samedi 9 décembre 2023

La revanche des autrices - Enquête sur l'invisibilisation des femmes en littérature

Par Julien Marsay, agrégé de lettres modernes, administrateur du compte Twitter Autrices Invisibilisées. 


" Il vaut mieux être ma femme qu'un écrivain de second ordre. " 
André Malraux, à propos de sa femme Clara, écrivaine à l'oeuvre importante, et traductrice en français de Une chambre à soi de Virginia Woolf, une pas-grand-chose selon son glorieux mari.   

Elles s'appellent Héloïse, Louise, Christine, Marie-Madeleine, Aurore, Sidonie, Germaine, Louise encore, Marie, Marguerite, Madeleine, Olympe, Antoinette. Elles ont écrit des poèmes, des manifestes, inventé le roman moderne, publié de leur vivant des best-sellers comme on ne disait pas de leur temps, été rééditées tellement leurs oeuvres avaient de succès, cartonnaient dirait-on aujourd'hui, certaines étaient même traduites en plusieurs langues. Elles sont veuves, célibataires ou divorcées, elles cherchent à s'émanciper des tutelles masculines qui subordonnent les femmes, et elles vivent de leur plume comme les hommes. Qu'à cela ne tienne, à part quelques incontournables qui surnagent, la postérité a oublié leur nom. Bien aidée, la postérité, par le torpillage masculin de leur talent et de leur héritage. Selon plusieurs techniques et coups bas, comme ils savent en commettre.

La moquerie d'abord : "Précieuses (ridicules)", "femmes savantes" (Molière), ou "bluestockings" (les anglais), traduit par bas-bleus en français, les qualificatifs ridicules et péjoratifs ne manquent pas pour moquer les autrices.
L'omission dans les anthologies et les académies qui attribuent des prix littéraires, composées par de savants littérateurs se piquant de différencier le bon du mauvais goût, le génie du médiocre, le bon grain de l'ivraie, est le premier stade de l'effacement, le génie étant apanage masculin, avec en second l'attribution de l'oeuvre d'une femme à un homme. Comme si une anthologie n'était pas subjective, et le bon goût, juste le (mauvais ?) goût que quelqu'un (et d'une époque) qui se pousse du col et distribue des médailles. Les autrices femmes ont été systématiquement écartées des anthologies et des manuels scolaires, tous écrits par des hommes, bien sûr. Le Lagarde et Michard qu'on ne présente plus, en prend pour son grade. Que dire de l'Académie Française, ce bastion resté longtemps hostile à la pénétration des autrices ? Même pensum du côté des Prix littéraires dont les récompenses vont toujours majoritairement aux auteurs hommes quand bien même la production de littérature serait devenue paritaire, ainsi que l'élection du public lecteur. A tel point que le Prix Femina (jury féminin, attribuant ses prix indifféremment à l'un ou l'autre sexe) est créé en 1904 pour contrebalancer le prestigieux mais misogyne Goncourt, sélectionnant et récompensant toujours des hommes. 

Echappent au sort commun Louise Labé, Marie-Madeleine Pioche Lavergne dite Madame de Lafayette du nom de son époux, Sidonie-Gabrielle Colette (dont l'oeuvre était usurpée par son mari Willy, seul signataire, à ses débuts), Olympe de Gouges et George Sand née Aurore Dupin, qui choisit, elle, de publier sous un pseudonyme à prénom d'homme, autre façon de s'effacer en tant qu'autrice, de s'auto-invisibiliser, l'environnement étant supposé à raison défavorable. Elles sont toutes désormais consacrées dans et par les programmes scolaires. Ne pas signer ses oeuvres est un autre moyen de s'auto-annuler. Les autrices signaient peu leurs oeuvres, hélas. Il est ainsi plus facile de les attribuer à un mâle de leur entourage, au motif qu'il est impensable qu'une femme puisse produire de tels chefs-d'oeuvre. Ainsi se moque la postérité. 

Le musellement, l'étouffement, sous le qualificatif de "muse de" est aussi une autre bonne façon de faire taire l'artiste ou l'autrice. Une muse se contente d'inspirer, elle ne dit rien, ne produit rien. Or, la plupart de celles qu'on nous présente aujourd'hui comme "muses" ont leur production d'oeuvres en propre. Marie de Gournay, éditrice de Montaigne et écrivaine elle-même, illustre bien ce statut. Epouse de, sœur de, amante de, combien d'autrices ont-elles subi le sort de l'effacement, du pillage de leurs oeuvres par un homme, cancelisées, annulées, leur auctorialité déniée. L'ouvrage regorge d'exemples de femmes plagiées, dépouillées de leur statut d'autrice au profit d'hommes de leur entourage. 

L'autodafé est aussi un efficace moyen d'effacer une autrice : la correspondance de Flaubert avec Louise Colet, autrice prolifique du XIXè siècle de récits de voyage, de romans autofictionnels, de manifestes protestataires et féministes, reconnue, éditée, mieux, traduite, n'est constituée que des lettres de Flaubert à Louise, les lettres de  Louise ayant été brûlées un soir par Gustave Flaubert lui-même, avec l'aide de Maupassant, Gustave ne voulant pas laisser à la postérité une 'correspondance trop intime', vu que Louise était accessoirement son amante. Notez qu'il ne vient pas à l'idée de Gustave de brûler ses propres lettres au nom de la préservation de son intimité ! L'enfer des femmes est pavé des bonnes intentions, ou des intentions hypocrites des hommes. La misogynie de l'époque fait le reste. Pour des ressources sur Louise Colet : lien vers Louise, fière de lettres, sur le site numérique de la BNF

La postérité des autrices.
Grâce au travail d'exhumation des féministes, qui n'hésitent d'ailleurs pas à retourner le stigmate (bas-bleu par exemple, ou pétroleuses, qu'elles s'attribuent à elles-mêmes), grâce au cinéma, à ses metteuses en scène et scénaristes, grâce aux femmes autrices qui leur consacrent des biographies, grâce aux réseaux numériques sociaux et leur hashtags #herstory, #womensart, autrices invisibilisées, compte Twitter administré par Julien Marsay, Les Sans Pages pour Wikipedia, cette encyclopédie numérique à la testostérone, bien d'autres ; grâce également à des sites internet spécialisés, elles sortent de l'ombre et prennent leur revanche. Et grâce à ce louable livre-enquête, écrit par Julien Marsay, professeur de lettres modernes, voulu pour donner des outils et des ressources aux professeur-es de littérature et de philosophie. N'hésitez pas à vous en emparer, à vous en inspirer si vous êtes professeure, il est bourré de ressources, enrichi de longues citations des autrices évoquées, et sa lecture fait du bien. 

Au vu de tout ce qui précède, je me permets quelques conseils si vous avez un projet d'écriture ou d'oeuvre artistique :

Si vous tenez à vous marier, ne faites pas comme Clara Malraux (qui était riche et André, non, lequel a d'ailleurs profité du mariage pour dilapider la fortune de sa femme). Optez pour le contrat de mariage qui préserve vos avoirs personnels, même modestes, présents et à venir. Vous n'êtes pas à l'abri du succès. Et au contraire de Clara Goldschmidt / Malraux, gardez impérativement votre nom, même (surtout) si votre mari est lui aussi artiste ou auteur. 
Signez vos oeuvres. On apprend à la lecture du livre que les femmes signaient peu leurs oeuvres, même Madame de la Fayette ne signait pas. 
Revendiquez votre signature et poursuivez tous les plagiats et toutes les contrefaçons. On ne vient pas se servir dans votre production, c'est odieux. Vous pouvez aussi publier sous pseudonyme, ainsi pas de confusion possible avec André ou Jean-Michel, auteur lui aussi, si vous portez son nom. Se faire un prénom est déjà difficile pour un homme, alors pour une femme, c'est quasi mission impossible.
Défendez votre personnalité indépendante et votre oeuvre, vous avez la valeur que les éditeurs et votre public vous reconnaissent, pas celle de femme de, fille de, mère de, maîtresse de, muse de. 
Si vous avez des enfants, défendez pied à pied votre espace : le bureau où maman travaille, à la porte duquel on frappe avant d'entrer, et où d'ailleurs, comme dans le "bureau de papa" on ne rentre de préférence pas. Sauf s'il y a le feu, et encore ! 
D'ailleurs, voici un modèle d'indépendance qui peut inspirer : Siri Ustvedt. Presque personne ne sait que Paul Auster et elle forment un couple à la ville, et vivent ensemble à Brooklyn, mais dans des espaces séparés, jalouse qu'elle est de son indépendance et de son oeuvre traduite en seize langues. J'ai chroniqué sur ce blog Un monde flamboyant, son chef d'oeuvre, sur le sujet artiste et femme de, mère de, artiste invisibilisée et annulée. 

A vos plumes. Exprimez-vous, défendez vos idées et vos oeuvres, en mémoire de toutes ces femmes autrices inspirantes. 

vendredi 24 novembre 2023

Le nouvel ordre capillaire mondial, mâle bien sûr

Peroxydé chez deux d'entre eux, cheveux rabattus vers l'avant ou vers l'arrière, ou brun noir en moumoute choucroutée, le nouvel ordre capillaire mondial, mâle comme il se doit, est en cours d'apparition. 

Le pionnier Donald Trump, 45è Président des Etats-Unis, couleur orange, est ex-putchiste en cours d'investigation. Déjà candidat à sa succession en 2024 malgré les juges qu'il a aux basques, mais la justice va moins vite que lui. La crapulerie paie, pourquoi se priver ? Exploit juridique sous son mandat : l'annulation de l'amendement de Roe vs Wade, autorisant l'avortement au  niveau fédéral aux USA, en 1973. Une grave atteinte aux droits des femmes. Sans compter son statut établi d'agresseur sexuel. 


Ses deux imitations : Javier Milei, nouvellement élu Président populiste d'extrême-droite de l'Argentine, pays en cours de naufrage. Signes distinctifs : moumoute choucroute brune et tronçonneuse, comme dans massacre à la tronçonneuse. Programme : faire couler le navire une bonne fois, pour en reconstruire un autre, tant pis pour les passagers, il n'y aura pas de canots de sauvetage pour tout le monde. Et supprimer le droit à l'avortement pour les femmes, droit récemment acquis, déjà contesté. Il faudra m'expliquer longtemps comment on redresse un pays en renvoyant les femmes à la reproduction, alors que déjà il n'arrive pas à nourrir et faire vivre décemment ceux déjà là, mais les voies des saigneurs patriarcaux sont impénétrables. Et clairement, l'imagination est au pouvoir. Voter pour des gangsters is the new trend, la mentalité d'esclave, le goût pour le Père Fouettard font le reste.


Anti-Européen, partisan d'un référendum pour tenter un "Nexit" (Netherlands Exit), anti-immigration, le parti de Geert Wilders arrive en tête aux législatives aux Pays-Bas. Droite dure, mais à tendance sociale à la Le Pen en France, ce qui lui vaut le sobriquet de "Geert Milders" (mild, doux en anglais alors que Wild toujours en anglais, veut dire sauvage). Je ne parierai pas dessus. Pas d'immigration en Europe veut dire retour des femmes au foyer, et fortes incitations à produire du Hollandais chair à usines. Minimisant le danger climatique et confiant en notre capacité à tout résoudre par la technique, il appelle à davantage d'extraction de pétrole et de gaz (la croissance, inamendable mantra biblique patriarcal oblige). Les Pays-Bas, déjà sous le niveau de la mer, terre de polders et de digues, ont les meilleurs ingénieurs hydrauliciens du monde, donc la mer peut monter, ils sauront faire face, Wilders dixit ! (Source TV5 Monde). En attendant, il va lui falloir trouver des  alliances pour gouverner, selon les charmes inépuisables de la proportionnelle intégrale. 

C'est dans les vieux pots et avec les vieilles recettes qu'on fait les meilleures soupes. Rajoutez une grosse pincée de mentalité d'esclave, et vous avez un fumet d'années 30 du siècle passé. La nature humaine dans ses sempiternelles ornières. Le pouvoir éternellement au masculin. Rien à sauver. 


Bad news pour les femmes russes, héritières du communisme et de ses lois autorisant l'avortement, le Tsar Poutine (chauve, lui), enlisé en une guerre d'un autre siècle à sa voisine l'Ukraine, a subi des pertes immenses d'hommes sur les champs de batailles -on parle de 120 000 morts et de deux fois plus de blessés- considérerait remettre en cause le droit à l'avortement, en tous cas en restreindre les conditions d'accès, selon cet article en anglais de BBC World. La Russie est en pleine crise démographique avec une population vieillissante, des hommes soit décédés, soit en très mauvaise santé, une guerre sur les bras. La tentation est forte de renvoyer les femmes au foyer et à la reproduction forcée. Recette ancestrale à double gain : tandis qu'elles sont très occupées à l'élevage, eux s'occupent à mettre le binz dans le monde.


Naufrage capillaire avant le naufrage tout court ? Il est encore temps de se ressaisir. L'avenir n'est pas écrit. 


Article écrit au bar du Titanic. 

mercredi 25 octobre 2023

Stéréotypes de genre increvables

Un matin sur Twitter trouvé ça, d'une association sud-américaine (je ne sais pas si le lien est visible aux non abonnées, le Vandale qui dirige Xwitter depuis un an, Vandale dont on se serait passées si seulement il n'avait pas vu le jour, faisant n'importe quoi au gré de ses caprices de mâle immature casseur de jouets) dénonçant les violences faites aux femmes, et ici plus précisément les mariages précoces, précédée du message en anglais : 'according to gender stereotypes, girls should : - Get married ; - Take care of the house and their husbands ; - Become mothers. These ideas normalize that a girls marries or enters a relationship with an adult man. Let's put an end to theses mandates'. (Ces idées normalisent qu'une fille épouse ou entre en relation avec un homme adulte. Mettons fin à ces réquisitions). L'affiche en illustration est plus radicale : A girl's role is not to get married (le rôle d'une fille n'est pas d'être mariée). Ce qui est parfait. Toutefois la radicalité de la première assertion est adoucie, édulcorée par #NOTBefore18 (pas avant 18 ans). Dommage. 


A quoi j'ai répondu dans la même langue : "Not only girls. According to patriarchy, all women SHOULD get married, take care of the house and their husbands, and do husbandry aka become mothers. Let's break this doom. Anatomy is not destiny." Rompons la malédiction. Anatomie n'est pas destin. Si la destination de la fille est le mariage et l'enfantement, l'âge n'est plus qu'une modalité dans la logique patriarcale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, qu'est-ce qui empêche puisqu'il faudra de toutes façons y passer ? Le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d'enfant n'est pas une option, puisque toute alternative est prohibée, même dans la formulation. Et c'est cela qu'il faut contester me semble-t-il, si on est féministe. J'aurais rajouté que le destin d'une fille est d'abord d'aller à l'école, au collège, à l'université, pour avoir tous les outils pour se choisir en connaissance de cause et en autodétermination un destin personnel qui peut tout à fait être en dehors du mariage et de la maternité. 

On a l'impression que les féministes se battent sur des segments de lutte sans jamais voir la big picture, l'image globale, la Matrice. Je sais qu'il y a urgence sur les mariages précoces, mais elles suivent un agenda imposé par le patriarcat. Le mariage est imposé aux fillettes pour toutes sortes d'excuses : une bouche de moins à nourrir, c'est bon à prendre quand on est pauvre, et qu'un homme se propose de l'acheter pour... lui faire des enfants, (et accessoirement pour avoir une larbine gratuite à la maison). La pauvreté et l'oppression des femmes (on ne sait d'ailleurs laquelle précède l'autre) s'enchaînent dans une boucle sans fin. L'asservissement des filles dans le mariage est une boucle rétro-active négative qui entretient le sous-développement et la stagnation dans l'indigence. La pauvreté et le sous-développement prospèrent dans l'asservissement des filles et des femmes. Donc la lutte pour le développement ne peut réussir que par l'investissement sur les filles. Il faudrait donc arriver à dire que la maternité est de toutes façons un fardeau imposé aux femmes, qu'elle gâche toutes leurs autres potentialités, sinon, c'est emplâtre sur une jambe de bois. Le monde continue sa course fatale, dirigé par la médiocrité masculine puisque le pouvoir est leur chasse gardée, aux femmes étant dévolue la charge accablante de la maternité. C'est à ce point impoli de dire que le mariage et la maternité sont des pièges, des entraves, des boulets aux pieds et des menottes aux poignets ? Mais le féminisme c'est être impolie, c'est dire non, le féminisme est sacrilège puisqu'il dénonce les vaches sacrées patriarcales et refuse de s'y soumettre ! Réfléchissez : cette insistance à vouloir à tout prix nous marier et nous faire des enfants leur libère la place, eux se gardent la "maison des hommes" comme disent les Aborigènes, la politique. Avec les résultats catastrophiques que l'on sait. 

Pour les patriarcaux "de gauche", la lutte des classes sociales est prioritaire à la lutte des classes de sexe. Les exemples sont infinis et ça dure depuis les origines du socialisme. Un exemple fictionnel mais représentatif du réel, parmi tant. Je suis tombée un soir d'octobre sur Arte, qui jouait le film Un amour impossible (2018, par Catherine Corsini, metteuse en scène talentueuse, ça aide bien). Une femme des années 50 est séduite par un homme (odieux de bout en bout) qui lui fait un enfant sans vouloir endosser la paternité, qui finit par épouser une femme de sa classe. L'héroïne jouée par Virginie Efira (la seule à vieillir dans le film, les autres acteurs sont remplacés au fur et à mesure) sourit sans arrêt dans l'adversité. Elle n'arrête jamais de sourire, n'émet aucune plainte. Elle veut juste faire reconnaître sa fille par son géniteur, donc elle ne cesse pas les contacts, bien qu'épisodiques. Or, il apparaît que le père est incestueux et que c'est l'amant de passage qui l'apprend à la mère. Le film est tiré d'un roman à succès de Christine Angot, -que je ne lis plus-, il est d'ailleurs quasi autobiographique. J'ai tenu parce que je voulais savoir où tout cela menait, n'ayant pas lu le roman. La scène finale est une leçon politique de la fille à sa mère. La dernière actrice à jouer la fille, qui s'est fait la tête d'Angot de façon frappante, explique à sa mère que le problème est social, ils n'étaient pas de la même société, lui riche, de la gentry, elle pauvre et juive. Et ? RIEN. La classe de sexe est évacuée, invisibilisée, pour Angot l'oppression des femmes est la même que celle des ouvriers, l'amant occasionnel est un patron comme un autre. L'oppression spécifique des femmes est évacuée. Angot ne voit pas l'oppression des femmes, ou, autre explication, cela lui est tellement douloureux, le conflit de loyauté avec les hommes est tel, qu'elle préfère ne pas la voir. J'ai trouvé la leçon de la fin du film odieuse. 

Les fondations / fondamentaux des sociétés humaines, c'est la haine des femmes et de leur corps. C'est un phénomène anthropologique : il traverse toute l'histoire, toutes les sociétés, et toutes les géographies. Mais les femmes, à l'instar de Christine A. préfèrent ne pas la voir et se raconter une autre histoire pour le plus grand intérêt des hommes. Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour (sentimental, passion), se demande Ti-Grace Atkinson ? Bonne question. Jamais désirées, sauf pour des raisons contraires à nos intérêts de classe, jamais les bienvenues, alors que la naissance d'un garçon est tellement désirable, jamais bien, ni assez convenables, toujours considérées comme bouches improductives à nourrir -le comble alors qu'elles font toutes les corvées-, toujours esclavagisées dans le travail domestique, sexuel et reproductif, maintenues dans les basses zones et basses besognes (utiles) de l'économie quand elles ont un emploi, tandis que les hommes parasitent aussi bien leurs mères, sœurs, filles et femmes, en "travaillant" à produire toutes sortes d'objets inutiles ou même nuisibles, toxiques. Je me demande s'il ne serait pas temps d'arrêter cette collaboration avec l'oppresseur. 

Que faire ? écrivait Lénine. What should we do ? 

Il y a tant de choses autres et passionnantes à faire ! Cultiver des géraniums, apprendre l'arabe, le mandarin ou le russe (vous en aurez pour un bout de temps, vu la difficulté de ces langues !), adopter un chien dans un refuge plein à craquer, lire tout Proust (à mon avis, c'est mieux que Christine A.) ou Vassili Grossman, faire de l'adduction d'eau dans le Tiers-Monde, un vrai boulot utile celui-là, administrer un site internet coopératif, militer pour l'environnement (il y a à faire, vu les Moujiks en face), et même tricoter ou faire du crochet, apprendre à jouer aux échecs ou au poker, franchement, la liste est infinie. Alors pourquoi s'emmerder à faire de la reproduction à l'identique ? 

"Avoir des enfants, qui à leur tour auraient des enfants, c'était rabâcher à l'infini la même ennuyeuse ritournelle."

Simone de Beauvoir. 

A huit milliards d'humains vivant sur la bête, dont les ressources ne sont pas infinies vu notre goinfrerie impénitente, il n'y a pas péril pour l'espèce, c'est même le contraire, nous sommes menacées de trop plein ! On a quelques années pour voir venir. Le temps que les hommes comprennent que ça ne PEUT PAS continuer comme ça. Et puis, s'ils n'en prennent pas conscience, à quoi bon continuer une aventure misérable pour la moitié de l'humanité ? Ce chaudron bouillant que nous avons réussi à fabriquer à force d'industrie et de croissance biblique imbécile, va devenir, est déjà de toutes façons de plus en plus invivable. Il est temps d'en prendre conscience.

jeudi 5 octobre 2023

Le chaudron militaire turc : la production de la violence masculine

" Dans le processus de militaro-masculinisation, les jeunes hommes apprennent à tuer et à baiser : inséparable alliance. "


Par la sociologue turque réfugiée en France Pinar Selek, la fabrique de la masculinité hégémonique. 

Quelles sont " les ténèbres qui font d'un bébé un assassin " ? Les six étapes-rites qui font d'un enfant garçon un homme : le rite de la circoncision vers 10 ou 11 ans, rite qui sépare le garçon de sa mère où le petit sultan assiste, encouragé par cette dernière à l'égorgement d'un bélier -pour "conjuguer ensemble le pénis et le sang ?" se demande l'autrice- et le fait entrer dans le monde masculin ; la durcir et baiser, la première expérience sexuelle souvent au bordel, parfois conduit par le père, qui peut être concomitante avec la troisième initiation, le service militaire ; puis se trouver un travail, une position dans la société ; se marier et enfin, devenir père, l'ultime étape. 

Le service militaire (obligatoire pour les mâles durant six mois en Turquie, interdit aux homosexuels et aux trans, sur présentation d'un certificat médical, à base d'examens humiliants lors de l'incorporation) constitue un passage initiatique homosocial * qui inculque aux garçons la violence via des brimades, l'enfermement, l'encasernement, la soumission à des ordres et des tâches répétitives, absurdes, voire maltraitantes, les brimades, les bizutages des aînés et de la hiérarchie étant tolérés et même encouragés. 2000 appelés perdraient ainsi la vie dans leurs casernes. Pas mal en reviennent avec un PTSD non soigné, évidemment. Puis on les initie au combat et au maniement des armes. Ainsi le "Mehmetçik" (petit Mehmet) devient-il un "Mehmet" dans une patrie nationaliste où l'armée constitue historiquement et plus que jamais la colonne vertébrale. Devenir un homme en rampant. 

Bien que la méthode sociologique employée par Pinar Selek, à base de questionnaires faisant remonter un verbatim constitue la trame de l'ouvrage, on est ici dans l'anthropologie. Faisant le lien entre Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme), les travaux de Foucault (Surveiller et punir), en passant par ceux des féministes Monique Wittig et Colette Guillaumin " qui ne définissent pas l'hétérosexualité comme une simple pratique sexuelle mais comme une norme imposée ", Pinar Selek écrit en cent pages un ouvrage universel sur la fabrique du masculin hégémonique. C'est à la fois implacable, terrifiant et magistral. A lire absolument.

La page de l'ouvrage chez Des Femmes

" Le service militaire réunit matériellement les hommes et crée une unité apparente, autour d'un critère précis : avoir un pénis 'qui fonctionne'. Basé sur une idéologie patriotique valorisée par les familles, il rassemble 'ceux qui ont le pouvoir de baiser' pour former le corps principal de la nation.

" L'expérience du service militaire en Turquie n'est qu'un exemple du rôle des structures militaristes dans la transformation d'un enfant en un sujet de la violence masculine. Elle démontre comment les ténèbres qui font d'un bébé un assassin sont façonnées par cette raison du pouvoir dans laquelle les sujets masculins s'intègrent, en s'habituant, à différents degrés, à la hiérarchie, à l'arbitraire, à l'irrationalité... "

" La citoyenneté masculine prend ainsi forme dans l'uniforme. Ce processus met à nu la place de la masculinité normative dans l'organisation de la violence politique ainsi que dans la structuration sociale de la violence. La reproduction de l'identité masculine par la violence sert à la militarisation et à la généralisation de la violence politique par les corps masculins. [...] Proclamés pachas dans leur enfance, ils apprennent à combattre non seulement les ennemis de l'Etat, mais également quiconque oserait effleurer leur honneur masculin caché dans le corps des femmes de leur famille. "

* " Les communautés homosociales exclusivement masculines de l'armée, des équipes de football, des internats, des supporters sportifs, des organisations mafieuses consolident la masculinité, réorganisent le déséquilibre entre les sexes et les espaces de lutte de pouvoir entre les hommes. " Hilar Onur / Bertin Konyuncu, cités dans l'ouvrage. 

Pinar Selek vit et publie désormais en France car elle est victime de la répression que subissent les intellectuels en Turquie. Elle sociologue et écrivaine. 

Les citations de l'autrice sont en caractères gras et rouges. 

dimanche 17 septembre 2023

Marie Huot Libertaire, néomalthusienne, antispéciste, féministe...


L'Atelier de Création Libertaire a publié en 2023 cet ouvrage sur Marie Huot, femme oubliée de l'histoire. Son auteur, l'historien Sylvain Wagnon de l'Université de Montpellier, m'a proposé de le lire. En voici un court résumé.

Marie Huot est née Mathilde Marie Constance Ménétrier en 1846 dans l'Yonne, d'un milieu bourgeois, et est décédée en 1930. Avec son mari Anatole Théodore Marie Huot, un fonctionnaire de l'Instruction Publique et libre-penseur, elle évolue et milite dans le mouvement libertaire de la fin du XIXe siècle. Poétesse, journaliste, grande voyageuse, oratrice hors-pair, elle devient conférencière et milite contre la vivisection, contre la tauromachie introduite en France au moment du Second Empire, réhabilite Malthus avec des camarades, et préconise la grève des ventres, prône l'amour libre et l'éducation sexuelle, et aborde la question de l'avortement auprès des femmes qui pâtissent de grande pauvreté comme soutiens d'immenses familles, puisque les moyens de contraception arriveront bien plus tard. Marie Huot est passionnante par sa faculté de voir les choses globalement, top down, et de lier les problématiques sociales entre elles. Alors que le patriarcat a la capacité d'instaurer les déconnexions, le féminisme radical, lui, rétablit les connections, lie la pensée et l'action, d'où sa dangerosité pour l'ordre établi, selon une citation de Robin Morgan. Marie Huot, comme ses contemporaines, a cette capacité de restaurer les connections, elle pense large, comme son style. Elle cherche et tâtonne, explore sans réticences l'eugénisme et le malthusianisme, participe à un mouvement antivaccins du temps de Pasteur. Mais comment la juger à l'aune de ce que l'on sait aujourd'hui, elle qui vivait à la charnière des deux derniers siècles ? 

Libertaire, elle milite au sein des cercles anarchistes avec son amie de Louise Michel dont elle gardait les chats quand celle-ci était arrêtée ou absente, en exil. Leurs chemins divergeront quand Louise Michel privilégiera la lutte sociale à la lutte antispéciste, car elle ne voulait pas disperser ses forces.

Néomalthusienne : avec l'anarchiste Paul Robin, arguant que la bourgeoisie pratique l'eugénisme et la restriction des naissances pour éviter le morcellement des héritages, tout en encourageant le peuple à fournir toujours plus de chair à usines, maintenant ainsi les salaires bas, et de chair à canon pour régler les problèmes de ressources, frontières et trop-plein, ils tentent de réhabiliter le malthusianisme en l'intégrant à la lutte révolutionnaire. Education sexuelle, connaissance du corps et apprentissage de l'hygiène, déconnexion de la sexualité et de la procréation (hantise des clercs obsédés par la procréation), amour libre et émancipation des femmes sont les causes qu'elle défend au sein de la Ligue de la Régénération humaine et ses publications. Là où son néomalthusianisme défend l'émancipation des femmes et la maternité libre, ses camarades anarchistes verront, eux, une émancipation de la classe ouvrière du capital, désarmant ce dernier par un manque de bras, espérant provoquer par la pénurie de main d'oeuvre des salaires élevés. Etonnant pour notre époque contemporaine où le malthusianisme nous est toujours présenté comme une idée de droite réactionnaire, ces anarchistes, quoique minoritaires, réussissent à en faire une idée révolutionnaire. 

" Tant que la femme ne sera pas délivrée de la maternité obligatoire, il lui sera impossible de s'affranchir réellement et d'échapper à la tutelle de l'homme comme au joug de la société. "

Déjà minoritaire au sein de la mouvance révolutionnaire, le coup d'arrêt au mouvement néomalthusianiste viendra en 1920, après la grande boucherie de la deuxième guerre mondiale, avec la loi du 31 juillet 1920 "réprimant provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle" texte où l'avortement est défini comme un crime. Cette loi confirme donc a posteriori l'exactitude des analyses des néo-malthusiens : les femmes sont renvoyées au gynécée, priées de pondre pour refaire le stock de chair à manufacture et de chair à canon, dont se repaît l'ogre patriarcal. 

Antispéciste, antivivisectionniste. Déjà militante de la SPA de l'époque qu'elle juge trop laxiste sur le sujet, elle crée la Ligue populaire contre la vivisection en 1883, ligue qui lutte contre toute forme de maltraitance, en interpellant directement ses opposants : elle frappe de son ombrelle le nez d'un médecin, l'accusant de torturer de façon inutile des chiens et des singes dans son laboratoire de recherche. Elle aura aussi une querelle avec Pasteur, car elle lui reproche ses expériences sur des chiens pour valider son vaccin contre la rage. Marie Huot s'oppose aux courses de taureaux, lorsque l'impératrice Eugénie de Montijo se met en tête d'introduire la corrida, tradition sudiste, en France. Elle publie des textes, monte à la tribune, pétitionne des ministres, et va à des corridas à Paris et à Nice avec des groupes de militant-es armées de sifflets, imagine même un moment y aller avec un revolver, puis se ravise car "entre des mains antivivisectionnistes, ça détonne avec les principes". Il est à noter que le mouvement féministe anglo-saxon, puis étasunien pour le suffrage des femmes, comptait dans ses rangs des antivivisectionnistes, un lien bien oublié aujourd'hui, puisque lorsque les historiens se penchent sur les débuts du mouvement social de défense des animaux, ils ne lui trouvent plus que des "pères". Comme à l'habitude, les femmes pionnières sont effacées de l'histoire pour laisser place à des hommes qui se sont ralliés tardivement à la cause, mais qui s'imposent et récoltent tous les lauriers à la place de leurs devancières. Pour retrouver ce lien historique, lire le billet de Fred Côté-Boudreau sur l'origine du mouvement anti-vivisection.
   
Végétarienne : ridiculisée par les (hommes) amateurs de potées et autres cassoulets, elle revendique "ne plus manger que des légumes et boire de l'eau". Elle fait l'expérience aussi d'être jugée d'une sensiblerie de femmelette, on lui renvoie au nez la concurrence des causes, elle qui juge durement la "tartufferie humanitaire". Comme on peut le voir, rien n'a changé, c'en est quasiment désespérant. 

POSTERITE de MARIE HUOT

Ses héritièr-es sont évidemment tout-es les valeureux-ses activistes contemporains pour les animaux, aussi bien les végétariens et véganes que les antivivisectionnistes / anti expérimentation animale, les militants pour l'arrêt de l'élevage intensif et pour la fermeture des abattoirs. D'autant que depuis plus d'un siècle, la population mondiale est passée de 1,5 milliards à 8 milliards, que les classes moyennes (4 milliards) revendiquent leur statut social en mangeant de la viande (industrielle) dans des proportions inégalées. Sans oublier les anti-corridas, puisque les choses sont quasiment encore dans le même état qu'il y a un siècle. 

Les DINKies : Double Income No Kids, foyers à double revenu sans enfant, plutôt identifiés couples de lesbiennes et de gays, mais pas seulement.
Les refusant-es de la parentalité, dits childfree puisque ce sont plutôt les anglo-saxons qui portent le mouvement #NoKids #StopHavingKids, et que les français-es sont très timides sur le sujet, hésitant toujours à sortir du placard. Refusez d'ôter la vie pour passer à table, et de l'infliger à des innocents qui ne vous ont rien demandé, et vous serez voué-es aux gémonies, aurait-elle pu écrire. 

Le mouvement Birth Strike (grève des ventres) de 2019 : initié dans la dynamique des collectifs Extinction Rebellion, le mouvement veut attirer l'attention sur les dégradations environnementales, économiques et sociales de notre biotope, et interroge nos choix individuels de mettre des enfants dans un monde soumis au bouleversement climatique. Des dissensions au sein du mouvement amènent à sa dissolution à l'été 2021, et témoignent comme à l'époque de Marie Huot, de la grande difficulté de faire du refus de la maternité une lutte politique contre les injonctions patriarcales, et bien sûr de la difficulté à faire percer dans nos consciences et comportements les effets catastrophiques du changement climatique. Pas plus que la pauvreté la plus sordide des couples et des femmes ne dissuadait les maternités multiples du temps de Marie Huot, le changement climatique n'infléchit aujourd'hui notre "propension au lapinisme", comme écrivait Françoise d'Eaubonne il y a cinquante ans.

L'auteur de la biographie de Marie Huot, Sylvain Wagnon, conclut en ces termes sur l'échec du Mouvement Birth Strike : 

" L'échec de cette campagne illustre, comme lors de la prise de position de Marie Huot, la grande difficulté de faire de la maternité un levier de lutte politique. Pour autant la question est de plus en plus présente devant l'immobilisme et la résistance à toute prise en compte réelle de la situation environnementale et climatique. Cela pose comme au XIXe siècle, la place d'une telle revendication au sein de la question sociale et politique. "

Quelques unes des phrases de Marie Huot en guise de viatique, car la route est encore longue et le combat continue : 

Faire des enfants après une guerre ? 
" Comment osent-ils recommencer des berceaux ceux qui viennent de fermer des tombes ? "

" Selon le droit primitif de la nature, nul n'a de droit particulier sur quoi que ce soit. Qui a dit cela ? Bossuet, et après lui tous les anarchistes. Prêchez d'exemple, au moins. "

" Oui ça me va de vous dire à tous que vous méritez les affres et les souffrances. Est-ce que vous les épargnez aux autres créatures ? N'admettez-vous pas l'esclavage à l'étage en-dessous ? Et traitez-vous mieux qu'on ne vous traite vos frères asservis ? "

" Combattre pour l'animal, à la bonne heure ! La tâche est plus ingrate, le ridicule l'a sanctifiée ; et comme il faut y apporter plus de désintéressement, d'amour et de haine, ça me va ! Et puis combattre pour l'homme ça manque d'abnégation, l'égoïsme et la vanité y trouvant bénéfice...  
 
Deux de ses textes écrits dans une langue magnifique sont reproduits en fin d'ouvrage. 


samedi 19 août 2023

La planète malade


Pendant cet été où les images de la planète qui brûle montrent un spectacle terrifiant sur tous les médias, images de méga-feux s'attaquant aux "paradis" consommés par les touristes, Rhodes, Corfou, en Grèce, Tenerife dans l'archipel des Canaries, Maui dans l'archipel des Hawaï avec sa capitale détruite, ses 12 000 habitants, ceux qui n'ont pas péri dans les flammes devenant des réfugiés de l'intérieur, ce qui oblige les touristes et campeurs à fuir en maillot de bain, les flammes leur léchant la peau et les fumées asphyxiantes leurs brûlant les poumons ; tandis que les forêts canadiennes subissent le même sort en balançant dans l'atmosphère l'équivalent d'une année d'émissions carbone du Japon, pays développé, fétichiste de la Marchandise, le Un Hebdo publie un numéro (458, 2 août 2023) sur ce que nous dit aujourd'hui Guy Debord, inventeur du concept de la société du spectacle. Je me suis jetée dessus. 

Guy Debord, 1931 - 1994, est le fils d'un fabriquant de chaussures de luxe. Après une période littéraire "surréaliste" il devient théoricien révolutionnaire marxiste. Il va s'appliquer son premier slogan "ne travaillez jamais" en vivant du produit de l'héritage de ses parents, puis ayant eu l'intuition de l'avènement de la société de consommation en lisant un chapitre du Capital de Marx consacré à la nature fétiche de la marchandise, il fonde l'Internationale Situationniste (IS) en 1957, qui restera un groupuscule révolutionnaire à l'exclusion facile, dont toutefois les numéros de la revue du même nom où il publiait ses idées sont considérés, même avant sa mort, comme patrimoine national par la BNF. Il publie La société du spectacle en 1967 : il y développe que la production sans fin de marchandises aboutit à une accumulation de spectacles. Il se suicide à 62 ans, miné par la maladie. Sa biographie plus complète est à lire dans le Un Hebdo. 

Gallimard, collection blanche, publie en 2004 trois textes de Guy Debord, textes initialement parus en 1966 sur les émeutes raciales de Watts ghetto noir de Los Angeles, en 1967 sur la Révolution culturelle chinoise, et un dernier court texte, inédit de 1971 qui donne son titre à l'ensemble : La planète malade aborde le thème de la pollution et de sa représentation. "C'est du spectacle sous toutes ses formes et de ce qu'il engendre qu'il s'agit.". Visionnaire, ce texte est, 52 ans après, d'une éclatante actualité. Je vous en propose quelques extraits. 

" L'époque qui a tous les moyens techniques d'altérer absolument les conditions de vie sur toute la Terre est également l'époque qui, par le même développement technique et scientifique séparé, dispose de tous les moyens de contrôle et de prévision mathématiquement indubitable pour mesurer exactement par avance où mène -et vers quelle date- la croissance automatique des forces productives aliénées de la société de classes : c'est à dire pour mesurer la dégradation rapide des conditions mêmes de la survie au sens le plus général  et le plus trivial du terme. 
[...] On mesure et on extrapole avec une précision excellente l'augmentation rapide de la pollution chimique dans l'atmosphère respirable ; de l'eau des rivières, des lacs et déjà des océans, et l'augmentation irréversible de la radioactivité accumulée par le développement pacifique de  l'énergie nucléaire ; des effets du bruit ; de l'envahissement de l'espace par des produits en matière plastique qui peuvent prétendre à une éternité de dépotoir universel ; de la natalité folle ; de la falsification insensée des aliments ; de la lèpre urbanistique qui s'étale toujours plus à la place de ce que furent la ville et la campagne ; ainsi que des maladies mentales... 
Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade. 

Le développement de la production s'est entièrement vérifié jusqu'ici en tant qu'accomplissement de l'économie politique : développement de la misère, qui a envahi et abîmé le milieu même de la vie. La société où les producteurs se tuent au travail, et n'ont qu'à en contempler le résultat, leur donne maintenant franchement à voir, et à respirer, le résultat général du travail aliéné en tant que résultat de mort. Dans la société de l'économie surdéveloppée, tout est entré dans la sphère des biens économiques, même l'eau des sources et l'air des villes, c'est-à-dire que tout est devenu le mal économique, 'reniement achevé de l'homme' qui atteint maintenant sa parfaite conclusion matérielle. Le conflit des forces productives modernes et des rapports de production, bourgeois ou bureaucratiques, de la société capitaliste est entré dans sa phase ultime. 

La fonction dernière, avouée, essentielle, de l'économie développée aujourd'hui, dans le monde entier ou règne le travail-marchandise, qui assure tout le pouvoir à ses patrons, c'est la production des emplois. On est donc bien loin des idées 'progressistes' du siècle précédent sur la diminution possible du travail humain par la multiplication scientifique et technique de la productivité, qui était censée assurer toujours plus aisément la satisfaction des besoins antérieurement reconnus par tous comme réels, et sans altération fondamentale de la qualité même des biens qui se trouveraient disponibles.

Guy Debord, 1971.

Comme ressource supplémentaire, l'ex-ingénieur Olivier Lefebvre, dans son ouvrage Les ingénieurs qui doutent, paru en mai 2023 aux Editions L'échappée, propose, à propos des 'bullshit jobs' (à ne pas confondre avec les 'shitty jobs' utiles mais mal payés) qu'il a occupés, en étant bien payé et considéré, son explication / éclairage très intéressants sur la pensée de Guy Debord. 
 



Merci au Fédiversien "intrigué" qui a galéré et passé beaucoup de temps à remettre cette phrase dans son contexte d'origine, le numéro 3 de décembre 1959 de la revue l'Internationale situationniste, à la fin de la note sur le sens du dépérissement de l'art. C'est tout à fait sympathique ce travail collaboratif :))

lundi 24 juillet 2023

La femme met bas, l'homme se bat. La femme procrée, l'homme crée. Des outils et des corps.

 Dans la torpeur estivale, les radios de service public continuent à nous abreuver d'études de chercheurs (une spécialité de France Info et France Inter) et ce 22 juillet, ce fut sur la chasse. Les femmes chassent-elles ? Le marronnier fleurit en été, comme s'il fallait encore que les femmes chassent, et comme s'il fallait nous attribuer un petit lot de consolation. Absentes des chasses au XIXè et au XXème siècle, désormais les affirmations inverses abondent, avec le même excès et les mêmes caricatures, mais à l'envers. 



En gros, voici l'exposé : des chercheuses et chercheurs ont étudié des tribus contemporaines, après les anthropologues Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier, Nicole-Claude Mathieu et Paola Tabet, excusez du peu, selon les mêmes méthodes en immersion, des fois que les précédents auraient loupé un truc aussi important que la chasse, et elles se sont aperçues, ô miracle, que oui, les femmes chassent ! Alléluia. Sonnez hautbois, résonnez musettes ! J'étais scotchée à mon poste, la tartine en l'air, le café refroidissant, attendant la suite que j'ai presque pu dire avec la journaliste. Les femmes chassent, de petits animaux en posant des filets et en utilisant des bâtons. Les arcs, flèches, javelots, sont, eux, réservés aux hommes ! 

Tout ça pour ça. Mais l'honneur est sauf, les femmes d'il y a 6000 ans, que leurs descendantes le sachent, ne se contentaient pas de rester au foyer à faire bouillir la marmite, elles chas-saient-elles-zaussi. 
La question est une défausse : le sujet ici n'est pas la chasse, mais bien la possession d'outils et d'armes. Et pour les femmes c'est tintin, pas d'outils, pas d'armes, tabou. Avoir accès aux outils, c'est gagner en productivité, et posséder une arme, c'est pouvoir se défendre. Pour une catégorie sociale, les femmes, taillables et corvéables à merci, impensable, voyons. Les gains de productivité c'est bon pour les hommes qui peuvent ensuite se détendre en palabrant sous le séquoia -ou le chêne, ou le baobab, vu que c'est anthropologique et que ça traverse l'histoire humaine, et absolument toutes les sociétés, choisissez l'arbre le plus abondant dans votre canton, ça marche aussi. Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, les femmes même en emploi (posté type masculin) se coltinent les tâches des basses zones de l'économie, peu mécanisées, soulevant des vieux, des enfants, et se cassant le dos. Quant à se défendre, no way. Elles sont battues comme plâtre, maltraitées chez elles par Le prince Cogneur, ou attaquées dans la rue, personne ne leur conseillera (même pas les féministes, un comble) de prendre des cours de self-défense ou même d'avoir un moyen de défense sur elles. De peur d'être traitées d'agressives ? Parce qu'une femme qui se défend est agressive, même une qui porte sur elle un spray anti-agression, ainsi fonctionne la société. Elles doivent faire dévolution de leur sauvegarde au camp d'en face. Pour le pire souvent. On en est encore là, c'est dire si le tabou est ancré et persistant. 

Aussi, je me permets deux conseils de lecture pour égayer votre été, même les journalistes de France Info peuvent en profiter si elles passent par ici : L'anatomie politique de Nicole-Claude Mathieu, 1937- 2014, anthropologue française de la lignée des féministes Monique Wittig écrivaine, Christine Delphy sociologue..., les matérialistes d'expression francophone, anti-naturalistes, qui travaillent dans la perspective des rapports sociaux de sexe et qui soutiennent que les catégories "femmes" et "hommes" sont construites socialement en fonction d'un rapport social de pouvoir. En faveur des hommes et en défaveur des femmes, dois-je préciser ?

Et l'irremplaçable ouvrage de Paola Tabet, anthropologue italienne (1935) professeure d'université à Sienne puis en Calabre qui travaille, elle aussi, sur les rapports sociaux de sexe. 



Pour résumer rapidement l'action comme on dit au cinéma, il y a d'abord Claude Lévi-Strauss qui dit que les sociétés humaines se sont constituées sur l'échange des femmes ; le tabou de l'inceste en découle, pas pour des raisons biologiques, mais pour des raisons sociales. On n'use pas du bien qu'on a cédé ou aliéné, on ne le reprend pas (oui, je parle bien des femmes et des filles). Françoise Héritier, étudiante chez Lévi-Strauss, aboutit dans ses recherches à la "valence différentielle des sexes", euphémisme pour dire qu'un homme et une femme ne se valent pas socialement. L'une fait les corvées, approvisionne en nourriture, va chercher de l'eau au puits, reproduit l'espèce, et... mange après tout le monde, surtout après les hommes et ses propres fils ; les hommes chassent, se battent et font de la politique. D'où, sans doute, la dysmorphie de notre espèce, nous avons été mal nourries et notre squelette l'a enregistré. Arrive Nicole-Claude Mathieu, anthropologue elle aussi, mais féministe, lesbienne, matérialiste (notion marxiste de la lutte des classes) et antinaturaliste. Qui elle, décrit dans une perspective féministe, que l'anatomie est politique et que cela fait système, a été voulu, construit socialement, ce qu'elle décrit dans des articles savants publiés dans les deux tomes de l'anatomie politique. Puis, Paola Tabet étudie des tribus premières de chasseurs et pêcheurs et aboutit à la conclusion que les femmes sont systématiquement privées d'outils, et d'armes -c'est quasiment la même chose, le premier outil ayant été une arme : une pierre taillée, puis le progrès technique aidant, un propulseur (bâton sur lequel est fixée la pierre taillée qui devient un javelot et permet de tuer à distance un animal, ce que ne permettait pas la pierre taillée). Et que cela a des conséquences sur leur position dans la société et sur leur statut. Privées d'outils, elles sont exclues des gains de productivité, privées d'armes, elles ne peuvent pas se défendre. Que cela est voulu, fait système, que les femmes sont contraintes ainsi à la reproduction.

Bien, me diront certaines, on n'en est plus là ! Ah ? Moi je vois que le statut des femmes qui n'a jamais été brillant, régresse, qu'elles font toujours les travaux pénibles à mains nues, qu'elles soulèvent des charges (enfants, vieillards, malades, cruches d'eau, et les sacs de courses du supermarché...), en étant mal payées, ou bénévolement dans la domesticité des hommes, qu'elles n'arrivent toujours pas à se défendre, pire, qu'elles doivent faire dévolution de leur sécurité aux hommes de leur entourage, qu'elles en meurent, et qu'elles connaissent surtout la pauvreté, surchargées d'enfants, souvent abandonnées par les géniteurs. Et qu'elles se prennent en plus des engueulades quand leurs gars se comportent mal. Où sont les pères ? Palabrant au bistrot, ou sous le séquoia (voir plus haut). 

Certaines me renverront les sociétés matriarcales ou semi-matriarcales comme argument ; à quoi je réponds que le matriarcat dominant les hommes, figure inversée du patriarcat, n'a jamais existé, qu'en tous cas il n'en reste aucune trace. Le Pays Basque et la Bretagne ont revendiqué au XXe siècle des semi-matriarcats anciens : méfiance, il s'agit davantage d'une opération marketing, cette revendication leur permettant de renforcer une identité forte, de se démarquer des concurrentes. " Un passé inventé ne donnera pas aux femmes un futur ", cité par Nicole-Claude Mathieu. 

D'autres me rétorqueront que des outils, elles en ont à la maison. Croyez-vous ? La définition de l'outil est  aussi dépendante de qui l'utilise. Un balai n'est pas un outil, une balayeuse à moteur thermique, oui ; une houe n'est pas un outil, une petite main de femme peut la guider, la charrue, elle, en est un, monopolisé par les hommes ; le bâton à fouir utilisé par les femmes pour trouver des larves ou des racines, n'est pas un outil, le javelot propulseur, oui ; un lave-linge et une machine à écrire sont des outils, qui permettent des gains de productivité, mais les hommes répugnent à s'en servir donc ils sont dégradés, ce sont les femmes qui les utilisent ; la linotype d'imprimerie était elle un outil, et les hommes ont longtemps refusé que des femmes s'en servent. L'ordinateur sous Unix est un outil, il n'y a guère que les ingénieurs (mâles) qui l'utilisent. Et les forceps, outil ? Les sages-femmes n'ont toujours pas le droit de les utiliser. 

Ethnographie de terrain chez les Bambaras locaux sous forme d'une anecdote que j'ai racontée mille fois, mais dont je ne me lasse pas : à chaque printemps quand je passe au bon moment dans ma ferme-conservatoire, et que c'est repiquage et semis, les quelques horticultrices sont à genou sur la terre, travaillent à mains nues ou au plantoir manuel tandis que les mecs, eux pétaradent sur des tracteurs ! J'en ai même entendu un, une fois dans la cour, prêtant son tracteur à une collègue lui recommander : "tu n'oublieras pas de desserrer le frein à main, hein ? "

Je comprends que certaines préféreront lire Virginie Despentes et ses coups de gueule, ou Mona Chollet et ses solutions magiques de sorcières. La lecture des ouvrages féministes des sociologues et des anthropologues du deuxième féminisme est douloureuse. Elles décrivent impitoyablement un statut social dégradé volontairement par ceux qui nous sont le plus proches, maris, amants, fils et pères. C'est vrai également que ces féministes savantes des années 70 se revendiquaient lesbiennes, heureuses de ne pas avoir à frayer avec l'adversaire de classe, et qu'on reconnaît ainsi leur plume impertinente. Monique Wittig a d'ailleurs écrit que les lesbiennes n'étaient pas des femmes, c'est à dire qu'elles pouvaient répudier cette contrainte à l'hétérosexualité et à la maternité, ces institutions politiques, et que c'était une chance. Et c'en est incontestablement une, au sens où cela diminue la pression de l'éternel confit de loyauté qui plombe les femmes hétérosexuelles engagées dans des relations affectives avec les hommes. 

Pour terminer, puisque, en testant quelques-unes de ces phrases sur Twitter, j'ai été contrée par une lectrice qui m'a rétorqué qu'il y a eu des femmes inventrices de machines AUSSI ; évidemment, je ne conteste pas, et ce n'est pas un argument invalidant. Une Louise Labé ou une Hildegarde de Bingen ont percé aux âges où les femmes étaient maintenues dans l'analphabétisme et l'ignorance, des femmes ingénieures ont fait leur trou aux moments où les femmes étaient vouées, condamnées sans recours au mariage et à la reproduction, des exploratrices ont voyagé et parcouru le monde alors que cela était prohibé pour indécence et promiscuité avec les hommes. Mais ce sont des oiseaux rares qui n'invalident pas la thèse développée ici, thèse qui est la limitation des femmes au foyer et à la harassante production/élevage d'enfants sans possibilité de s'en abstraire. Domestiquées, vouées à la ferme, comme écrivait Andrea Dworkin.  

QUELQUES CITATIONS

" Les sociétés humaines se sont constituées sur l'échange des femmes, et cet échange est à l'origine du tabou de l'inceste. Il nous faut alors considérer que la défaite historique des femmes serait un pré-requis à l'émergence de la culture ". Mathieu - Anatomie Politique

" La 'non-violence' des femmes, par exemple, peut être reliée à l'interdiction matérielle et objective qui leur est faite de posséder et d'exercer les moyens de défense, et notamment de défense contre les hommes. " Mathieu - Anatomie politique. 

" De tous les dominés, les femmes sont les seules à avoir un contact physique et mental permanent et prescrit avec l'oppresseur, au travail, dans la rue, maintenant à l'école, dans la famille et les liens amicaux, et enfin au lit... ou dans les caves et les portes cochères. C'est pourquoi, même des féministes qui ont longuement décrit et dénoncé la 'condition' opprimée des femmes hésitent encore à aller à l'essentiel : la connaissance intime des stratagèmes et stratégies de l'ennemi, sans laquelle tout général d'armée sait qu'il ne gagnera pas. 'Moi, je connais des hommes bien', disent-elles. " Mathieu - Anatomie politique. 

" Ce n'est pas la chasse qui est interdite aux femmes, ce sont bien les armes ; c'est bien l'accès aux armes, en tant que telles et en tant que concrétisation d'un développement technologique, qui leur est refusé.

" Le pouvoir des hommes sur les femmes est assuré par le monopole des armes-outils. " Ces deux dernières citations de Tabet, Des outils et des corps. 

jeudi 6 juillet 2023

L'ours est à nos portes !

Branle-bas de combat la semaine dernière : un maire ariégeois appelle à la prudence. Un homme a vu l'homme qui a vu un ours. Ou du moins, ses poils restés accrochés à un arbre. Et il aurait blessé un cheval, enquête en cours. Alerte à la population et aux potentiels randonneurs. DANGER. Le maire d'Oust, petit village de l'Ariège, informe ses administrés via son compte Facebook. Une petite bande d'environ soixante-dix ours pyrénéens seraient en résidence permanente dans le massif, pas nombreux face à l'omniprésence humaine, mais les humains ne sont pas partageux. Ils veulent aller randonner dans les collines, les bois et les massifs, eux aussi, eux surtout, forcément, les ours gênent. De plus, les humains sont comme toujours accompagnés de leurs indispensables animaux d'élevage, laissés dans les champs comme il se doit. Comme pour le loup, les éleveurs veulent des animaux sauvages derrière des barrières et des animaux d'élevage dans la nature sauvage, le contraire du contrat que nous avons établi avec les bêtes d'élevage : nourriture, soins, sécurité et abri contre les animaux sauvages qui ont faim. 

Mais au fait, l'ours, et le loup, combien de victimes humaines ? Il y aurait bien eu un randonneur tué en avril de cette année dans le Trentin, région alpine d'Italie, mais le fait n'est pas établi, les associations de protection animale contestent que l'ours soit responsable. Quant au loup, il aurait tué quatre personnes en Europe ces soixante dernières années selon les statistiques. Franchement, à côté du Top Model, étalon de toute humanité, l'homme, l'ours et le loup la jouent petits bras. 

Les hommes, mâles de l'espèce humaine (on est encore obligées de préciser vu le flou qui accompagne le concept), eux, tuent en France une femme tous les 3 jours, à coups de batte de baseball, à l'arme blanche, à mains nues par étranglement, ou au fusil de chasse. Suivez le compte Féminicide par compagnons ou ex qui tient les comptes sur les plateformes sociales. On ne le rappellera jamais assez, le fusil de chasse a deux fonctions : tuer des bêtes à la chasse, et accessoirement, se retourner contre la Princesse Charmante, si jamais elle a des velléités de déserter son Prince en son palais. Au besoin en tuant tout le monde, enfants inclus, et en ratant son suicide.

Pourtant, curieusement, dans le même état d'esprit CAUTION / DANGER, on ne voit jamais aucun panneau en ville : "Danger hommes en ville", "individus potentiellement dangereux en vadrouille", ou à la campagne : "Danger, potentiels rôdeurs" ; "Danger, possibilité de mauvaises rencontres", selon la formule consacrée par le vocabulaire ventriloque des chaînes d'infos à chaque fois qu'une femme disparaît. Ces panneaux seraient placés sur la route des joggeuses, sur les chemins où passent une majorité de femmes randonneuses, ou en ville à la sortie des boîtes de nuit, où ils s'achèvent incidemment à coups de couteaux. 

Ne pas oublier non plus d'inscrire au fronton des salles de mariage des mairies : Attention, mesdames, le mariage peut occasionner des blessures graves, et entraîner potentiellement la MORT ! 

Mais c'est juste un rêve. Comme dans les contes de fée, le loup et les bêtes sauvages tiennent invariablement le rôle des méchants. Très surfaits, les méchants. On nous le rappelle régulièrement à la faveur d'un article de journal, ou d'un "trace", poils, fèces, griffures ou photo. Evidemment, tout cela a une double fonction politique : ceci permet d'occulter, d'aveugler la dangerosité du Prince Charmant, la violence virile, impossible à nommer, il faut coûte que coûte maintenir la fiction du parfait bonheur en couple, sans cela, c'est la mort du petit cheval, ma bonne dame. Sinon, ce serait ceinture aux hommes pour les services domestiques, sexuels et reproductifs, désertion des femmes, donc surtout pas. Et une deuxième fonction justifiant le meurtre, la tuerie des animaux diffamés, parce que déclarés dangereux.

Il est temps de nommer le problème : la violence du viril. La chasse en fait partie, 98 % des chasseurs sont des hommes. Ses millions d'animaux tirés, blessés, tués par année en sont aussi les victimes ; le meurtre des animaux désinhibe, ainsi que l'écrit  Stéphanie Hochet dans son ouvrage L'animal et son biographe : " Le plaisir hypocrite des chasseurs, leur permis de tuer alloué par la société est-il autre chose qu'un blanc-seing accordé au désir de meurtre ? 

Il ne vient jamais non plus à l'idée de l'espèce humaine qu'elle n'a pas tous les droits, notamment celui d'accaparer tout l'espace des autres animaux. L'effondrement des populations animales est causé en premier lieu par la destruction, puis la colonisation de leurs habitats par notre espèce invasive. Aussi, recule l'humanité, reste dans tes foyers, tes villes, bourgs et villages. Le monde est limité, la place des autres n'est pas usurpée. Ils ont les mêmes droits que nous d'habiter cette planète. Tous earthlings, tous terriens. 


PS - Le widget associé au flux RSS Twitter dans la side bar de mon blog est muet : je sais que certaines venaient lire mon compte Twitter par là. Ceci est dû à la décision prise par le très compétent, carrément génial Elon Musk de masquer les comptes de son nouveau jouet aux non abonnés et aux non connectés. Pour le moment, je laisse ce widget en espérant récupérer l'affichage de mon compte, mais cela dépend du mogul qui dirige si excellemment la plateforme. 

vendredi 23 juin 2023

Quelques virils hyperboliques au pouvoir qui vont nous éradiquer de la Terre

 Vu nos exploits, y aura-t-il quelque chose à regretter ? 

" Eternullité d'un genre sans éthos " * 

A tout saigneur, tout honneur : Vladimir Poutine, Impérator planqué dans les souterrains du Kremlin pendant que les jeunes gens de son pauvre empire sous-développé vont crever à la guerre ; le nombre de morts et blessés mutilés, comme toujours en Russie, importe peu, ce qui compte c'est l'ego du dirigeant et l'image qu'il se fait de son empire. Je lis partout qu'il hait l'Occident, sa mollesse de femmelettes et de tapettes dont le modèle démocratique a pourtant tenté tant de pays satellites de l'ex-bloc soviétique ; curieusement ce n'est pas le modèle saoudien ou iranien qui les attire. On pourrait aussi s'interroger sur ses penchants d' "inverti" : quand on le voit, c'est toujours entouré d'hommes, les femmes étant, chez tous ces tyrans, cantonnées à la cuisine, au gynécée ou, au moins, aux basses zones de l'économie. Aux surmâles hyperboliques le pouvoir et ses attributs, pour le pire. Destructions environnementales, extractivisme pour fournir les métaux dont sont gourmandes les armes, au pire, faire sauter un barrage ou une centrale nucléaire, rien ne l'arrêtera. L'avenir est borné à sa propre fin. Qu'on espère rapide. 

Recep Tayip Erdogan, le sultan turc : on en a repris pour 5 ans de recul du droit des femmes, de nationalisme de cureton obscurantiste, de voix de casserole ; les journalistes qui vantent son phrasé lyrique, sa verve de tribun, doivent être sourds ce n'est pas possible ! Je sais que je ne suis pas habituée aux sonorités du turc mais quand même. Les rescapés du séisme ayant fait 47 000 morts ont voté d'une seule main pour le sultan Erdogan, dont l'abaissement des normes sismiques et la corruption ont sans doute permis toutes ces pertes. Comparez avec le Japon, autre pays sismique et ses multiples secousses, autrement plus intraitable sur la qualité de ses bâtis. Les gens des campagnes adorent les hommes à poigne, comme les femmes, qui consentent à leur soumission (mentalité d'esclave fulminait Madeleine Pelletier). Et son épouse, voilée, toujours à la remorque, trois pas derrière son géant, est le modèle proposé aux femmes turques. Ressac en cours. 

Xi Jin Ping : ne soyez pas dupe de sa tête bonasse de grand-père confiture ! C'est un redoutable tyran, moins brutal en apparence que son homologue russe, dont il s'apprête à bouffer la Sibérie, ses richesses minérales et son pétrole, ses vastes espaces non exploités, dont son milliard quatre d'habitants qui a rendu les siennes inexploitables a tellement soif, car le contrat social est : enrichissez-vous et laissez les vieux croûtons ex-maoïstes gouverner le pays, vous ficher, vous noter, rentrer dans votre intimité. Si jamais ce contrat était trahi, vous verriez les chinois des villes tentaculaires polluées, irrespirables, ensablées, sortir avec des feuilles A4, ça barderait ! Même concours de bite que les précédents : on sort ses engins phalliques en mer de Chine, porte-avions, bateaux de guerre, on frôle les avions de chasse de la petite Taïwan, modèle depuis 1992 de démocratie libérale, qui pourrait tellement tenter les grands chinois. Menace de contagion. La moindre étincelle peut mettre le feu à la poudrière.

Donald Trump, l'agresseur sexuel toujours prêt pour une main au cul, selon ses propres vantardises. Garçon impulsif peu entraîné à résister à la frustration, quatorze ans bien pesés d'âge mental, sa mère et ses gouvernantes devaient accourir pour satisfaire ses moindres souhaits de gosse capricieux. Ses grandes tiges de femmes portent à merveille de grandes cornes. Quand j'ai vu dernièrement des cartons affaissés, empilés dans ses toilettes et salles de bain en marbre dans sa maison de Mar a Lago, je me suis demandé s'il n'était pas atteint de syllogomanie, autrement nommée syndrome de Diogène qui oblige son porteur à accumuler sans fin. Ca y ressemblait diablement. De toutes façons ça ou autre chose, ce type est dérangé. Complotiste, pronunciamentiste, le remettre au pouvoir quatre années de plus me semble être la pire idée qui soit. Les Etats-Unis ont, c'est vrai, des institutions solides, vieilles de plus de deux cents ans, mais des agités du bocal surarmés qui courent dans les états ruraux, brandissant des crucifix et des fœtus en plastique, ou des bumper stickers évangéliques, moi ça ne me dit rien qui vaille. 

Jair Bolsonaro n'est plus au pouvoir, mais il fut et est le Trump brésilien au moins aussi toxique, et comme lui, en attente de sa revanche. Il est allé cuver sa défaite en Floride, sorte de pèlerinage, n'ayant pas, lui, réussi son coup d'état, les Brésiliens ayant appris du voisin. 

MBS Saoud, l'armoire à glace avec des mains comme des battoirs, le surmâle hypertrophié, ex-bédouin du désert mais avec des avions privés, des SUV et des smartphones dernière génération. Gardien des lieux saints de l'Islam, en bisbille avec l'autre gardien de la pureté de l'Islam, l'Iran, les héritiers du prophète s'étant écharpés comme des chiffonniers lors du partage de l'héritage, comme ceux du Christ d'ailleurs, loin de moi la pensée d'épargner une obédience plutôt qu'une autre, c'est de toutes façons vrai dans toutes les familles, ces lieux d'aaaamourrr. Tous ces virils portent la même toxicité. Découpeur  de journaliste dans une ambassade étrangère truffée de cameras et de micros, il faut admettre que le mec est quasi sûr de la couardise et du cynisme en face, donc de l'impunité. Grand manieur de sabre, il tranche la tête des apostats (reniant la religion du Royaume), voleurs ou homosexuels "sodomites". Les femmes adultères sont, elles, lapidées. Les femmes saoudiennes vont à l'université et aussitôt diplômées rentrent dûment au gynécée produire du petit saoudien. Vive la famille patriarcale, silence dans les alcôves, les oncles, pères ou frères ont droit de cuissage, vie et mort sur "leurs" femmes, filles, épouses, le pronom POSSESSIF est de rigueur. 

Ali Khamenei, le "Guide Suprême" aux montres de luxe et à la fortune estimée plus importante que les revenus pétroliers iraniens via un consortium familial. Un vrai ascète, comme il se doit de n'importe quel curé. Adepte, lui, de la grue pour pendre ses opposantes et opposants, il n'hésite pas à sacrifier la jeunesse de son pays pour maintenir son pouvoir. Ses brigades de la Vertu et de la prévention du vice ont fort à faire en ce moment avec un vent de contestation porté par les femmes qui en ont assez d'être empaquetées dans des tissus (par 50 °C !) et qui les enlèvent en pleine rue, provocation insupportable de la jeunesse à ces vieillards qui répondent par des arrestations arbitraires, disparitions et tortures, viols de manifestantes. Ces préhistoriques croient en effet qu'une fille violée avant d'être pendue n'ira pas au paradis. Mollah arriéré, il traque toutefois les opposant-es en utilisant toutes les techniques de flicage high tech, dont la reconnaissance faciale, ce qui oblige les iranien-nes à utiliser toutes sortes de parades technologiques pour éviter le traçage sur internet ou via leurs messageries. Comme il n'a pas peur de se battre sur plusieurs fronts, qu'il est antisioniste et antisémite, il soutient des groupes terroristes en Cisjordanie par haine de l'état hébreu. 

Haibatullah Ahkundzada émir d'Afghanistan, Chef suprême des Talibans, coupeur de mains et de têtes. Erudit, même, à force d'être taleb lui-même. Un pur de l'Islam des origines, bloqué en 632, l'âge d'or. Mais tout de même avec ordinateurs portables, smartphones sécurisés, gros SUV et kalachnikovs, faut savoir tenir son rang de Pachtoune tribal qui en a. Ancien fonctionnaire du Ministère de la Vertu et de la Répression du vice sous le règne Taliban en 1996 en Afghanistan, puis juriste des tribunaux chariatiques, le personnage est un viril hyperbolique frénétique. Son émirat interdit l'école aux filles et toute profession aux femmes, les envoile dans des burqas grillagées, et lapide les récalcitrantes. Depuis août 2021, date de sa prise de pouvoir, le pays meurt de faim, on y marie les fillettes pour survivre, le peu d'aide internationale est détournée par la corruption, et puis les mâles sont premiers servis de toutes façons, il reste aux femmes le suicide, ou fuir le pays en prenant tous les risques. Un vrai paradis pour la virilité poilue et couillue, un enfer étouffant pour les autres. L'ONU a beau s'égosiller, il est assuré de rester au pouvoir dans son pays tribal, les insuccès passés du "state building" des occidentaux le lui garantissent. Le malheur insondable des femmes est qu'elles produisent elles-mêmes leurs propres oppresseurs, qu'elles sont liées à eux par l'émotionnel et l'affectivité, le conflit de loyauté faisant des ravages, et que dans le cas des Afghanes, elles n'ont même pas le choix, même si la possibilité de choix acquise ailleurs est peu utilisée, les hormones et les injonctions sociétales conjuguées contribuent à les ferrer et leur faire croire que si elles n'y sacrifient pas, elles auront raté leur vie. 

Elon Musk, l'industriel viril hyperbolique, tenu pour un petit prodige par ses adorateurs transhumanistes, mâles généralement. Un dingue selon moi, sans limites, hybris hors contrôle, libertarien pour qui les valeurs morales se réduisent à des convictions subjectives appartenant au passé. Ce messianique (encore un !) veut "sauver la civilisation". Il a pour projet un voyage sans retour sur Mars. J'espère qu'il tiendra parole. En attendant ses essais pour s'envoyer en l'air ont un succès mitigé, ses débris de fusées retombant en morceaux fumants et polluants sur les villageois qui ont le malheur de se trouver sous leur trajectoire. Comme tout mâle croyant en sa valeur, il laissera traîner ses précieux gamètes : il a en effet apparemment une qualité de sperme qui lui permet d'en mettre en route par deux ou trois à la fois. Il est père hyperbolique de dix enfants, eus de femmes différentes, enfants à qui il donne des prénoms à leur faire faire des psychothérapies la vie entière. Pour son projet Neuralink, il a fait mâletraiter des singes, chiens, moutons, rats et souris dits "de laboratoires" en leur implantant des puces électroniques dans le cerveau, provoquant infections, convulsions et morts atroces. En plus d'un juge fédéral, il a des associations de protection animale sur le râble, ce serait jouissif qu'elles lui fassent mordre la poussière. J'ai plus confiance en elles qu'en n'importe quel comité d'éthique. A mon avis, il nourrit des ambitions et reluque du côté de la Maison Blanche, inspiré par Trump. En attendant, il fait concours de bites symboliques avec son grand rival Jeff Bezos. 

Il faudrait citer aussi : Narendra Modi, le nationaliste hindou, le Tunisien Kais Saïed et l'Egyptien Fattah-Al-Sissi qui ne sait plus où empiler sa surpopulation, ces deux derniers en train comme Erdogan, de liquider les acquis de leurs prédécesseurs progressistes, Bourguiba, Nasser, Ataturk, et ceux des Printemps arabes. La virilité hyperbolique empêche chez ces nations arabes tout progrès culturel. Tout en ayant des SUV et des smartphones, ils restent coincés dans des "traditions" archaïques et obscurantistes, sans voir que celles et ceux qui votent avec leurs pieds viennent chercher refuge en Europe, dans nos démocraties sociales-démocrates, pas chez les fous de dieu saoudiens (sauf Benzema dont les trois neurones et un compte en banque garni lui permettent de se réjouir "qu'un Musulman est MIEUX dans un pays musulman" SIC) ni chez les ayatollahs iraniens, pas plus non plus chez les Pachtounes afghans talibans. Je n'oublie pas Kim Jong Un, son peuple enfermé dans la paranoïa de son dirigeant, ses essais de lancements de missiles intercontinentaux et de satellite, son arsenal nucléaire, et sa loi sur l'interdiction du suicide, tellement la vie est joyeuse sous sa tyrannie. 

Liste non exhaustive : ce club de la lose ne comporte AUCUNE femme, parce que je n'en ai pas trouvé à la hauteur ; il n'y a rien de plus répandu sur la planète que le parasitisme masculin viril. Mais j'accepte les suggestions. 

Quelques-uns des noms grandiloquents et ridicules dont ils s'affublent : 

Guide suprême, Frère Numéro Un, Petit Père des Peuples, Conducator, Grand Timonier, Kaiser, Tsar, tous déclinaisons de César, celui qui a laissé son nom à la fonction Mâle Alpha ; El Commandante,  Guide et ses déclinaisons en différentes langues, Führer, Caudillo, Duce... 

Ces comportements de virils, prédateurs, coloniaux, extractivistes, épuisant la nature, les bêtes et les femmes, gravés dans leurs textes patriarcaux inamendables ne sont plus pertinents, s'ils l'ont jamais été, ce que je ne crois pas. Si l'humanité s'est maintenue jusqu'à maintenant c'est grâce aux femmes et à leur abnégation incompréhensible, payant de leur personne pour assurer l'intendance, le gîte, le couvert, l'entretien, le réconfort, la reproduction et l'élevage des enfants, la réponse des hommes ayant souvent été les coups, le viol et le meurtre, une guerre d'attrition sans fin. Ils se sont contentés de jouer les parasites en réécrivant l'histoire à la gloire de leurs contre-exploits. C'est le bout du chemin, s'ils n'arrivent pas à se débarrasser de leur agressivité dans une compétition sans fin, la lutte pour les ressources en nourriture, eau et air pur va tourner au carnage. Elon Musk et quelques autres réussiront peut-être à quitter le vaisseau Terre pour Mars, mais certainement pas l'humanité entière, qui restera crever dans les miasmes et une température de chaudron ! Leur attitude ressemble de plus en plus à une fuite. 

Sur le modèle d'une épidémie, notre espèce aura longtemps ramé pour s'imposer, elle aura vécu une longue incubation, pour brusquement flamber, puis inexorablement décliner comme un vulgaire SARS-COV II, ou une grippe de Hong Kong. De façon insensée, the elephant in the room, la virilité et sa violence considérées comme des fatalités de l'espèce, ont gagné au fil des millénaires le statut de norme, l'anomalie étant le calme des femmes ! Au point qu'elles sont impossibles à dire et à nommer. Or on ne remédie pas à ce qu'on ne nomme pas. On ne lutte pas contre ce qu'on ne sait pas dire. 

Le viril est assez littéral " : il a un gros engin entre les jambes.

L'essence même de la souveraineté c'est la guerre."

La matriarche virilise et revirilise son fils. "

" On ne peut venir à bout de l'autoritarisme sans dénouer les effets dévastateurs du viril et de la mère " *  

* Les citations sont tirées du Genre intraitable de la philosophe Nadia Tazi.  


C'était une bonne idée, chère Mary Daly (où que tu sois, je t'embrasse) mais ça n'arrivera pas. La mentalité d'esclave aussi bien des peuples que des femmes, font qu'on ne s'en sortira pas. Ou alors en si piteux état que les restants pourraient regretter d''avoir perduré. 

lundi 29 mai 2023

Sortir (enfin) du victimaire

Les actualités débordent d'affaires de viols, de femmes battues, tuées, victimes de féminicides, de rapts d'enfants pour "punir" la mère d'avoir quitté le Prince Cogneur ; les témoignages de femmes font les succès éditoriaux, à raison, car ils sont de grande qualité littéraire souvent, et les réalisatrices/teurs de cinéma s'emparent du sujet avec tout leur talent. Jusqu'à la garde de  Xavier Legrand en 2017, La nuit du douze qui relance la carrière de Dominik Moll en 2022, tous deux traités en mode thriller, et en ce moment sur les écrans, L'amour et les forêts de Valérie Donzelli, sur une emprise conjugale (maritale). Toutes ces productions attirent l'attention sur des faits criminels qui étaient jusqu'ici réservés à la rubrique des faits divers locaux, ou pire tus, les violences conjugales généralement considérées comme un comportement déviant des hommes, à seuil incompressible, une sorte de fatalité, le viol lui, réputé rare, et le fait de simples brutes, comme écrivait Françoise d'Eaubonne. Il était surtout rare parce qu'on n'en parlait pas. 

Les garçons jouent à Du Guesclin ou au Chevalier Bayard, nous il ne nous viendrait pas à l'idée de jouer à Jeanne d'arc, une martyre, mains jointes, yeux renversés regardant vers le ciel, les flammes du bûcher lui léchant les pieds ; les scènes de Jeanne qui ont existé aussi, guerrière en arme, vainqueure, triomphante à Orléans où elle fait lever le siège des anglais, puis sa chevauchée victorieuse jusqu'à Reims, ne soulèvent pas l'enthousiasme des filles en mal d'héroïnes. " Il n'est de bonne héroïne que morte. " Personne ne peut s'identifier à un destin aussi atroce !

" Je crois que c'est précisément sa mort qui justifie la place de Jeanne d'Arc dans les livres d'histoire (HIStoire, his story). Guerrière, victorieuse et heureuse, elle aurait sans doute perdu beaucoup de son prestige auprès des historiens qui, à tout le moins, auraient alors tenté de déprécier son image. Car la femme qui prend les armes, quelle que soit la justesse de sa cause, ne peut que mal finir, et on ne l'excuse que si c'est contre son gré (Jeanne, la douce bergère, obéissant à Dieu et à ses voix) et si elle finit mal. La guerrière n'est justifiée que par son sacrifice qui lui fait réintégrer le rôle de victime dévolu aux femmes, et par une vie irréprochable qui lui permet d'accéder à la sainteté. Il fallait que Jeanne soit réputée pucelle (quoique violée par ses gardes, mais le patriarcat couillu n'en est plus à une contradiction criminelle près) pour passer à la légende de l'HIStoire. "*  

Il faut toutefois se demander à l'instar de Marie-Jo Bonnet (voir billet ci-dessous) si toutes ces fictions et histoires épiques, tirées de la réalité la plus sombre ne pèsent pas sur notre moral, notre psyché, en nous traitant en perpétuelles victimes, les hommes agresseurs, et les femmes éternellement allant à l'équarrissage sous leurs couteaux de bouchers ou sur leurs bûchers. Essayez juste de parler ou de revendiquer la légitime défense, et on vous traite de pétroleuse, virago, bréhaigne, ou sorcière coupeuse de couilles. J'ai essayé plein de fois, en mode guérilla urbaine, je peux témoigner des réactions outrées que j'ai encaissées ; c'était moi l'agressive, pour hommes et femmes confondus.

Aussi, je propose dans ce billet quelques idées et modes de comportement pour cultiver son assertivité, sa présence corporelle dans les endroits réputés hostiles, sa confiance en soi. 

D'abord se nettoyer le cerveau des histoires de prince charmant et de dormeuse au bois. Vous aussi vous coupez des ronces et escaladez des murs. Donc vous n'avez pas forcément besoin de vous en "trouver un et le garder". Ce n'est de toutes façons pas écrit dans le marbre de la Constitution. Pas plus qu'il n'est écrit que les hommes ont droit à un paillasson souffre-douleur à la maison.

DANS LA SPHERE PRIVEE

 Si vous projetez toutefois de vous engager, ne perdez pas de vue que c'est lorsque vous êtes ferrée (même domicile, mariée, enceinte) que les personnalités perverses se déchaînent ; avant, ils ne sont que douceur et prévenances, vous n'y voyez que du bleu. Le double domicile, quoique économiquement dispendieux, est une garantie d'avoir une porte de sortie. Gardez votre profession et votre salaire : ils sont les garants de votre indépendance économique. Personne ne sait ce que l'avenir réserve. Ne vous laissez pas couper de votre entourage, ils font partie de votre jardin personnel, pas plus que vous n'êtes obligée de supporter les copains de votre conjoint s'ils ne vous plaisent pas ; le kibboutz socialiste c'est bien pour faire pousser des pamplemousses en Israël, son organisation communautaire n'est pas adaptée à votre espace domestique. 

DANS LA SPHERE PUBLIQUE

Dans la rue, réputée espace des hommes, hostile aux femmes, marchez au milieu du trottoir, ne rasez pas les murs. Votre attitude physique est signal pour les hommes qui passent. Si on vous aborde, soyez assertive : on vous demande l'heure (un classique, la pauvreté de leur imagination pour aborder une femme est confondante) ? Donnez l'heure et passez votre chemin. Pareil pour du feu, d'ailleurs vous n'en avez pas, vous ne fumez pas. Il vous tutoie ? Répondez en le vouvoyant, vous n'avez pas ramassé les patates ensemble. 

Apprenez à vous défendre. A l'instar de Françoise d'Eaubonne qui était judoka, prenez des cours de sports de combat : taïchi chuan, krav maga, épée, boxe, peu importe, vous y gagnerez en présence, vous n'aurez sans doute jamais à vous en servir mais au cas où, vous assurerez. Ayez un système de défense dans votre sac, spray anti-agression par exemple, même remarque, vous n'aurez sans doute pas à le sortir mais on ne sait jamais, il suffit d'une fois. Et il vous rassurera. 

Soyez vigilante pour vous et les autres, femmes, filles, enfants. Soyez solidaire : on n'insulte pas, ne menace pas, ne dégrade pas quelqu'un-e devant vous sans que vous réagissiez, minimum en mobilisant de l'aide, en reportant à la police si vous êtes témoin. 

EN SOCIETE, AU TRAVAIL

Vous n'êtes pas obligée de fréquenter les lourdauds. S'ils sont odieux, insistants, tenant des propos déplacés, cessez la relation. La situation devient scabreuse ? Protestez et sortez de la pièce. Vous allez passer pour prude et coincée, on s'en fout. C'est votre style, à prendre ou à laisser. Take it or leave it. Un rappel : on ne passe pas d'entretien d'embauche ni d'évaluation professionnelle dans une chambre ni à l'hôtel (sauf si on y a loué un bureau, des hôtels en offrent, mais on vous l'aura précisé lors de l'arrangement du rendez-vous). Si on vous le propose, refusez, l'affaire est de toutes façons mal engagée. Dans le même ordre d'idées, ne montez pas dans un ascenseur bourré de mecs (caractéristique des centres d'affaires) même si vous êtes pressée. Dites que vous allez attendre le prochain omnibus, ne leur demandez même pas où ils vont (en enfer, n'en doutez pas) pour avoir l'air de justifier votre refus. 

Si vous n'êtes pas organisatrice, ne soyez pas spontanément accueillante ni souriante dans un milieu que vous ne connaissez pas ; restez sur la réserve, le temps d'évaluer la situation. 

Les femmes qu'on n'élève pas en leur apprenant à se défendre sont de fait enclines à faire dévolution de leur sécurité à l'adversaire de classe. Pour remédier à cette déplorable habitude, engagez-vous dans des mouvements et collectifs féministes, environnementalistes, participez à leurs actions de rues, voire de guérilla urbaine. Les femmes ne naissent pas non-violentes, et elles ne sont pas condamnées à prendre des insultes et des coups. N'oubliez jamais qu'ils sont un moyen de contrôle social des femmes. La société, l'état, leur police et leur justice, sont les instruments de ce contrôle social, d'où leur faible capacité à mobiliser des moyens et à légiférer ou juger, de façon dissuasive. 

oOo

Se réapproprier son corps.

" Ce tabou levé sur notre violence initiale de femmes, toujours refoulée, toujours auto-censurée, qui fait si souvent de nous des 'non-violentes' à la façon du renard de la fable qui a la queue coupée et explique aux autres renards que c'est eux qui ont tort d'en avoir une, est-ce que ce n'est pas une explication du profond frémissement qui ébranle chacune d'entre nous devant l'histoire d'une Ulrike, d'une Gudrun **?

Sommes-nous donc à la veille de les imiter, nous qui craignons si fort l'escalade -à laquelle nous ramène chrétiennement Bruno Frappat qui dans Le Monde mit en garde contre les représailles les quelques féministes qui voudraient imiter les Dolle Mina d'Amsterdam et former des commandos anti-violeurs- nous qui avons peur de donner un coup de poing autant que de le recevoir, qui n'osons pas courir dans la rue, escalader un mur, nous asseoir sur un banc à côté d'un inconnu, nous aventurer dans un espace désert ? Avons-nous suffisamment réfléchi au sens de la formule : se réapproprier son corps ? Dans les milieux féministes, elle est toujours employée dans un sens sexuel : pouvoir faire l'amour ou le refuser, pouvoir être mère ou ne pas l'être ; au mieux, pouvoir contrôler l'espace public réservé aux hommes sans nous heurter à l'insulte physique, la drague, la violence. On n'a pas encore réfléchi sur la nécessité de nous réapproprier l'agressivité, ou plutôt, tout simplement, sa possibilité ; redécouvrir les attitudes ignorées, refoulées, qui nous font si peur, les plus simples positions combatives du corps ***. L'être humain ne se sert que des deux cinquièmes de son cerveau, dit-on ? S'il en est du deuxième sexe, il ne connaît que la moitié -ou moins encore- des attitudes corporelles. 

(Et c'est là encore, soit dit en passant, qu'on peut faire échec au retour par la bande des vieilles métaphysiques de la biologie et de tous les 'faits féminins' quand on prétend que la relation imparfaite de la femme à l'espace est innée !). "

* Texte d'Evelyne Le Garrec répondant à Françoise d'Eaubonne. Pour une salutaire piqure immunisante contre ce statut de martyre, lire le chapitre sur la femme vierge dans Coïts d'Andrea Dworkin, où elle rend un hommage vibrant à Jeanne, refusante de la trivialisation dans l'asservissement domestique et sexuel à un ou des hommes, et dont elle fait une proto-féministe. 

** Respectivement Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, têtes pensantes de la RAF (Fraction Armée Rouge) ou groupe Baader, qui commettaient des attentats contre les centres de pouvoir dans les années 70 en RFA, sur la violence desquelles j'avais écrit un article consacré aux Amazones de la terreur, ouvrage de Fanny Bugnon, historienne des mouvements sociaux. 

*** Françoise d'Eaubonne a pratiqué le judo toute sa vie, dès la prime enfance. 

" A la rencontre une femme a dit : 'La violence est une dégénérescence de l'agressivité, le culte de la mort, de ce qui détruit...' Et cette femme conclut : '...alors que l'agressivité est une expression de l'instinct vital. NOUS DEVONS REVENDIQUER L'AGRESSIVITE. " (Histoire d'elles n°5) 

" Et cessons de croire que nous pouvons changer l'ennemi. "

** Ces citations en gras bleu ou rouge sont toutes tirées de Contre-violence ou la résistance à l'état de Françoise d'Eaubonne, chez Cambourakis Editeur. Mon résume est chez Babelio, ainsi qu'une citation qui représente bien le style épique de d'Eaubonne.