vendredi 23 mai 2025

Vivre avec les hommes - Réflexions sur le procès Pelicot

 Par Manon Garcia - Philosophe.


J'ai volontairement évité le procès Pelicot au moment de sa tenue en Avignon, durant les derniers mois de 2024, éteignant mes postes radio et télé au moment où elles en faisaient leurs titres, évité les articles de presse ainsi que les fils Twitter et Bluesky des journalistes qui faisaient des directs du procès sur leurs comptes. Par hygiène mentale et physique, les déviances et crimes sexuels des hommes, en plus de tous les autres, c'est tous les jours et c'est insupportable. L'actualité est truffée de leurs contre-exploits, dans le consensus tacite sociétal de ne jamais dénoncer les problèmes qu'ils posent, et cela pèse sur mon quotidien. Je m'étais seulement contentée des planches hebdomadaires de Charlie Hebdo, les mercredis, au gré des articles de leurs journalistes et dessinateurs présents au procès. Une fois par semaine, c'était supportable. 

J'ai donc refait une entière mise à jour en achetant cet ouvrage, parce que le point de vue d'une philosophe m'a paru intéressant à essayer de lire. Donc, la famille Pelicot, famille marquée par l'inceste vertical (ascendants) et horizontal (les alliances, et les branches familiales rajoutées) ; le président du Tribunal, compétent juge en retraite qui ne comprend pas les extensions j.peg des fichiers videos et images -le procès se tient devant une cour criminelle départementale, moyen terme trouvé par la Justice entre le tribunal correctionnel et la cour d'assises dont relève le viol qui est un crime, mais plus long à organiser, et surtout ce dernier, avec un jury populaire aux jugements plus imprévisibles. Dans cette formule de la Cour criminelle départementale, on n'a pas de jurés, mais 5 juges professionnels, ces procès étant plus rapides et plus faciles à organiser. Les avocats hommes de Gisèle Pelicot, qui y a tenu ; les avocates femmes de Monsieur Pelicot. La  fille de Madame Pelicot, affaire dans le procès, mais dont le dossier n'est pas joint à celui de sa mère. Elles en ressortiront fâchées, ne se parlant plus, évitant de se croiser à l'entrée et à la sortie du tribunal. 

Les cinquante et un accusés (trente deux supplémentaires échappent à la justice, car inidentifiables sur les vidéos) présentant tous les aspects de la normalité, mais dont les casiers judiciaires chargés, pour certains les enfances saccagées, ce qui ne leur donne aucune excuse, leur absence de sens moral, tous des  'violeurs d'aubaine' qu'aucun surmoi ne pourra empêcher ; ceux qui ont refusé les invites de Pelicot à se servir de sa femme ne penseront même jamais à signaler les propositions de viol faites par le mari sur son épouse. Le consentement de cette dernière semble acquis sans question, puisque c'était son mari qui en faisait la proposition, mentalité d'indécrottables propriétaires. Les descriptions insoutenables des vidéos, la grossièreté et la brutalité de Dominique Pelicot, bref, un torrent d'insanités. La "bonne victime" qu'est Gisèle Pelicot, sanctifiée par le public, qui avait tout de même reçu quelques avertissements d'une belle-fille et d'une amie, 'ton Dominique n'est pas celui que tu crois' ; les psychiatres qui tentent d'expliquer des actes monstrueux commis par des hommes en apparence ordinaires, mais dont on s'aperçoit qu'ils sont doubles ; ce ' champ de ruines qu'est la sexualité masculine ', écrit l'autrice ; sans oublier leurs femmes et compagnes faisant face à la monstruosité de leurs conjoints, assurant l'intendance, apportant des vêtements propres, les visitant en prison, meilleures garantes de la pseudo-normalité de leurs maris. 

Les psychiatres distinguent la pédo-criminalité de l'inceste, pourtant commis généralement sur des enfants ; les pédo-criminels sont classés dans un trouble du comportement qualifié de 'paraphilie' * ; l'incestueur (généralement père, grand-père, frère, beau-frère, père adoptant ou d'accueil, peu de femmes) est un proche, criminel d'opportunité, ce sont des  'violeurs d'aubaine' écrit l'autrice, ils ont leur victime sous la main, sans défense, ils en profitent. L'inceste est un acte de pouvoir, le crime du Pater familias par excellence. Et c'est un crime massif, 10 % des enfants subiraient des agressions sexuelles au sein de leur famille. 

Le coup de colère relaté aussi dans l'ouvrage : Manon Garcia se remémore les propositions salaces, interpellations et poursuites dans la rue par des hommes à trois heures du matin, Place de la République à Paris, lorsqu'elle sort d'une fête avec des amies, break bienvenu dans le procès. 

Au début du livre, partie hautement intéressante, Manon Garcia revient sur la notion de consentement que d'aucun-es voudraient spécifier en réécrivant et complétant l'article 222-23 du Code Pénal, la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ne suffisant pas, apparemment, pour certains-es à prouver le non consentement de la victime. Or, argumente à raison Manon Garcia, le consentement est sans cesse invoqué par les agresseurs, il est sans arrêt interrogé par les policiers et les magistrats qui fonctionnent sur des "scripts sexuels", et il a surtout le gros avantage de jeter un doute sur le comportement de la victime plutôt que sur celui de l'agresseur. Enfin, cette notion de consentement fonctionne sur le droit du contrat (entre parties réputées égales, ce qui n'est pas le cas entre les femmes et les hommes, argumenterait la juriste états-unienne Katharine MacKinnon, citée dans l'ouvrage) ; or le contrat relève du droit civil, alors que le viol relève du code pénal qui poursuit des faits délictuels. Il y a donc confusion entre deux matières juridiques différentes, selon Manon Garcia.

Je reviens sur cette notion de "scripts sexuels" dont parle l'autrice dans son ouvrage : ce sont des normes générales étroites, des scénarios de ce que serait une 'sexualité normale' entre partenaires, à savoir, préliminaires (facultatifs), consentement des deux parties, PIV (pénis dans le vagin), éjaculation. Ce scénario (hétéro) pré-écrit est généralement admis par un gardien de la paix dans une ville de campagne, écrit Marion Garcia, mais il diffère des  'scripts sexuels' d'une artiste lesbienne avec des diplômes obtenus par exemple à la Sorbonne ! 

En conclusion 
J'avais peur en l'achetant de prendre le risque de devoir affronter un argumentaire réformiste comme j'en lis tant et dont, selon moi, les conclusions ne mènent nulle part. Mais Manon Garcia dresse le constat sans complaisance de ce qu'il en coûte pour les femmes de vivre avec les hommes. Je ferais toutefois deux reproches à l'ouvrage. Comme toujours chez les féministes (et j'en suis), on tombe sur la déploration de la différence d'éducation donnée aux garçons et aux filles, ces dernières étant dressées à être souriantes, propres, bien habillées, sentant bon (je vous laisse en déduire les oppositions peu flatteuses à aligner du côté de l'élevage des garçons), se préoccupant du bien-être des autres, comme si c'étaient d'insupportables défauts, tandis qu'on valorise les comportements délictueux des hommes via la 'culture du viol', celle de l'agression, au minimum du jmenfoutisme de ce qui arrive à leur entourage proche ou lointain. Mais c'est le comportement ci-dessus décrit des filles qui devrait être valorisé, sauf à déclarer normale la guerre de tous contre tous, les attaques au biotope, la malveillance et la malfaisance érigées en principes sociétaux très tolérés au motif que ce sont des 'qualités' acquises par les garçons ! Si c'est le cas, je vous souhaite un joyeux avenir. A dix milliards d'humains en train de piller le biotope, avec les mâles se comportant en voyous et criminels et aux comportements déviants valorisés, très coûteux  pour la société, je ne donne pas cher de la peau de notre espèce, non pas que j'y tienne, la stupidité humaine m'étant insupportable, mais pour vos descendants, franchement puisque vous en avez, réfléchissez-y ! C'est le comportement des garçons qu'il faut réformer, pas celui des filles. Ce sont les garçons qu'il faut élever comme les filles, pas l'inverse. 

Enfin, cette quête permanente (et épuisante) d'être un peu aimée par les hommes (la formule de Manon Garcia dans son dernier chapitre est qu' "il faudrait un peu aimer les femmes") commence à être d'autant plus lancinante qu'elle est improductive. Ils ne nous aiment pas, nos intérêts et leurs ne coïncident jamais, c'est à se demander si d'ailleurs on fait partie de la même espèce, je ne vois donc pas trop l'intérêt de leur courir derrière pour attraper un peu d'empathie et de considération qui ne viennent jamais. On peut vivre en prenant quelques distances, en se trouvant d'autres fins que de faire 'famille' (quand on voit la tronche de la famille dans l'affaire Pelicot, dans celle de ses co-accusés, mais aussi dans l'affaire Le Scouarnec ;(( , en se trouvant des occupations moins délétères que les leurs, et en veillant les unes sur les autres à se mettre en sécurité et à l'abri de leurs actions prédatrices à l'endroit des femmes, en apprenant à s'en défendre. Ce devrait être le premier principe d'une éducation réussie à destination des filles. Plutôt que de leur apprendre à courir à leur secours dès qu'ils sont dans la merde noire où ils se sont fourrés tout seuls. Ou à réparer l'entropie qu'ils sèment sempiternellement sous leurs pas et les nôtres. Un peu d'égoïsme que diable, soutenons d'abord nos intérêts, sauf à être 'petit-bras' en ambition féministe. Sans plaisanter, si être féministe c'est obtenir la parité en doublant le nombre de places de prison déjà pléthorique pour y loger en pension complète autant de femmes que d'hommes, merci non, je n'en suis plus. 
Mais à part, ces deux critiques, un ouvrage de bonne tenue et intéressant, à lire, évidemment. 

" La relation réelle est de réciprocité ; comme telle, elle engendre des drames authentiques : à travers l'érotisme, l'amour, l'amitié, et leurs alternatives de déception, de haine, de rivalité, elle est lutte des consciences qui se veulent chacune essentielle, elle est reconnaissance des libertés qui se confirment l'une l'autre, elle est passage indéfini de l'inimitié à la complicité. Poser la femme, c'est poser l'Autre absolu, sans réciprocité, refusant contre l'expérience, qu'elle est un sujet, un semblable. "

Simone de Beauvoir - Le deuxième sexe

* Edit 27 mai 2025 
Il semble que ce terme de 'paraphilie', désormais utilisé par les psychiatres et psychanalystes pour remplacer 'pervers', 'pédocriminel', ce dernier proposé pour remplacer 'pédophile', la philia en grec étant la définition d'une forme de l'amour, est en réalité une diversion, un euphémisme, un de plus pour ne pas nommer le problème, la perversité, et ménager ainsi les hommes pervers sexuels. J'aurai sans doute l'occasion d'y revenir. 

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