujet.

Ces associations se nourrissent de dons privés en argent et en stocks de marchandises, et de subventions publiques ; elles grossissent, font donc du chiffre d'affaires (dons, distribution, bilans aux donateurs et bénéficiaires...) et, comme toute organisation humaine, elle ont intérêt à grossir, prospérer et persévérer dans leur être. Au bout d'un (long) moment, on se demande qui a commencé : de la poule ou de l’œuf, de la misère qui ne faiblit pas, avec toujours plus de bénéficiaires, ou des concerts de plus en plus lucratifs, salles remplies, records de ventes de billets ; regardez le Telethon : ils font concours d'une année sur l'autre, si une année est moins bonne que la précédente, c'est vécu comme un échec ! Trente ans après, ils en sont au même point : il leur faut toujours plus d'argent,  pour quel résultat au final ?

Une défausse des pouvoirs publics : la recherche dans le cas du Telethon est normalement un des buts de l'université ; la justice sociale est habituellement assurée par les filets sociaux (allocs, sécurité sociale, retraite). Les femmes battues sont un échec de la sécurité publique. Un mec qui cogne sa femme est un délinquant dont il convient de protéger la société qui doit l'empêcher de nuire, mission régalienne de l'état via la police et la justice. Mais tout se passe comme si une femme, et souvent des enfants, sont, chez eux, dans une sorte d'extra-territorialité comme si le privé n'était pas politique. Aussi, on a les associations de défense des femmes : généralement subventionnées (mairies, régions, Europe, état), on peut même dire qu'elles sont financées par le patriarcat vu le nombre de mecs à la tête de ces instances gouvernementales. Avec pas mal d'effets pervers : vous voulez un renouvellement annuel de vos subventions Mesdames, soyez gentilles et tenez-vous correctement ; je l'ai vécu, j'ai bossé bénévolement dans une association féministe pendant 4 ans, j'étais de toutes les réunions, inaugurations et buffets bien carnés des financeurs dont nous sortions l'estomac dans les talons, et accessoirement des sessions qu'on nous organisait avec des patrons du Bâtiment pour tenter de les convaincre de recruter des femmes. Jusqu'au jour où j'ai répondu à un qui nous disait "Et puis des femmes sur des chantiers boueux, aussi !", que quand nos grands-mères ont remplacé les mecs partis à la guerre à tous les postes laissés vacants par les hommes, quand ces derniers sont rentrés, ils ne leur ont pas demandé si leurs manucures avaient tenu le coup ? Coup de froid sibérien. L'adjointe au droits des femmes était dans la salle, elle l'a mal pris, on se demande pourquoi puisqu'ils étaient là pour ça, et moi aussi ! Bref, elle est allée voir la fondatrice et lui a demandé "C'est qui cette femme" (SIC), une journaliste ? J'avais un bloc-note, c'est pour ça, les journalistes ont des bloc-notes. Ça n'a pas traîné, on m'a rappelée à l'ordre et fait comprendre que les mecs, c'est fragile, qu'on ne les traite pas comme ça ! Inutile d'argumenter que le patron en question était venu boire une flute et discuter avec moi après, et qu'on s'était quittés en se serrant la louche ; en sous-texte, Karine la patronne a dû comprendre que sa subvention municipale était dans la balance, je suis donc partie.

Voilà où conduit l'addiction aux subventions. Soumission totale au financeur qui a droit de vie ou de mort sur votre association, les femmes en gardiennes du temple. Et puis ça fonctionne comme précédemment décrit : il y a des femmes battues, il faut donc des assistantes sociales, des refuges, du personnel pour tenir tout ça, ça crée des emplois associatifs en bénévolat ou très mal payés, qu'on espère efficaces : c'est une sorte de business de la misère qui devient pérenne. Les concours d'influence font aussi rage sur les réseaux sociaux à voir tous les comptes cause unique, ligne unique qui s'y tirent la bourre. Faire de la prévention ? On est bien trop occupées par le curatif et le curatif fait du chiffre. C'est toujours le même calcul : une bonne guerre relance le bâtiment, la prévention de la guerre ne rapporte rien aux PIB marchands.

Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas s'occuper des femmes victimes de conjoints violents, évidemment qu'il faut le faire, mais c'est aux pouvoirs publics de le faire avec de vrais emplois ; il faut d'ailleurs former la police et la justice à les recevoir toutes et à les écouter avec bienveillance.

Il est aussi temps de faire de la prévention, de dire aux filles que le mariage n'est pas une assurance : il ne garantit rien, ni le bonheur, ni la sécurité, il n'est ni une assurance vie ni une assurance santé. Au contraire, quand vous êtes ferrée, bien ligotée par les signatures devant le maire et le curé, les témoins, la famille, les amis, c'est à ce moment, en général, qu'il y a un fort risque que les violences commencent ; si elles ne commencent pas à ce moment-là, c'est que le violent attend que la femme soit enceinte, ce double verrou de sécurité pour lui. Le mariage est une institution patriarcale faite pour le plus grand bénéfice des hommes, les femmes seront perdantes de toutes façons sur les corvées non rémunérées et non reconnues par la société, alors que le conjoint attend bien ces services de son épouse, c'est implicite dans le contrat, une clause tacite non écrite. Je ne crois pas non plus que le mariage émancipe, il institue au contraire une dépendance, surtout des femmes : dépendance affective, psychologique, économique, régression de leur carrière alors que celle du mari décolle : il se stabilise, tandis que Madame se déstabilise, elle. Je sais qu'il y a toutes sortes de mariages : j'ai une connaissance qui s'est mariée tardivement pour l'avantage fiscal, elle n'est jamais chez elle la semaine car elle travaille comme commerciale en grand déplacement, elle est engagée en militantisme, ce qui signifie des week-ends et des soirées prises, il n'y a pas d'enfant en commun, c'est évidemment plus un arrangement social qu'une névrose amoureuse type "je l'ai dans la peau", ce qui ne veut pas dire qu'ils ne tiennent pas l'un à l'autre évidemment.

Pourquoi les associations féministes révèrent-elles tant ces vaches sacrées que sont le mariage et la maternité ? Pourquoi ne feraient-elles pas de la formation à la résistance à la pression sociale ? On dirait que pour celles-ci, dire du mal des institutions mariage et maternité est un tabou : on déplore le sort des femmes mais on ne met pas en garde, on ne dissuade pas. Pire même, on s'y épuise à revendiquer une parité inaccessible, on réinvente et affadit des concepts déjà mis en évidence sous d'autres mots, à d'autres époques ! Il était inutile d'inventer charge mentale, Christine Delphy avait déjà, en 1990, parfaitement décrit le phénomène sous les mots bien plus percutants de "double journée pour un demi-salaire" -et au final une demi-retraite ! Quelle perte de temps.

Nous ne sommes déjà pas aidées par la société, ni la par pop culture qui poussent au conjugo en le présentant comme le nec plus ultra ; les nombreuses humoristes femmes dans leurs stand up font rire en disant qu'elles ont "40 ans et pas de mec", présenté comme un échec patent (what the fuck ?) ; imaginez l'inverse, un comique homme faisant un spectacle "40 ans et pas de femme" ? Non, l'obligation du conjugo ne pèse que sur les femmes, c'est une fabrication sociale, et elle est dangereuse quand on voit les dégâts qu'elle cause. Il n'y a pas de voie royale, toutes les expériences sont bonnes à tenter. A condition surtout qu'elles soient libératrices, de les vivre en autonomie sans devoir sa vie et son destin à quelqu'un d'autre.

Il y a toutes sortes d'alternatives au mariage en fonction de ce que l'on souhaite obtenir en terme de solidarités : colocation, PACS, communautés de femmes -expérimentées par les féministes des années 70, mais on dirait que chaque époque se doit d'inventer ce qui l'a déjà été, et que nous ayons une mémoire d'amibe. Il est aussi temps de rappeler que vivre seule ne signifie pas qu'on est atteinte d'une maladie contagieuse incurable. Il est temps que les femmes qui vivent seules et qui en sont contentes sortent du placard pour dire et proclamer qu'elles sont très épanouies et qu'elles ne renonceraient à leur autonomie pour rien au monde. Arrêtez la pression sur votre entourage si vous êtes mariée, ne cédez pas à la pression sociale, arrêtez la propagation des légendes patriarcales : on peut vivre une vie pleine sans mariage et sans enfants, on peut vivre plusieurs amours sans se posséder l'un l'autre par contrat, on peut tout vivre. Il n'y a pas de normalité, il n'y a que des conventions sociales, grégaires, normalisantes.

Il faut rappeler avec Andrea Dworkin encore et toujours que :
" Le féminisme est la reconnaissance que chaque être humain vit une vie séparée dans un corps séparé, et meurt seul... c'est la plus simple idée révolutionnaire jamais conçue, et la plus méprisée ".



Dessin de Chaval (Yvan Le Borgne) - Caricaturiste et cartooniste - 1915-1968

Lien supplémentaire : Les femmes et les enfant d'abord ? Le mythe de l'homme protecteur ne résiste pas à l'analyse