samedi 28 août 2021

Miliciens

Ils sont descendus de leurs montagnes où ils ont macéré dans des grottes durant 20 ans, en 4X4 ou à mobylette, le RPG phallique bien en évidence, en adoration qu'ils sont devant leur bite qu'ils sont toujours en train de nous fiche sous le nez, en mode réel ou symbolique, pour bien montrer que ce sont toujours eux qui font la loi. Puissamment aidés par la corruption des élites claniques du pays et malgré les efforts des sponsors du "nation building" manifestement raté. La chappe de plomb virile, frustre, barbue, l'hirsutisme illustrant depuis toujours leurs vêtures et pratiques, va se refermer sur les femmes qui ont toutefois bénéficié de 20 ans de relative trêve, au moins dans les villes, où elles ont pu exercer tous leurs talents, de journalistes à policières, de roboticiennes à artistes, grâce à l'argent des ONG occidentales. Elles devront désormais s'ensevelir sous la burqa qui les rend invisibles dans l'espace public, ensevelissement qui a d'ailleurs commencé par leur effacement des vitrines, sous la férule des nouveaux maîtres de Kaboul. Les femmes sont destinées à être emmurées au gynécée, à la mort sociale, consacrées, enjointes à la reproduction de nouveaux miliciens du Patriarcat, garant de l'ordre antédiluvien du Néolithique. Leurs garçons sont dûment formatés et chapitrés dès le plus jeune âge à revenir vite et fort, leur "chier dans les bottes", du moins se retourner contre leurs génitrices, dès qu'ils auront, eux aussi, des poils partout. 

Les obscurantismes religieux sont tous d'inspiration mormone, ou en tous cas les Mormons en ont appliqué à la lettre les préceptes préhistoriques : on ne vit que pour se reproduire, quitte à forcer, et à avoir plusieurs femmes à la maison si on a les moyens de faire vivre tout le monde, au moins de manière sommaire. Inséminateurs ultimes, leur loi de fer ne tolère aucune divergence, aucun autre choix. Et ils s'attaquent aux femmes en raison de leur sexe, leur haine attisée par l'obligation de passer par notre sexe pour maintenir le cheptel de guerriers sacrifiables à leurs guerres permanentes, leurs antagonismes n'ayant d'égal que leur frustration et leur prosélytisme. Au moins la franchise précédente proposait-elle de desserrer l'étau en se choisissant un époux virtuel à condition de se retirer de la société, mais avec la possibilité de cultiver ses éventuels talents, en se mettant les pieds sous la table, à l'abri en communauté de femmes des vicissitudes de la vie sans l'asservissement du mariage avec un type réel. Mais en Islam du VIIème siècle, point de couvent, point d'autre destin que celui de la reproduction. Et comme si une seule plaie ne  suffisait pas, ils se font concurrence dans la violence abjecte (des attentats contre une maternité ou une école de filles ne les rebutent pas), un groupe plus nationaliste rustique, et l'autre plus cosmopolite et "connecté", mais avec toutefois les mêmes barbes, et surtout, les deux issus du même obscurantisme ignorant et totalitaire. Des "frères" irréductiblement ennemis, aux couteaux entre les dents. Je suis solidaire des femmes afghanes, prises dans la tenaille du totalitarisme meurtrier, niant l'altérité. 

Si la Nature nous en laisse le temps, nous prévaudrons. Il n'est pas possible d'être enterrées ainsi par tous les systèmes qui ont l'entropie au cœur. L'entropie les détruira, comme elle a détruit le nazisme, comme elle a détruit les expériences soviétique et khmère du communisme, et comme elle a détruit l'Etat islamique, laissant hélas quelques-uns encore capables de nuire et d'enflammer les brandons restants. 



Je reproduit ici deux fresques de Shamsia Hassani, street artiste afghane : cliquez pour voir plusieurs autres de ses fresques sur cet article Creapills ; sur ses comptes Twitter et Instagram (à chercher par mots clés, sa maison mère Facebook fermant le réseau au point que les liens hypertextes sont impossibles à maîtriser), à suivre pour la soutenir et montrer notre solidarité à toutes nos sœurs afghanes sous le joug viriarcal. C'est à peu près tout ce que nous pouvons faire, les arcanes de ce monde nous échappant largement. 

" Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n'ayant rien à soi et tenant d'un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?Etienne de la Boétie 

dimanche 8 août 2021

Les femmes aussi sont du voyage - L'émancipation par le départ

Cette semaine, j'ai lu ce livre sur prescription de Zoé Lucider qui en parle dans un de ses billets sur son blog.

Tout d'abord précisons que voyager, ce n'est pas faire du tourisme, ni non plus, être instagrammeuse et partager ses "bons plans" et destinations préférées, qui ne sont que consommation du monde et des paysages, au préalable façonnés pour que les touristes s'y sentent à peine dépaysés. Non, voyager, c'est partir loin, longtemps, affronter sa propre solitude et des contrées inconnues, répondre à l'appel du large. Rien de féminin donc, si l'on en croit les injonctions patriarcales gravées dans le marbre des récits épiques, du premier récit de voyage, sans doute d'abord tradition orale, que Homère coucha par écrit sous le titre de l'Odyssée : Ulysse parcourt le monde, affronte des épreuves, se fraie un chemin parmi les embûches, tandis que sa femme Pénélope l'attend patiemment au foyer, en tricotant. On voit le modèle auquel les grands voyageurs qui nous ont laissé leurs mémoires se conformeront : une femme au port, (ou une dans chaque port, pour eux ce n'est pas antinomique) où ils ne reviennent que pour recharger les accus pour mieux repartir en ayant mis enceinte leur femme. Un, cité dans l'ouvrage, ne sera que 5 mois à la maison en plusieurs dizaines d'années de mariage, mais réussira à faire 5 enfants à sa femme qui les élèvera seule ! Aussi les grandes voyageuses sont-elles transgressives : dressées comme toutes les filles à avoir peur, à craindre les embûches et le vaste monde peuplé de monstres, dressées à être défendues par leur mâle qu'elles doivent se trouver après avoir appris à se pomponner pour être fraîche et jolie ce que ne permet pas le campement même avec un sherpa, ni le désert à dos de chameau, harnachées de superpositions de jupes et de crinolines, il faut avoir un sacré quant à soi pour larguer les amarres, se travestir en revêtant un habit masculin pour nos plus anciennes exploratrices (Jeanne Barret), vaincre sa timidité et sa peur, réduire son baluchon à une robe de voyage (Nellie Bly), épouser un homme pour pouvoir disposer de sa propre fortune de femme riche (Alexandra David-Néel et quelques autres), et partir visiter l'Asie pendant 15 ans en ayant dit qu'on sera de retour au plus tard sous 6 mois (David-Néel encore). 

Alexandra David-Néel, premier européen à pénétrer à Lhassa au Tibet a proprement inversé le mythe d'Ulysse : elle avait un époux qui l'attendait au foyer, lui envoyait des mandats poste restante, en piochant dans l'argent de sa femme qui ne pouvait pas en disposer seule, on est avant 1907, moyennant qu'elle lui écrivait tous les jours une lettre où elle notait ses observations de voyage. A l'âge de 100 ans, elle est décédée à 101 ans, elle faisait encore une demande de renouvellement de passeport ! 

Mais les femmes ont toujours voyagé, note Lucie Azema, la plupart du temps à fond de cale en butin de guerre ou à dos de chameau, razziées, enlevées dans les colonies pour peupler de lointaines contrées, en étant violées par l'équipage durant le voyage. Elles voyageaient aussi sous statut de domestiques, cuisinières, interprètes, sans elles toute exploration eût été impossible, écrit Lucie Azema. Tout comme les esclaves ramenés d'Afrique voyageaient eux aussi sous les chaînes. Certains de ces oublié-es ont même laissé des récits de voyage. Vasco de Gama voyageait avec des condamnés à mort chargés d'aller au devant des "sauvages" afin de tester en préalable au débarquement leur hospitalité ! Intrépides et téméraires, dites-vous ?  C'est la raison pour laquelle, le colonial male gaze : le regard "universel" du mâle blanc domine largement les récits de voyage masculins. Celui de Pierre Loti, homosexuel refoulé, une femme dans chaque pays visité, mariée sous la contrainte, semant les enfants sur son passage, en extase devant la lascivité des femmes exotiques, leur passivité et leur obéissance à tous ses désirs -une se révolterait qu'il est bien incapable de voir quoi que ce soit, pénétré qu'il est de sa supériorité de mâle européen. L'Orient et l'Afrique femellisés, renvoyés à l'ordre de la nature, leurs hommes décrits comme frustres et sauvages. Le sommet pictural de ce colonial mal gaze est Le bain turc de Jean-Auguste Ingres peint au XIXème siècle sous Napoléon III. Celui de Stendhal, de Flaubert, de Gauguin qui sème lui la syphilis sur des filles mineures en Polynésie, mais qui les peint tellement bien ! Celui du créateur du mouvement de la Beat Generation Jack Kerouac, inventant le mouvement perpétuel sans ponctuation (Sur la  route, mythique !) dans ses récits de voyage, ne voyant que des "poupées", des "salopes" des "petites blondes" sans jamais de prénoms, les maltraitant lors de ses beuveries épiques, n'oubliant toutefois pas de demander en se plaignant à sa mère puis à sa tante de financer ses voyages sur leurs propres deniers à elles ! Comment se couvrir de gloire en parasitant et en diffamant dans le même mouvement les femmes : une sacrée habitude masculine ancrée. Curieusement les récits de voyage des femmes eux feront rapidement contrepoint. Etonnant, les femmes ne perçoivent pas les mêmes choses ! Plus empathiques, plus observatrices, moins "reines du Monde", élevées à être humbles, elles ? 

Autant les hommes sèment à tous vents des "bâtards" (c'est eux, toujours élégants, qui le disent ainsi) dans chaque port, autant les femmes elles perçoivent la grossesse et la maternité comme des freins, des boulets. D'ailleurs, souvent, elles choisissent le voyage pour échapper au mariage et ses contraintes. La voyageuse se fait ligaturer les trompes ou poser un stérilet dès que la technique médicale le lui permet. Les femmes elles, n'ont pas un mari au foyer pour s'occuper des enfants. Ce qu'on ne reproche pas aux hommes, laisser femme et enfants en plan pour répondre à un "appel irrésistible", on le reprochera aux femmes qui font de même. Un exemple parmi tant : Lucie Ceccaldi, aventurière de la génération hippie ; elle a le tort d'épouser et de partir avec l'Epoux, c'est ainsi qu'elle l'appelle dans ses récits de voyage, en 2CV en Afrique dans les années 60. Elle aura un fils qu'elle s'empressera de confier à sa mère : c'est ainsi que le petit Michel Houellebecq sera élevé en Algérie par sa grand-mère et écrira Les particules élémentaires où il accuse sa mère de tous les maux, puis Plateforme, roman sur le tourisme sexuel. Voyage émancipateur qu'on reproche avec véhémence à l'une, tourisme sexuel, aboutissement des récits de voyage masculins pour l'autre, ah ah.  

Formidable livre optimiste, écrit par une grande voyageuse elle-même, Lucie Azema nous propose un voyage dans l'histoire et dans la géographie, un plaidoyer émancipateur pour le voyage et la flânerie, une mine de citations érudites, et de noms de grandes voyageuses pionnières ou plus modestes, mais toutes passionnantes. Etre soi, être bien en tête à tête avec soi-même, ne pas craindre la solitude ni le danger (pour quelques-unes, il rôde plus sûrement dans leur cuisine ou leur salon !), oser revendiquer le vaste monde, flâner, " J'ETAIS MOI écrit Simone de Beauvoir, grande crapahuteuse, à pied, à vélo apprenant à changer un boyau, en train, voyageant généralement seule, un peu avec Sartre -j'ai relu après de longues années cet été La force de l'âge- flânant dans Paris, étudiant et écrivant à une table du café Le Flore, vivant à l'hôtel, dans des meublés, ou chez l'habitant, ne craignant rien, frénétique de mouvement, affirmant son existentialisme, vivant sa vie d'être libre, accomplissant son destin. Fabuleuse Simone de Beauvoir. 

Et tant d'autres : 

Jeanne Barret (exploratrice marin travestie en homme, violée par l'équipage quand elle fut découverte, les hommes ces éternels dresseurs, homosexuels refoulés, car violer une femme en réunion ce n'est pas de l'hétérosexualité)

Agatha Christie

Isabelle Eberhardt

Ella Maillart

Annemarie Swarzenbach

Odette Du Puigaudeau

Anita Conti

Jane Dieulafoy

Flora Tristan

Gloria Steinheim

Sarah Marquis

Nellie Bly

Alexandra David-Néel

Mary Seacole

Karen Blixen

L'ouvrage de Lucie Azema est agrémenté d'une somptueuse bibliographie dans laquelle on peut piocher pour se faire une culture sur le voyage, écrivain-es voyageuses/eurs, aussi bien femmes qu'hommes. Pour ma part, je retiens : Les grandes aventurières de Françoise d'Eaubonne, Ada Blackjack, survivante de l'Arctique par Jennifer Niven non traduit de l'anglais, la bande dessinée Groenland Manhattan (un enfant Eskimo ramené comme souvenir de voyage) par Chloé Cruchaudet, Ecrits sur le sable par Isabelle Eberhardt, Les travesties de l'histoire par Hélène Soumet, avec parmi elles des voyageuses, L'Innocente par Lucie Ceccaldi, et pour rire enfin, de Mathias Debureaux, De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages

D'autre part, j'ai chroniqué ici même une BD sur Nellie Bly, grande reporter et journaliste d'investigation. 

" Voyager, pour une femme, c'est une mise à feu -de toutes les interdictions, de toutes les injonctions. C'est dire : 'Je veux aller là-bas, et vouloir me suffit, personne ne m'en empêchera'. La liberté ne se demande pas poliment, elle se prend. " Lucie Azema.

Lien : Flammarion éditeur