mardi 15 février 2022

Utilisateurs de la gestation pour autrui : souffrants ou égoïstes ?

Mercredi 9 février, France 2 télévision de service public, diffusait en première partie de soirée un téléfilm faisant la promotion de la GPA (gestation pour autrui) au scénario adapté du récit de Marc-Olivier Fogiel sur son parcours de couple ayant eu recours à cette technique aux USA pour avoir deux filles. Rappelons que cette pratique est illégale en France, qu'il est donc étrange qu'une chaîne de service public en fasse la promotion avec l'argent de notre redevance. J'avoue ne pas avoir regardé, ni le téléfilm, ni le débat qui suivait : à lire les critiques et les interviews, comme à chaque fois, cela donne un scénario bourré de pathos ; le débat devait être un alibi mettant face à face deux camps à jamais irréconciliables, procédé dont la télévision raffole. Je suis tout de même tombée sur quelques tweets et vidéos confirmant ce que je craignais. 

Sofia Essaïdi, actrice principale, dans cet article du Figaro parle d'amour (ah l'amour, comment aller contre ?) et surtout s'exprime dans cette phrase, titre d'article : "La gestation pour autrui, c'est une histoire de gens qui souffrent". De ne pas pouvoir enfanter, et ensuite du regard des autres, quand surmontant la réticence de la société, ils décident malgré tout de braver la loi. Peut-on rappeler à Sofia Essaïdi que la maternité, cette "affaire de femmes" a longtemps été un océan de souffrance pour les femmes ? En cinquante ans, on est passées de la maternité malédiction à la maternité à tout prix. De l'enfant malheur à l'enfant-roi, puis à l'enfant à tout prix. Allez juste jeter un œil sur le bouleversant film de Claude Chabrol sur la seule femme Marie-Louise Giraud, condamnée à mort et guillotinée en France en 1943 pour avoir pratiqué 27 avortements : les arguments des femmes qui ont recours à elle sont déchirants. Ma propre enfance a été bercée de témoignages de femmes du voisinage, et de mes aïeules se lâchant quand elles étaient entre elles sur leurs grossesses (pas souvent désirées) et leurs accouchements (la plupart du temps décrits comme des boucheries). J'aurais un souvenir de récit d'un parcours de roses, promis, j'en ferais état, mais je n'en ai pas. Rajoutons que la longue période de l'histoire où l'espérance de vie de l'humanité ne dépassait pas 25 ou 30 ans, était majoritairement due aux mortes lors de la grossesse et de l'accouchement. Les femmes mouraient en couche, les femmes souffraient, les femmes payaient de leur vie ce douteux privilège de donner la vie. Ne parlons même pas des comportements masculins irresponsables, semant à tout vent et n'endossant que rarement leur paternité ni même une quelconque responsabilité, les femmes portaient seules la charge et souvent l'opprobre de la société. Donc, désolée, je ne partage pas cette idée de souffrance, je préfère vivre au XXe et XXIe siècles dans un pays où la GPA désirable par quelques couples, en majorité hétérosexuels d'ailleurs, est interdite pour des raisons d'éthique. Et surtout, où les moyens de contraception sont accessibles, bon marché voire gratuits, et l'IVG légale. 

" Un enfant si je veux ", le slogan radical des militantes féministes des décennies 60 /70 luttant pour la contraception et l'avortement, hélas tempéré par sa subordonnée " quand je veux " se retourne contre nous : "mon corps, mon choix, mon droit" est désormais invoqué par les libéraux et libérales pour justifier les pires exploitations du corps des femmes dans la pornographie, la prostitution rebaptisée "travail du sexe", et dans la reproduction sous couvert d'altruisme et d'empowerment des femmes dans la GPA. Le patriarcat, jamais défait, toujours renaissant, toujours diviseur, après avoir été chassé par la porte revient par la fenêtre en détournant à ses fins -l'accès au corps des femmes et à leur fonction reproductive-, invoquant le libre choix individuel et le libéralisme, et détournant à son profit les slogans des féministes et de leurs acquis collectifs.  

Comment être contre l'altruisme ? Comment dire que oui, il y a des couples stériles physiquement (hétéros) et socialement (gays et lesbiennes) que je comprends que cela les met à l'épreuve, mais que ce n'est pas aux femmes d'aliéner leur corps pour leur servir de pansement sans passer pour une égoïste ? Au contraire n'est-ce pas eux les égoïstes, louant un corps de femme, achetant un enfant, qui aura toutes les peines à acquérir la nationalité française puisqu'acheté / né à l'étranger, ce que la loi française condamne. N'est-ce pas imposer son égotisme en mettant les autorités d'un pays devant le fait accompli en créant des précédents, en imposant leurs enfants et exigeant du législateur la reconnaissance de leur action illégale en le mettant en demeure de considérer l'intérêt de leur enfant, intérêt dont eux ont fait bon marché pour commencer ? 

Dans cette vidéo Youtube de C à vous sur la chaîne France 5, on voit Marc Olivier Fogiel (MOF) "raconter son combat pour la GPA" en face d'Anne-Elizabeth Lemoine : la télé invite la télé, et notion toujours floue pour les Français, on frôle le conflit d'intérêts puisque MOF est le puissant patron du groupe de télévision RMC /BFM TV et qu'Anne-Elizabeth Lemoine peut avoir de bonnes raisons de ne pas insulter son avenir face à un futur éventuel employeur. Je ne dis pas qu'elle le ferait, je dis seulement qu'elle se met dans une position délicate et qu'on peut poser la question. Outre cette première remarque, le verbatim de la vidéo est orienté don de soi, amour, générosité des femmes porteuses, quasi incompréhensible pour les féministes "qui n'ont jamais parlé avec elles", donc seraient incompétentes sur la question, et le slogan libéral est dit par MOF citant une femme porteuse sans doute étasunienne "ma plus grande liberté c'est de faire ce que je veux de mon corps". Aliéner sa liberté au moins pendant neuf mois, ce serait poser un acte de liberté suprême, discours habituel des libéraux, dès lors qu'il s'agit d'un choix individuel qui, du fait, ne serait pas critiquable. Tout cela baigne dans une émotion et une émotivité bourbeuse qu'on reprocherait ailleurs, par exemple à une défenseure des animaux sur le même genre de plateau, comme un travers de femmelette pleureuse, tout comme on lui reprocherait de projeter ses affects et sensations sur les autres. Evidemment, "l'insécurité des enfants non reconnus par l'état" -refus de nationalité- est totalement à charge contre notre vilaine société, certainement pas des parents qui bravent la loi votée par le collectif social, alors qu'ils imposent leurs choix individuels qu'on peut, dans un cadre normal, qualifier d'égoïstes, en mettant la société devant le fait accompli en rentrant avec un enfant "illégal" et en intentant ensuite des actions en justice. 

Alors oui, j'avoue, je n'ai jamais parlé avec une mère porteuse, ce qui me disqualifierait pour avoir une idée sensée et surtout des principes sur le sujet, à cause de mon ignorance profonde ? Si je rencontrais une mère porteuse je l'écouterais parler de son choix en espérant seulement qu'elle l'a fait en auto-détermination, sans pression sociale ni économique, ni due à son éducation. Je pourrais aussi croire à sa sincérité. Ce qui me m'empêcherait pas d'avoir et d'être ferme sur les principes selon ce que je sais du statut social des femmes : les femmes ont toujours été considérées comme devant des services domestiques, sexuels et reproductifs aux hommes et à la société ; les femmes constituent l'énorme masse des économiquement faibles partout dans le monde. Le risque est donc immense de céder à la tentation de gagner de l'argent -ce que je ne condamne pas non plus en soi- en aliénant une partie de leur temps et de leur corps, en le louant ou le vendant au plus offrant pour accéder à plus de confort personnel pour elles et surtout pour les leurs, l'expérience nous montrant que les femmes dépensent leur argent pour le confort des autres. Ceci en se faisant appliquer des techniques d'élevage au préalable expérimentées sur les corps des femelles animales (ce qui me révulse également !) surexploitées jusqu'au trognon par notre arrogante et capricieuse espèce. Le ver est dans le fruit, le modèle est délétère.

Donc, oui, rationnellement et j'insiste sur la démarche rationnelle : je défends que le corps humain est incessible, inaliénable, donc qu'on ne le vend ni ne le loue, en totalité dans l'esclavage, ni à la découpe, en pièces détachées, comme dans la prostitution commodément rebaptisée "travail du sexe", dans la pornographie, ou dans la fonction de mère porteuse. On ne vend ni n'achète pas non plus un enfant. Je soutiens aussi que la loi précède en force les choix individuels aliénants, car pour citer Lacordaire, "entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. " Je défends aussi que les lois dont nous nous sommes dotés démocratiquement, voulues collectivement après une longue exigence et parfois de durs combats, sont d'essence supérieure à tous les choix fussent-ils individuels, fussent-ils affublés de la notion de "libre-choix". On sait les inversions, les détournements de notions dont se rendent régulièrement coupables les patriarcaux pour nous faire admettre leur agenda politique. Donc, prudence. Que des gens fassent du militantisme, je le comprends aussi, mais dans ce cas-là disons-le nettement, ces émissions ouvrent leurs micros à des militant-es qui ont un projet politique, faire admettre qu'une femme porte un enfant dont elle n'est pas légalement la mère parce que l'ovocyte fécondé vient d'autres qui veulent être parents à tout prix contre paiement et annexion de sa liberté pendant neuf mois, parce que par contrat on exigera qu'elle se soumette entièrement à des techniques invasives et hormonales avant et pendant sa grossesse pour qu'elle livre  son "produit", enfant auquel elle a renoncé, conformément au contrat qu'elle a signé. C'est cela la réalité de la gestation pour autrui. 

Lien pour aller plus loin : Un article publié en mars 2019 sur le livre Tristes grossesses, l'affaire des époux Bac qui fera prendre conscience à la France nataliste des années 50 du sort des femmes accablées de grossesses, prise de conscience qui débouchera sur la loi Neuwirth en 1967.