vendredi 24 janvier 2025

La politique sexuelle de la viande - Edition du 35ème anniversaire

C'est mon troisième article sur cet ouvrage fondateur de mon blog, avec Le féminisme ou la mort de Françoise d'Eaubonne, et c'est avec plaisir et contentement que je le rédige. Les choses avancent, les traductions se font, les autrices oubliées refont surface. 


A l'occasion de la reparution (dans les librairies le 24 janvier 2025) de l'édition du trente cinquième anniversaire de l'ouvrage, devenu désormais un classique de la littérature végane féministe chez Bloomsbury son éditeur américain, Le Passager Clandestin publie quasiment simultanément sa traduction en français, avec une longue postface actualisée de l'autrice Carol J Adams, enrichie de photos, tracts, dessins, avec bien sûr, des dernières déclarations et avancées sur la prise de conscience écoféministe et des torts causés aux autres terriens, les animaux..

Explorant à travers les textes littéraires les hiérarchies d'oppression patriarcale, élaborant la thèse du "référent absent", incluant intersectionnellement les animaux, en rappelant ce que l'activisme pour les animaux doit aux féministes, histoire largement ignorée (qui sait par exemple que les suffragistes britanniques étaient aussi antivisectionnistes ?), en redonnant toute leur place aux autrices dont les textes ont été oubliés ou fragmentés, 'démembrés' à l'instar d'une pièce de viande, autrices anti-guerre et végétariennes des temps passés, et notamment les européennes de l'après Grande Guerre, Carol J Adams signe un classique, devenu bible intersectionnelle du véganisme , une théorie critique féministe intersectionnelle, des oppressions subies par les femmes et les animaux. 

Adams redonne, par exemple, toute sa place à Mary Wollstonecraft Shelley, autrice de Frankenstein ou le Prométhée moderne, dont s'est emparé Hollywood sans mentionner le véganisme de la Créature, rejetée par les humains pour sa monstruosité, et se jurant de ne plus manger que des fruits et des graines en se souvenant qu'elle est fabriquée de morceaux de cadavres d'humains et d'animaux fragmentés en abattoir ; Mary Shelley, à l'instar de Flaubert disant "Madame Bovary, c'est moi", aurait sans doute pu dire aussi "la créature de Frankenstein, c'est moi" en se souvenant que dans les salons de son milieu intellectuellement brillant et stimulant, elle écoutait plus qu'elle n'intervenait, car femme dans un milieu d'hommes, artiste elle-même, parmi ses pairs masculins, pairs qui ne la voyaient pas comme telle. Il est de fait que Hollywood qui a fabriqué le mythe Frankenstein en occultant l'autrice, ne s'embarrasse pas de son véganisme solidaire et altruiste des animaux, à la chair réifiée et démembrée dans les abattoirs pour être transformée en nourriture pour les humains. La viande, les abattoirs, c'est la guerre. Les bouchers comme les soldats font couler le sang, plaideront toutes ces féministes, de Margaret Cavendish, à Virginia Woolf, en passant par Colette, George Sand, Alice Walker, Margaret Atwood et tant d'autres, reconnues, leurs textes restitués, dans cet ouvrage à la réédition bienvenue.

Quelques citations :

" on ne mange pas de viande sans qu'il y ait mort d'un animal. Par conséquent, l'animal vivant est le référent absent du concept de la viande. Le référent absent nous permet d'oublier les animaux en tant qu'entités indépendantes ; il contribue aussi à notre résistance face aux efforts déployés pour imposer leur présence. "

" Qualifier de féminin ou d' "efféminé" le refus que des animaux soient tués pour servir d'aliments parce que son ton serait "émotif" contribue à son bâillonnement, puisqu'on l'associe à des femmes bâillonnées par la culture patriarcale.

" En réalité, dans le monde occidental industrialisé actuel, les femmes ressemblent aux animaux dans un zoo moderne. Il n'y a pas de barreaux. Les cages semblent avoir été abolies. Pourtant, en pratique, on garde encore les femmes à leur place avec autant d'autorité que les animaux dans leurs enclos." Brigid Brophy, citée dans l'ouvrage.

Cochon :  animal vivant. Porc : mort, fragmenté, renommé

" Quelles sont les tyrannies que vous avalez jour après jour et que vous essayez de faire vôtres, jusqu'à vous en rendre malade et à en crever, en silence encore ? " Audre Lorde, citée dans l'ouvrage. 

" Le végétarisme [est] un complément essentiel du pacifisme. Par extension, en contestant la croyance dominante selon laquelle l'animal est fait pour être consommé par l'espèce humaine, nous remettons en cause un monde en guerre. "

" En réalité, l'élevage d'animaux et la guerre sont des institutions où l'homme s'est montré le plus compétent. Il joua le rôle de boucher et celui de soldat ; et lorsque la culture du sang prit le contrôle de la religion, les prêtresses furent mises de côté. " - " Les toutes premières mentions d'offrandes à la déesse ne citent que des grains et des fruits. Quand le massacre d'animaux y fut-il ajouté ? "

 
" Il est rare qu'au cours de l'histoire un homme soit tombé sous les balles d'un fusil tenu par une femme ; la vaste majorité des oiseaux, des animaux tués l'ont été par vous et non par nous. Il y a pour vous quelque gloire, une nécessité dans le conflit que nous n'avons jamais ressentie ou appréciée. " 
Virginia Woolf dans Trois guinées. 

Lien complémentaire :

Eat my fear, sculpture en fibre de verre proposée par David Lynch pour la Cow Parade de New York en  2000, sculpture refusée par les organisateurs de l'expo au motif qu'elle était choquante.  

FRANKENSTEIN 


" Ma nourriture n'est pas celle des hommes, je ne tue ni l'agneau ni le chevreuil pour apaiser ma faim. Les racines et les baies me suffisent largement.

Mary Shelley - Frankenstein ou le Prométhée moderne. (Merci à Vegan Rural pour m'avoir fourni la citation)

Mary et Percy Shelley, lui poète romantique anglais, étaient végétariens militants. Mary Shelley est la fille de Mary Wollstonecraft, philosophe, proto-féministe, autrice de A vindication of the rights of woman en 1792.   

mardi 7 janvier 2025

Les meurtres en série et de masse : dynamique sociale et politique - Poulin / Dulong

Après l'attentat islamiste du premier janvier à La Nouvelle-Orléans* dans lequel, selon l'enquête du FBI, l'auteur, citoyen états-unien d'origine indo-pakistanaise Shamsud Din-Jabbar, aurait hésité entre tuer toute sa famille et l'attaque massive dans un lieu public, pour finalement choisir cette dernière option, et aussi puisque nous commémorons les dix ans de l'attentat de Charlie Hebdo, Hypercacher, Imprimerie de Dammartin en Goële commandité par Al Qaïda** en 2015, j'ai voulu relire ce petit ouvrage de Richard Poulin et Yanick Dulong publié aux éditions Sisyphe, les deux auteurs québécois de cet essai sur la dynamique sociale et politique des meurtres en série et de masse, perpétrés à 90 % par des hommes. 

Le premier texte est de Richard Poulin : Misogynie et racisme, le fondement des meurtres en série. Le tueur sériel est un homme opérant seul, se choisissant des victimes au hasard, sans lien entre elles, sans mobile apparent, ce qui le rend très difficile à appréhender. 

Le second texte de Yanick Dulong : Dans l'ombre des meurtres de masse. Le meurtrier de masse lui a un mobile, haine, jalousie, et surtout, il commet soit des crimes de possession dans le cas des assassinats familiaux, soit il se venge d'un sentiment de tort que la société ou une catégorie sociale lui infligeraient, ses droits acquis seraient lésés. Dans les deux cas, leur carburant est la frustration . 


Le meurtre sériel comme le meurtre de masse se comptent à partir de 3 victimes, ce qui inclut les meurtres maritaux et familiaux, le pater familias propriétaire qui tue toute la famille parce que sa femme le quitte (les féminicides), mais aussi les menteurs pathologiques sur le point d'être percés à jour, donc de perdre leur statut social, tels Xavier Dupont de Ligonnès ou Jean-Claude Romand, typiquement ; le meurtrier en série tue ses victimes au hasard ce qui le rend difficile à trouver ; le meurtrier de masse s'attaque lui aux groupes avec lesquels il est en relation : école, entreprises, communautés, famille. Les deux ont en commun d'être commis dans 90 % des cas par des hommes. Les deux auteurs de ce petit ouvrage percutant et nécessaire, rejettent l'explication psychologisante (le pauvre tueur avait des problèmes psychologiques, était incompris, dépressif, et il fut atrocement maltraité dans son enfance, par sa mère généralement -les mères prennent toujours cher) ce qui n'est pas une excuse. La classe sociale la plus maltraitée par la société ce sont les filles et les femmes, elles ne tirent pas dans le tas pour autant. Le 'malheureux' 'monstre' avait des troubles psychiques, c'est un fou, un 'loup solitaire', rien de tout cela n'est avalisé dans cet ouvrage. Les tueurs de masse sont des hommes à la masculinité hégémonique exacerbée, haineux des femmes, des minorités, des homosexuels, ils sont généralement des mâles de la majorité blanche (le type caucasien est majoritaire dans ces crimes) considérant que les privilèges de leur classe sociale de dominants sont acquis, et que si ces privilèges acquis sont lésés, ils pensent pouvoir tirer dans le tas en guise de représailles. Leurs meurtres et tueries sont sexistes, homophobes et racistes, le nombre de femmes victimes, même quand elles ne sont pas visées expressément comme dans la tuerie de l'Ecole Polytechnique de Montréal en 1989, ou dans leur foyer, est considérable. Ils commencent souvent par tuer leur mère ou leur grand-mère avant de faire un carnage dans une zone industrielle, à une fête populaire, ou dans une école. Ces assassinats de masse sont aussi commis pour faire une fin : ils n'en sortiront pas vivants, ils le savent, c'est un "suicide by cops" disent les Américains (suicide par policiers interposés). Bref, pas fichus de partir seuls par leurs propres moyens.  

Le refus de nommer le problème -la masculinité hégémonique- est pour la société, rejetant les travaux des féministes qui avertissent depuis longtemps sur le sujet, une façon de perpétuer un système. Il a une fonction : il maintient en l'état l'ordre des choses. Un ordre patriarcal fait de l'appropriation privée des femmes et de l'autre, le différent, généralement déprécié, dévalorisé, déclassé, les prostituées, les femmes des classes sociales défavorisées, les autochtones, les handicapées mentales. Un ordre social inacceptable qui se perpétue par la violence. Les discussions sur les armes, la psychologie des tueurs en série et de masse, l'abondante littérature sur les concepts de "loup solitaire", de monstruosité, les rejetant hors de l'humanité, sont la manifestation du refus de nommer le problème. Or, on ne vient pas à bout d'un problème sans d'abord le nommer. Les meurtres sériels et de masse ont une dynamique sociale et politique. Il s'agit de terrorisme viril. Le problème, ce ne sont mêmes pas les armes en vente libre, c'est la masculinité. Evidemment, armes plus masculinité hégémonique, le cocktail est explosif.

Quelques citations : 
 
" Un bon nombre d'hommes développent des pratiques et des comportements, où protéger les plus faibles en usant de violence pour y parvenir, fait figure d'héroïsme. La violence est donc présentée comme un moyen légitime et banal de résoudre les conflits et de s'affirmer.

" Les femmes tuent généralement dans la sphère dite privée et non dans l'espace public. Ainsi, le meurtre de masse revêt un caractère social spécifique puisqu'il reflète la distribution des rôles entre les sexes.

" Dans la littérature populaire -les romans, les films et les biographies des tueurs- comme dans un grand nombre d'essais universitaires, le meurtre s'explique par le meurtrier, et le meurtrier s'explique lui-même par les traumatismes subis dans son enfance. Or ces homicides reproduisent des schémas identiques non seulement du point de vue individuel (psychologique), mais également du point de vue collectif. Bien que l'on ait affaire à un individu isolé qui se déchaîne et tue, on ne peut réduire au seul aspect individuel la violence, qui représente à la fois un acte personnel et un processus social. "

" La violence sexuelle est généralisée. Les violences masculines, qu'elles soient sexuelles ou non, font partie du fonctionnement de la société. Le meurtre à caractère sexuel, qu'il fasse partie d'une série ou non, est partie prenante d'une culture misogyne et sexiste. [la dynamique sociale de cette violence] est liée à l'oppression des femmes et fondée sur une conception de la masculinité et une construction sociale favorable à l'appropriation des femmes par les hommes. "

" Nommer cette violence, et reconnaître ses victimes, briser le silence, font partie des conditions pour la combattre. La non-reconnaissance a une fonction, pour les dominants comme chez les dominées, le maintien en l'état de l'ordre des choses. " Nicole-Claude Mathieu, 1991. 

* On peut rajouter, puisqu'elle est quasiment concomitante, la tuerie de Magdebourg perpétrée par le  saoudien, médecin psychologue faussaire (il n'avait pas tous les diplômes pour exercer en Allemagne), harceleur de femmes, et agitateur d'extrême-droite. 
** L'organisation Al Qaïda rassemble des idéologues islamistes avec un calendrier politique : patriarcaux, virilistes, niant l'autonomie des femmes, considérées comme propriété des hommes du clan ou de la tribu. 

samedi 28 décembre 2024

Ménopause - La théorie des grands-mères

 L'idée de ce billet est partie d'une annonce du Président de la République, reprise par la presse et par les associations féministes. 

La ménopause, arrêt de l'ovulation et disparition des règles selon le dictionnaire, est traitée comme une maladie, un inconvénient (que les hommes ne partagent pas) alors qu'objectivement c'est une délivrance. Travers typique du patriarcat éleveur : cette annonce sur la ménopause mal vécue par les femmes. De fait, les femmes âgées deviennent invisibles dans l'espace public et ailleurs. Valorisées auparavant dans le rôle de mères reproductrices de l'espèce, la ménopause arrête tout cela et rend le sujet tabou par excellence ! Pensez, vous devenez inutile à l'élevage et à la reproduction survalorisée par la société. Une femme n'a de valeur que parce qu'elle produit des enfants, c'est encore mieux quand elle produit au moins un garçon, les dégâts sociaux faits par ce sexe étant bien entendu largement passés sous silence ! Voici l'article en question : c'est le locataire de l'Elysée, qui d'ailleurs n'a lui-même pas d'enfant reconnu à quasiment cinquante ans (c'est sa seule qualité et originalité d'ailleurs), qui s'y colle : 'Emmanuel Macron souhaite que qu'une mission parlementaire se saisisse de la QUESTION de la ménopause'. La ménopause est une question. Ah ? Les hommes qui vieillissent aussi, ont eux, le destin des femelles des autres animaux : baisse continue de la fécondité et du désir sexuel, donc de la vitalité, mais possibilité dans leur cas d'avoir encore une descendance à condition expresse que la femme soit bien plus jeune. Haro donc sur la ménopause 'problème', puisqu'elle signale le début de la vieillesse dans une société de la performance, définitivement jeuniste, ménopause vécue aussi comme une injustice, par souci d'égalité avec les hommes.  

Il n'y aurait dans le règne animal auquel nous appartenons (ordre des primates, sous-ordre mammifères) que deux espèces dont la femelle serait dotée de la ménopause, cet arrêt définitif de la période de fécondité, les femmes et les orques, alors que, en dehors de ces deux espèces, les femelles peuvent continuer avec moins de productivité avec l'avance en âge, à produire des petits. Pourquoi ces deux-là, et surtout pourquoi les femmes de l'espèce humaine, se demandent les scientifiques qui hasardent des hypothèses. Les femelles de l'espèce humaine se différencient des autres en ceci qu'elles n'ont pas d'œstrus (Françoise Héritier), cette période de rut limitée dans le temps, hors de laquelle les femelles animales deviennent indisponibles et refusent le mâle, les femmes sont disponibles sexuellement, hors ovulation. Et elles font une ménopause. Bien sûr, il n'en a pas toujours été ainsi, il y a forcément eu une pression de l'évolution pour que cela se produise. 

Une thèse nous est présentée par le consensus scientifique sur le sujet : les grand-mères ! Ah la thèse des grands-mères, je l'adore. En gros, les femmes ménopauseraient pour se rendre disponible pour le rôle de grand-mère, sur-mère, aidante, éducatrice, notre espèce présentant aussi le défaut de la néoténie (nous naissons pas finis ou mal finis, sans tenir debout ni être capable d'échapper aux prédateurs et aux dangers de l'environnement), les femmes n'ayant que 9 mois de grossesse pour mener la chose à bien et à son terme. Si nous devions produire l'état d'un faon ou d'un chevreau tenant debout dans la demi-heure suivant sa naissance, il nous faudrait 24 mois de grossesse, qu'on terminerait grabataires, et le foetus serait tellement gros qu'il nous tuerait pendant la mise bas, pardon, l'accouchement. J'allais manquer à tous mes devoirs envers notre espèce tellement spécifique que les mots de vocabulaire que nous appliquons aux autres animaux en sont changés ! Sinon autrement, et ailleurs, on nous traite aussi bien et même pire que des femelles animales mais passons, ce n'est pas le sujet, mettons donc les formes : accouchement. 

Comme elle est commode au patriarcat cette thèse des grands-mères ; après le premier arrimage à la reproduction, à peine le temps de  souffler, voici le deuxième arrimage : jamais un moment à soi, vous êtes juste tirée des "joies" aha ah de la maternité, que voici que vos filles et garçons s'y adonnent aussi. Et les pauvres bouchons n'y arrivant pas seuls, vous seriez tout de même bien ingrate (une sale égoïste, oui !) de leur refuser le coup de main pour garder vos petits-enfants, par exemple à l'autre bout de la France, et pendant les vacances scolaires, leurs parents travaillant à leur carrière et n'ayant pas une minute à eux ! Evidemment, on ne vous le vend pas comme ça, brut de décoffrage avec des piquants partout, non, on met les formes (tout est dans les formes), on ébarbe, on vous l'emballe dans du papier de soie, avec des rubans et du bolduc : par exemple, "il faut tout un village pour élever un enfant", ou "les joies d'être grand-mère faisant des gâteaux et des confitures, avec la distance prise par l'expérience". Sans rire. J'ai assisté à des scènes pré-meurtres sur des parkings de musées où des grands-mères étaient tellement près de péter un plomb devant un môme insupportable, que je suis restée, histoire de voir évoluer la situation, prête à intervenir s'il le fallait pour empêcher le pire d'advenir. Le grand-père, quand il était là, planté comme un cierge, inutile, apathique. 

Moi j'ai une autre théorie à proposer sur cette affaire de ménopause : ni plus ni moins que celle de la survie des femmes, donc de l'espèce. Pendant des millénaires, la moyenne d'âge de l'espèce humaine est restée en dessous de 30 ans. La cause ? La mortalité pré, pendant et post-natale : les femmes ont payé de leur vie ce douteux 'privilège' de porter les enfants. Ce qui a fait baisser la moyenne de survie de toute l'espèce. Imprudente l'espèce, d'ailleurs : cela ne l'a jamais conduite à la tempérance, à la prudence ni à l'abstention, au contraire. Je veux bien admettre qu'au début c'est lié à l'ignorance du comment et du pourquoi, mais au bout d'un temps pas très long, les causes et les effets ont bien dû apparaître aux yeux même des moins bien dotés en qualités intellectuelles, les hommes, au hasard ! Les forcenés sur-sélectionnés par l'évolution (violeurs, razzieurs, maîtres et possesseurs qui sont toujours bien présents et nuisibles, nocifs, encore aujourd'hui, voir l'actualité récente) de la reproduction forcée (sans cela vous allez rater votre vie, mes pauvres filles !) ont produit un système de défense. L'évolution s'en est mêlée et a fait pression ; à un moment, la prime à la survie a été octroyée aux moins tardivement fécondes, la mortalité précoce, donc la moindre transmission de leurs gènes, a condamné les plus fécondes tardives à la disparition, puis à la fixation de la ménopause comme caractéristique reproductive de l'espèce. Un sauvetage, merci Mère Nature. Au moins, le temps que les femmes prennent conscience de leur asservissement et commencent à se défendre. Pour les orques, je n'ai pas de théorie, je n'en ai jamais rencontré. Il n'est pas impossible qu'elles aient, elles aussi, un mâle insupportablement agressif et dominateur ! 

Ma théorie n'est pas scientifique, je n'ai d'ailleurs pas de prétention à cela, je n'ai aucune formation scientifique. Ce qui ne m'empêche pas de penser. Et je pense que cette théorie des grands-mères est une incitation à une seconde carrière maternelle, puisque les hommes et leur société patriarcale nous préfèrent dans ces fonctions, que cela limite la concurrence que nous leur faisons ailleurs, et qu'ils détestent. D'où le constat suivant : quand je marche ou me promène dans des endroits en ville où d'autres femmes marchent aussi, je ne surprends -à mon corps défendant- que des conversations à propos de gardes d'enfants, de vacances scolaires qui les obligent à modifier leur routine ; quand je me retrouve en société ou en famille avec des femmes, elles ne parlent que de leurs petits-enfants (ou arrières !) et des obligations qu'elles leur doivent. Cela rend leur compagnie assez ennuyeuse d'ailleurs, n'ayant pour ma part, pas ces injonctions au-dessus de ma tête. Je préfère parler des livres que je lis, des films ou des expositions que je vois, lors de mon temps libre qui est aussi rempli que le leur, mais où je me ménage aussi des moments d'oisiveté totale, loin de l'agitation sociale contemporaine où il faudrait toujours faire quelque chose, avoir des milliers de projets en cours ou à venir. 

Aussi ma conclusion, Mesdames, ne marchez pas dans la combine tendue devant vos pas, ne gâchez pas le temps qu'il vous reste, ce temps de fin de pression qu'est la ménopause. Voyez vos petits-enfants évidemment tant que vous le voulez, mais imposez vos agendas et emplois du temps, cela les formera à l'assertivité par l'exemple. Il vous appartient de vivre aussi pour vous, égoïstement diront certain-es, et alors ? Les femmes n'auraient pas le droit à un moment d'être égoïstes, de penser d'abord à elles-mêmes, alors que la société leur a toujours enjoint d'être au service des autres, à commencer par leur famille, et ce, pire, en bénévolat, sans gagner un rond dans l'affaire, voire même en se fragilisant économiquement. Il me semble que la théorie des grands-mères sert ce dessein d'asservissement des femmes encore et toujours à la reproduction humaine et à la dévotion à rien d'autre qu'à leur famille. Et puis cette peur de l'inutilité ! On nous met au monde sans nous demander notre avis, et après il faut subir l'injonction d'être utile ! C'est quand même fou non ? 

samedi 30 novembre 2024

Champs de bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Champs de bataille, l'histoire enfouie du remembrement vient de paraître chez Delcourt, après Algues vertes, des mêmes auteurs : Inès Léraud journaliste, Pierre Van Hove au dessin. Avec cette fois-ci un historien conseil : Léandre Mandard, thèse en cours sur le remembrement en Bretagne.  


En un siècle, la population paysanne en France est passée de 5 400 000 actifs à moins de 400 000 aujourd'hui selon les chiffres de la Cour de Comptes et du Ministère de l'agriculture. La Première guerre mondiale en mobilise 2 millions, dont 500 à 700 000 ne reviendront pas vivants et auxquels il faut rajouter 500 000 blessés ; une saignée, accompagnée de la perte de 2 500 000 hectares de terre des plaines du Nord et du Nord-Est du pays, dévastés ou délaissés avec la fixation du front. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, en 1955, on ne comptait plus que 2,5 millions de paysans, dont un grand nombre de veuves de guerre tirant leur subsistance de cultures vivrières : en Bretagne, pommes, poires, châtaignes, avoine, orge, blé, deux ou trois vaches qui donnaient du lait et travaillaient comme animaux de labeur. Une agriculture de subsistance sur des petites surfaces dispersées et encloses par des talus, dont la première, mais pas seule fonction, était d'empêcher les animaux de divaguer. 

C'est à ce moment-là que l'idée de rationaliser l'agriculture, et de faire de la France un grand pays exportateur de denrées agricoles a prospéré :  sous l'impulsion de Jean Monnet, de De Gaulle et de son ministre de l'agriculture Edgar Pisani, on décide de "moderniser" tout cela, d'agrandir les fermes, de remodeler l'ancien cadastre, d'agrandir les chemins pour y faire passer des machines agricoles, des tracteurs notamment, et de redistribuer les champs de façon à les regrouper autour des fermes, là ou auparavant les parcelles étaient disséminées et divisées au gré des partages et des héritages. Ce sera le remembrement : de 1955 au début des années 1980, lors duquel un réaménagement brutal du territoire va être entrepris. C'est cette histoire traumatisante que raconte Ines Léraud, journaliste, avec Pierre Van Hove au dessin, une histoire occultée des mémoires, oubliée car douloureuse et brutale. Dans le même mouvement, les technologies de guerre (pesticides, engrais de synthèse) seront utilisées, la génétique des plantes et des animaux modifiée avec l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) aux commandes. Les chevaux de trait disparaîtront au profit des boucheries chevalines qui prospéreront des années 1960 à 1980. La culture paysanne, les cultures vivrières à base d'espèces diversifiées et résistantes, des savoir-faire, les paysages bocagers seront partout détruits sur le territoire français, au profit de grandes surfaces amendées aux engrais chimiques, (dans les années 50 un gros tas de fumier devant la ferme démontrait son opulence) et de machines agricoles de plus en plus imposantes et lourdes pour lesquelles les chemins creux (laissant tout juste passer un homme et un cheval) sont supprimés, redressés, ou élargis, les haies d'arbres abattues, les talus rasés. 

Les techniciens des chambres d'agriculture ou des coopératives persuadent au nom du progrès, se rendent maîtres des nouvelles techniques et disent aux paysans comment faire. Le remembrement a été mené par des bureaux de technocrates, souvent parisiens, par des ingénieurs agronomes, par les chambres d'agriculture et la FNSEA sous le nom de son ancêtre, tous peuplés de JACistes* (mouvement chrétien) croyant œuvrer pour le bien commun, la rationalisation et la modernité, là où il aurait fallu faire confiance aux gens concernés, faciliter les transactions amiables, les laisser maîtres de leur destin, au lieu de les traiter en ploucs arriérés. 

" Ils savent faire mais on les a tellement traités de sous-développés qu'ils n'osent plus." 

Evidemment, il y aura résistance, les villages se divisant entre ceux qui adhèrent au remembrement, y trouvant leur intérêt, et les perdants qui prendront l'indemnité viagère de départ offerte par l'état aux plus âgés au bord de la retraite, marché de dupes, l'indemnité est très faible, et ceux qu'on orientera vers les usines -typiquement Citroën à Rennes pour ne citer que celle-là-, fournissant une main d'oeuvre docile et peu syndiquée en plein boum industriel. Les opposants manifesteront, plastiqueront des bulldozers (le FLB en Bretagne), enlèveront les bornes du nouveau cadastre, certains seront même internés et calmés aux neuroleptiques sur ordre préfectoral, des haines recuites diviseront les habitants des campagnes, certains profiteront de l'occasion pour revendre leurs terres pour en faire des lotissements pavillonnaires et des centres commerciaux où les agriculteurs, naguère auto-suffisants, iront acheter ce qu'autrefois ils produisaient, et qui était de meilleure qualité. 

" Le remembrement a été une guerre contre la subsistance. "

Toute cette maltraitance et toutes ces souffrances pour quel résultat ? 

Les arbres abattus de l'ancien bocage ne fournissent plus d'abris aux oiseaux diurnes et nocturnes qui disparaissent, les printemps sont devenus silencieux (Rachel Carson apparaît sur une double page, dessinée dans l'album), les talus arasés n'abritent plus les serpents (vipères, couleuvres) qui boulottaient les  taupes et les mulots, lesquels, sans prédateurs, font désormais des festins de récoltes, talus arborés qui n'offrent plus ni abri ni ombre aux bêtes par grand vent, pluie ou chaleur estivale, ne retiennent plus la terre qui dévale les pentes lessivées par les pluies, la terre éboulée allant sédimenter les rivières et, au bout, la mer. Les talus étaient des trésors entretenus amoureusement par les paysans d'avant. Ils délimitaient les champs, offraient des quantités de mûres, fruits du roncier qui les recouvrait, et de fleurs printanières dont on faisait des bouquets, des remèdes, ou des bouillons de onze heures ! Les haies et talus faisaient éponges contre les crues, retenaient l'eau. Voyez ce que donne aujourd'hui une grosse averse : des zones pavillonnaires inondées plusieurs fois par saison, pluies bien aidées par les ruisseaux qui réinvestissent leur ancien lit. Ruisseaux au cours rectifié, dont l'eau coulant trop rapidement à fait disparaître la biodiversité animale habitante des petits rus dont on sait, quand on a lu Elysée Reclus (Histoire d'un ruisseau, que je recommande) qu'ils serpentent paresseusement dans les replis de terrain, l'eau prenant son temps, sinon, c'est l'étape d'avant : le torrent ou le rapide. 

Et cerise sur le kouign-amann, en Bretagne et ailleurs apparaît une nouvelle dispersion des parcelles, à quoi le remembrement voulait remédier, souvenez-vous. Certains villages qui avaient 600 habitants et 20 agriculteurs avant le remembrement, ont désormais 6000 habitants et UN agriculteur intensif exploitant des centaines d'hectares, agriculteur qui fait parfois des dizaines de kilomètres pour cultiver des champs dans une autre commune ! On a marché sur la tête et on va payer le prix fort en termes de dévastation du biotope, de terres cultivables vitrifiées, de baisse des rendements agricoles, la terre épuisée par des cultures intensives souvent sans assolement (alternance des cultures), ne produisant plus que si on y déverse des tonnes d'engrais chimiques de synthèse. 

Basée sur une abondante documentation (synthétisée en fin d'album), esthétiquement très réussie, voici une BD enquête journalistique à s'offrir, à offrir, et à déguster. Un excellent travail. Même si les exemples bretons y abondent, le remembrement a concerné toutes les régions françaises que les auteurs ont également enquêtées. Les femmes qui, selon les comptages des gendarmes et des Renseignements généraux, étaient nombreuses dans les manifestations d'opposants et participaient à la lutte, n'apparaissent pas sur les photos et documents de l'époque, regrette Inès Léraud, les réunions se tenant pendant la traite des vaches, ou le soir, quand il fallait surveiller les enfants. Les femmes, toujours effacées de l'histoire.

" Chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol. " Karl Marx -1869.

* Jeunesse Agricole Chrétienne.

jeudi 7 novembre 2024

Vers l'égalité, contre le consentement

L'article 222-23 du Code pénal français dispose que :

" Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur, par violence, menace, contrainte ou surprise, est un viol. " Le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle. 

Nulle part le mot consentement n'est mentionné. Alors pourquoi les magistrats et les avocats veulent-ils savoir à toute force si la plaignante victime d'un viol n'aurait pas été un peu consentante, ou si elle a bien spécifié clairement son non-consentement aux actes commis sur elle ? Les agresseurs posent-ils seulement la question, alors que c'est généralement leur argument de défense ? C'est devenu d'actualité et surtout de circonstance, avec le procès de Mazan où une femme endormie chimiquement est livrée à des consommateurs de sexe violeurs. Pourquoi des députés ou des féministes veulent-elles faire entrer le consentement dans cette définition ? Les mots 'violence", 'menace', 'contrainte', 'surprise' ont-ils besoin de précision supplémentaire ? N'annulent-ils pas à eux seuls la notion de consentement ? 

Nous sommes -pour notre malheur, dans une époque néo-libérale où le contrat est devenu un objet, une disposition régissant nos vies. Je me souviens d'avoir lu au début des années 2000, cette expression "le contrat ou le juge". C'était à propos des nouvelles attentes des salariés qui préféraient un contrat d'intérim, un CDD ou un travail en free-lance, vendant leurs meilleures compétences à un commanditaire pour une durée définie à l'avance. Pendant 18 mois, vous ferez, tirets à la ligne, les tâches suivantes avec tel résultat attendu, le tout spécifié par contrat. Si le contrat n'est pas rempli de façon satisfaisante pour les deux parties, ça se règle devant un juge, au tribunal. Le contrat entre pairs. Je ne sais si un ingénieur informaticien qui vend un service de développement logiciel à une entreprise, ou un créatif qui loue ses compétences artistiques à une agence de publicité sont exactement à parité avec leur commanditaire, si le patron ne serait pas un peu en position de force, même relativisée par la rareté sur le 'marché', mais c'est l'idée. Tout serait devenu contractuel. Y compris les relations sexuelles entre femmes (dominées) et hommes (dominants). Or dans ce dernier cas, on est loin de la parité (substantif qualifiant l'état des pairs).

Mais qu'est ce que consentir quand on est femme, considérée par les hommes 'faite pour le sexe' selon Catharine MacKinnon, une femme avec 'une conscience aliénée' comme écrivait Nicole-Claude Mathieu ? 


La liberté précède-t-elle l'égalité, ou est-ce l'inverse ? Accepter est-ce la même chose que vouloir ? Le consentement n'est-il pas l'acquiescement au pouvoir ? Comme si c'était possible d'être libre sans être égaux, surtout quand on est femme, et qu'on est en plus supposée être faite pour le sexe.
Dans un contexte où les agressions sexuelles et le viols sont sous-déclarés, les dossiers classés, où les cas déclarés sont blanchis avec peu de chance de voir l'agresseur aller en prison, l'agression sexuelle est le crime violent le moins signalé, constate Catharine McKinnon dans son ouvrage.

Juriste internationale, avocate, professeure de droit à Harvard, militante féministe, McKinnon pose donc la question de la pertinence de la notion du consentement des femmes à l'acte sexuel en cas d'agression, question récurrente de la police et des magistrats : a-t-elle suffisamment dit non, et s'est-elle défendue contre son agresseur ?

Après avoir constaté les fonds historique, philosophique et culturel qui sous-tendent le consentement, en convoquant même les penseurs des Lumières, et l'évolution du droit sur le viol (vol, viol ; rapt, rape), comparé le système juridique français (en reconnaissant que le consentement n'est pas présent en droit français dans son article 222-23 du Code pénal, mais que les tribunaux en font état et posent la question aux victimes de viol), et les systèmes juridiques états-unien et canadien, Catharine McKinnon en conclut que le consentement n'est pas une notion pertinente pour juger les cas d'agressions sexuelles. Elle est convaincante car elle argumente avec brio. Quand on est prises dans des hiérarchies sociales, consentir, c'est acquiescer au pouvoir, précise-t-elle.

Dans un contexte social où les inégalités de genres et sous-genres intersectionnels (ethnie, réfugiée, handicap, pauvreté...), avec les conséquences qui en découlent, persistent ; dans un contexte où perdure la croyance culturelle que les hommes sont sexuellement agressifs et prennent l'initiative, que les femmes sont passives, destinées à l'usage sexuel, qu'elles doivent être conquises et persuadées même un peu fermement, que le sexe c'est ce que les hommes font AUX femmes plutôt qu'AVEC les femmes, la notion de consentement est carrément toxique au sens où elle fait obligation à la victime d'arrêter l'agression plutôt qu'attribuer à l'agresseur la responsabilité de ne pas agresser.

Enthousiaste (je trouve McKinnon magistrale dans ses autres ouvrages) je recommande la lecture de cet essai de droit aux magistrats, auxiliaires de justice et au personnel de police pour un éclairage sur le sujet.

 Quand céder n'est pas consentir 

" My Poverty but not my will consents " *- William Shakespeare - Romeo et Juliette, acte V, scène 1

" Quand on parcourt l'histoire des différents peuples et qu'on examine les lois et les usages promulgués  et établis à l'égard des femmes, on est tenté de croire qu'elles n'ont que cédé, et n'ont pas consenti au contrat social, qu'elles ont été primitivement subjuguées, et que l'homme a sur elles un droit de conquête dont il use rigoureusement.
Choderlos de Laclos - Des femmes et de leur éducation. 

Il me paraît opportun, dans ce contexte, de verser au dossier ce texte de Nicole-Claude Mathieu, anthropologue et féministe. Quand céder n'est pas consentir est plus ancien (1991) mais il dit avec d'autres mots, peu ou prou la même chose : 

" Le terme consentement, apparemment plus anodin, est donc de fait, appliqué au sujet opprimé, plus fort et plus grave que le mot pourtant violent mais plus objectif de collaboration. On peut alors se demander pourquoi il fait moins peur, il "passe" mieux, il est mieux agréé par beaucoup de femmes que le mot collaboration. Je vois à cela plusieurs raisons : 
1 - Le mot consentement appliqué aux dominé(e)s annule quasiment toute responsabilité de l'oppresseur, puisque l'opprimé consent, il n'y a rien de véritablement immoral dans le comportement du 'dominant'. L'affaire est en quelque sorte ramenée à un contrat politique classique. 
2 - Le mot collaboration, en tous cas dans le contexte européen de l'après-nazisme, contexte loin d'être oublié, suppose une conscience mauvaise (moralement répréhensible) tant de la part du dominant que du dominé, alors que le mot consentement suppose une conscience... tout court. Et de quoi l'opprimé a-t-il le plus besoin pour survivre, sinon de pouvoir dire que ce qu'il vit, il le décide, il le fait, il le reconnaît comme part de lui-même ? 

Ainsi, avec le terme consentement, d'une part la responsabilité de l'oppresseur est annulée, d'autre part la conscience de l'opprimé(e) est promue au rang de conscience libre. La bonne conscience devient le fait de tous. Et pourtant, parler de consentement à la domination rejette de fait, une fois de plus, la culpabilité sur l'opprimé(e). "

Quand céder n'est pas consentir - Nicole-Claude Mathieu. 
L'anatomie politique. Catégories et idéologies du sexe - 1991

En conclusion En France on a cette détestable habitude de vouloir changer les lois en fonction de circonstances qui surviennent postérieurement à leur rédaction. Or les lois sont normalement écrites de façon à définir et couvrir tous les cas de figures ; on ne peut pas avoir une loi pour chaque cas qui se présenterait, ce ne serait pas tenable, et cela invaliderait même toute idée de droit. La jurisprudence, les jugements et interprétations faits par les magistrats abondent la loi, en faisant autorité. Notre définition du viol dans le Code pénal est ramassée, concise et précise en même temps. Chaque mot en a été pesé par le législateur. Elle inclut même la personne de l'auteur qui imposerait sur lui-même ces mêmes contraintes à sa victime. Je ne pense pas, à l'instar de Catharine MacKinnon, qu'on puisse faire mieux. Cette définition est parfaite, n'y touchons pas. Cessons cette habitude de juger le comportement des femmes, en ergotant sur le comportement délictueux et criminel des hommes agresseurs en leur trouvant des excuses, tandis que les femmes, elles, sont toujours coupables de quelque chose.

* Traduction du vers de Shakespeare :  " Ma pauvreté consent, mais contre ma volonté."

mardi 8 octobre 2024

Où sont passés les rouleaux à pâtisserie, les gifles de cinéma et les épingles à chapeaux de nos aïeules ?

Début septembre, dans le sillage des révélations sur les agressions sexuelles commises par l'Abbé Pierre, on a entendu le témoignage d'une aide-soignante qui a eu le réflexe, alors que le saint homme faisant mine de trébucher, se raccrochait à la planche de salut de ses seins, que cette brave femme a eu le réflexe qu'on croyait perdu chez les féministes nouvelle génération : la bonne vieille baffe qui remet les idées en place et les mains où elles doivent être. Je me suis dit "ah enfin, une qui riposte", j'en étais à penser que la sidération avait définitivement gagné.

Si vous êtes cinéphile et avez regardé du cinéma français et hollywoodien des années 40, 50 et 60 du siècle dernier, vous n'avez pas pu manquer les gifles magistrales que les personnages féminins administraient aux hommes, assorties de l'insulte "goujat !" quand ces derniers avaient manqué à la  courtoisie. La mandale de femme était très en vogue à l'époque dans la culture cinématographique. Il n'en reste plus rien. Recherche Google : on trouve les plus belles gifles de l'histoire du cinéma, en majorité des hommes giflant des femmes comme Ventura en mettant une à  Adjani (jouant sa fille) dans le film au titre éponyme ; le ridicule ne tuant plus, un forum (où j'ai trouvé mon image) déplore qu'on ne réprouve pas plus vivement ces films où des mecs se font baffer par des femmes alors que l'inverse provoque un réprobation unanime. On trouve même une pétition de 2016 sur le site MesOpnions.com qui a fait un four retentissant : 21 signatures à ce jour ! Un non-sujet, tellement ça ne prête pas à conséquence, et que ça s'est perdu. Les conquêtes libérales féministes vers plus d'égalité ont eu raison de la baffe, laissant les femmes désarmées et "sidérées" en cas d'attaque.  Comme si les femmes étaient les égales des hommes dans la violence et qu'il faille rétablir un équilibre qui n'a jamais été en notre faveur. 


Au milieu de siècle dernier, le rouleau à pâtisserie (ou sa variante, la poêle à frire) étaient le moyen de défense de la mé(na)gère quand Jules rentrait à la maison tard ou bourré, ou les deux. On a toutes vu ces dessins où une grosse dame en tablier et chaussons, rouleaux sur la tête, est planquée derrière la porte d'entrée du domicile conjugal, tenant un rouleau à pâtisserie prêt à frapper le bonhomme qui utilise sa clé en toute confiance.
Pareil, ça s'est perdu dans les "gains d'égalité", exit l'arme cuisinière, tandis que le bâton de berger masculin, lui, retrouvait toute sa vigueur. Il n'y a aucune raison de culpabiliser à se défendre, mais l'époque, la niaiserie et la pleurnicherie ambiantes, l'infantilisme, les "papas et les mamans", les "papys et les mamies", les "tontons et les taties" dits par des gens qui ont largement dépassé les soixante dix balais, la "bienveillance", nouvelle lèpre de la langue après "respect" dans une société et une époque impitoyables, semblent avoir définitivement gagné la partie. Les actes sordides perpétrés par les hommes ne sont évoqués que des années après, par des gens sortant du bois quand la justice ne peut plus rien. La justice est désormais rendue sur les réseaux sociaux : je n'ai aucune pitié pour les accusés, ne vous méprenez pas, et je crois les femmes qui dénoncent, je déplore juste qu'elles ne croient pas pouvoir se faire justice de façon expéditive elles-mêmes sur le moment, à chaud, pour une main au cul ou une insulte, une proposition malveillante ou obscène dans la rue ou tout autre espace où ils se prennent pour des cadors et sont sûrs de rester impunis. S'il leur en cuisait sur le moment, ils se tiendraient sans doute plus à carreau, tous ces lâches qui n'agissent que parce qu'ils se savent qu'il n'y aura pas de réaction immédiate. Dans le futur, on est tous morts, disait John Maynard Keynes sur un autre sujet, mais la remarque est pertinente sur plein de dossiers, dont celui-ci. 




Il y a plus d'un siècle, nouvelle donne sociale, les femmes qui allaient au travail à leurs emplois de marchandes, couturières et secrétaires sortaient en ville chapeautées, empaquetées dans des jupes et robes allant jusqu'au sol, inconfortables quand il fallait passer les portes, grimper dans le tramway, ou descendre des escaliers, bref, la torture par le vêtement bien connue des seules femmes, ce qui limitait et limite encore leurs mouvements ! Elles devaient affronter en plus la grossièreté des hommes tout émoustillés de voir des jeunes femmes empruntant seules ou en groupes les mêmes rues et moyens de transport qu'eux, hommes qui s'autorisaient à commettre des attouchements dans les transports en commun bondés. Leurs chapeaux tenaient à l'aide d'épingles devenues longues aiguilles pointues préhensiles par une perle au bout, une arme déguisée en bijou. Se prenant comme nos contemporaines des mains au cul dans les transports en commun, elles n'hésitaient pas à utiliser ces longues épingles comme armes d'autodéfense, à les saisir pour piquer le malotru à des endroits stratégiques, et ça pouvait faire très mal. A tel point que le phénomène alerta un préfet de police et les gazettes de l'époque qui se scandalisèrent du "péril des épingles à chapeau". Je crois que je peux rassurer tout le monde, il n'a jamais été constaté de décès dû à une épingle à chapeau.

The hatpin peril ! Le péril par l'épingle à chapeau dit l'illustration d'époque ci-dessous. Et un article documenté sur le sujet à consulter sur ce lien








Dans le même ordre d'idées, je voudrais aussi rappeler le combat pionnier, courageux et victorieux des Suffragistes britanniques, féministes radicales qui ne s'embarrassaient pas de préséances. Elles y allaient franco, manifestant dans la rue, commandant et apprenant une technique de combat, le jujitsu, importé et adapté à leurs besoins par un maître Japonais pour se défendre contre les exactions policières ; elles ont été torturées, gavées de force, un tuyau enfoncé dans l'œsophage et l'estomac, lorsqu'elles menaient leurs grèves de la faim ; elles incendiaient des boîtes aux lettres et vandalisaient même les toiles de la Tate Gallery à Londres pour protester contre le fait que les femmes figuraient surtout nues sur les tableaux et nettement moins comme artistes peintres. Et pas avec de la soupe, mais avec un hachoir ! Elles l'ont emporté de haute lutte. Il a fallu un quart de siècle de plus aux suffragistes françaises (dénommées de façon méprisante "suffragettes") pour avoir le droit de vote et encore par décret, tellement le Parlement à majorité radicale socialiste mâle ne voulait pas en entendre parler, au motif que les femmes voteraient comme le curé leur soufflerait ! 

En conclusion

Ce calme hallucinant et étonnant des femmes ! Malgré Shaïna, Chahinez, Delphine, Lina, Pilippine, Gisèle et toutes les autres victimes d'agressions et de féminicides, malgré toutes ces femmes agressées, massacrées par les hommes de leur intimité, ou rencontrés dans la rue, pas de mairies, de bibliothèques ou d'écoles incendiées, pas de mobilier urbain détruit, pas d'émeutes, de celles qui suivent la mort par policier interposé, de mauvais garçons, mineurs conduisant sans permis, sans assurance, refusant d'obtempérer, troublant l'ordre public, risquant de tuer des enfants, des femmes, des hommes, des vieilles dans les rues où elles passent. Et sur qui la société, ses médias et sa justice patriarcale consacrent des pages, des écrans, des temps de radio et des commentaires ineptes infinis sans jamais nommer le problème, la violence masculine, les comportements asociaux des hommes. La vie des femmes en patriarcat est un roman gothique, leurs histoires d'Ann Boleyn maquées à des Henri VIII servent à avertir les récalcitrantes de QUI tient les manettes, et que tenter de sortir de l'oppression peut se payer de leur vie. Vie qui a moins de valeur que celle du mâle le plus délinquant et à qui les psys trouveront les excuses habituelles : violence familiale, misère sociale et sexuelle, absence de père, et tutti quanti. Les filles et femmes subissent toutes ces maltraitances à des niveaux supérieurs à ceux des garçons, et pourtant elles ne se vengent pas sur la société, ni d'ailleurs sur les usual suspects, les hommes ! Elles n'ont même pas la réflexe de se défendre lorsqu'elles sont attaquées. Le néo-féminisme libéral ne propose aucune alternative que le victimaire, et la quête de "moyens" auprès d'institutions, toutes d'obédience patriarcale, la police et la justice. On le voit ces jours-ci dans l'écœurant procès Mazan et ses débats vains sur le "consentement", une diversion patriarcale de plus où les femmes portent encore la responsabilité de leur agression parce qu'elles n'ont pas dit clairement non dans un système inégalitaire où les femmes sont "faites pour le sexe", où les hommes ont des droits à "un congé payé dans le CDI du mariage" comme on a pu entendre, éberluées, témoigner un des co-accusés du procès. Mais les mecs, si le mariage et le conjugo ne vous conviennent pas, vivez votre vie en célibataires sans enfants, faites carrière et sortez le soir avec vos amis. C'est quand même insensé de devoir rappeler cette évidence que PERSONNE n'est obligé de se marier, de vivre en couple ni d'élever des enfants. Si vous trouvez tout cela pesant (et ça l'est certainement !) ABSTENEZ vous. 

EDIT - Evidemment, mon propos dans cet article n'est pas d'inciter à se faire vengeance soi-même, ni à faire l'éloge de la loi du plus fort. La violence légitime appartient à l'état, sa police et sa justice selon les lois voulues et écrites par le législateur. Mon propos est de dire aux femmes qu'elles ne sont pas totalement désarmées, qu'elles ont le droit de se défendre, d'arrêter de faire dévolution de leur sécurité à l'ennemi intime ou public principal, que lui confier notre sécurité conduit à des mortes et des blessées graves. Nous avons toutes dans la tête, indélogeable, ce tabou anthropologique de nous défendre, les armes nous étant interdites -nous savons pour quelles raisons-  et c'est à tel point que même l'insulte nous fige d'effroi. Alors qu'on peut au moins vocaliser une légitime indignation, piquer une saine colère réparatrice, sortir un spray au poivre de son sac, et menacer de niquer une de leurs précieuses caisses, voire de passer à l'acte ! C'est quand même mieux que d'être transformée en statue de pierre permettant tous les abus, et se réveiller 18 ans après, non ? 

samedi 21 septembre 2024

Des Iraniennes - Femme, Vie, Liberté 1979 - 2014 et de quelques autres ouvrages

 

Pour le deuxième anniversaire de l'assassinat de Jina Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre 2022 pour un voile mal ajusté, des manifestations contre le régime qui ont suivi, (deux ans d'islamophobie de la part des Iraniennes en Iran comme écrit Charlie Hebdo, en tous cas selon certains critères de la gauche occidentale, -c'est plus facile à défendre quand on ne le paie pas d'injonctions privatrices de liberté de choix comme disent ici celles qui le portent), les Editions des Femmes sortent l'album du long combat des femmes iraniennes pour leur auto-détermination : elles y sont depuis 45 ans ! 
En première partie, anamnèse du départ de Shah Reza Pahlavi et rentrée en Iran de l'Ayatollah Khomeini qui menait en exil son combat depuis la France, et contre-révolution islamique, ou révolution conservatrice, je ne sais comment appeler cela, après la "révolution blanche" (!) du shah qui avait occidentalisé à la schlague le pays, en édictant des lois favorables aux femmes : mobilisation des Iraniennes, soutien des féministes états-uniennes par la voix de Kate Millett, et des européennes notamment. Elles se rendront toutes en Iran pour célébrer les journées autour du 8 mars 1979, Journées Internationales des droits des femmes, vite requalifiées par l'Ayatollah de "concept occidental" pour tenter de contrer le combat universaliste des femmes iraniennes. Puis, en deuxième partie, la mobilisation après l'arrestation et la mort de Jina Mahsa Amini issue de la minorité Kurde, et le soutien des mêmes européennes pendant 2 ans. Le combat continue, les femmes iraniennes sont obstinées, intrépides, elles n'ont peur ni des arrestations ni de la mort. L'ouvrage, en deux parties, comporte des documents, textes, slogans, tracts, affiches et photos des deux époques. Pour documenter la mémoire des âpres combats des femmes contre l'obscurantisme. 

Quand les femmes iraniennes font sauter leurs chaînes, ce sont les femmes du monde entier qui avancent avec elles. "  Antoinette Fouque en 1979. C'est toujours d'actualité. 

" Ils disent : 'ils nous ont trompés', d'autres disaient ; 'un religieux ne peut pas être révolutionnaire. La religion est réactionnaire'. "

Révolutionnaires les hommes, vraiment ? " Grâce au régime et à la religion islamique, les hommes ont pris de plus en plus d'arrogance et même, une certaine arrogance ". Des femmes en mouvement - Juin 1980.

" En Iran, 1981 est-ce réellement la fin du XXème siècle ? Ou le Moyen Age ? Ou une époque plus arriérée encore ? L'Islam est une machine à broyer la vie du corps, la vie privée, la vie publique. Un archaïsme barbare. " Des femmes en mouvement - Juillet / Août 1981.

Les Iraniennes de 1978 / 1979 ont quand même commis quelques erreurs. Par exemple, se recouvrir d'un tchador pour, lors d'une unique manifestation, demander le départ de Shah Reza Pahlavi et l'avènement de Khomeini fin 1978, tchador qu'elles retireront une fois rentrées à la maison. Le voile est facile à mettre, plus difficile, voire impossible à retirer. La preuve, l'Ayatollah l'imposait quelques années plus tard, malgré leur âpre résistance. On ne s'en sert pas impunément comme d'un étendard : celles qui le portent ici en se prétendant rebelles à nos très tolérantes lois et opinion, promouvant une idéologie théocratique conservatrice, feraient bien de s'en souvenir en pensant aux Iraniennes. Les manifestantes de 1979 distribuaient aussi des tracts précisant que ce n'était pas tant contre le voile qu'elles se battaient que pour l'égalité des salaires, l'égalité juridique dans le mariage, le divorce, l'héritage, pour leur indépendance économique. Sauf que c'est un tout : le voile les maintient en état de subordination, il est le symbole de leur effacement, de leur immanente destination première qui est le service des hommes, de leur famille, livrées à leur merci. 
Et autre erreur : croire, comme toutes les femmes qui participent généreusement aux 'révolutions' masculines en prenant les mêmes risques qu'eux, puis, lorsqu'ils estiment que la 'révolution' est terminée selon leurs termes à EUX, se faire renvoyer ensuite dans 'leurs cuisines'. Les problèmes des hommes une fois résolus, les nôtres trouveraient au-to-ma-ti-que-ment une solution aussi. Ils nous ont servi la même antienne à chaque fois. Souvenez-vous de la phase de Françoise d'Eaubonne : " Les hommes ne font pas de révolutions, ils se contentent de remplacer les pères par les fils."


Toujours sur le même thème, et pour célébrer le combat des Iraniennes, en confirmation hélas de ce qui figure plus haut : 

Le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir - Par Chahla Chafiq 


Evoquant à travers les quarante dernières années de l'histoire iranienne les éternelles oppositions entre groupes sociaux de sexe, les femmes priées de ne pas déranger les "révolutions" des hommes avec leurs questions de femmes, d'égalité, leurs revendications toujours subsidiaires aux intérêts des hommes, leurs 'révolutions' à eux devant par miracle résoudre toutes les questions sociales, Chahla Chafiq rappelle à travers la pensée de Simone de Beauvoir qui infuse toujours en Iran, son Deuxième sexe traduit en persan en 1970, que le système patriarcal est universel, et que donc les revendications des femmes à l'égalité et à l'autonomie le sont aussi. Cet ouvrage rafraîchissant sur les traces très actuelles de Simone de Beauvoir dans la perception des iraniennes, est un plaidoyer pour l'universalisme dans une époque relativiste culturelle ou l'intersectionnalité est érigée en outil politique (alors qu'elle n'a de valeur que sociologique), tentée par l'obscurantisme. 

Simone de Beauvoir, femme sujet par excellence, revendique pour les femmes la transcendance, le statut de sujet agissant sur le monde, sorti de l'immanence où tentent de l'enfermer les religions obscurantistes et leur étouffant système patriarcal. La revendication à la liberté et à l'autonomie n'est ni occidentale ni orientale, elle est universelle. Une lecture qui peut bien calmer les ardeurs des différentialistes culturel-les.

Et toujours le journal de voyage de Kate Millett : En Iran que j'avais chroniqué sur ce lien 


Trois ouvrages pour célébrer le courage des Iraniennes.

Nous n'oublions pas non plus les femmes et filles Afghanes privées d'école, d'université, d'indépendance économique, mineures transformées en fantômes sous la féroce férule des Talibans, variante sunnite de l'Islam. Les Iraniennes ont elles, sa version chiite. Les héritiers du prophète se sont battus comme des chiffonniers pour l'héritage de Mahomet. Devenus ennemis irréconciliables, ils s'entendent toutefois sur un seul sujet : les femmes sont offertes comme une terre à labourer et exploiter aux Croyants des deux bords. L'asservissement des femmes fait l'unanimité chez tous les obscurantistes. 


jeudi 5 septembre 2024

Refuser d'être un homme. Pour en finir avec la virilité - John Stoltenberg

 " Le sexe masculin a besoin de l'injustice pour exister. " 


Pro-féministe radical, matérialiste et universaliste, John Stoltenberg propose sa dissection au scalpel de la société patriarcale, geôle des femmes depuis des millénaires, objectifiant leur corps, érotisant la haine misogyne (érotisme sado-masochiste) dans laquelle elles se laissent piéger, pour ensuite subir les trahisons quotidiennes petites et grandes des hommes, maris, pères, frères... 

Propriété privée des vieux pères, les femmes furent les premières esclaves, leur corps fut le premier capital. John Stoltenberg livre ici le point de vue d'un homme sur la sujétion des femmes, ce qui est intéressant. Lui-même ne correspond pas au sacro-saint standard de la masculinité, car il est gay dans une société hétérosexuelle de fer, il a donc forcément subi les menaces et injonctions masculines à montrer tous les signes d'appartenance à la classe sociale des hommes, maîtres et possesseurs qui n'hésitent pas, tous les moyens d'infiltration et d'attrition étant bons à prendre, à " confisquer les rares ressources encore concédées aux femmes, quitte à se prétendre transgenre ". Son texte est aussi un plaidoyer pour un pas des hommes vers les femmes, pour leur lâcher prise de dominants, pour un compagnonnage débarrassé de leur virilité encombrante, cause tant de maux et de coûts sociaux. 

John Stoltenberg est dramaturge : ses textes ont été écrits pour être dits sous forme de conférences, d'adresses, à des publics d'hommes. Un peu à la manière d'Andrea Dworkin, dont il fut le compagnon, laquelle s'estimait elle écrivaine, mais qui, ne trouvant pas d'éditeur, devait déclamer ses écrits sous forme de conférences devant des publics d'étudiantes. Un entier chapitre documentaire est consacré à l'élaboration de l'ordonnance de Minneapolis, puis à l'amendement antipornographie sur lesquels avaient travaillé Andrea Dworkin avec Katharine MacKinnon, juriste féministe, amendement soutenu en 1982 devant la Cour Suprême des USA. Sans résultat. La trivialisation, la dégradation, la torture, le viol de corps de femmes dans la pornographie ont été justifiées, défendues, au nom du Premier amendement sur la liberté d'expression. 

Egalement manuel à usage des hommes, l'ouvrage comporte des passages de conseils à ces derniers. Décapant, sans concession ni tentation réformiste, comme les ouvrages de Dworkin, il est indispensable dans toute bonne bibliothèque féministe. L'ouvrage traduit en français et publié en 2013 est épuisé chez les éditeurs ; espérons qu'il sera réédité rapidement. En attendant, on le trouve dans les bibliothèques publiques.
 
CITATIONS
 
Sur l'arrière-plan historique : " Nous savons que les femmes ont été les premières esclaves et que leurs corps ont été le premier capital. Nous savons que la propriété masculine des enfants est antérieure à la compréhension par les hommes de la relation entre coït et grossesse. Nous ne savons pas ce que les mères savaient, parce que leur savoir a été effacé. Mais nous savons que le premier père savait qu'il était un père du fait d'être un propriétaire ; c'était le paterfamilias, ce qui signifie littéralement 'maître d'esclaves.' "

Sur l'identité sexuelle masculine : " Je soutiens que l'identité sexuelle masculine est une construction de toutes pièces, politique et éthique, et que la masculinité n'a de sens personnel que du fait d'être créée par certains actes, choix et stratégies -qui ont des conséquences dévastatrices pour la société humaine. " 

L'objectification sexuelle (des femmes) est considérée en elle-même comme la norme de la sexualité masculine. 

Sur le contrôle social de la procréation : Pourquoi les hommes s'intéressent-ils plus aux fœtus, enfants à naître, alors qu'ils se fichent généralement de ceux qui sont nés, laissant la charge de leur éducation aux femmes, après les avoir la plupart du temps abandonnées après le coït ? Leur position politique et historique sur l'avortement, remis en cause sous n'importe quel prétexte ou caprice de rédacteurs de la loi s'explique par : "le fœtus est le prolongement du phallus qu'ils ont introduit dans un vagin, avorter consiste donc à le leur couper, en d'autres termes avorter équivaut à une castration." On est toujours dans la femme objectifiée, propriété asservie à leurs buts et fins, pas un être libre de ses choix. 

Sur l'arrière plan politique : " La droite défend la propriété privée des femmes (dans le mariage), la gauche (partageuse) défend la propriété collective et sérielle des femmes " (dans la pornographie, la prostitution, la gestation pour autrui). 

Sur le militaire " Les hommes grandissent pénétrés de la terreur d'offenser des hommes plus violents et d'être attaqués par eux. Entre hommes de pays différents, la dissuasion armée (phallique) contre toute violation du territoire qu'ils possèdent est la première ligne de défense des hommes contre une agression masculine. Les comportements militaires des pays patriarcaux ont pour modèle précis les besoins psychosociaux de défense des hommes contre les agressions personnelles entre hommes. [...] L'agression que craignent les hommes -et la peur sur laquelle est basée leur 'défense nationale', est l'agression venant d'autres hommes, c'est à dire l'attaque homosexuelle. 
Les armes nucléaires sont une extension de la capacité du sadisme des hommes; elles représentent l'ultime capacité de baise, comme attestation de la masculinité. La course aux armements nucléaires ne peut être démantelée sans démanteler les structures psycho-sexuelles de la masculinité elle-même. " 

L'ouvrage chez Syllepse comporte quatre avant-propos : un premier de Christine Delphy, les trois autres des trois traducteurs hommes : Martin Dufresne, habituel traducteur en français d'Andrea Dworkin, Mickaël Merlet, et Yeun L-Y. J'espère que ce billet donnera envie de lire John Stoltenberg et aux éditeurs de le rééditer. C'est un ouvrage indispensable, écrit par un allié. Avec Léo Thiers-Vidal, je n'en connais pas d'autres. 

dimanche 18 août 2024

Babysitter - Joyce Carol Oates : une critique des rapports sociaux de sexe

La fonction politique de l'amour.


Une belle trouvaille sur les étagères d'une de mes bibliothèques municipales avant fermeture saisonnière, j'ai lu cette semaine d'août, sans pouvoir le lâcher, cet avant-dernier roman de Joyce Carol Oates (2023), romancière valeur sûre. Bonne pioche une fois de plus. Ce roman est surtout une corrosive critique des rapports sociaux de sexe, bien que la quatrième de couverture annonce un antagonisme ethnique à Detroit (Michigan) où se déroule l'action située en 1974, entre quartiers blancs suburbains privilégiés encore traumatisés par les émeutes de 1967, et les quartiers noirs défavorisés du centre où seraient forcément regroupés tous les délinquants, violeurs et tueurs d'enfants (dont un, affublé du nom Babysitter par la police, fournit le titre de l'ouvrage). L'habituelle erreur de focus sur l'ethnie à propos de la violence et de la délinquance, alors que le commun dénominateur à tous ces crimes, c'est le sexe masculin.  

" Seuls les faibles tombent amoureux, ils ne voient pas d'autre façon de vivre. "

" Ma mère a découvert trop tard qu'on paie pour ce qu'on ne sait pas dans toute relation régie par un statut juridique.

Hannah, l'héroïne de 40 ans, s'est laissé glisser sur la pente sociale des femmes, le mariage et la maternité sans jamais avoir rien essayé d'autre. Epouse d'un cadre financier propre sur lui, mais qui la délaisse, dont elle ne sait rien des activités, et n'ose rien demander (je pense qu'il y a encore des femmes aujourd'hui dans les classes sociales supérieures qui sont dans cette ignorance), elle a deux enfants en bas âge, une fille de quatre ans et un garçon impérieux de sept ans ; elle est secondée dans ses tâches par une domestique philippine qui assure toute l'intendance. Bien que bénéficiant du prestige social des classes privilégiées, présidente ou membre de clubs de voisins ou de bienfaisance, Hannah est frustrée et se languit entre les quatre murs de sa grande maison. Elle est obsédée par un besoin pathologique d'amour, de passion torride. C'est dans cet état d'esprit qu'elle rencontre lors d'une fête de bienfaisance, un homme dont elle ne connaît que les initiales, qui va savoir la prendre dans ses filets en profitant de son besoin de passion, pour la conduire à ses fins d'agresseur implacable. Elle ne voit pas ou en tous cas ne veut pas voir le sinistre piège qui se forme sous ses (et nos) yeux. Elle est incapable de distinguer le plaisir de la douleur, les rapports sexuels violents de l'osmose à l'autre qu'ils doivent être, de faire la différence entre le viol accompagné de coups, de tentatives d'étouffement et de meurtre, de l'amour, même paroxystique. Elle est totalement subjuguée, dans le ravissement, incapable de la moindre lucidité, conditionnée par un masochisme, sans doute hérité de l'enfance, avec un père autoritaire, étouffant, tout-puissant. 

" Craignant pour sa vie, Hannah n'a pas osé s'opposer à lui, elle a essayé de le flatter, la virilité en lui si avide de flatterie, ne s'est-elle pas faite servile pour pouvoir survivre, ne s'est-elle pas dépouillée de toute volonté, la stratégie féminine instinctive, la stratégie féminine désespérée...

Avec une maîtrise totale de la narration, l'autrice nous distille durant 600 pages des informations disparates qui finissent par dessiner un puzzle terrifiant dont on découvre, à l'instar de l'héroïne qui, elle, s'aveugle, au fur et à mesure de la progression de l'action, qu'il forme un piège diabolique où va tomber irrémédiablement Hannah. Le tueur en série d'enfants n'est qu'un fond de scène, un prétexte permettant à la toile à multiples personnages de Joyce Carol Oates de se déployer : la corruption implacable de la société patriarcale, de son ordre social, et la fonction politique de l'amour : l'annihilation de celles qui marchent innocemment dans la combine, puis doivent marchander leur survie. S'installe même une dimension d'étrangeté, où par moment on ne sait si la Hannah qui parle est morte ou vivante, au vu d'évocations de salle d'autopsie et d'un drain situé sous son corps. 

La vie des femmes en conjugalité, que ce soit de la main droite (mariage) ou de la main gauche (amour clandestin) est un roman gothique. Des Ann Boleyn maquées à des Henri VIII.

De quoi se poser la question : Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour ? Un texte radical de Ti Grace Atkinson.

Un thriller brillant -et installant le malaise, mais toute l'oeuvre protestataire et noire ("American litterature is dark and protest", disait un de mes professeurs d'anglais) de Joyce Carol Oates n'est-elle pas troublante ?- qui m'a réconciliée avec le genre, alors que dernièrement je lui ai préféré la lecture d'essais, tellement les derniers thrillers que j'ai lu étaient mauvais !

Les citations de l'ouvrage sont en caractère gras et rouge

samedi 27 juillet 2024

Punching ball, sac de frappe, ring de boxe

Dans le sillage de l'affaire Jegou-Auradou, les deux rugbymen du XV de France accusés de viols aggravés après une rencontre en boîte de nuit, par une plaignante argentine, j'ai aperçu il y a une dizaine de jours dans un coin d'écran, la mère de l'un des violeurs présumés (puisqu'il est de bon ton de le préciser en attendant le jugement du tribunal), lors d'un sujet d'actualité. Leurs familles ont été admises à visiter les deux rugbymen incarcérés dans une prison de Mendoza (dont ils sont désormais sortis, assignés à résidence avec port de bracelet électronique) en Argentine, car selon toutes les apparences, la justice considère avoir des motifs suffisants pour cela.

J'ai vu une petite femme, cheveux blancs, solidement entourée de policiers en uniforme, filmée de loin, monter dans une voiture. J'en ai eu les larmes aux yeux de commisération pour elle. Alors qu'elle ne m'en demande pas tant sans doute, qu'elle doit croire son fils innocent, victime d'une menteuse. Toutefois, quand on entend dès le début l'avocate de la plaignante annoncer que "la preuve, c'est le corps de la victime", mordue, battue, portant des traces externes de coups constatés par un médecin légiste, des blessures internes nécessitant une hospitalisation, et quand on a vu les deux mis en examen dépassant de la tête et des épaules les policiers argentins (200 kg et 4 mètres à deux) qui les arrêtaient, on en déduit, si les faits s'avèrent, qu'il s'est agi d'un déferlement de haine virile sur une femme, livrée à deux hommes, ivres de violence, ne se contrôlant plus, la violant à tour de rôle et la cognant pour obtenir ce qu'ils voulaient. Je n'aimerais pas être la mère. Sans induire un seul instant qu'elle y serait pour quelque chose, bien sûr. Je me sens, même sans la connaître plutôt en sororité avec elle. Imaginez le conflit de loyauté ? 

Devoir choisir d'être solidaire de fils violents, violeurs, en reniant sa propre classe sociale, faire l'impasse sur leurs comportements révulsifs, mais répétés à maintes occasions, s'ils jugent que les circonstances leurs sont favorables, à la classe sociale des femmes, obligées de prendre fait et cause pour des hommes qui, alcoolisés, cocaïnés, ce qui ne les excuse en rien, peuvent ainsi décharger leurs frustrations sur plus faible, y compris numériquement, qu'eux ? A moins de s'aveugler, je ne vois pas comment affronter ce conflit sans sombrer dans la schizophrénie. N'étant pas mère moi-même, ce que je considère être le bon choix, compte tenu de ce qui précède et de l'état des rapports sociaux de sexe, dans le cas contraire, je crois que j'aurais quand même du mal à choisir le côté des hommes. Mais la société commande aux familles d'être solidaires, et surtout aux femmes de soutenir leur garçons, ces petits sultans : devoir se tenir aux côtés des agresseurs, en se persuadant que ce n'est pas possible que cela se soit produit, contrairement à ce que nous démontrent les "faits divers" qui se produisent tous les jours. 

Du Moyen-Orient, de l'Afghanistan ou de l'Iran, et du calvaire de leurs femmes prises dans les filets et les diktats de régimes religieux obscurantistes hyper virils, forteresses assiégées haineuses des femmes, aux foyers d'agresseurs sexuels, rencontres, "compagnons" possesseurs, propriétaires d'ici, le malheur insondable des femmes, c'est qu'elles produisent et élèvent (contraintes, pour les cas des pays à idéologie misogyne) elles-mêmes leurs propres oppresseurs, ou a minima, les oppresseurs de leurs sœurs de misère. Un jour, il va falloir apprendre à se défendre dans des modalités encore à définir et mettre en place, à mener le combat, à répondre à cette guerre qu'ils nous mènent depuis le fond des temps. Il ne manque pourtant pas dans "nos cuisines" d'armes par destination ; si "sa" cuisine est le lieu par excellence le plus dangereux pour une femme, elle peut le devenir pour un homme aussi bien. Je sais que les féministes réformistes cherchant recours et budgets auprès de l'état et de ses institutions patriarcales, police, justice, ne veulent pas en entendre parler, qu'elles ne sont même pas prêtes à bannir de leurs invites (comme je l'ai encore lu cette semaine sur Twitter, sous un post annonçant un féminicide) : "Choisissez bien vos maris, Mesdames !" Et si le salut c'était au contraire de choisir de ne pas en choisir ? De ne pas rendre de services ni perpétuer cette classe sociale tant que les choses seront ce qu'elles sont  : à savoir que ce sont toujours les femmes qui vont à l'équarrissage ! Laisser ne serait-ce qu'une porte entrouverte, une alternative, l'option de ne pas s'en trouver un, serait déjà grandement libérateur. 


" Si la vie doit se maintenir sur cette planète, il doit advenir une décontamination de la Terre. Je pense qu'elle sera accompagnée par un processus évolutif,  par une pression de l'évolution, qui résultera dans une réduction drastique de la population des hommes. " Mary Daly.