jeudi 27 mars 2014

Reprenons la rue et la nuit !

Let's take back the night !


Cette affiche a été sélectionnée 3ème parmi les lauréates du concours EgalitéE 2014 du Ministère des droits des femmes pour le 8 mars. C'est ma préférée parmi toutes les propositions.

Les marches de nuit existent depuis les années 70 : la première a eu lieu en 1975 à Philadelphie à la suite du meurtre d'une jeune femme marchant seule le soir dans la rue. Elles seront reprises par les féministes partout dans le monde pour affirmer le droit des femmes à être présentes dans l'espace public la nuit, au même titre que les hommes. Des marches de nuit sont organisées régulièrement dans des villes européennes, françaises, et notamment en régions. J'ai personnellement participé à deux à Rennes, la dernière fois le 8 octobre 2012. Mon reportage texte et photos est ICI. Il est important d'en organiser et d'y participer : cela renforce la solidarité entre femmes, rappelle aux hommes qu'ils n'ont pas toute la place, et c'est facteur d'empowerment pour les femmes qui marchent.

Liens pour vous tenir informées (vous pouvez aussi organiser la vôtre) :  Le collectif Marche de Nuit (arrêt de publication en 2010) - Rage de nuit.


Une autre façon de s'approprier la rue, ce sont les inscriptions au stencil sur les murs ! Le stencil ou pochoir, c'est pratique, rapide (il vaut mieux éviter de se faire prendre : il a été inventé pour pouvoir déguerpir plus vite en cas de surgissement de la maréchaussée) et votre message est tout prêt à l'emploi. Utilisez des formules en français : vous serez plus sûre d'être comprises par les gros lourdauds qui harcèlent les femmes dans la rue. Il ne faut jamais sous-estimer l'adversaire, mais il est quand même douteux qu'ils soient tous bilingues anglais. Et puis, il peut y en avoir de crispés sur la francophonie. Donc, vos formules seront en français : "Joli cul" barré comme ci-dessus, ou "non, c'est non", ou "Je souris si je veux !".
Lien pour fabriquer vos stencils, doc PDF  : NON - JOLI CUL - Hé SEXY (à superposer avec NON) - J'ai trouvé tous ces PDF sur ce site STOPStreetHarassment.

Vous pouvez aussi préparer vos affiches et vos bandeaux à coller comme dans la vidéo ci-dessous :



Plus les formules sont courtes, plus elles sont percutantes ! Utilisez les murs, les escaliers, le bitume ! Il n'y aucune raison que là encore, les hommes occupent l'espace, la plupart du temps pour des gribouillis sans signification : eux, ils ne font que salir. Vos messages à vous seront signifiants, donc il n'en seront que plus visibles.

La ville est faite pour les garçons, comme le rappelle dans le journal du CNRS, yves Raibaud, géographe du genre. L'invasion de street parks, dernière lubie à la mode pour calmer leurs frustrations et leur rage, leur violence en un mot, en témoigne. J'en ai deux dans mon quartier : un a coûté la bagatelle de 500 000 euros, et il enlaidit avec son béton omniprésent l'arrière d'un jardin public. Passant auprès plusieurs fois par semaine, je peux témoigner que bien qu'ouvert aux deux sexes, il n'y a que des garçons dessus ! Lors d'une réunion de quartier avec l'élue municipale (la femme du Ministre actuel des armées, au passage) je m'étais ouverte de ce scandale, soulignant que malgré cela les garçons du quartier jouent au foot dans les squares et les rues où les femmes passent, faisant un hold up permanent sur des espaces qui sont à tout le monde. Succès garanti : personne évidemment n'avait vu les choses de ce point de vue féministe. Je suis passée pour la pétroleuse du quartier, mais peu importe, on m'a écoutée. Mais le street park est là : et il ne les empêche pas d'aller faire rouler leurs planches ailleurs quand il pleut. Un d'eux, un jour que je râlais qu'il était dans le passage et que le street park était à 40 mètres, m'a expliqué que sa planche ne supportait pas l'eau ! Non mais, ce culot phénoménal ! Donc, quand j'ai des trucs à dire, moi aussi, je prends la rue d'assaut, le jour, la nuit. Sans masque de fantômette, mais le cœur y est. On n'a pas besoin de leur permission !

Liens :
Pour trouver de l'inspiration, du matériel militant et des pochoirs, on peut visiter mon board Féminisme sur Pinterest. Si vous êtes parisienne, Les Effrontées font une "criée dans le métro" le 28 mars.
Miss Tic, graffeuse et artiste de rue, femme de l'être.

jeudi 20 mars 2014

Les dernières boulettes du lobby de la viande


Oui aux poulets bien élevés. Oui aux dindes bien élevées. Non aux volailles sans papiers. Les trois slogans sexistes, racistes et réactionnaires, écrits au  marqueurs sur la poitrine nue d'un homme campé devant un tunnel à poulets : c'est la dernière campagne de l'Association de Promotion de la Volaille française.
Voici la video montrant les trois clips que vous pouvez voir sur vos télévisions, hors écrans publicitaires, puisque je l'ai vue sur France 2 après 20H30, horaire où la pub est normalement bannie de leurs écrans. Ce ne serait pas de la pub, ce seraient des messages à caractère informatif d'intérêt général !



La poitrine nue du monsieur vous rappelle-t-elle quelque chose ? Les activistes FEMEN et leurs slogans anti-patriarcat écrits sur la poitrine ? Ils n'ont quand même pas osé mettre une femme bien que "dinde"", volaille", "poule", "poulette", "oie" font traditionnellement partie du vocabulaire sexiste/spéciste péjoratif dont on affuble les femmes pour les animaliser et les diminuer. Mais c'était bien l'idée de départ ! Ici, ils ont mis un homme, "un Hommen", dit le site sopeople qui dénonce le spot. STOP Homophobie a également réagi sur son compte Twitter :

A ceci près que FEMEN est un mouvement féministe, donc de libération (quoi qu'on pense par ailleurs de leurs méthodes d'activisme) et que Hommen est un mouvement réactionnaire d'hommes voulant contrecarrer le combat féministe. Mettre ces deux mouvements en parallèle est donc une mauvaise action. De plus, les Hommen avancent masqués au contraire des Femen qui manifestent à visage découvert. Ça fait deux grosses différences. Aussi, merci à l'APVF de comparer les femmes à de la volaille pour nous vendre ses productions industrielles maltraitantes des animaux, en prétendant en plus défendre la condition animale !
Car le monsieur est campé devant un concentrationnaire tunnel à poulets, sans air et sans lumière. Je vous garantis qu'il suffit de pénétrer dans un de ces tunnels à poulets ou à dindes, avec des milliers d'oiseaux à l'intérieur, pour savoir que c'est absolument irrespirable. On nous prend pour des gogos.

Pour faire bonne mesure, Les Nouvelles de Sablé, un journal local sarthois, rapporte que Loué "pays de la volaille, de la poulette" (entend-on sur la vidéo de promo en bas de l'article) aurait servi de décor au tournage d'un film porno, impactant négativement l'image de la ville, de la marque Poulets fermiers de Loué, et de ses valeureux producteurs de poulets de plein air ! Pas un mot sur l'outrage fait aux femmes, traitées de volailles dans la bande annonce, bien entendu. Je ne parle même pas de l'exploitation et de la dégradation de leur corps par l'industrie de la pornographie. J'espère que les éleveurs de volailles de Loué ne regardent jamais un seul film porno, mais j'ai des doutes. L'affaire a traversé la Manche : le Télégraph rapporte que le tournage d'un film porno (interdit dans un lieu public en France, précise l'article) a "hérissé les plumes du maire" (ah, ha, ah), que la gendarmerie s'en est mêlée et a mené l'enquête pour savoir si la dame filmée dans la bande-annonce serait par hasard du coin. On aimerait que les gendarmes mettent autant de zèle à lutter contre la violence maritale, les femmes exploitées par l'industrie de la pornographie, et à traquer les mâles-traitants de toutes obédiences, y compris les contrevenants aux lois de protection animale dans les élevages !
oOo

Une mention sur un excellent article de Charlie-Hebdo de cette semaine "Du compost dans la tête" de Gérard Biard (A la manivelle) qui revient sur l'abstention de José Bové et Daniel Cohn-Bendit lors du vote du parlement européen sur l'égalité femmes-hommes à cause de la phrase "La prostitution est une violence faite aux femmes", dans le texte qui compte 90 recommandations relatives aux droits des femmes. Un court extrait de l'article de Gérard Biard : "Les verts sont contre la marchandisation, sauf celle des corps. Ils sont contre les lois du marché sauf lorsqu'elles s'appliquent à la sexualité et à l'intime. Ils sont pour la décroissance sauf celle des violences que subissent quotidiennement des millions de femmes contraintes de subir un moyenne une vingtaine de rapports sexuels par jour. [...]. Ils prétendent vouloir changer le monde, mais défendent un privilège archaïque qui met des êtres humains -des femmes- à la disposition sexuelle d'autres êtres humains -des hommes." Super article, qui vaut d'être lu en entier -page 5 ! Certains Verts sont vraiment désespérants.

vendredi 14 mars 2014

Revue de web féministe


Affiche du site de la campagne STOP au déni : campagne lancée le 8 mars, qui dénonce la non-reconnaissance des victimes de viol. Vous trouverez sur le site, le clip vidéo, le dossier de presse, et des ressources à destination des victimes, des professionnels et des aidants.

Stéphanie la Renarde me signale ce beau documentaire de LCP-AN que j'ai loupé lors de ses diffusions mais que j'ai regardé ICI : Le ventre des femmes, sujet sur une campagne de stérilisation forcée entre 1996 et 1997 sous la dictature Fujimori au Pérou. Au départ, il s'agit d'une bonne intention de développement  et de réduction de la pauvreté après la Conférence de Pékin organisée par l'ONU en 1995, conférence mondiale sur les femmes : égalité, développement et paix. Il s'agissait de lutter contre la pauvreté et de développer le planning familial, projet dont s'empare le Pérou de Fujimori. Aidé par du beau monde : USAID, un organisme américain d'aide au développement, la Banque Mondiale, et les Nations Unies. Ça va vite tourner à la violation des droits humains : une dictature qui a besoin d'emprunter de l'argent à la Banque Mondiale, une organisation industrielle des opérations de "planning familial", des objectifs chiffrés, et une compétition entre hôpitaux : au final 300 000 femmes indiennes stérilisées quasi de force, pour une dépense de 240 millions de dollars qui auraient été mieux investis dans la santé reproductive de ces femmes. Rappelons que le Pérou, conservateur et très catholique, est un pays où les femmes n'ont pas accès à l'IVG. Devinez qui au final a tiré les marrons du feu en faisant un gros lobbying auprès du Congrès américain ? Le PRI (Population Research Intitute) une ONG résolument anti-avortement ! Contrôler de toutes les façons possibles le ventre des femmes est l'objectif des barbons du patriarcat : que ce soit en stérilisant de forces des femmes pauvres sous couvert de lutte contre le sous-développement, ou se proclamer "prolife" en empêchant les femmes de contrôler elles-mêmes leurs ventres et leur vie ! Rappel à ces stupides : la seule façon de lutter contre le sous-développement et de maîtriser la démographie, c'est l'EMPOWERMENT des femmes par l'éducation (école, collège, université), le planning familial VOLONTAIRE des intéresséES, et le droit IMPRESCRIPTIBLE à l'IVG ! Pardon pour les majuscules et les adjectifs, mais avec les patriarcaux, il vaut mieux rabâcher.

Sinon, toujours sur ce même thème, je lis en ce moment le très documenté livre de Patrizia Romito : Un silence de mortes - La violence masculine occultée, Syllepse éditeur, paru en 2006, et totalement d'actualité. Il décrit parfaitement toutes les tactiques et stratégies de la société patriarcale et de ses institutions (policiers, magistrats, médecins et soignants, psys en tous genres, la société en général...), pour occulter la réalité de la violence masculine contre les femmes et les enfants, massif fait de société. L'auteure y accuse -entre autres- la psychologisation et la médiation sociale au sein des instances juridiques, qui individualise les rapports sociaux, nie l'oppression des groupes dominés (les femmes) et dépolitisent la lutte des femmes. Il est très accessible et passionnant. A lire, surtout si vous êtes professionnel-le de soins, magistrat-e ou
policièr-e ! On le trouve dans toute bibliothèque un peu conséquente. Vous pouvez en trouver un extrait de l'introduction sur le site Sysiphe.

Edit 16 mars 2014 - Une citation du livre qui me paraît cruciale, page 147. Dans le paragraphe "Distinguer pour séparer" du chapitre Tactiques d'occultation, Romito cite Robin Morgan :
Si je devais citer une seule qualité propre au patriarcat, ce serait la compartimentation, la capacité d'institutionnaliser les déconnections. L'intellect, séparé de l'émotion. La pensée séparée de l'action. [...] Si je devais citer une seule qualité propre au féminisme radical, ce serait le sens des connections, - une aptitude dangereuse pour tout ordre établi, en raison de l'insistance à remarquer et faire savoir les choses."


Un article didactique sous forme de bande dessinée, dans Le Monde, sur l'endométriose, une affection méconnue (normal, tant que ça ne touche pas le glorieux appareil reproductif masculin et ses troubles de l'érection, ça n'est pas prioritaire !) dont souffre quand même une femme sur 10, et qui se soigne quand le diagnostic est posé, soit en moyenne 7 ans après les premiers symptômes ! Comme pour la campagne Stop au déni, n'hésitez pas à partager sur vos réseaux sociaux.

Enfin, une article trouvé dans l'Express : Comment les blogueuses féministes servent-elles la cause des femmes ? avec dedans surtout des réformistes libérales qui trouvent les féministes "canal historique" trop "dogmatiques" ou trop "féministement correctes" (???). Pas de bol : soit les féministes sont trop jeunes, trop belles et trop blondes, comme les Femen, soit elles sont trop "dogmatiques" et "institutionnelles" quand elles ont un peu de bouteille. En féminisme, point de salut. A propos de féministes sur les réseaux sociaux, à droite de ce billet, il y a deux blogrolls sur les adresses URL desquelles vous pouvez aller cliquer : c'est ma sélection, donc c'est qu'ils valent le coup d’œil !

vendredi 7 mars 2014

8 mars toute l'année

8 mars, Journée Internationale des droits des Femmes partout sur la planète. J'entends d'ici quelques-uns dire ou penser fort que le féminisme, c'est dépassé, que les femmes ont tout gagné et qu'il est temps de passer à autre chose. Sauf que partout sur la planète, un fait est incontournable, la pauvreté a le visage d'une femme.



Situation économique :
70 % des pauvres de la planète sont des femmes : chiffres PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Les femmes travaillent toujours bénévolement : les corvées indispensables qu'elles exécutent ne sont toujours pas comptabilisées dans les PIB mondiaux, basés sur le travail marchand généralement destructeur et pilleur de ressources non renouvelables, selon le modèle du travail masculin. Quand on n'est pas associé à la production de richesses, au moment de partager les dividendes, les femmes n'ont rien. Cela vaut pour les femmes européennes qui bossent bénévolement dans le mariage. Les pensions de retraite des femmes qui ont produit à mi-temps (forcé) un travail marchand, parce qu'elles assurent bénévolement et seules les indispensables corvées du ménage et de l'élevage des enfants, sont au moment de la retraite dramatiquement lésées, le travail bénévole pour toute la famille n'étant pas compté, ou seulement à la marge. Si elles décident de quitter le foyer et de vivre seules, elles sont pénalisées économiquement. L'indépendance économique est un facteur clé d'émancipation. On comprend donc tout l'intérêt des hommes à conserver les choses en l'état : l'indépendance économique des femmes favorise les divorces si elles s'estiment mal accompagnées, ils y perdent une ménagère gratuite. Non accès à l'école, non accès à la propriété des terres, accès moindre à la nourriture (sur les 800 millions de mal nourris que compte la planète, 7 sur 10 sont des filles et des femmes), pas de matériel agricole pour cultiver la terre et pas d'accès au crédit bancaire pour s'équiper. On a vu ces derniers jours en France, que les Atelières, coopérative de femmes ex-Lejaby, se sont vu refuser les crédits dont elles avaient besoin pour continuer leurs activités.



Santé et violences :
Le constat ci-dessous est fait par l'OMS (Organisation mondiale de la Santé).

Violences exercées contre les femmes au cours de leur vie.
Avant la naissance
- Avortements sélectifs
- Conséquences des violences subies par la mère pendant la grossesse.
Petite enfance
- Infanticide des filles
- Négligences sélectives dans les soins
- Violences physiques, sexuelles et psychologiques
Seconde enfance
- Mariage forcé des très jeunes filles
- Mutilations génitales
- Violences physiques, sexuelles (inceste) et psychologiques
- Prostitution infantile
- Pornographie
Adolescence et âge adulte
- Inceste
- Viol par abus de confiance (date rape)
- Viols collectifs (dits "tournantes")
- Jets de vitriol
- Sexualité pratiquée par nécessité économique
- Violence du partenaire -jusqu'au meurtre
- Assassinat pour dot insuffisante (dowry death)
- Gynocide (précédé ou non de tortures, de lapidation)
- Viols et grossesses forcées en temps de guerre
- Harcèlement sexuel sur le lieu de travail
- Prostitution forcée.
Troisième et quatrième âge
- Homicide et suicide forcé des veuves
- Violence physique, sexuelle et spychologique.

Beaucoup de ces pratiques sont la plupart du temps justifiées par la "tradition", cet infâme mot patriarcal : tradition égale manque d'imagination, blocage dans les culs de basse fosse d'un passé révolu, conservatisme forcené, crispation sur des "privilèges" injustifiables et obsolètes, justification par les pires croyances irrationnelles, obscurantistes, anti-démocratiques et haineuses des femmes. Ci-dessous un échantillon (non-exhaustif) de ces misérables défenseurs des traditions (appréciez le jeu de mots) :



J'y inclus bien entendu TOUS les curés de toutes obédiences (y compris les bonzes), l'Opus Dei nous ayant démontré fin 2013, début 2014 toute l'influence et le pouvoir de nuisance qu'ils peuvent mobiliser quand il s'agit de combattre les droits chèrement acquis des femmes, en Espagne, pour ne citer que ce seul exemple.



Alors oui, plus que jamais 8 MARS TOUTE L'ANNEE !

Liens : Le programme et le live tweet de cette journée
Le viol, arme de destruction massive en Syrie.
Dans l'Est du Congo, les viols comme arme de guerre.
PS Inutile de nous offrir des savonnettes parfumées, des fleurs, ou du chocolat : le 8 mars n'est pas la Saint-Valentin ni la Fêtes des mères. C'est le rappel militant de l'oppression féroce que vivent les femmes sous la férule du patriarcat.


lundi 3 mars 2014

Dirty week-end - Peut-être est-ce eux qui devraient avoir peur...


Je viens de lire ce roman d'Helen Zahavi publié en 1991 et qui m'avait totalement échappé : merci à une de mes abonnées/abonnements sur Twitter de me l'avoir révélé.

Bella est une jeune femme de Brighton, station balnéaire anglaise ; elle vit dans un appartement en sous-sol sans air et sans soleil. Elle est petite, menue et fragile, et elle ne demande pas grand-chose à l'existence. Comme toutes les filles, "elle avait appris à être une bonne perdante". Elle veut juste qu'on lui fiche la paix, qu'on la laisse prendre ses thés et chocolats au lait, et lire les petites annonces des journaux gratuits qui arrivent dans sa boîte aux lettres. Elle croit aussi qu'on peut vivre sans souffrance car "son seuil de tolérance est extrêmement bas".

Malheureusement pour elle, son voisin d'en face la mate derrière ses fenêtres surplombant son sous-sol, se met à la harceler au téléphone, à la suivre, puis l'aborder dans la rue, et à la menacer carrément de lui "faire mal, parce qu'il en a très envie". Alors Bella va s'insurger, se révolter. Après une période où, terrorisée, elle s'enferme à double tour chez elle, et que les choses ne s'arrangent pas, Bella décide de se venger : elle pénètre de nuit chez le voisin, et le tue avec un marteau.

Le roman de 200 pages est parsemé de notations très précises et justes sur la situation faite aux femmes dans la rue, dans les bars, sur la jetée et à la plage, dans les voitures des mecs qui ont proposé de les raccompagner chez elles, dans les ascenseurs..., tous endroits où les mâles font régner la terreur. Bella va en tuer sept : tous terroristes machistes qui viennent au devant d'elle ou la suivent pour lui pourrir la vie ! Le dernier est même un violeur/ tueur en série qui laisse une trace sanglante derrière lui et que la police n'arrive pas à prendre, alors qu'il assiste aux enterrements de ses victimes ! (Avis aux gendarmes et aux policiers, à toutes fins utiles). Conseil également aux agresseurs qui, après vous avoir forcée à une fellation brutale dans leur voiture, laissent la clé sur le contact pendant que leur victime est sur le siège passager avant, et qu'ils sortent pisser contre un mur sans se méfier : vous faites une erreur mortelle. Bon, je ne vais pas vous raconter tout de ce petit polar noir jouissif, ce serait une mauvaise action. Mais en voici quelques phrases-culte :

"Il la voyait comme un récipient vide que lui seul pouvait remplir".
"Peut-être que sa mère lui répétait qu'il était beau, en le nourrissant de mouillettes. Peut-être lui disait-elle qu'aucune femme ne serait jamais assez bien pour son garçon, et peut-être le croyait-il".
"Des hommes à la voix douce dont la haine épaississait l'air".
Quand ses (futurs) agresseurs lui demandent dans quelle branche elle travaille, elle répond :
"Je suis dans l'hygiène publique, je désinfecte, je bosse dans l'enlèvement des ordures". (Oui, c'est drôle en plus !).
"Il redoute ses sarcasmes. Elle redoute sa fureur. Elle pourrait se moquer de lui. Il pourrait la tuer".
"Plus l'homme est petit, plus grand est son ego".

"Ce que Bella désire, c'est ce qu'elle ne peut avoir. Ce qu'elle désire, ce sont des fenêtres ouvertes les nuits d'été. Des promenades solitaires au bord de l'eau. Sans la crainte de la panne sur l'autoroute. Sans la peur du noir. Sans la terreur des bandes. Sans réflexions dans les rues. Sans attouchements furtifs dans le métro. Ne plus être obligée de flatter leur ego par peur du poing en pleine figure, du nez cassé, du sang et de la morve qui coulent dans sa bouche. Bella est née libre et partout elle est enchaînée. Des usurpateurs lui ont volé son héritage, et elle doit le récupérer."
Alors, faites gaffe : "sans le savoir, sans réfléchir, sans le vouloir, vous aurez peut-être posé votre grosse main sur Bella. Or, elle s'est réveillée ce matin, et elle s'est aperçue qu'elle n'en pouvait plus."

Figurez-vous qu'à la sortie du roman en 1991, le Parlement britannique s'est ridiculisé en demandant son interdiction pour "atteinte aux bonnes mœurs". Sans rigoler. Quand le roman de Bret Easton Ellis "American psycho" (durant tout le roman, on est dans la tête d'un tueur en série qui torture longuement ses victimes, toutes des femmes, avant de les tuer) est sorti dans les librairies, PERSONNE, et surtout pas le Parlement britannique, n'a demandé son interdiction. Pas plus que ne sont interdites toutes ces "productions culturelles" nihilistes et nécrophiles : séries télé, films de tueurs psychopathes et sociopathes, romans policiers, où les femmes vont éternellement à l'équarrissage ! Alors ?

Ce petit roman est une perle noire, drôle, juste, et il fait vraiment du bien à la tête tant il est anti-assommoir culturel. Les scènes de meurtres sont factuelles, courtes, sèches, jamais voyeuristes, Bella est toujours en situation de légitime défense  De plus, le roman est très bien écrit et très bien traduit.

Lien supplémentaire : Le permis de tuer du patriarcat.