mercredi 25 octobre 2023

Stéréotypes de genre increvables

Un matin sur Twitter trouvé ça, d'une association sud-américaine (je ne sais pas si le lien est visible aux non abonnées, le Vandale qui dirige Xwitter depuis un an, Vandale dont on se serait passées si seulement il n'avait pas vu le jour, faisant n'importe quoi au gré de ses caprices de mâle immature casseur de jouets) dénonçant les violences faites aux femmes, et ici plus précisément les mariages précoces, précédée du message en anglais : 'according to gender stereotypes, girls should : - Get married ; - Take care of the house and their husbands ; - Become mothers. These ideas normalize that a girls marries or enters a relationship with an adult man. Let's put an end to theses mandates'. (Ces idées normalisent qu'une fille épouse ou entre en relation avec un homme adulte. Mettons fin à ces réquisitions). L'affiche en illustration est plus radicale : A girl's role is not to get married (le rôle d'une fille n'est pas d'être mariée). Ce qui est parfait. Toutefois la radicalité de la première assertion est adoucie, édulcorée par #NOTBefore18 (pas avant 18 ans). Dommage. 


A quoi j'ai répondu dans la même langue : "Not only girls. According to patriarchy, all women SHOULD get married, take care of the house and their husbands, and do husbandry aka become mothers. Let's break this doom. Anatomy is not destiny." Rompons la malédiction. Anatomie n'est pas destin. Si la destination de la fille est le mariage et l'enfantement, l'âge n'est plus qu'une modalité dans la logique patriarcale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, qu'est-ce qui empêche puisqu'il faudra de toutes façons y passer ? Le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d'enfant n'est pas une option, puisque toute alternative est prohibée, même dans la formulation. Et c'est cela qu'il faut contester me semble-t-il, si on est féministe. J'aurais rajouté que le destin d'une fille est d'abord d'aller à l'école, au collège, à l'université, pour avoir tous les outils pour se choisir en connaissance de cause et en autodétermination un destin personnel qui peut tout à fait être en dehors du mariage et de la maternité. 

On a l'impression que les féministes se battent sur des segments de lutte sans jamais voir la big picture, l'image globale, la Matrice. Je sais qu'il y a urgence sur les mariages précoces, mais elles suivent un agenda imposé par le patriarcat. Le mariage est imposé aux fillettes pour toutes sortes d'excuses : une bouche de moins à nourrir, c'est bon à prendre quand on est pauvre, et qu'un homme se propose de l'acheter pour... lui faire des enfants, (et accessoirement pour avoir une larbine gratuite à la maison). La pauvreté et l'oppression des femmes (on ne sait d'ailleurs laquelle précède l'autre) s'enchaînent dans une boucle sans fin. L'asservissement des filles dans le mariage est une boucle rétro-active négative qui entretient le sous-développement et la stagnation dans l'indigence. La pauvreté et le sous-développement prospèrent dans l'asservissement des filles et des femmes. Donc la lutte pour le développement ne peut réussir que par l'investissement sur les filles. Il faudrait donc arriver à dire que la maternité est de toutes façons un fardeau imposé aux femmes, qu'elle gâche toutes leurs autres potentialités, sinon, c'est emplâtre sur une jambe de bois. Le monde continue sa course fatale, dirigé par la médiocrité masculine puisque le pouvoir est leur chasse gardée, aux femmes étant dévolue la charge accablante de la maternité. C'est à ce point impoli de dire que le mariage et la maternité sont des pièges, des entraves, des boulets aux pieds et des menottes aux poignets ? Mais le féminisme c'est être impolie, c'est dire non, le féminisme est sacrilège puisqu'il dénonce les vaches sacrées patriarcales et refuse de s'y soumettre ! Réfléchissez : cette insistance à vouloir à tout prix nous marier et nous faire des enfants leur libère la place, eux se gardent la "maison des hommes" comme disent les Aborigènes, la politique. Avec les résultats catastrophiques que l'on sait. 

Pour les patriarcaux "de gauche", la lutte des classes sociales est prioritaire à la lutte des classes de sexe. Les exemples sont infinis et ça dure depuis les origines du socialisme. Un exemple fictionnel mais représentatif du réel, parmi tant. Je suis tombée un soir d'octobre sur Arte, qui jouait le film Un amour impossible (2018, par Catherine Corsini, metteuse en scène talentueuse, ça aide bien). Une femme des années 50 est séduite par un homme (odieux de bout en bout) qui lui fait un enfant sans vouloir endosser la paternité, qui finit par épouser une femme de sa classe. L'héroïne jouée par Virginie Efira (la seule à vieillir dans le film, les autres acteurs sont remplacés au fur et à mesure) sourit sans arrêt dans l'adversité. Elle n'arrête jamais de sourire, n'émet aucune plainte. Elle veut juste faire reconnaître sa fille par son géniteur, donc elle ne cesse pas les contacts, bien qu'épisodiques. Or, il apparaît que le père est incestueux et que c'est l'amant de passage qui l'apprend à la mère. Le film est tiré d'un roman à succès de Christine Angot, -que je ne lis plus-, il est d'ailleurs quasi autobiographique. J'ai tenu parce que je voulais savoir où tout cela menait, n'ayant pas lu le roman. La scène finale est une leçon politique de la fille à sa mère. La dernière actrice à jouer la fille, qui s'est fait la tête d'Angot de façon frappante, explique à sa mère que le problème est social, ils n'étaient pas de la même société, lui riche, de la gentry, elle pauvre et juive. Et ? RIEN. La classe de sexe est évacuée, invisibilisée, pour Angot l'oppression des femmes est la même que celle des ouvriers, l'amant occasionnel est un patron comme un autre. L'oppression spécifique des femmes est évacuée. Angot ne voit pas l'oppression des femmes, ou, autre explication, cela lui est tellement douloureux, le conflit de loyauté avec les hommes est tel, qu'elle préfère ne pas la voir. J'ai trouvé la leçon de la fin du film odieuse. 

Les fondations / fondamentaux des sociétés humaines, c'est la haine des femmes et de leur corps. C'est un phénomène anthropologique : il traverse toute l'histoire, toutes les sociétés, et toutes les géographies. Mais les femmes, à l'instar de Christine A. préfèrent ne pas la voir et se raconter une autre histoire pour le plus grand intérêt des hommes. Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour (sentimental, passion), se demande Ti-Grace Atkinson ? Bonne question. Jamais désirées, sauf pour des raisons contraires à nos intérêts de classe, jamais les bienvenues, alors que la naissance d'un garçon est tellement désirable, jamais bien, ni assez convenables, toujours considérées comme bouches improductives à nourrir -le comble alors qu'elles font toutes les corvées-, toujours esclavagisées dans le travail domestique, sexuel et reproductif, maintenues dans les basses zones et basses besognes (utiles) de l'économie quand elles ont un emploi, tandis que les hommes parasitent aussi bien leurs mères, sœurs, filles et femmes, en "travaillant" à produire toutes sortes d'objets inutiles ou même nuisibles, toxiques. Je me demande s'il ne serait pas temps d'arrêter cette collaboration avec l'oppresseur. 

Que faire ? écrivait Lénine. What should we do ? 

Il y a tant de choses autres et passionnantes à faire ! Cultiver des géraniums, apprendre l'arabe, le mandarin ou le russe (vous en aurez pour un bout de temps, vu la difficulté de ces langues !), adopter un chien dans un refuge plein à craquer, lire tout Proust (à mon avis, c'est mieux que Christine A.) ou Vassili Grossman, faire de l'adduction d'eau dans le Tiers-Monde, un vrai boulot utile celui-là, administrer un site internet coopératif, militer pour l'environnement (il y a à faire, vu les Moujiks en face), et même tricoter ou faire du crochet, apprendre à jouer aux échecs ou au poker, franchement, la liste est infinie. Alors pourquoi s'emmerder à faire de la reproduction à l'identique ? 

"Avoir des enfants, qui à leur tour auraient des enfants, c'était rabâcher à l'infini la même ennuyeuse ritournelle."

Simone de Beauvoir. 

A huit milliards d'humains vivant sur la bête, dont les ressources ne sont pas infinies vu notre goinfrerie impénitente, il n'y a pas péril pour l'espèce, c'est même le contraire, nous sommes menacées de trop plein ! On a quelques années pour voir venir. Le temps que les hommes comprennent que ça ne PEUT PAS continuer comme ça. Et puis, s'ils n'en prennent pas conscience, à quoi bon continuer une aventure misérable pour la moitié de l'humanité ? Ce chaudron bouillant que nous avons réussi à fabriquer à force d'industrie et de croissance biblique imbécile, va devenir, est déjà de toutes façons de plus en plus invivable. Il est temps d'en prendre conscience.

jeudi 5 octobre 2023

Le chaudron militaire turc : la production de la violence masculine

" Dans le processus de militaro-masculinisation, les jeunes hommes apprennent à tuer et à baiser : inséparable alliance. "


Par la sociologue turque réfugiée en France Pinar Selek, la fabrique de la masculinité hégémonique. 

Quelles sont " les ténèbres qui font d'un bébé un assassin " ? Les six étapes-rites qui font d'un enfant garçon un homme : le rite de la circoncision vers 10 ou 11 ans, rite qui sépare le garçon de sa mère où le petit sultan assiste, encouragé par cette dernière à l'égorgement d'un bélier -pour "conjuguer ensemble le pénis et le sang ?" se demande l'autrice- et le fait entrer dans le monde masculin ; la durcir et baiser, la première expérience sexuelle souvent au bordel, parfois conduit par le père, qui peut être concomitante avec la troisième initiation, le service militaire ; puis se trouver un travail, une position dans la société ; se marier et enfin, devenir père, l'ultime étape. 

Le service militaire (obligatoire pour les mâles durant six mois en Turquie, interdit aux homosexuels et aux trans, sur présentation d'un certificat médical, à base d'examens humiliants lors de l'incorporation) constitue un passage initiatique homosocial * qui inculque aux garçons la violence via des brimades, l'enfermement, l'encasernement, la soumission à des ordres et des tâches répétitives, absurdes, voire maltraitantes, les brimades, les bizutages des aînés et de la hiérarchie étant tolérés et même encouragés. 2000 appelés perdraient ainsi la vie dans leurs casernes. Pas mal en reviennent avec un PTSD non soigné, évidemment. Puis on les initie au combat et au maniement des armes. Ainsi le "Mehmetçik" (petit Mehmet) devient-il un "Mehmet" dans une patrie nationaliste où l'armée constitue historiquement et plus que jamais la colonne vertébrale. Devenir un homme en rampant. 

Bien que la méthode sociologique employée par Pinar Selek, à base de questionnaires faisant remonter un verbatim constitue la trame de l'ouvrage, on est ici dans l'anthropologie. Faisant le lien entre Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme), les travaux de Foucault (Surveiller et punir), en passant par ceux des féministes Monique Wittig et Colette Guillaumin " qui ne définissent pas l'hétérosexualité comme une simple pratique sexuelle mais comme une norme imposée ", Pinar Selek écrit en cent pages un ouvrage universel sur la fabrique du masculin hégémonique. C'est à la fois implacable, terrifiant et magistral. A lire absolument.

La page de l'ouvrage chez Des Femmes

" Le service militaire réunit matériellement les hommes et crée une unité apparente, autour d'un critère précis : avoir un pénis 'qui fonctionne'. Basé sur une idéologie patriotique valorisée par les familles, il rassemble 'ceux qui ont le pouvoir de baiser' pour former le corps principal de la nation.

" L'expérience du service militaire en Turquie n'est qu'un exemple du rôle des structures militaristes dans la transformation d'un enfant en un sujet de la violence masculine. Elle démontre comment les ténèbres qui font d'un bébé un assassin sont façonnées par cette raison du pouvoir dans laquelle les sujets masculins s'intègrent, en s'habituant, à différents degrés, à la hiérarchie, à l'arbitraire, à l'irrationalité... "

" La citoyenneté masculine prend ainsi forme dans l'uniforme. Ce processus met à nu la place de la masculinité normative dans l'organisation de la violence politique ainsi que dans la structuration sociale de la violence. La reproduction de l'identité masculine par la violence sert à la militarisation et à la généralisation de la violence politique par les corps masculins. [...] Proclamés pachas dans leur enfance, ils apprennent à combattre non seulement les ennemis de l'Etat, mais également quiconque oserait effleurer leur honneur masculin caché dans le corps des femmes de leur famille. "

* " Les communautés homosociales exclusivement masculines de l'armée, des équipes de football, des internats, des supporters sportifs, des organisations mafieuses consolident la masculinité, réorganisent le déséquilibre entre les sexes et les espaces de lutte de pouvoir entre les hommes. " Hilar Onur / Bertin Konyuncu, cités dans l'ouvrage. 

Pinar Selek vit et publie désormais en France car elle est victime de la répression que subissent les intellectuels en Turquie. Elle sociologue et écrivaine. 

Les citations de l'autrice sont en caractères gras et rouges.