mardi 16 juin 2020

Catharine MacKinnon : Le féminisme irréductible

Discours sur la vie et la loi


Catharine MacKinnon est juriste, avocate à la Cour Suprême, elle travaille sur le féminisme et le droit. Elle y a plaidé avec Andrea Dworkin un contentieux des femmes contre la pornographie et les puissantes formes de cette industrie : presse,  Hugh Hefner (Play Boy), Larry Flint (Hustler) et cinéma porno. Leur plaidoyer a été débouté au titre du Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui garantit la liberté d'expression. Pour la Cour Suprême, la pornographie est une expression artistique comme une autre, elle n'y voit pas d'avilissement des femmes.

 Epistémologue du droit, (peu de féministes ont critiqué le droit, déplore-t-elle) elle démystifie la misogynie intrinsèque de la neutralité libérale. Elle argumente que les 10 premiers amendements de la constitution des Etats-Unis (Bill of rights) ont été écrit par une convention composée exclusivement de mâles blancs représentants des 12 premiers états historiques, préoccupés au nom de l'universalité, à défendre les droits des hommes blancs.
Notez que c'est pareil dans l'article 1er de la Constitution française de 1958, elle aussi rédigée par un comité de membres du Conseil d'état, tous mâles, l'égalité des sexes n'y est pas mentionnée : neutralité libérale aussi ; et bien entendu, le Président de la République étant, dans l'imaginaire des rédacteurs, un mâle, forcément marié, sa femme n'est même pas mentionnée, et si elle bosse, c'est pour la peau comme toutes les femmes mariées, ce qui permet toutes les récriminations quand les "premières dames", selon un copier/coller du titre étasunien obtiennent un budget de fonctionnement. Le travail des femmes mariées est estampillé servage, péonage dans la Constitution de la 5ème République !

" L'épistémologie est la réponse à la question 'comment savez-vous ?', 'Qu'est-ce qui vous fait penser que vous savez ?'... en quoi votre description de la réalité est-elle exacte ? "

Le Féminisme irréductible (Feminism unmodified, titre en anglais) est un ensemble de textes de conférences à destination des universités étasuniennes, données par MacKinnon dans les années 80. L'ensemble est une épistémologie (définition ci-dessus ;) du droit et de la jurisprudence. Je vous propose quelques-unes des nombreuses punch lines que compte cette compilation de textes. Evidemment, il faut lire tout l'ouvrage qui propose une critique féministe matérialiste, marxienne et radicale. MacKinnon y démonte les arguments du féminisme libéral.

Féminisme marxien matérialiste (radical) : " Pour le féminisme, la sexualité est comme le travail pour le marxisme, socialement construite en même temps qu'elle construit la réalité sociale. Elle est une activité universelle, bien qu'ayant toujours une spécificité historique, et elle allie matière et esprit. De même que l'expropriation organisée du travail des un(e)s pour l'usage des autres définit les travailleurs en tant que classe, l'expropriation organisée de la sexualité des unes pour l'usage des autres définit la femme en tant que sexe. L'hétérosexualité est la structure dominante de la sexualité, le genre son processus social, la famille sa forme figée, les rôles sexuels sa caractéristique généralisée à deux personnages sociaux et la reproduction, sa conséquence...
Dans cette analyse, marxisme et féminisme sont des théories du pouvoir et de sa répartition inégale. "

Féminisme libéral : [son]" postulat de base est que chacun(e), même s'il appartient à un groupe pauvre et sans pouvoir, fait ce qu'il ou elle fait, volontairement [...] Prière d'oublier les réalités de la situation sexuelle et économique des femmes ; faire acte de libre volonté, pour nous, c'est écarter les jambes devant un objectif. " ; dans le cas de Play Boy, mais vous reconnaîtrez la rhétorique des pro GPA, des "travailleurs du sexe", et des pornocrates ! Mon corps, mon choix, mon droit (détournement du slogan des féministes luttant collectivement pour la dépénalisation de l'avortement dans les années 70 par les libérales), ma petite entreprise connaît pas la crise, dans l'économie informelle du XXIème siècle.

" Toute critique [de ces idées libérales] est qualifiée de critique morale laquelle, comme le savent les libéraux, ne peut porter que sur des opinions et des idées et jamais sur les faits vécus. L'ensemble de cet édifice défensif, aussi illogique qu'il puisse paraître, repose de façon tout à fait cohérente sur les cinq dimensions cardinales du libéralisme : individualisme, naturalisme, volontarisme, idéalisme et moralisme. [la] situation concrète de pouvoir / absence de pouvoir est transformée en jugements de valeur relatifs, chacun pouvant avoir ses préférences, différentes, mais toutes également valables. [...] Je ne crois pas qu'on puisse dire du féminisme libéral qu'il est féministe ; il n'est que l'application du libéralisme aux femmes. "

Masculin, Neutre, Universel

" Les femmes ont une compétence que n'ont toujours pas les hommes, la gestation utérine. "
Mais :
" La manière concrète dont l'homme est devenu la mesure de toute chose reste dissimulée. La neutralité de genre n'est que la norme masculine, et la règle de protection spéciale est simplement la norme féminine, mais ne soyez pas déçus : le masculin est la référence dans les deux cas. Pensez aux planches anatomiques en médecine ; le corps masculin y est le corps humain et tout ce superflu  qu'ont les femmes relève de la gynécologie et de l'obstétrique. "

" Sous cette forme, le principe d'égalité induit l'idée que le meilleur moyen d'obtenir quelque chose pour les femmes, c'est de l'obtenir pour les hommes. "
" Si l'égalité pose problème, on choisit toujours d'exclure les femmes, jamais les hommes. "

" l'idéalisme libéral qui [...] se parle à lui-même, est que pratiquement toute caractéristique qui distingue les hommes des femmes est déjà compensée par une mesure d'action positive en faveur des premiers : la plupart des critères sportifs reposent sur la physiologie des hommes, l'assurance maladie ou automobile sur leurs besoins, les aspirations de carrière et critères de réussite sur leurs profils socio-professionnels, la qualité du savoir universitaire sur leurs visions du monde et leurs centres d'intérêt, le mérite sur leurs parcours et leurs obsessions, l'art sur leur façon de réifier le vivant, la citoyenneté sur leur service militaire, la famille sur leur présence, l'histoire sur leur incapacité à s'entendre, leurs guerres et combats de chefs, dieu à leur image, et le sexe sur leurs organes génitaux.".

Exploitation sexuelle dans le mariage, la pornographie, la prostitution, harcèlement, viols sont commis contre notre auto-détermination sexuelle : " Nous sommes définies en tant que femmes par les utilisations auxquelles nous assignent les hommes ".
" Dans la pornographie, les hommes ont le droit de mettre des mots (entre autres choses) dans la bouche des femmes, inventent des scènes où elles veulent à tout prix être ligotées, battues, torturées, humiliées et tuées. Ou simplement prises et utilisées. Dans la vision des hommes, l'érotisme c'est ça. Pour eux, le désir sexuel des femmes, et ce qui les rend désirables, c'est la soumission même avec l'abandon extatique de toute autodétermination.  "

" Les hommes, en tant que groupe social ne tendent pas (à de rares exceptions près) être traités comme les femmes le sont par la pornographie. Elle ne les atteint pas comme elle atteint les femmes. Elle ne définit par leur statut social comme inférieur. "

Sur la libération sexuelle : elle a surtout permis un accès plus facile des hommes aux femmes par la levée des risques de grossesse (pilule, et IVG en cas d'échec) : " Pour la critique féministe, une telle définition de la sexualité libère l'agressivité sexuelle des hommes. L'objet de la recherche sur la sexualité est de faire en sorte que le pénis fonctionne bien et que les femmes l'acceptent. " Playboy qui dispose des femmes dans des positions intéressantes aux yeux des hommes, se prétend donc féministe (et il finance d'ailleurs, grâce à une fondation, des associations féministes)
" Dire que Playboy est féministe signifie donc, en d'autres termes, qu'il contribue à la libération sexuelle des femmes, c'est à dire qu'il libère les femmes pour l'accès sexuel des hommes. Et il nous promet de lever toutes les inhibitions dont nous autres 'frigides' souffrons quand nous disons que nous restons de marbre, que nous n'en voulons pas, pas avec celui-là. Notre résistance est prise pour du refoulement, à traiter par une thérapie sexuelle et la pornographie. "

Selon Catharine MacKinnon, Play Boy instaure ainsi un "racket de protection" dont profite surtout le féminisme libéral réformiste financé de fait par des Fondations plus ou moins occultes et toutes libérales, les subventions des collectivités locales et états, tous patriarcaux, qui achètent la paix et une conscience en maintenant une sorte de statu quo sur la situation de dominées, exploitées, violentées des femmes :

" Certain(e)s pourraient voir dans l'intérêt matériel qu'ont les féministes à l'égard de la pornographie, comme à l'égard de la famille ou de l'activité professionnelle, quelque chose du même ordre que celui qu'ont les prostituées à l'égard de leur souteneur : nous ne pouvons pas nous permettre de les détruire, nous avons besoin d'eux, nous dépendons d'eux, ils nous aident à tenir au jour le jour. Mais ils nous détruisent aussi. Tout système de pouvoir fait en sorte que celles et ceux qu'il maintient dans l'absence de pouvoir aient néanmoins un intérêt à pérenniser le statu quo. C'est notre lot dans la structure familiale, l'organisation du travail, la sexualité et le racket de protection actuels. "

Pour conclure ce billet sur cet ouvrage dense, je voudrais parler de la peur et de la légitime défense des femmes que Catharine MacKinnon aborde sous les mots d'auto-défense, les femmes étant généralement terrorisables et terrorisées, ou au minimum sidérées par la prétendue invincibilité masculine. Les anthropologues Paola Tabet et Nicole-Claude Mathieu écrivent que les femmes sont construites socialement par l'interdiction qui leur est faite de l'accès aux outils et aux armes, organisant ainsi leur vulnérabilité face aux mâles de l'espèce, et il faut dire que ça marche bien, vu qu'il ne manque pas de couteaux ni d'eau bouillante dans les cuisines de leurs maisons où s'exerce la violence maritale contre elles, dès qu'elles sont ferrées par le mariage / cohabitation, la grossesse ou le premier enfant. Et que ces couteaux de cuisine ne leur servent en fait à rien, parce que la prohibition de se défendre contre l'agresseur est totalement intériorisée.

" .... nous avons besoin de faire en sorte que nous n'ayons plus à avoir peur. 
Sur le plan individuel, je ne connais qu'un moyen de commencer à en finir avec la peur, et nous en disposons ici : l'autodéfense. Les arts mariaux ne sont pas un simple entraînement physique à faire un geste ciblé, à clouer quelqu'un au tapis ou à riposter habilement. C'est aussi une pratique spirituelle, complète, qui nous permet d'avoir une relation à notre propre corps en ayant conscience qu'il nous appartient, un corps pour agir, vivre, exister soi-même dans le monde, et pas seulement quelque chose qui est là pour porter notre tête ou être vu par les autres. Bien pratiquée, l'auto-défense peut nous aider à retrouver le sens de notre dignité et à la préserver. ".

Une opinion hélas peu partagée par des féministes qui préfèrent laisser les femmes à leur statut de victimes.
J'espère vous avoir donné envie de lire Catharine MacKinnon : elle donne une base dialectique indispensable pour répondre à nos ennemis de classe et nous constituer d'abord un mental de femmes qui s'auto-déterminent, sans en passer par les diktats sociaux patriarcaux. C'est un livre puissant.

Le livre est en édition de poche aux Editions des Femmes.
Les citations de l'autrice sont en caractères de couleurs et entre guillemets.


vendredi 12 juin 2020

Je n'ai pas d'enfant et je vais bien !

Mon blog devenant collaboratif, je publie bien volontiers cette semaine un billet proposé par une autrice sur le sujet de la maternité, refusante elle aussi ! En guise de préface, je propose une citation de Nicole-Claude Mathieu, anthropologue, théoricienne du féminisme, dont la thèse est que la fécondité et les capacités reproductives des femmes sont appropriées par les hommes, que la reproduction est contrainte, tout comme l'hétérosexualité. Ce sont des constructions sociales, et il faut beaucoup d'assertivité pour les refuser et s'en affranchir.

" A l'enseigne des saigneurs, il y a une internationale de la violence contre les femmes, dont la croissance démographique -qu'on pourrait appeler violence démographique contre les femmes n'est pas la moindre manifestation. Cette "croissance" ne se fait pas toute seule. Elle est le résultat de la volonté de maintien du contrôle des hommes sur la sexualité des femmes dont la collusion entre le Vatican et l'Islam démontre bien le caractère transculturel. Contrainte à la grossesse imposée en tous temps : temps de guerre ou de paix, temps de prospérité ou de famine, temps des camps de réfugiés..."

" ... entre la capacité et le fait de procréer s'interposent des interventions sociales sur le corps, la sexualité et la volonté des femmes, qui vont moins dans le sens d'une limitation des naissances que dans celui d'une rentabilisation des possibilités biologiques.
Nicole-Claude Mathieu L'anatomie Politique 2 

Voici le texte d'Annah Scott :

Je fais partie des 5 % de français, hommes et femmes confondus, à ne pas vouloir d'enfant. A 34 ans, ce choix a été longuement réfléchi et est aujourd'hui totalement assumé. Pourtant, il m'est encore souvent impossible de seulement laisser sous-entendre de ne pas désirer de chérubins.

Quand l'entourage s'en mêle

A défaut, j'ai droit aux réflexions coutumières :

Tu changeras d'avis !
Tu es égoïste !
Tu regretteras :
Tu finiras toute seule ! 

Ou celle implacable qui me rappelle que mon corps n'est pas mon allié
L'horloge tourne ! Dépêche-toi ! 

Tous mes besoins personnels tels que l'envie de conserver ma liberté au quotidien et mon autonomie dans mes choix de vie, trouvent une réponse imparable.

Commence alors une joute verbale parsemée des mêmes arguments entendus et répétés des centaines de fois. Aucune personne, en âge de donner son opinion, ne se dispense de son devoir de me ramener sur le "droit chemin".

Que ce soit dans mon cercle familial, privé ou professionnel, ces répliques cinglantes préfabriquées sont basées sur des arguments arriéristes condamnant les brebis égarées et hissant la procréation au rang de devoir.
Nous voici donc, femmes sans enfant, destituées de notre plein statut féminin !

Les diktats de la famille parfaite 

Après une telle vague de soutien, de tolérance et de compréhension, je me suis mise à penser que je ne devais sûrement pas avoir bien compris ce qu'était une vie réussie et que je devais sous-estimer la magnificence du rôle de mère.

Ces réactions archaïques inconscientes s'inscrivent pourtant dans un paradigme social et culturel, et répondent au besoin primaire de sécurité de l'Homme.

Aux yeux de ces personnes, nous remettons en cause la notion même du principe créateur si précieux à la religion chrétienne et représentons une menace à l'ordre établi depuis des siècles.

Lors d'une soirée entre amis, j'abordais ce thème avec la mère d'une enfant de huit ans. Tandis qu'avec son conjoint, ils avaient pris la décision commune de ne pas donner naissance à nouveau, elle m'avoua être sans cesse sous le joug des critiques de son entourage lui enjoignant de faire une autre enfant le plus rapidement possible.

Après tout, comment osait-elle se soustraire à la règle du second !? Les attributs masculins de son conjoint lui permettaient, quand à lui, d'échapper à cette injonction.

Je tombais des nues 

Je n'ai jamais ressenti ce besoin ardent, viscéral, ce cri du cœur et du corps à porter la vie. Lorsqu'un jour, une amie me confia vivre avec la sensation d'un vide immense au creux du ventre et son urgence physiologique de porter un enfant, je tombais des nues.

La seule urgence dont j'avais jamais été victime était celle de faire ma valise pour partir illico en voyage ou à la rigueur de m'offrir une escapade à cheval.

J'explorais, pour la première fois, le désir d'être mère à travers une autre personne. Est-il possible d'être dénuée du programme génétique de la maternité ? A ce jour, toujours aucun signe de vie du besoin irrépressible de materner !

Je célèbre, au contraire, mon goût des grasses matinées, des soirées et des week-ends improvisés et le bonheur des voyages hors vacances scolaires. Si l'International Childfree Day (la Journée internationale des femmes ne désirant pas d'enfant) fête ces privilèges chaque 1er août, j'ai la chance de les honorer toute l'année.

La reine mère

Tandis que la mère est sanctifiée, nous, qui n'avons jamais porté d'enfant, sommes appelées les nullipares -terme, ô combien glamour, évoquant l'idée de "sans" comme si quelque chose nous manquait.

Aucune opinion ne résiste à l'épreuve du temps et de l'expérience. Essayez donc la tolérance et l'ouverture d'esprit en questionnant intelligemment sur les raisons de nos choix indépendamment de vos attentes personnelles, de vos croyances et de vos comportements empiriques.

Via mon non désir d'enfant, j'expérimente probablement la peur de perdre ma liberté et de ne pas être à la hauteur en tant que mère pendant que d'autres répondent à la crainte de vieillir et de finir seule. Mais qui peut juger quelle peur est la plus légitime ?

La chance d'être tatie ! 

Nous sommes fréquemment étiquetées d'immatures. Et pourtant, il me semble significativement plus responsable d'évaluer en amont les enjeux pour le moins irréversibles de la maternité car, plus tard, personne ne nous autorisera à avouer que nous regrettons nos enfants.

Fort heureusement, mon rôle de tatie me permet de goûter aux joies de l'innocence tout en évitant les affres de l'éducation au quotidien. La solution est donc là ! Laissez vos frères et sœurs faire des enfants pour contenter les grands-parents et récoltez uniquement les moments de rire et d'insouciance.

Livre : Pas d'enfant, merci ! Annah Scott

Le livre Pas d'enfant, merci ! dévoile le regard porté sur ces femmes au travers de témoignages humoristiques, d'expériences personnelles, d'études et de données scientifiques. Il explore l'origine des exigences sociales, culturelles et familiales qui dictent le devoir d'enfanter, et se penche sur les aspirations de la nouvelle génération dans sa quête d'épanouissement personnel. Publié à compte d'auteur, l'ouvrage est disponible sur Amazon.