mercredi 19 juin 2019

Algues Vertes - L'histoire interdite

De 1989 à 2016, 3 hommes et au moins 40 animaux ont trouvé la mort sur les plages bretonnes des Côtes d'Armor. Une première victime en 1989 a été sauvée de justesse, mais son cheval y est resté. L'été 2011, une série de marcassins, de laies et de sangliers seront retrouvés morts dans l'estuaire du Gouessant. Le tueur en série est un gaz, l'hydrogène sulfuré (H2S) un gaz à effets neurotoxiques à dose élevée, produit par la décomposition d'une algue verte nauséabonde (Ulva armoricana) résultant de l'eutrophisation -excès chronique de nutriments- des cours d'eau qui se jettent dans la mer.


Les lisiers-fumiers produits par l'élevage industriel hors-sol et épandus sur les terres sont des engrais azotés qui se transforment en nitrates dans le sol, sol ensuite lessivé par les pluies qui s'écoulent dans les cours d'eau aboutissant, eux, à la mer. Ces algues en pourrissant, blanchissent et se confondent avec le sable, installant un piège instable où promeneurs et bêtes s'enfoncent, libérant le gaz toxique. Ne jamais vous aventurer sur une plage avec des panneaux d'interdiction d'approcher, ils ne sont pas mis là par caprice. Et tenez vos animaux en laisse.

Ces marées vertes sont le prix à payer pour la démocratisation de la côte de porc, de la charcuterie, du barbecue familial les dimanches de beau temps, et du jambon coquillettes tellement prisé des parents et des enfants. Derrière le tueur H2S, il y a le lobby de l'élevage breton (67 % de la production française de porcs sur 4 départements), dont l'histoire est aussi racontée dans la BD extrêmement documentée, et le lobby du tourisme, qui ont évidemment intérêt à silencer les victimes et lanceurs d'alerte.

Jeux d'influence, corps enterrés sans être autopsiés, loi du silence, échantillons de sang perdus, procureurs de la République réticents, maires des communes touristiques faisant pression sur les familles des victimes, dans le cas de Thierry Morfoisse décédé en 2009, il fut prétendu qu'il avait une mauvaise hygiène de vie, menaces et tentatives d'intimidation des lanceurs d'alerte et des paysans voulant changer de modèle, vous saurez tout sur le puissant monde très masculin de l'élevage.



En effet, derrière le tueur H2S, on trouve les féodaux qui entendent maintenir le status quo créé dans les années 60 par le ministre de l'agriculture de l'époque, Edgar Pisani, grand commis de l'état qui "modernisa" l'agriculture bretonne à coup de remembrements et d'envoi du surplus des paysans "inadaptables" à l'usine Citroën de Rennes. Le processus, peu connu du public, est raconté dans la bande dessinée. Les féodaux qui ont assumé l'héritage et assuré la relève sont : Jean-Yves 1er le Drian, Duc de Bretagne, éternel président ex-socialiste de la Région, siège actuellement occupé par Loïg Chesnais-Girard, ombre du Duc en question, pendant la durée de son portefeuille de ministre des Affaires étrangères de l'ère Macron.

Un autre baron toxique tenant de l'élevage industriel hors-sol maltraitant est Marc Le Fur, insubmersible député "cochon" des Côtes d'Armor depuis 1993 ; l'un de ses amendements adopté en 2014 a permis de "relever de 450 à 2000 places, le seuil à partir duquel une porcherie est soumise à demande d'autorisation". Rajouté au fait que dans les années 80 et 90, les élevages de porcs en tunnels s'agrandissent en toute illégalité, à tel point que l'eau des puits et des fontaines devient impropre à la consommation tellement ils sont chargés en nitrates. Il n'empêche que les lobbies mortifères de l'élevage (FNSEA, Chambres d'agriculture...) et du tourisme via les maires des communes impactées contesteront toute corrélation entre la prolifération des nitrates dans les cours d'eau, sur les estuaires et estrans des Côtes d'Armor, devenus lieux morts d'où tout organisme vivant a été éradiqué, et aussi tombeaux pour tout animal ou humain s'y aventurant.

Les autres féodaux sont répertoriés dans la double page photographiée ci-dessous : double cliquer pour superposer et agrandir mais c'est mieux dans l'album :) Toutes les coopératives, y compris banques, en tête le Crédit Agricole Mutuel, qui ont trahi leur idéal de départ y sont représentées, dont la Cooperl et sa tête de lard de patron, Emmanuel Commault, qui refusait il y quelques mois de payer au juste prix le kilo de porc à ses adhérents "prolétaires porteurs de seaux", provoquant des faillites et la fronde de ses coopérants. Aujourd'hui, le prix du porc est bien remonté, demande soutenue par la peste porcine africaine décimant les élevages Chinois ainsi que ceux de toute l'Asie. Parce que, bien entendu, peste porcine ou pas (des millions de porcs abattus par précaution, certains enterrés vivants dans des fosses improvisées au Vietnam) pas question de renoncer à son barbecue et à ses cagettes de côtes de porc en promotion. Nous sommes décidément une espèce irresponsable. 


Aujourd'hui quand je rencontre un éleveur, il prétend que les niveaux d'azote épandus ont été bien diminués grâce à la Directive Nitrates de l'Union Européenne et aux "efforts" faits par les éleveurs qui ont changé leurs pratiques de nourrissage et d'épandage. En revanche, ce qu'il ne dira pas, c'est que les SUBVENTIONS distribuées pour améliorer les stations de retraitement des lisiers ont été détournées pour augmenter la taille des cheptels. Du coup, les 30 % de diminution des rejets azotés ont été annulés par 30 % d'augmentation de la taille des troupeaux entassés dans les tunnels. Merci Marc Le Fur. Pensez-y quand vous achèterez votre jambon : vous payez le prix chez le charcutier, PLUS le prix de la dépollution via les subventions qui contribuent à polluer encore davantage. Politique de Gribouille, court-termiste et toxique. L'élevage, on ne répétera jamais assez, est l'ennemi de la santé humaine, de celle des animaux, et d'un environnement sain, l'élevage est une infection inventée par l'humanité, sur la planète entière.


Un vrai travail de journalisme d'enquête de trois années en Centre-Bretagne, fait par Inès Léraud, mis en dessins par Pierre Van Hove et Mathilda, coloriste : une bande dessinée de 150 pages parue chez Delcourt. A lire d'urgence. Les plages ont l'air propres en Bretagne, mais c'est parce qu'elles sont nettoyées tous les matins, aux frais des contribuables. Tiens, encore un coût à rajouter au prix de votre côte de porc.

Liens :
Coordination Verte et bleue - Association Sauvegarde du Trégor 
Halte aux marées vertes 
Lieux mouvants : Rendez-vous avec la création en Centre-Bretagne
Bulles d'info : la BD nouveau support du journalisme d'investigation.

samedi 8 juin 2019

Tokenisme : l'effet canada dry

Tout est parti du partage d'une information sur la chasse d'été au chevreuil au prétexte de "gestion des populations" (sous-texte, ils "pullulent" et entravent de ce fait les activités humaines, donc il faut "réguler", de régis, roi, en latin ! Appréciez). L'article est sur le blog de One Voice, qui précise par ailleurs que l'été c'est le moment où les gens, c'est à dire tout le monde, femmes, enfants compris, se balade en forêt. Et que donc du coup, on est priées d'aller se faire voir ailleurs pendant que les mecs, comme d'habitude, confisquent la campagne à leur profit. Ce que je twitte immédiatement. Un de mes abonnés tombe sur mon tweet et tente de rectifier le tir (la métaphore s'impose) en rétorquant qu'il n'y a pas que les hommes qui chassent, il y a PLEIN de femmes qui chassent aussi ! Les mecs, c'est pas possible, quand ils voient une femme, ils en voient PLEIN. Je vous assure qu'argumenter féministe, c'est un boulot épuisant de Titan, il y en a toujours un (ou une d'ailleurs) qui n'est pas devant son poste quand vous publiez vos arguments. Donc, je réponds que "euh, 2 % : les fédérations de chasse déclarent 98 % d'hommes" dans leurs adhérents". La Fédération Nationale des chasseurs confirme. Comme d'ailleurs, par l'image, ce twittos :


Un deuxième twittos volant au secours de mon abonné, la solidarité masculine est étonnante surtout quand il s'agit de contrer les arguments des femmes, précise même que "ce qui est étonnant, c'est que les femmes sont les bienvenues dans les sociétés de chasse et y ont même souvent un rôle-clé !". Comme quoi ? Servir le café, cuisiner le faisan ou le chevreuil après avoir enlevé les petits plombs et les chevrotines, faire la vaisselle après le banquet, passer le balai, par exemple ?

Les femmes ne sont pas bienvenues, elles sont tolérées dans ces rituels masculins d'entre-soi, mais à condition qu'elles adoptent pleinement les us et coutumes de la société (pour ne pas dire la horde, j'ai des témoignages d'activistes qui ont vu des banquets de veneurs où on roulait en dégueulant sous la table, et où c'était vraiment crade !), us et coutumes délicates et classieuses de la société masculine, donc. La vulgarité extrême sous les Barbours. MAIS, quand on est en voie de disparition pour cause de non mixité et de vieillissement de la population, même si on préfère enrôler de jeunes garçons, on va demander aux femmes de venir. Faute de grives on mange des merles. D'autant plus que le sexisme se porte assez mal de nos jours, quand on est une corporation qui concentre les inimitiés : celles des défenseurs des animaux, celles des urbains, des rurbains et d'à peu près tout ce qui n'est pas campagnard, mâle, et hors des standards de l'époque. Donc, on fait contre mauvaise fortune bon cœur.

Ça a même un nom : tokenisme (tokenism en anglais), de token, jeton, monnaie, mais qui a aussi un sens de peu de valeur, de fausse monnaie, à preuve, faux comme un jeton ! Le tokenisme est une pratique superficielle, un effort symbolique pour paraître inclusif envers les minorités (noirs, femmes...) pour donner le change. Token woman en anglais se traduit par femme alibi en français. Une femme instrumentalisée, cachant la forêt du sexisme. C'est l'effet canada dry : ça a la couleur de l'inclusion, le goût de l'inclusion, mais ce n'est pas de l'inclusion.

Vous voulez venir, Mesdames ? Pas de problème : vous porterez nos combinaisons d'un seul tenant et vous vous déshabillerez entièrement pour pisser ! Comment, ça vous prend plus de temps qu'à nous ? Mais si vous voulez entrer dans notre corps de métier, vous devez en accepter les contraintes ! Réponse des CRS quand les premières femmes ont été admises dans les compagnies de CRS.
Vous voulez venir dans nos écoles de techniciens informaticiens et d'ingénieurs, les filles ? Mais bien sûr, vous êtes les plus que bienvenues, on en cherche même ; mais vous devrez accepter les rituels masculins, bizutages mâle-traitants (Arts et Métiers), voire agressions sexuelles, pareil pour le mythe urbain du bricoleur de génie dans son garage, qui bosse comme un fou 24/7/365 sans se changer, mangeant gras et carné, et qui sent des pieds (Epitech, 42...) ; pas question que vous pervertissiez notre culture de boys'club d'aucune manière. C'est à prendre ou à laisser. Nous ne ferons aucune concession. Le femme alibi adopte les mœurs de ses pairs, pas l'inverse. Elle peut même en rajouter, elle n'en sera que mieux notée. D'ailleurs, c'est ça ou être exclue, considérée comme mauvaise camarade, ne jouant pas le jeu du groupe.

Quand je bossais chez Philips Recherche et Développement, ils se fendaient une fois par an sur leurs trois magazines maison (un international en anglais, un national en français, et un local sur Le Mans) d'articles encourageant les DRH à engager des femmes, en en montrant d'ailleurs sur la couverture des morceaux : coupées aux genoux, des jambes et des pieds chaussés de talons aiguilles rouges, les femmes portent des talons aiguilles dans la mentalité simpliste des industriels de l'électronique, c'est même à ça qu'on les reconnaît ! Les rares que je voyais en R et D mettaient pourtant leur point d'honneur à se fondre dans la masse, cheveux courts, pas de bijoux ni de maquillage, chaussées qu'elles étaient de doc martens et habillées de blousons bombers ! Les "vraies" femmes étaient soit secrétaires, ou quand c'étaient mes candidates, ils les perdaient dans les couloirs que j'étais obligée d'arpenter et de surveiller pour les retrouver ! Garanti, j'en ai retrouvé plusieurs en train de moisir sur des canapés, deux heures après que je les aient présentées au manager qui avait pourtant rendez-vous.

Je suis bien sûre que Philips continue, des années après sa protestation, la main sur le cœur : il faut qu'on engage des femmes, on va le faire, on va y arriver. Pareil pour Epitech, dont l'association e-emma est truffée de gars, tellement les filles ne viennent pas, découragées par le présentéisme forcené de l'école ! Allez courage, messieurs, continuez à tenter de donner le change : mais à d'autres, pas à moi. Prochaine fois qu'on me balance ces arguments mensongers, moi je balance cet article développé à la tronche de l'envoyeur.

La chasse est une activité hautement ritualisée où des hommes promulguent le patriarcat dans les espaces de nature. De l'importance du témoignage des survivants : une traduction sur mon blog d'un article très articulé et argumenté.