jeudi 16 décembre 2021

Et si les femmes refusaient toutes ces micro-agressions que leur infligent les hommes ?

Les matins, midis et soirs, je vois les secrétaires du centre d'affaires à côté de chez moi descendre dans le parking souterrain pour regagner leur voiture : apprêtées, petit sac à main, clés de voitures, talons aiguilles, manteau chic, elles louvoient parmi les ordures, en fait l'entrée de leur parking souterrain est une décharge à ciel ouvert, les mecs quasiment exclusifs de la boîte qui les emploie laissent sur place les traces de leurs consommations (ils vont fumer là quand il pleut, ces supermen sont en sucre) ; selon une habitude multimillénaire, eux salissent et Bobonne nettoie et endure entre deux nettoyages (éloignés, vu qu'ils sont confiés à la collectivité et que tout le monde s'en branle, donc les ordures s'empilent et s'accumulent), Bobonne ayant différents avatars, femmes de ménage des entreprises de sous-traitance, ou concierges, généralement mâles et qui du coup, rechignent à passer le balai, cet engin de bonnes femmes. Donc, ces dames évitent sur leurs talons aiguilles les masques usagés, les gobelets de café en carton et touillettes, les boîtes de soda et bouteilles de bière jetées après consommation contre les murs pour les casser, et pire, les pissats, crachats, voire plus, bref, c'est immonde. La crasse attire la crasse comme les comportements méprisants et incivils attirent d'autres mauvais garçons (pléonasme !). 

Croyez-vous qu'elles iraient se plaindre ou élever au moins la voix en disant que ce n'est plus possible de traverser un tel tas de déjections pour aller et revenir trois fois par jour du travail, et quel travail : double journée pour un demi salaire comme écrit justement Christine Delphy qui ne s'embarrassait pas de "charge mentale" pour euphémiser son propos et ne pas chagriner l'ennemi principal, et si mi-temps, c'est aussi demi-chômage et finalement demi-retraite, ne nous lassons jamais de le rappeler. 

Mais non, jamais un mot plus haut que l'autre, d'ailleurs, celles qui hausseraient le ton seraient perçues comme des trublionnes, des femmes refusant le sort commun, paillassons endurant les agressions des gars, ancillae domini, le sort des femmes en virilistan ou masculinistan. Pondez, nettoyez, servez la soupe de vos saigneurs, maître et possesseurs, et les vaches seront bien gardées comme en Afghanistan, cet état phare témoignant que les mecs tiennent le monde et les femmes d'une pogne de fer.

De fait, ce sont des micro-agressions, la stratégie des mille coupures : refuser de les voir c'est minimiser et pour certaines qui excusent sous divers prétextes ou cautionnent, c'est collaborer. Subir toute la journée sans broncher cette masse d'incivilités style crachats symboliques dans la figure, c'est s'entraîner, s'endurcir à subir davantage. Les micro-blessures infligées à longueur de journée par ces miliciens du Patriarcat ne sont pas sans conséquences, un haussement d'épaules n'est pas suffisant pour annuler les dommages produits. Etre traitée de "grosse pute" dès 12 ans par un camarade d'école à ses "potes" filles comme j'ai entendu il n'y a pas longtemps dans la rue, durant 200 pénibles mètres avant que j'intervienne pour expliquer que ce n'est pas possible, et d'être renvoyée à la méconnaissance des mœurs de la présente génération, frappée d'obsolescence, renvoyée à la ringardise de celle qui ne comprend décidément rien ! Toutes ces insultes sont destinées à saper la confiance en soi des filles, déjà flageolante vu l'éducation que leur donnent leurs familles et la société, aussi comment voulez-vous qu'elles se défendent en cas d'attaque majeure comme une main au cul, une agression sexuelle, une langue dans la bouche, un doigt dans le vagin... après qu'un  homme les ait coincées dans l'ascenseur ou dans son bureau après avoir fermé la porte à clé ? Certaines ne savent même pas de façon certaine ce qu'est une agression sexuelle ni un viol, tant elles sont habituées à la maltraitance. 

Revenons à mes secrétaires : vu la structure non pyramidale de la société, elles sont secrétaires de direction, donc font partie intégrante de la direction. Il me semble que c'est suffisant pour désigner, dénoncer puis sanctionner les mâlefaisances et manquements à la civilité commune, aucune femme ni personne n'est à leur disposition pour nettoyer derrière eux, et tant pis si leurs mères leur ont, par gestes subliminaux, distillé le contraire, il va falloir désormais s'assumer sans moman. Je ne vois pas en quoi c'est difficile à dire, sauf à vouloir faire durer par tous moyens leurs privilèges indus, surtout ne pas toucher aux coui.lles des gars, ce serait un crime de lèse-masculinité. C'est fou le nombre de femmes terrorisées à cette simple idée de les rembarrer, de les mettre face à leurs comportements turpides. "Ce sont des enfants", ai-je entendu une employée municipale insister quand je me plaignais que je devais enjamber les crachats et pissats de mecs de 15 à 18 ans, 1 m 95, 80 kg (mais avec quoi leurs parents les nourrissent-ils, des tourteaux de soja transgénique ?) pour rentrer dans sa boîte. J'ai fini par arrêter d'y aller. Il y a des limites à la tolérance et à la collaboration. On ne peut pas se répandre en plaintes d'un côté, pour ensuite tolérer toutes les humiliations de l'autre, au nom de je ne sais quel consensus baveux. 

L'assertivité est un muscle, comme la mémoire ou le sens de l'orientation : elle se travaille par entraînement tous les jours. Chaque petit exercice compte. Ne rien laisser passer. Jamais. Que ce soit pour soi, pour une collègue, une amie, ou une passante dans la rue. Ça ne vous rend pas populaire ? Attendez un peu, avec le temps, les choses peuvent changer. Et puis Hanouna est populaire, franchement ça ne fait pas envie ! En tous cas, au moins, ça leur ferait remonter leur niveau d'estime de soi, ce qui n'est pas du luxe, ni secondaire. Le féminisme ce ne sont pas que de grandes et belles idées dans des livres, c'est aussi l'application dans la vie de tous les jours, dans la non tolérance aux micro-agressions. 

Il n'y a pas de fatalité à ce que les hommes soient agresseurs et les femmes agressées, les hommes du côté des emmerdeurs et les femmes toujours du côté des emmerdées. Alors un peu d'assurance ne nuirait pas. Toutes les occasions d'empowerment doivent être saisies, et celles-ci sont à la portée de chacune. Etre capable de dire à des mecs de son entourage professionnel de nettoyer ou mieux de ne pas salir les endroits que vous fréquentez plusieurs fois par jour ne me paraît pas insurmontable. Sauf à avoir perdu tout sens de son propre intérêt ou a être totalement annihilée par le pouvoir masculin alors qu'ils ne sont que des colosses au pieds d'argile. 

" Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.

Etienne de la Boétie 

lundi 6 décembre 2021

La terre au carré : l'écoféminisme de Françoise d'Eaubonne

Choquée par la lecture du Rapport Meadows commandé par le Massachusetts Institute of Technology, approuvé par le Club de Rome, The limits to Growth (Les limites de la croissance) paru en 1972, Françoise d'Eaubonne écrit à l'inspiration radicale et dans la foulée Le féminisme ou la mort paru en 1974. Manifestement, avant que l'expression contemporaine soit inventée, elle souffrait d'éco-anxiété. 

Je relaie sur mon blog l'émission La terre au carré diffusée sur France Inter le 22 novembre 2021 et aimablement signalée par une twitta : l'écoféminisme ou comment lier écocide et patriarcat. Pour une fois, la philosophe Jeanne Burgart-Goutal rend à Françoise d'Eaubonne, féministe radicale, son universalisme et répudie l'idée d'essentialisme, dont on accuse les écoféministes, comme étant un contresens. Vincent d'Eaubonne, le fils 'dégoupilleur de matriarcat' selon ses mots, est également dans le studio et parle des idées de sa mère, qui soulignait comme dans Les limites de la croissance, le hiatus entre les limites de notre biotope, la Terre, et la "cadence de la démographie" ; tout cela s'est fait sous l'empire des hommes depuis le début de  l'histoire. Epistémologie féministe. Françoise d'Eaubonne fait le lien entre toutes les oppressions (nature, animaux, colonisés, femmes) sous le joug des mâles, et invente l'éco-féminisme en 1974 en publiant Le féminisme ou la mort. Dans l'émission, on entend deux fois la voix de Françoise d'Eaubonne, dont une fois où elle évoque la "suppression des hommes" devant un Bernard Pivot tétanisé. C'est passionnant et pas du tout "woke", ni surtout revisité ni renommé selon le vocabulaire actuel. Aussi, elle me paraît intéressante à relayer. 

Rétrolien vers le site de France Inter en cliquant dessus. 

 
" La société mâle et industrielle a détruit l'environnement. Je suis à fond pour que les hommes perdent le pouvoir ". 

" La terre fait 40 000 km de tour et toute la science humaine n'en rajoutera pas un de plus

" J'ai eu une vie quelque peu ratée mais joyeuse. Je ne regrette pas de quitter ce monde compte tenu de ce qui va vous arriver, si ce n'est que j'aurais souhaité vous le laisser dans un meilleur état.
Françoise d'Eaubonne - 2005 année de sa disparition. 

De tous temps, les femmes qui luttaient -et qui luttent toujours- pour leur autodétermination ont été accusées d'être anti-hommes, le procès intenté à Alice Coffin ces jours-ci, à qui on reproche de ne plus vouloir lire ou voir d'oeuvres masculines, ce qui est parfaitement son droit, n'est qu'une resucée des mêmes reproches qu'on faisait aux féministes du MLF, et même aux suffragistes de la fin du XIXème et du début de XXème siècle ! À partir du moment où nous revendiquons nos choix en nous passant de leur avis, ou même en faisant abstraction ou en nous passant de leur personne, c'est pour eux forcément un sacrilège commis contre eux. Toutes nos luttes et nos victoires ont été vues par eux comme des spoliations : le droit de vote comme une spoliation du privilège à décider de tout pour toutes, le droit à la contraception et à l'avortement comme une spoliation de leur droit à contrôler la fécondité des femmes (qu'ils s'étaient adjugé sans l'aval des concernées, et qu'ils gardent sur une large portion de la planète), désormais c'est leur droit divin d'accès aux assemblées où se décide la politique, y compris celle des entreprises, assemblées, où les places sont limitées.

Les féministes (réformistes libérales) qui prétendent que "sans eux on n'y arrivera pas", et qui les appellent à l'aide (#HeForShe par exemple, pour ne parler que de cette campagne) ou qui prétendent que les hommes peuvent trouver pour eux un bénéfice aux acquis féministes se trompent lourdement : ils ont tout à perdre de l'autonomisation des femmes, à commencer par la domestique bénévole à la maison qu'ils reçoivent par mariage et qui ne leur coûte rien, mais dont ils attendent tout, services domestiques, sexuels et reproductifs, un être à leur service, d'où découlent certainement les meurtres de femmes qui veulent partir, crimes paroxystiques commis par des terroristes de la masculinité, mais qui servent d'avertissement pour toutes les autres. Toutes nos avancées ont été obtenues après de longues luttes contre leur farouche opposition menée à base d'insultes, de cris effarouchés, de tentatives d'intimidation contre notre supposé séparatisme, cela peut même aller jusqu'aux coups et au meurtre. Et franchement, pour rester dans le matérialisme, la lutte des classes, puisque Françoise d'Eaubonne avait une formation marxiste, est-ce qu'il viendrait à l'idée de la classe ouvrière d'appeler à l'aide la classe sociale patronale en prétendant que sans eux, les ouvrièr-e-s n'arriveraient pas à défendre leurs droits ? 

mercredi 24 novembre 2021

Le complexe de Diane - Françoise d'Eaubonne

Dans la foulée de la sortie tonitruante et scandaleuse de l'énorme succès de librairie que fut Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949, lequel agit comme une révélation sur Françoise d'Eaubonne, Le complexe de Diane paraît en 1951 (Françoise d'Eaubonne a 31 ans) chez Julliard "à peine relu" selon la préfacière de l'ouvrage. Françoise d'Eaubonne qui a reçu Le deuxième sexe comme une révélation, mais n'est pas d'accord avec tout, livre ici sa propre analyse. Critique "foutraque", toujours selon la préface, des écrits et dits de Lénine, du marxisme, puis de l'existentialisme sartrien, de la psychanalyse freudienne qui renvoie la femme à son immanence, sa passivité, son "envie du pénis", et enfin de Simone de Beauvoir herself, entre autres de son chapitre sur l'érotisme féminin avec lequel Françoise d'Eaubonne n'est pas d'accord. 

Je ne cache pas que certains passages sont filandreux et difficiles à lire, mais d'autres sont lumineux : ceux sur la terreur "hordique" des mâles devant le pouvoir féminin d'engendrer, c'est la thèse de Françoise d'Eaubonne, et le recours à la mythologie : Atalante est plus rapide qu' Hippomène, elle le bat à chaque fois à la course, horreur, sacrilège, être doublé par une bonne femme ! Du coup, le malhonnête mauvais perdant et tricheur Hippomène sème des pommes d'or sur le parcours et cette pauvre Atalante, voulant ramasser ce trésor, se laisse distancer, Hippomène gagne enfin la course. Ainsi la virilité est sauve. Les pommes d'or d'Hippomène deviendront la pomme de cette pauvre Eve toujours tentée par le diable. Françoise d'Eaubonne ose le parallèle, l'analogie entre les deux mythes des pommes. Mus par le ressentiment, la jalousie, les hommes se garderont les "grandes chasses" et "les grandes pêches", la femme devient l'ancilla domini, "Ecce ancilla hominis", la servante du seigneur et maître, la servante de l'homme. Mais les choses n'étant pas simples, et la terreur ne se laissant pas aussi facilement distancer, Hippomène / Prospero reste terrorisé par Caliban, la "créature" qu'il a asservie. Tous les maîtres sont terrorisés par leurs esclaves. Ils ne sont jamais à l'abri d'une révolte, la Créature peut se révolter, vouloir se venger, les femmes peuvent développer un ressentiment, un complexe de Diane, chasseresse et guerrière ! Si seulement ça se pouvait, je n'en ai personnellement pas trop vu de manifestations virulentes pour ma part.

Les femmes sont-elles masochistes se demandent Simone de Beauvoir et Françoise d'Eaubonne ? Lien entre plaisir et douleur (premier coït et défloration, enfantement), acceptation de la passivité érotique dans la pénétration (femme passive, homme actif), et mécanisme de complexe de culpabilité, autopunition chez les mystiques, évoquées par Françoise d'Eaubonne. L'érotisme féminin vu par Simone de Beauvoir est calamiteux : elle présente le premier contact sexuel, la nuit de noces, comme un viol. Ce que conteste Françoise d'Eaubonne, qui est plus jeune. La perception du sexe par Simone de Beauvoir est celui d'une femme des années 30 et 40 où les femmes étaient éduquées dans une pruderie maladive et où elles portaient sans aide, et généralement sans pouvoir l'éviter, le fardeau de la maternité. Masochistes les femmes ? Razziées, violées, arrachées à leurs familles et conduites les yeux bandés chez l'époux pour ne pas retrouver le chemin du retour, vendues, mises en gage comme des marchandises, échangées, propriétés du clan, de la famille, des époux, traitées de "trou avec quelque chose autour",  dégradées dans la prostitution, voilà notre conditionnement millénaire. Cela laisse forcément des traces et des séquelles dans la psyché, séquelles qui se transmettent de génération en génération. Notre prétendue passivité est construite : on nous a seriné que nous étions des êtres fragiles, on nous éduque à avoir peur, non pas des hommes qui peuvent se révéler dangereux pour nous et nos enfants, mais des activités de garçons, courir, grimper, nous battre. Pire que tout, on nous interdit de nous défendre, tabou anthropologique quasi universel. A tel point qu'il nous faut faire des efforts surhumains pour dépasser cette éducation basée sur la crainte et des injonctions stupides. Françoise d'Eaubonne réfute cette idée, scie de la psychanalyse, que nos prétendues passivité et masochisme seraient innées, génétiques, immanentes. 

Complexe de Diane, vraiment ? 

Dans la dernière partie, le danger planerait pour les hommes : à la lecture des évènements, Françoise d'Eaubonne agite le chiffon rouge. Et si les femmes se retournaient contre les hommes ? Si elles étaient atteintes du "complexe de Diane", du nom de cette redoutable déesse de la guerre armée qui ne se laisse pas compter fleurette ? Peur que seules les femmes éprouvent d'ailleurs, les mecs s'en cognent, ils vaquent à leurs occupations, à leurs affaires, chasse, pêche et traditions antédiluviennes, vu qu'ils n'ont à peu près aucune imagination et qu'ils ne voient jamais le monde changer -c'est le sort des tyrans, ils sont conservateurs, car fossilisés dans leurs habitudes, pas du tout effrayés par l'hypothétique danger ! Illustration utilisée par Françoise d'Eaubonne pour étayer sa démonstration : la redoutable "mom" étasunienne qui aurait définitivement castré son mâle, une Diane casquée, plutôt chez le coiffeur à coups de laque comme dans les années 50, mais qui sait faire raquer John au moment du divorce. Mom qui mène à la baguette ses gars, la redoutable "soccer mom" qu'on voit sur les terrains de foot et de baseball, infatigable supportrice des activités patriarcales, au fond. Je crois que c'était une crainte infondée quand on voit le retour du viril étasunien avec son gros gun phallique qui dégomme tout ce qui bouge, ses incels (involuntary celibates) frustrés d'être moches et de ne pas pécho comme si c'était un droit de l'homme -littéral- à l'ONU ; les années 50 ça ne pouvait pas être pire. Il faut vraiment que les féministes arrêtent d'être timorées. Il faut savoir : ou ils nous avilissent, nous calomnient, nous oppriment, nous cognent... et on est mieux sans eux, ou on se laisse rattraper par notre vieux fond de masochisme pour le coup, ou surtout on est des irréalistes qui veulent tout tout tout, comme écrivent les magazines féminins. Inculquer et cultiver un bon complexe de Diane est une solution à court et moyen terme pour arrêter de se laisser taper sur la tête comme ça sur des durées invraisemblables. 

Le complexe de Diane est un livre de jeunesse écrit à l'impétuosité, dans l'enthousiasme du moment, celui de la parution du Deuxième sexe. Erudit, magnifiquement écrit avec un vocabulaire élégant et une inventivité dans les formules et les mots, qui sont la marque de Françoise d'Eaubonne, à tel point que plusieurs me resserviront. Julliard vient de rééditer l'ouvrage dans sa Collection permanente, qui permet de redécouvrir le patrimoine des éditions Julliard. Tant mieux. A lire par les fans de Françoise d'Eaubonne. Et pour sa belle écriture, pour son érudition et son enthousiasme.

" Les fils de Dieu, les filles des hommes.

En un octosyllabe, tout est dit. 

jeudi 11 novembre 2021

Carnages familiaux

Mardi matin, je suis réveillée à 6 H par le journal de RFM : Rémi Gaillard s'est suicidé dans sa cellule de la prison de Vezin Le Coquet (Rennes) ; il était en pleine dépression et en grève de la faim pour obtenir que ses quatre enfants soient regroupés dans le même établissement d'accueil après le meurtre de leur mère. Rémi Gaillard c'est le mari de l'affaire Blandin, cette mère de famille victime de féminicide en février dernier, tuée à coups de batte de baseball par son mari dont elle était séparée. Le père tue la mère, le père se suicide en prison, la fratrie de 4 enfants est éclatée dans différentes familles d'accueil (la maltraitance de la société se surajoute à la maltraitance paternelle), le chien de la famille erre des jours devant la fermette, avant sans doute d'être mis dans un chenil. Ma compassion va aussi au chien n'en déplaise aux suprémacistes anthropocentrés, les animaux vivent les mêmes déchirements que la famille, puisqu'ils font partie de la famille. 

Évidemment, pas question dans les médias d'évoquer jamais ce qui ne serait pas arrivé et tant mieux, si ces deux ne s'étaient pas rencontrés, n'avaient pas obéi à cette injonction de faire famille à tout prix, de se trouver un mec et de le garder, même un immature incapable de vivre sans une "maman" à ses cotés. De faire quatre enfants, puisque le mariage est le lieu où on doit se reproduire, "perpétuer l'espèce" comme j'ai encore entendu ce mois-ci. Pas de questionnement sur l'incitation à mettre des enfants au monde sans se préoccuper de savoir si les parents ne seraient pas des maltraitants présents ou futurs, ou si ce ne serait pas exactement leur vocation, jamais de mise en garde. Quatre enfants et hop un chien, parce qu'il distraira les enfants. 

Il n'est pas question ici de dire aux femmes ce qu'elles doivent faire de leur vie, ni d'accuser qui que ce soit. Il est juste question de dénoncer la façon dont fonctionne la société à notre égard par le conditionnement : injonctions à se trouver un homme et le garder, injonction à la maternité sans quoi vous auriez raté votre vie de femme, injonction à l'hétérosexualité, présentée comme "naturelle". There is no alternative selon la doctrine TINA, célèbre dans un autre domaine, l'économie. Toute la littérature, tous les arts, toutes les chansons, toutes les productions cinématographiques et télévisuelles, des fictions aux émissions de plateaux et de coaching nous le rabâchent sans arrêt. Un exemple entre mille : il m'arrive de m'attarder pour des raisons d'observation sociologique, pas longtemps ni souvent parce mon poste de télé risque gros, sur "Ca commence aujourd'hui", émission sur le service public (!) présentée par Faustine Bollaert qui est l'une des plus représentatives et obsessionnelles de l'injonction à trouver l'aaaamourrr ! Sujets souvent racoleurs à base de témoignages lacrymaux, plateau occupé par des femmes à 90 % pour un public de retraitées femmes. On y traite aussi de harcèlement, d'abandon, d'inceste et de viol, toutes situations qui concernent en majorité les femmes. Il n'y a pas une émission sur ces sujets où la présentatrice ne rappelle l'ordre hétéro-patriarcal familial sur lequel est basé la société : les femmes doivent se trouver un mec et procréer. C'est du dressage social. Je suis tombée sur des fois hallucinantes où la question posée était "après trois viols, j'espère que vous avez réussi tout de même à trouver l'âme sœur et construire un foyer", ainsi que la question terriblement intrusive et personnelle (mais on est entre nous, n'est-ce pas ?), inévitable, de savoir si elles ont ou ont en projet d'avoir des enfants. Avec le sourire et la bouche en cœur pour faire passer l'injonction. On n'est pas des brutes. 

Pas une ne répond " heu si j'avoue, après trois viols, j'ai demandé l'asile politique aux Clarisses pendant 6 mois, carottes et poireaux bouillis à tous les repas, cellule non chauffée l'hiver, mais pas un mec à l'horizon, ça me change, rien que des femmes qui chantent toutes les heures, et surtout une clôture autour ! Pour la suite on verra, je n'ai rien arrêté, mais reconnaissez qu'il y a matière à réfléchir". J'ai vu une fois un homme renâcler avec un ténu mouvement d'épaule, on voyait que la question le gonflait, et une autre fois Maryse Wolinski de mauvais poil, en train de faire sur demande de son éditeur la promo d'un livre hommage à son mari assassiné. A 73 balais, question de la présentatrice : "pensez-vous refaire votre vie ?" On a vu assez clairement qu'elle se retenait de détruire le décor. Mais c'est tout, et c'est peu. 

Une aide-soignante ou une éducatrice spécialisée qui souhaite faire carrière peut faire des études d'infirmière, puis par le biais de l'avancement et de la promotion de carrière se retrouver à l'Ecole des Hautes études en Santé Publique (Rennes, décentralisation réussie, qui forme les cadres hospitaliers) et finir dans la peau d'une infirmière générale dirigeant un hôpital ! Ce n'est pas forcément courant mais je connais des cas. Une carrière professionnelle se bâtit avec des rencontres et des occasions. Mais pour ça, il faut être un peu disponible, ne pas être encombrée de mari et d'enfants, qui feront obstacle à un choix, surtout audacieux. C'est à se demander si à force de suivre tous ces commandements ineptes, on n'aboutit pas à un véritable gâchis de potentialités. Je ne crois pas à la "réalisation" totale par la maternité, quelques-unes peuvent y trouver leur compte au moins un moment, à force d'auto-persuasion et d'émissions de gavage de Faustine Bollaert, mais ce ne doit pas être le cas de la majorité, et ça ne vaut pas pour une vie entière. Je ne crois pas non plus satisfaisant de mener de front un emploi payé et une carrière familiale bénévole sans tomber dans l'aigrissement et l'insatisfaction à un moment ou un autre. Il faut renoncer à des choses auxquelles les hommes eux ne consentiraient pas et qu'on ne leur demande pas ! La maternité n'est qu'une potentialité parmi tant d'autres. Je ne crois pas au Père Noël. Or dans le cas du mariage et de la maternité, on nous fait gober un conte de Noël. 

Et puis peut-être faudrait-il commencer par concentrer nos ressources à ceux qui sont nés, qui sont ici (et ailleurs) et maintenant, et s'assurer que leurs besoins vitaux sont correctement couverts avant d'en mettre d'autres au monde : réfugiés promenés, encadrés par la police entre deux frontières comme en Pologne, ou bloqués à une, comme à Calais ; gens sans emplois et sans abri partout, femmes surchargées d'enfants ailleurs, dans la survie la plus immédiate, trouver à manger. La semaine dernière un homme est mort dans une rue de mon quartier, il a été retrouvé adossé à une porte, assis sur les trois marches du perron étroit d'une maison. Pas mal de gens ont dû passer devant sans le voir ou en tous cas sans faire attention. C'est par le message qu'a affiché sur le mur de sa maison la résidente qui l'a trouvé qu'on a appris la nouvelle, assortie de la recommandation de s'enquérir de la santé des personnes quand elles sont assises dans une position bizarre, et si ça ne va pas, ou sans réponse, d'appeler les pompiers. C'est juste du bon sens et de l'attention. Trouver le temps d'arrêter l'indifférence et de discerner la détresse dans la multitude. Multitude qui ne facilite pas les choses, personnellement j'évite les foules et suis très occupée en ville à éviter qu'on me marche dessus. On a l'impression que notre espèce maltraitante et inhumaine préfère toujours la quantité, jamais la qualité de vie des invités aux banquets des patriarcaux. Dieu y pourvoira, selon les slogans des clercs de toutes religions pousse-au-crime ? C'est surtout les femmes qui y pourvoient au détriment de leur santé psychique, physique, économique et sociale. Pour un faible retour sur investissement (ROI), à en juger par la teneur de l'article trouvé dans Ouest France : Françoise, 52 ans auxiliaire de vie à petit salaire et amplitude horaire infernale, emmerdée le soir quand elle rentre chez elle par les dealers de son quartier, des mecs bien sûr, exerçant leur parasitisme sur l'environnement. Dans la totale indifférence et ingratitude des femmes et hommes politiques locaux. Ou comment se faire ch.er dans les bottes par l'ennemi principal qu'on a mis au monde et élevé. Clairement le ROI (Return On Investement) condamne lui aussi ce choix : mépris, abandon politique, social et économique après avoir obéi à toutes leurs injonctions, c'est ainsi que les femmes sont éternellement sacrifiées sur l'autel de la sacro-sainte reproduction. 

Le conte de Noël fait long feu. J'essaie un travail de démystification et de prophylaxie, de faire entendre une parole différente, même si elle est discordante, je sais que ce n'est pas populaire, mais tant pis pour le syndrome de Stockholm et les conflits de loyauté de pas mal d'entre nous. Certaines féministes sont trop soucieuses de ménager les hommes qui eux ne nous ménagent pourtant jamais ! Je vois trop distinctement la Matrice pour arrêter. Et si ça peut faire des blessées et des mortes en moins, si je sauve une vie, ça vaut le coup. Et si jamais elle passe par ici, je souffle à Faustine Bollaert la bonne question à poser à ses femmes témoins évoquées plus haut : "Vous n'avez pas envie de leur faire bouffer leurs couilles ?" 

Rémi Gaillard a fracassé la tête de sa femme qui l'avait quitté pour réaffirmer son droit de propriété sur sa femme ; une femme ne s'appartient pas, elle est donnée aux hommes, à leur famille et à leur clan. L'assassinat de Magali Blandin, comme celui de toutes les autres, est là pour rappeler aux récalcitrantes ce qu'il peut en coûter à une femme de revendiquer son autonomie, son autodétermination. L'assassinat de Magali Blandin sert tous les hommes qui bénéficient des privilèges du patriarcat, même s'ils ne les revendiquent pas. 


mardi 26 octobre 2021

Effacée de l'histoire : Alice Guy, premier réalisateur de cinéma


Cinématographe : du grec Kinèma, mouvement, et gràphein, écrire. L'invention d'une écriture, d'une grammaire, d'un mode d'expression avec des images qui bougent et qui racontent une histoire. Le septième art emprunte à l'écriture, à la photographie, et au théâtre pour la mise en scène.

Alice Guy, née en 1873 en France, première réalisatrice, a pour père un libraire éditeur de livres français ou traduits en espagnol à Valparaiso et Santiago au Chili, la lecture lui est familière ; dans son école de religieuses, elle fait du théâtre amateur et est un moment tentée par la carrière de comédienne mais une interdiction familiale l'en empêche, faire l'actrice n'est pas compatible avec la dignité d'une femme de la bourgeoisie ! Sa formation de sténodactylo imposée par la famille et la nécessité de travailler après la faillite des affaires de son père au Chili la ramène en France et la conduit chez un fabricant d'appareils photos où travaille un jeune ingénieur, Léon Gaumont. Elle y côtoie des photographes portraitistes et paysagistes. Elle sait vite apprécier une belle photo d'art. Notez qu'une formation de secrétariat peut conduire loin et n'est pas forcément un étouffoir professionnel pour une femme ; il y en a une autre mondialement illustre et contemporaine qui a fait, sur l'injonction de sa mère, une formation de secrétariat (tu feras des études universitaires après si tu veux, mais avec un brevet de secrétariat tu trouveras toujours du travail !) : c'est la primatologue Jane Goodall qu'on ne présente plus. Elle raconte ça dans ses mémoires et elle y dit même que cela lui a enseigné la méthode et l'organisation dans son futur métier de primatologue. Il apparaît donc que le secrétariat mène à tout. 

Alice Guy employée d'une maison qui vend des appareils de photographie et le récent kinétographe qui déroule des photos sur des crochets, et donc invente le mouvement, voit rapidement le potentiel de cet appareil. Elle propose à son patron Léon Gaumont d'exploiter l'invention en tournant des saynètes animées de quelques minutes, Gaumont accepte, à condition qu'elle le fasse en dehors de ses heures de travail de dactylographie. L'arrangement va durer le temps que le cinéma atteigne la notoriété par les foires et les cirques (les premières séances de cinéma sont montrées dans ces endroits, c'est d'ailleurs tout le génie de Léon Gaumont d'être passé de vendeur d'appareils photos à l'exploitation de salles où seront projetés des films). Gaumont est devenu un exploitant de salles avec un énorme catalogue de films. 

Cette bande dessinée en noir et blanc de Catel Muller au dessin, et José-Louis Bocquet au scénario, raconte l'histoire de la pionnière Alice Guy : première metteuse en scène de quelque 300 courts métrages puis de longs métrages, d'abord en amatrice et inventeuse ; elle engage très vite des scénaristes pour améliorer ses histoires, un directeur de casting pour ses films comptant jusqu'à 300 figurants, devient productrice, puis crée son propre studio aux Etats-Unis (le cinéma est inventé en France, mais ce sont les Etats-Unis qui en feront une industrie, provoquant une impitoyable guerre des brevets) puis, de retour en France, elle tente sans succès de racheter les studios de la Victorine à Nice. Elle tourne le premier péplum (une vie du Christ), engage la première un acteur noir pour jouer un rôle de noir (!), -les premières versions de La case de l'Oncle Tom sont tournées avec des acteurs blancs grimés, jusqu'à la 6ème qui sera tournée avec un noir ; elle invente même les "franchises", ces films sériels avec héro récurrent ; elle subit la toute-puissance des producteurs mâles qui harcèlent et violent de jeunes actrices ; bref, elle invente et connaît tout du cinéma tel qu'on le connaît aujourd'hui, sauf sa mutation numérique. 

Côté vie familiale, elle se marie tardivement à 34 ans avec Herbert Blaché, un de ses apprentis opérateur qui deviendra producteur, après avoir longtemps hésité (elle aurait presque pu faire sienne la phrase de Nathalie Baye dans La nuit américaine (Truffaut, 1973), "je pourrais quitter un mec pour un film, mais je ne pourrais pas quitter un film pour un mec !") et en a deux enfants, une fille et un garçon, nés tous deux aux Etats-Unis. Mal mariée, son mari la trompe avec une actrice et fait de mauvaises affaires en bourse. Ils finiront par divorcer. Elle rentre en France quasiment ruinée, obligée de vendre ses fourrures et bijoux pour survivre, la pension alimentaire de son mari n'arrivant que sporadiquement pour s'interrompre définitivement, elle reprend quelques travaux d'assistante réalisateur, mais sa carrière s'arrête, elle a 47 ans. L'histoire se répète : comme sa mère avant elle, dont elle a assuré la survie après la faillite et la mort du père en l'hébergeant chez elle, Alice Guy vivra la fin de ses jours avec sa propre fille, employée de l'Ambassade des Etats-Unis, la suivant en Europe au gré de ses mutations. Elle écrira ses mémoires et se battra jusqu'à la fin pour que le cinéma lui restitue son histoire, ses contributions, son oeuvre ; en effet, les historiens du cinéma l'effaceront en attribuant son oeuvre à des auteurs masculins, (Georges Sadoul dans son Histoire générale du cinéma attribue son oeuvre à Henri Gallet, Alice a beau protester, personne ne corrige) ou en l'effaçant de l'histoire de la maison Gaumont. Ses archives et ses films seront détruits ou rejoués plusieurs fois sans mention de la première autrice. Alice Guy arrive toutefois péniblement à faire accepter par un éditeur de publier son autobiographie (parution en 1976 après sa mort). Elle décède en 1968 à 95 ans à Wayne dans le New-Jersey où elle est inhumée. 

Ainsi fonctionne l'HIStoire, les femmes inventent, créent, s'activent, imaginent dans leur coin, bureau, maison, sur leur temps de repos, les hommes industrieux regardent, tolèrent ces caprices "de bonnes femmes", puis quand ça se révèle un succès, arrivent, standardisent, industrialisent (alinéa, sous-alinéa, tiret à la ligne, petit aA, grand Bb, coupent les cheveux en 16, établissent un "process") et... effacent les pionnières en s'attribuant la paternité de l'invention. Du coup, on n'a plus que des pères (paires ?) de. Sauf que dans le cas d'Alice Guy, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir industrialisé le process cinématographique, puisqu'elle a créé et dirigé ses propres studios de cinéma dans le New Jersey bien avant qu'Hollywood soit créé à Los Angeles. On peut dire qu'elle a contribué à la mise en place d'une industrie extrêmement florissante. Rappelons que l'industrie du cinéma est l'industrie exportatrice qui rapporte le plus de devises au PIB des Etats-Unis.  

Alice Guy est une "clandestine de l'histoire" comme dit Catel Muller, la dessinatrice dans cette video du making of ; ce gros volume biographique très fourni de 322 pages, plus 70 pages de biographies des gens illustres ou des oubliés eux aussi (James Russel notamment, son acteur noir, dont on ne sait plus rien aujourd'hui) qui ont traversé sa vie, plus sa chronologie, en font une somme sur la vie d'Alice Guy, et plus largement, une histoire de l'invention du cinématographe. C'est documenté et passionnant, le dessin clair et très agréable à l'encre de Chine noir et blanc. J'ai beaucoup aimé. Une bonne idée de cadeau si vous en faites. A lire en tous cas. Ce billet n'est que le court résumé d'un ouvrage de 392 pages ! 


" Fille d'éditeur, j'avais beaucoup lu, pas mal retenu, j'avais fait un peu de théâtre amateur et je pensais qu'on pouvait faire mieux. M'armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d'écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l'affaire, je n'aurais jamais obtenu ce consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. "
Autobiographie d'une pionnière du cinéma par Alice Guy 1873-1868 - Editions Denoël-Gonthier 1976 

Liens
La page de l'album chez Casterman (où on peut trouver les autres albums des deux mêmes auteurs de cette belle collection). 

Un de ses courts, muet, "Falling leaves", charmant et poétique, tourné en 1912, à voir sur le site Les Bords de Scènes, qui lui a consacré une exposition.

lundi 4 octobre 2021

Sur les récentes appropriations des idées de Françoise d'Eaubonne

Quand j'ai commencé ce blog, il y a 11 ans, il devait être écoféministe en s'inspirant des idées développées par Françoise d'Eaubonne dans Le féminisme ou la mort publié en 1974. J'ai eu l'idée d'un blog en lisant ceux des autres, mais je ne voulais surtout pas qu'il soit réformiste ; il y avait assez de blogueuses comme cela qui écrivaient sur la parité, l'égalité, le plafond de verre. L'approche féministe par la segmentation ne me convenait pas : mon blog serait surplombant, il critiquerait un système global d'exploitation et de parasitisme, ou il ne serait pas. Evidemment, il comporte aussi des articles sur la parité et l'égalité, bien obligée, mais ses sujets sont plus larges et plus généraux. Et il devait s'appeler Blog écoféministe, c'était ma première idée. Sauf qu'en testant le mot "écoféministe" auprès de mon entourage, j'ai vite compris que le mot n'évoquait plus rien en France. Il m'a donc fallu trouver un autre titre : il est devenu "blog féministe et anti-spéciste". Il y a onze ans, les notions de spécisme et d'antispécisme n'étaient pas très connues non plus, mais c'était "moins pire" que la notion d'écoféminisme. Françoise d'Eaubonne et ses idées étaient bien oubliées, et même longtemps avant son décès en 2005.

Onze ans après la naissance de mon blog, nous y voilà ! Une biographie, la réédition de plusieurs de ses ouvrages écoféministes, et les femmes politiques qui se réclament des idées de Françoise d'Eaubonne, mais souvent en les déformant à la sauce "woke" et "décoloniale", ou en mode "sorcière", figure devenue pop, mais oublieuse du fait que les sorcières étaient des femmes qui ont été supprimées, éradiquées férocement, parce que femmes et qu'elles dérangeaient l'ordre social patriarcal et clérical. Les pratiques de "sorcellerie" n'étaient qu'un prétexte du clergé. L'histoire et les statistiques de cette épuration restent à écrire et à établir. Le féminisme ou la mort, ouvrage fondateur de l'écoféminisme, a été republié en 2020, mais hélas corrigé par un aggiornamento, une préface woke et décoloniale, une vraie mauvaise action. Jugez-en : "l'écoféminisme et la blanchité SIC de son histoire" ; Le féminisme ou la mort serait "problématique parce qu'il ignore la colonisation, donnée fondamentale" et qu'on y trouve des expressions comme "arriération économique et culturelle" ; est même invoquée une "histoire coloniale de la pilule" ! Vous pouvez constater tout cela en allant lire cette préface sur la page Amazon de l'ouvrage, en feuilletant le livre, puisque ce service est proposé. C'est hallucinant. Pauvre Françoise d'Eaubonne. 

Se passer de l'intelligence de la moitié la plus intelligente de la population c'est se condamner à l'arriération et au sous-développement. Une habitude masculine.

Avec la reprise en main de l'Afghanistan par les Talibans qui vont faire le pays retourner 1700 ans en arrière (mais avec des smartphones quand même !), c'est un retour en arrière que les femmes, surtout, vont subir de plein fouet par la perte de leur autonomie économique, car ils sont en train de leur interdire de travailler pour les forcer à se marier et produire des enfants, -bizarre on n'entend pas trop les décoloniales sur le sujet. Il n'est pas exagéré de dire que vouloir se passer de l'intelligence de la moitié la plus intelligente et la plus calme de l'espèce humaine, c'est se condamner à "l'arriération et au sous-développement" et que c'est une habitude masculine universelle. On peut toujours compter sur eux pour de fantastiques bons en arrière. Ce serait raciste de le dire ? Ce n'est plus possible de dénoncer la mainmise viriarcale universelle sur les femmes ? 

Donc rappelons qui est Françoise d'Eaubonne : née en 1920, donc la plus âgée des cofondatrices du MLF, cadette et amie de Simone de Beauvoir (née en 1908), universaliste, matérialiste, de formation marxiste, car militante quelques années au PCF où elle a été politiquement formée, elle fait émerger une conscience écologiste dans les années 70, fait la première le lien de l'exploitation des ressources terrestres avec l'exploitation des femmes : le slogan un peu simplificateur "on se sert on jette" de Sandrine Rousseau pour la Primaire écologiste. Elle est en plus dans la mouvance néo-malthusienne. C'est quoi le néo-malthusianisme ? Pas grand-chose à voir avec le malthusianisme, théorie nommée d'après l'économiste Malthus, et ce n'est pas accessoire, curé anglican, donc patriarcal, analyste des rapports entre population et production. En gros, on fait trop d'enfants (les femmes, air connu, font seules les enfants) pas vraiment une critique des grands livres et des injonctions du Patriarcat. Le néo-malthusianisme, au contraire, est une épistémologie féministe (une critique) du fait que les femmes sont tellement assujetties à la maternité, que certaines passaient leur vie enceintes et que cela avait un impact lourd sur leur santé. Le mouvement, qui comprend des femmes, commence au tout début du siècle dernier et est arrêté, devinez ? mais par la Grande Guerre, cette saignée de jeunes hommes envoyés mourir dans une guerre pour rien, puisque les mêmes remettront ça 20 ans plus tard. Donc, les filles, faites des enfants c'est un ordre : il nous faut de la chair à canon pour la prochaine. Et de la chair à usines pour fabriquer des sous-marins nucléaires et des Kalachnikov pour que les mecs puissent se dézinguer entre eux. 

La pauvre Françoise se retournerait dans sa tombe en lisant le texte de la préface de la réédition de son Féminisme ou la mort. Reprises par opportunisme politique, parce que ses idées sont d'actualité dans un milieu politique qui n'a plus d'idées, mais reprises gauchies, tordues, pour servir les propos du féminisme réformiste, des décoloniales et du wokisme, il va de soi que c'est un mauvais coup. 

Le matérialisme universaliste du MLF des seventies a évolué en la défense des mères (je ne dis pas qu'il ne faut pas les défendre, mais les défendre sans mettre en garde, sans prophylaxie, ça ressemble à une adhésion indiscutée aux injonctions patriarcales, ce que rejetait précisément le MLF), évacuées les féministes no kid, on ne parle plus que de femmes battues, des femmes appauvries dans la domesticité avec la nouveauté qu'elles élèvent désormais leurs enfants seules, la guerre livrée pour avoir "la garde" qui est en réalité la charge des enfants lors des divorces, la libération économique (partielle) des femmes est passée par là, la maternité brille au zénith, il n'y a qu'à voir les émissions hagiographiques sur la télé de service public, et que plus personne ne dénonce cette impérieuse injonction patriarcale, même les couples gays totalement normalisés la revendiquent, quitte à louer des ventres de femmes pour se perpétuer. Ce qui met une fois de plus en péril la santé et l'autonomie des femmes. Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin, Christine Delphy (muette sur le mariage et la PMA), Christiane Rochefort, Marie-Jo Bonnet (et sa Maternité symbolique)... toutes sont plus que méfiantes et s'abstiendront. Curieusement Françoise d'Eaubonne elle, a plusieurs enfants. 

Misère de misère : en plus le débat actuel est pollué par les envoilées et leur entrisme, elles utilisent même, en les détournant, les slogans des combats collectifs du MLF pour imposer dans l'espace public leur vêture et leur adhésion à un vieux symbole patriarcal en lui donnant, miracle, un coup de jeune. Les religions, tellement accusées d'asservir les femmes après les avoir vilipendées et diffamées, dans Le féminisme ou la mort, font leur retour, sans critique des "néoféministes". Et, effet du libéralisme ravageur de l'époque, tous les choix se vaudraient, auraient la même "valence" selon le mot de Françoise Héritier, du moment qu'ils sont individuels et librement consentis. Oubliée la lutte collective des femmes, évacué le conditionnement social par la famille et le groupe, non mentionné le conflit de loyauté, niée la pression des hommes qui n'oublient jamais leur intérêt qui est la limitation des femmes et de leurs mouvements, la négation de leur qualité d'êtres humains entières sans avoir besoin de tutorat ou de mentorat. Retour à la domesticité "par choix". Si jamais vous insinuez qu'il pourrait en plus y avoir quelques activistes dans le lot, alors là vous êtes carrément ostracisée, effacée, taxée de racisme et de laïcarde intolérante. 

Pour conclure cet article prophylactique et de défense des idées de Françoise d'Eaubonne, je mets cette vidéo où Caroline Fourest qui, invitée sur LCI, remet la rationalité et l'universalisme de Françoise d'Eaubonne au centre, l'essentialisme n'ayant jamais été dans sa pensée, puisque certaines écoféministes, 50 ans plus tard, tentent de nous revendre cette vieille lune patriarcale de la complémentarité et de la spécialisation des sexes. Non, nos caractéristiques biologiques sexuelles ne nous spécialisent pas : l'espèce humaine n'est plus dans la nature mais dans la culture, on peut avoir un utérus et ne pas s'en servir, les femmes ne sont pas au service reproductif, sexuel ou domestique des hommes, cette classe sociale qui s'est proclamée au-dessus des autres ; pas plus que la terre n'est un vaste supermarché où se servir sans réserve, la réserve n'étant pas inépuisable. Il faut en finir aussi avec ce révisionnisme permanent où les idées de maintenant éclaireraient les idées d'hier, forcément obscures puisqu'aujourd'hui serait forcément plus éclairé qu'hier. C'est simpliste, et on aimerait bien que l'humanité avance, toujours plus éclairée, mais c'est oublier ses rechutes dans les cavernes de l'obscurantisme quand les circonstances deviennent menaçantes et que l'autoritarisme redevient séduisant. On sait aujourd'hui des choses qu'on ne savait pas hier, mais aujourd'hui peut aussi ignorer ou avoir oublié les idées progressistes d'hier, et demain nous aurons fait des prises de conscience qui annuleront ce qu'on pense éclairé aujourd'hui. Alors un peu d'humilité. Et bien se rappeler que les droits chèrement des femmes sont toujours vus comme secondaires, subsidiaires à la lutte contre le capitalisme (par l'extrême-gauche notamment) et toujours menacés au moindre coup de Trafalgar. La vigilance et la fermeté sur les principes s'imposent.  


Liens 

Féminisme et néo-malthusianisme sur l'Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe.

Sur mon blog : Le féminisme ou la mort 1 et 2 ; Illimitisme patriarcal et surpopulation ; L'appel des femmes du mouvement écologie-féminisme révolutionnaire publié dans les appendices d'Ecologie et féminisme réédité en 2018, et dans Charlie Hebdo en 1974 parce que les années 70, c'étaient les années de la prise de conscience populaire de l'écologie. Il semble que cela aussi ait été oublié. 

vendredi 17 septembre 2021

Et toujours ce fichu voile ! Par Nadia Geerts

Dans cet ouvrage que je viens de lire, la philosophe belge Nadia Geerts revient sous forme d'une mise à jour de son précédent ouvrage "Ce fichu voile", sur les évolutions de la loi concernant le voile islamique "signe convictionnel" d'une religion. " Le voile islamique est le b-a ba de la prédiction islamique", un "prescrit", l'obsession de l'Islam politique qui veut rendre l'Islam visible, dans les espaces publics, à l'école, dans l'enseignement supérieur, au parlement, dans le sport, qui prescrit même le voilement des fillettes, hypersexualisation que Nadia Geerts compare aux concours de mini miss interdits dans la plupart des pays européens, car l'enfance doit être préservée de la sexualisation ; elle compare les deux systèmes belge (monarchie constitutionnelle dont les rois sont catholiques, mais "neutre") et français (république laïque avec une loi séparant clairement les églises et l'état qui ne reconnaît aucun culte, le renvoyant au privé, à l'intime, en rappelant au passage que la loi de 1905 française combattait moins la religion que le pouvoir clérical tout-puissant à l'époque), en montrant une préférence pour le système républicain garant des libertés tout en interdisant dans ses enceintes républicaines tout signe religieux ostentatoire. L'école est un espace symbolique séparé de celui de la famille, de la mosquée ou de l'église, de la plage ou de la rue ; en entrant dans l'enceinte scolaire, l'enfant passe de l'autorité des parents à celle du corps enseignant, l'autorité parentale s'est toujours arrêtée à la porte de l'école, affirme Nadia Geerts.

L'autrice sépare clairement les deux sphères et réfute fermement les arguments des religieux : oui, le voile est un message explicitement sexuel, non on n'a pas à laisser les petites filles "faire comme maman", argument utilisé par les idiots utiles de l'Islam politique : les mêmes laisseraient-ils une fillette aller à l'école juchée sur des talons aiguilles, maquillée et apprêtée avec de la laque sur les ongles et du rouge à lèvres ? Les tenants du voile sont renvoyés à la bigoterie communautariste obsédée par la biologie, au fanatisme de la différence, promouvant de plus une image des hommes incapables de contrôler leurs "pulsions" sexuelles forcément bestiales !
 
La comparaison avec le fichu de nos grands-mères des années 60 ne tient pas, ce fichu servait à préserver du vent et du froid, pas plus que le voile des religieuses qui sont du clergé et ne prétendent pas exercer les métiers de policière, avocate, magistrate, banquière, footballeuse ou même caissière ; elles exerçaient majoritairement les métiers d'enseignantes ou soignantes parce que ce sont elles qui les ont inventés à destination des populations pauvres quand n'existait rien de comparable à nos écoles de maintenant, et s'il en reste quelques-unes pour les exercer encore, c'est dans un contexte séculier, en présentant les diplômes requis et en se conformant à leur dress code professionnel actuel.
 
Car toutes les professions ont un dress code : on ne va pas travailler à la banque en maillot de bain, mais le moniteur de natation oui, avec en plus un bonnet de bain, le/la commercial-e est en tailleur ou costume cravate comme le banquier, et l'avocat porte une robe noire comme toutes les professions magistrales, assortie d'un jabot blanc, tête nue, ou portant perruque chez les anglo-saxons, et ce n'est pas négociable comme l'a précisé une jurisprudence face à une avocate revendiquant de porter le voile dans le prétoire. Il n'y a donc aucune raison pour qu'il n'y ait pas un dress code à l'école aussi.
L'autrice rappelle que le voile porté en Occident rate le but pour lequel il est prescrit : la modestie, et effacer les femmes de l'espace public lorsqu'elles sont contraintes de sortir pour des déplacement courts et purement utilitaires dans les théocraties musulmanes ; ici au contraire, il attire immanquablement le regard et les signale aux passants comme le nez au milieu de la figure. Pour Nadia Geerts, le libre choix mis en avant par les libéraux pour justifier le port du voile (mon corps, mon choix, mon voile, en détournant d'ailleurs le slogan des féministes matérialistes universalistes et de leurs combats collectifs) est un détournement opportuniste libéral du tout se vaut puisqu'il serait un choix individuel, une idéologie McDo du "venez comme vous êtes", et l'expression "féministe musulmane" est une supercherie, un oxymore.
 
Ferme sur les principes démocratiques qui permettent de vivre ensemble sans opposer à l'autre nos croyances, Nadia Geerts rappelle opportunément que tout choix engage celle ou celui qui le fait et qu'il oblige forcément à certains renoncements. Revendiquer de ne pas enlever son voile et vouloir dans le même temps, dans des pays sécularisés, recevoir le même traitement en matière d'embauche et d'emploi, d'engagement dans des associations défendant les droits des femmes par exemple, pour ne citer que cela, relève de l'inconséquence et de l'irresponsabilité. Pour faire bonne mesure, et pour respecter l'égalité des sexes, l'autrice refuse, pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances, le port de la barbe islamiste arguant qu'en général elle est portée avec un qamis, et que l'ensemble permet qu'on ne confonde pas cette barbe avec celle des hipsters parfaitement reconnaissables eux aussi par une vêture générale qui est très différente d'une tenue islamiste.
 
Nadia Geerts plaide pour une interculturalité plutôt que pour la multiculturalité sans cesse revendiquée par les différentialistes / relativistes culturels.

Une ouvrage indispensable pour bien recadrer les débats actuels sur les signes communautaires. Nadia Geerts revendique fort l'universalisme et le droit à l'indifférence, dans et pour une société apaisée.

Et toujours ce fichu voile ! Nouvel argumentaire laïque féministe et antiraciste - Nadia Geerts - Préface de Caroline Fourest. Chez Luc Pire Editions. Nadia Geerts est agrégée de philosophie. 

samedi 28 août 2021

Miliciens

Ils sont descendus de leurs montagnes où ils ont macéré dans des grottes durant 20 ans, en 4X4 ou à mobylette, le RPG phallique bien en évidence, en adoration qu'ils sont devant leur bite qu'ils sont toujours en train de nous fiche sous le nez, en mode réel ou symbolique, pour bien montrer que ce sont toujours eux qui font la loi. Puissamment aidés par la corruption des élites claniques du pays et malgré les efforts des sponsors du "nation building" manifestement raté. La chappe de plomb virile, frustre, barbue, l'hirsutisme illustrant depuis toujours leurs vêtures et pratiques, va se refermer sur les femmes qui ont toutefois bénéficié de 20 ans de relative trêve, au moins dans les villes, où elles ont pu exercer tous leurs talents, de journalistes à policières, de roboticiennes à artistes, grâce à l'argent des ONG occidentales. Elles devront désormais s'ensevelir sous la burqa qui les rend invisibles dans l'espace public, ensevelissement qui a d'ailleurs commencé par leur effacement des vitrines, sous la férule des nouveaux maîtres de Kaboul. Les femmes sont destinées à être emmurées au gynécée, à la mort sociale, consacrées, enjointes à la reproduction de nouveaux miliciens du Patriarcat, garant de l'ordre antédiluvien du Néolithique. Leurs garçons sont dûment formatés et chapitrés dès le plus jeune âge à revenir vite et fort, leur "chier dans les bottes", du moins se retourner contre leurs génitrices, dès qu'ils auront, eux aussi, des poils partout. 

Les obscurantismes religieux sont tous d'inspiration mormone, ou en tous cas les Mormons en ont appliqué à la lettre les préceptes préhistoriques : on ne vit que pour se reproduire, quitte à forcer, et à avoir plusieurs femmes à la maison si on a les moyens de faire vivre tout le monde, au moins de manière sommaire. Inséminateurs ultimes, leur loi de fer ne tolère aucune divergence, aucun autre choix. Et ils s'attaquent aux femmes en raison de leur sexe, leur haine attisée par l'obligation de passer par notre sexe pour maintenir le cheptel de guerriers sacrifiables à leurs guerres permanentes, leurs antagonismes n'ayant d'égal que leur frustration et leur prosélytisme. Au moins la franchise précédente proposait-elle de desserrer l'étau en se choisissant un époux virtuel à condition de se retirer de la société, mais avec la possibilité de cultiver ses éventuels talents, en se mettant les pieds sous la table, à l'abri en communauté de femmes des vicissitudes de la vie sans l'asservissement du mariage avec un type réel. Mais en Islam du VIIème siècle, point de couvent, point d'autre destin que celui de la reproduction. Et comme si une seule plaie ne  suffisait pas, ils se font concurrence dans la violence abjecte (des attentats contre une maternité ou une école de filles ne les rebutent pas), un groupe plus nationaliste rustique, et l'autre plus cosmopolite et "connecté", mais avec toutefois les mêmes barbes, et surtout, les deux issus du même obscurantisme ignorant et totalitaire. Des "frères" irréductiblement ennemis, aux couteaux entre les dents. Je suis solidaire des femmes afghanes, prises dans la tenaille du totalitarisme meurtrier, niant l'altérité. 

Si la Nature nous en laisse le temps, nous prévaudrons. Il n'est pas possible d'être enterrées ainsi par tous les systèmes qui ont l'entropie au cœur. L'entropie les détruira, comme elle a détruit le nazisme, comme elle a détruit les expériences soviétique et khmère du communisme, et comme elle a détruit l'Etat islamique, laissant hélas quelques-uns encore capables de nuire et d'enflammer les brandons restants. 



Je reproduit ici deux fresques de Shamsia Hassani, street artiste afghane : cliquez pour voir plusieurs autres de ses fresques sur cet article Creapills ; sur ses comptes Twitter et Instagram (à chercher par mots clés, sa maison mère Facebook fermant le réseau au point que les liens hypertextes sont impossibles à maîtriser), à suivre pour la soutenir et montrer notre solidarité à toutes nos sœurs afghanes sous le joug viriarcal. C'est à peu près tout ce que nous pouvons faire, les arcanes de ce monde nous échappant largement. 

" Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n'ayant rien à soi et tenant d'un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?Etienne de la Boétie 

dimanche 8 août 2021

Les femmes aussi sont du voyage - L'émancipation par le départ

Cette semaine, j'ai lu ce livre sur prescription de Zoé Lucider qui en parle dans un de ses billets sur son blog.

Tout d'abord précisons que voyager, ce n'est pas faire du tourisme, ni non plus, être instagrammeuse et partager ses "bons plans" et destinations préférées, qui ne sont que consommation du monde et des paysages, au préalable façonnés pour que les touristes s'y sentent à peine dépaysés. Non, voyager, c'est partir loin, longtemps, affronter sa propre solitude et des contrées inconnues, répondre à l'appel du large. Rien de féminin donc, si l'on en croit les injonctions patriarcales gravées dans le marbre des récits épiques, du premier récit de voyage, sans doute d'abord tradition orale, que Homère coucha par écrit sous le titre de l'Odyssée : Ulysse parcourt le monde, affronte des épreuves, se fraie un chemin parmi les embûches, tandis que sa femme Pénélope l'attend patiemment au foyer, en tricotant. On voit le modèle auquel les grands voyageurs qui nous ont laissé leurs mémoires se conformeront : une femme au port, (ou une dans chaque port, pour eux ce n'est pas antinomique) où ils ne reviennent que pour recharger les accus pour mieux repartir en ayant mis enceinte leur femme. Un, cité dans l'ouvrage, ne sera que 5 mois à la maison en plusieurs dizaines d'années de mariage, mais réussira à faire 5 enfants à sa femme qui les élèvera seule ! Aussi les grandes voyageuses sont-elles transgressives : dressées comme toutes les filles à avoir peur, à craindre les embûches et le vaste monde peuplé de monstres, dressées à être défendues par leur mâle qu'elles doivent se trouver après avoir appris à se pomponner pour être fraîche et jolie ce que ne permet pas le campement même avec un sherpa, ni le désert à dos de chameau, harnachées de superpositions de jupes et de crinolines, il faut avoir un sacré quant à soi pour larguer les amarres, se travestir en revêtant un habit masculin pour nos plus anciennes exploratrices (Jeanne Barret), vaincre sa timidité et sa peur, réduire son baluchon à une robe de voyage (Nellie Bly), épouser un homme pour pouvoir disposer de sa propre fortune de femme riche (Alexandra David-Néel et quelques autres), et partir visiter l'Asie pendant 15 ans en ayant dit qu'on sera de retour au plus tard sous 6 mois (David-Néel encore). 

Alexandra David-Néel, premier européen à pénétrer à Lhassa au Tibet a proprement inversé le mythe d'Ulysse : elle avait un époux qui l'attendait au foyer, lui envoyait des mandats poste restante, en piochant dans l'argent de sa femme qui ne pouvait pas en disposer seule, on est avant 1907, moyennant qu'elle lui écrivait tous les jours une lettre où elle notait ses observations de voyage. A l'âge de 100 ans, elle est décédée à 101 ans, elle faisait encore une demande de renouvellement de passeport ! 

Mais les femmes ont toujours voyagé, note Lucie Azema, la plupart du temps à fond de cale en butin de guerre ou à dos de chameau, razziées, enlevées dans les colonies pour peupler de lointaines contrées, en étant violées par l'équipage durant le voyage. Elles voyageaient aussi sous statut de domestiques, cuisinières, interprètes, sans elles toute exploration eût été impossible, écrit Lucie Azema. Tout comme les esclaves ramenés d'Afrique voyageaient eux aussi sous les chaînes. Certains de ces oublié-es ont même laissé des récits de voyage. Vasco de Gama voyageait avec des condamnés à mort chargés d'aller au devant des "sauvages" afin de tester en préalable au débarquement leur hospitalité ! Intrépides et téméraires, dites-vous ?  C'est la raison pour laquelle, le colonial male gaze : le regard "universel" du mâle blanc domine largement les récits de voyage masculins. Celui de Pierre Loti, homosexuel refoulé, une femme dans chaque pays visité, mariée sous la contrainte, semant les enfants sur son passage, en extase devant la lascivité des femmes exotiques, leur passivité et leur obéissance à tous ses désirs -une se révolterait qu'il est bien incapable de voir quoi que ce soit, pénétré qu'il est de sa supériorité de mâle européen. L'Orient et l'Afrique femellisés, renvoyés à l'ordre de la nature, leurs hommes décrits comme frustres et sauvages. Le sommet pictural de ce colonial mal gaze est Le bain turc de Jean-Auguste Ingres peint au XIXème siècle sous Napoléon III. Celui de Stendhal, de Flaubert, de Gauguin qui sème lui la syphilis sur des filles mineures en Polynésie, mais qui les peint tellement bien ! Celui du créateur du mouvement de la Beat Generation Jack Kerouac, inventant le mouvement perpétuel sans ponctuation (Sur la  route, mythique !) dans ses récits de voyage, ne voyant que des "poupées", des "salopes" des "petites blondes" sans jamais de prénoms, les maltraitant lors de ses beuveries épiques, n'oubliant toutefois pas de demander en se plaignant à sa mère puis à sa tante de financer ses voyages sur leurs propres deniers à elles ! Comment se couvrir de gloire en parasitant et en diffamant dans le même mouvement les femmes : une sacrée habitude masculine ancrée. Curieusement les récits de voyage des femmes eux feront rapidement contrepoint. Etonnant, les femmes ne perçoivent pas les mêmes choses ! Plus empathiques, plus observatrices, moins "reines du Monde", élevées à être humbles, elles ? 

Autant les hommes sèment à tous vents des "bâtards" (c'est eux, toujours élégants, qui le disent ainsi) dans chaque port, autant les femmes elles perçoivent la grossesse et la maternité comme des freins, des boulets. D'ailleurs, souvent, elles choisissent le voyage pour échapper au mariage et ses contraintes. La voyageuse se fait ligaturer les trompes ou poser un stérilet dès que la technique médicale le lui permet. Les femmes elles, n'ont pas un mari au foyer pour s'occuper des enfants. Ce qu'on ne reproche pas aux hommes, laisser femme et enfants en plan pour répondre à un "appel irrésistible", on le reprochera aux femmes qui font de même. Un exemple parmi tant : Lucie Ceccaldi, aventurière de la génération hippie ; elle a le tort d'épouser et de partir avec l'Epoux, c'est ainsi qu'elle l'appelle dans ses récits de voyage, en 2CV en Afrique dans les années 60. Elle aura un fils qu'elle s'empressera de confier à sa mère : c'est ainsi que le petit Michel Houellebecq sera élevé en Algérie par sa grand-mère et écrira Les particules élémentaires où il accuse sa mère de tous les maux, puis Plateforme, roman sur le tourisme sexuel. Voyage émancipateur qu'on reproche avec véhémence à l'une, tourisme sexuel, aboutissement des récits de voyage masculins pour l'autre, ah ah.  

Formidable livre optimiste, écrit par une grande voyageuse elle-même, Lucie Azema nous propose un voyage dans l'histoire et dans la géographie, un plaidoyer émancipateur pour le voyage et la flânerie, une mine de citations érudites, et de noms de grandes voyageuses pionnières ou plus modestes, mais toutes passionnantes. Etre soi, être bien en tête à tête avec soi-même, ne pas craindre la solitude ni le danger (pour quelques-unes, il rôde plus sûrement dans leur cuisine ou leur salon !), oser revendiquer le vaste monde, flâner, " J'ETAIS MOI écrit Simone de Beauvoir, grande crapahuteuse, à pied, à vélo apprenant à changer un boyau, en train, voyageant généralement seule, un peu avec Sartre -j'ai relu après de longues années cet été La force de l'âge- flânant dans Paris, étudiant et écrivant à une table du café Le Flore, vivant à l'hôtel, dans des meublés, ou chez l'habitant, ne craignant rien, frénétique de mouvement, affirmant son existentialisme, vivant sa vie d'être libre, accomplissant son destin. Fabuleuse Simone de Beauvoir. 

Et tant d'autres : 

Jeanne Barret (exploratrice marin travestie en homme, violée par l'équipage quand elle fut découverte, les hommes ces éternels dresseurs, homosexuels refoulés, car violer une femme en réunion ce n'est pas de l'hétérosexualité)

Agatha Christie

Isabelle Eberhardt

Ella Maillart

Annemarie Swarzenbach

Odette Du Puigaudeau

Anita Conti

Jane Dieulafoy

Flora Tristan

Gloria Steinheim

Sarah Marquis

Nellie Bly

Alexandra David-Néel

Mary Seacole

Karen Blixen

L'ouvrage de Lucie Azema est agrémenté d'une somptueuse bibliographie dans laquelle on peut piocher pour se faire une culture sur le voyage, écrivain-es voyageuses/eurs, aussi bien femmes qu'hommes. Pour ma part, je retiens : Les grandes aventurières de Françoise d'Eaubonne, Ada Blackjack, survivante de l'Arctique par Jennifer Niven non traduit de l'anglais, la bande dessinée Groenland Manhattan (un enfant Eskimo ramené comme souvenir de voyage) par Chloé Cruchaudet, Ecrits sur le sable par Isabelle Eberhardt, Les travesties de l'histoire par Hélène Soumet, avec parmi elles des voyageuses, L'Innocente par Lucie Ceccaldi, et pour rire enfin, de Mathias Debureaux, De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages

D'autre part, j'ai chroniqué ici même une BD sur Nellie Bly, grande reporter et journaliste d'investigation. 

" Voyager, pour une femme, c'est une mise à feu -de toutes les interdictions, de toutes les injonctions. C'est dire : 'Je veux aller là-bas, et vouloir me suffit, personne ne m'en empêchera'. La liberté ne se demande pas poliment, elle se prend. " Lucie Azema.

Lien : Flammarion éditeur

vendredi 16 juillet 2021

Zone SCM

Je vis comme toutes les femmes, même si ça n'arrive pas toujours à leur conscience, dans une zone SCM (Sale Cons de Mecs) ; je me déplace dans des zones SCM, zones industrielles, ZUP, campagnes, exemple le Centre Bretagne et son exposition L'Art dans les Chapelles dont les oeuvres sonores sont à chaque fois ravagées par un mec qui un besoin irrépressible de faire des travaux dans sa grange ou de tondre sa pelouse situées juste à côté, le fin fond de la campagne n'existant plus, bien sûr personne ne leur dit jamais rien, surtout pas les filles qui reçoivent dans les chapelles, très tolérantes à l'outrecuidance masculine, et les mecs, quand il y en a, sont solidaires de la toxicité bruyante masculine, solidarité de classe je suppose... Les zones SCM sont partout. 

Hier, j'ai eu besoin de sortir en voiture de mon parking souterrain qui malheureusement débouche sur une ruelle où sévissent des travaux de raccordement d'un nouveau logement en construction : non seulement ils bétonnent le moindre jardin à hérisson, mais il faut en plus faire passer des tuyaux, donc travaux de creusement et de terrassement dans mon allée de sortie. Je vous décris la situation : deux mecs, un dans un tractopelle, l'autre dans un camion à côté ramassent l'un les gravats provenant de la destruction du bitume, l'autre pianote sur son smartphone dans son camion le temps que sa benne se remplisse, tandis que trois autres gars regardent les deux autres travailler. J'arrive derrière le chantier avec ma petite voiture, et j'attends disons une minute, d'autant que les trois mecs les mains dans les poches me voient. Au bout d'une minute je fais un appel de phares. RIEN. Alors là j'ai deux solutions : "attendre que ça se fasse" comme disant mes voisines en soupirant et prenant leur mal en patience, cas le plus courant, ou sortir de ma voiture et aller leur décrire oralement la situation pourtant claire visuellement. N'ayant pas à ménager la Firme, et n'étant pas plombée par un irréfragable syndrome de Stockholm, je choisis la seconde et longe dans un boucan infernal en risquant ma vie, le camion qui reçoit les charges du tractopelle et j'arrive droit sur les mecs en précisant que "je veux sortir, que je n'ai pas la matinée, qu'il n'y a que les bonhommes pour se sentir ainsi dans leur droit à suroccuper l'espace public", SIC. 

Réponse du chef, pardon, du Chef des oisifs : "j'ai un arrêté municipal d'occupation et je peux bloquer la rue si je veux". L'outrecuidance des hommes qui se croient en droit de sortir leur bite en tous lieux, bite réelle ou symbolique comme dans ce cas. Pas un mot d'excuse, rien. J'ai tort parce que femelle, lui a raison parce que mâle. M'étonne pas dans cette ville de mâles où les femmes sont malmenées et abreuvées de mépris, je réponds aussi sec. Immédiatement, (piqué ? sait-on jamais ? personne ne lui a jamais parlé comme ça ?) il fait un signe au chauffeur de camion et les deux engins dégagent promptement les lieux sans demander leur reste. Ce qui prouve que ce qu'il vient de m'asséner est faux, est juste de la mâle-traitance. Il doit me laisser passer, c'est écrit dans son arrêté municipal. 

J'ai apprécié la sobriété du geste, les hommes c'est tout en concision, en brièveté, en sécheresse : un signe de tête et deux engins de travaux publics décanillent, un geste du pouce et deux types sont transpercés de flèches ou poignardés, un geste vers l'oreille et le tableau à 10 millions de dollars est à eux, ils se mettent les pieds sous la table et la soupe arrive immédiatement. Efficacité. C'est d'ailleurs leur seule efficacité, pour le reste, il convient de couper les cheveux en 16, de décrire des process imbitables et inapplicables en hachant menu, de faire la guerre pendant 20 ans et 100 000 morts, pour se retirer piteusement en laissant la place à l'ennemi en prétextant qu'ils ont assez dépensé l'argent du contribuable comme ça !  

Deuxième illustration : il se trouve que les mômes du quartier envahissent squares et rues piétonnes vers 17H ou 18 H jusqu'à pas d'heure les soirs où il fait beau. Les manmans surveillent, je suppose, de leur cuisine leurs gars qui tapent dans des ballons, jouant au foot dans les passages communs, les interdisant ipso facto aux autres ; évidemment tous les jeux de ballons ne se valent pas, les plages horaires non plus, occupées selon une organisation mystérieuse (pour moi en tous cas). Les filles sortent en premier, une demi-heure à tout casser, chahutent, parlent, profitent des jeux disposés dans le lieu, les gars les remplacent ensuite avec des "ballons durs", et tapent en faisant un maximum de bruit, tant que ça finit par casser la tête. Dans la première tranche vous passez, dans la seconde vous évitez en faisant un détour. "Stratégie d'évitement"  ça s'appelle. Le tout dans une passivité ménagère que je ne m'explique pas. Aucune conscience de classe. Pas une once de culture politique. Il se trouve qu'il y a une quinzaine, j'ai eu besoin de traverser, et que j'ai pris le chemin le plus droit, traverser l'endroit en diagonale. Devinez ? Un garçon (10 ans maximum, même si j'ai du mal à donner un âge aux mômes) est venu tourner autour de moi sur son vélo en faisant des roues arrière. Bof, ai-je dit, pas terrible ça ! Il m'a traitée de raciste, a appelé ses acolytes mâles à la rescousse, dont une partie m'a escortée avec un ton mal sonnant, même si je n'ai rien compris à ce qu'ils se disaient, les autres jouant sans se déranger tandis que je passais. Délicatesse, courtoisie, comportements d'enfants rois qui donnent des leçons aux adultes, surtout aux femmes d'ailleurs, sommées de rentrer dans leurs cuisines, laissant ainsi la place aux mâles. J'ai l'habitude ici de donner l'explication de la fabrication sociale de cette déviance qu'est la virilité, mais franchement, je me demande si chez eux, la goujaterie, l'outrecuidance, ne sont pas ontologiques, dues à un chromosome qui foire salement. C'et évident, ils sont rebelles à toute empathie ou forme de sociabilité. 

Le monde est leur vaste terrain de jeux, une immense zone SCM : ils en ont bien profité, ils ont extrait à coups de pelles, puis de foreuses de plus en plus puissantes, de plus en plus profond, des minéraux rares ou pas rares d'ailleurs comme le nickel dont il ne reste plus rien, ils ont tué tout ce qui bouge et n'appartient pas à leur désastreuse espèce / classe sociale, ils ont asséché des fleuves aussi puissants que le Colorado ou le Nil, des mers comme la mer d'Aral, ils ont mis le feu à des forêts et brûlé l'Amazonie, ils ont pollué partout, océans, montagnes les plus hautes et les plus inaccessibles, les lacs les plus profonds, les déserts les plus féroces, mais rien n'égale leur férocité ; ils ont même salopé l'espace où les millions de débris de leurs stations orbitales ou satellites tournent indéfiniment en dégradant leur orbite. Ils ont peuplé tous les coins du monde, même les plus hostiles, à un point inimaginable en domestiquant les femmes à leur service sexuel, reproductif et ménager. Pour l'instant ils ont encore du mal à réaliser qu'ils ont salopé le climat donc notre biotope à telle aune que leur irresponsabilité est en train de leur faire un backfire dans la figure, mais le progrès teknik va leur permettre de tirer leur épingle du jeu. Croient-ils. On verra bien, pour le moment leurs affaires se présentent mal. 


J'avais relaté sur un autre réseau social mes tribulations avec une voisine, en pleine affaire de Mérignac où un terrible féminicide s'était produit, les sanglots d'une locataire et les engueulades interminables par son Valentin devant la porte de mon appartement ce qui m'avait fait craindre le pire, mon intervention auprès de l'association qui la loge en tant que "jeune adulte en précarité", en majorité des filles et femmes, souvent lorgnées par des garçons proxénètes qui flairent la femme affaiblie par toutes sortes de circonstances provoquées en général. A l'occasion, je la voyais passer voilée, genre fashionista, mais voilée tout de même. Je m'étais même confrontée en sa présence avec le maltraitant qui m'avait accusée de racisme aussi, décidément le nouvel argument quand on n'en a plus. Désormais, je ne vois plus le Valentin en question, ni son scooter garé dans l'entrée (décidément, tout leur est permis), mais je vois passer la locataire, désormais habillée en jeune active citadine, guillerette et souriante, totalement détendue. Il semble que la détermination, la fermeté sur les principes, la réassurance des femmes en leur potentiel et autonomie soient payants. C'est une bonne nouvelle. Et c'est facile à appliquer, aussi on se demande pourquoi s'en priver ? Si je rapporte la situation, c'est parce que je pense qu'il n'est plus temps d'être timorée devant leurs comportements destructeurs et avilissants. 

mardi 29 juin 2021

Je suis le prix de votre liberté : mémoires d'une jeune fille de 17 ans

 

Ecrire seule (elle n'a pas de cosignataire) un livre de mémoires à 17 ans, c'est possible quand on a beaucoup et intensément vécu, et que le vécu se résume à l'horreur d'être mise à l'écart de la société et d'une vie normale par un magma indifférencié et anonyme ou se croyant tel, de harceleurs agissant en troupeau. Mila était, avant de devenir l'ennemie d'obscurantistes décérébrés, une jeune tiktokeuse et instagrammeuse publiant ses films de transformation et de maquillage auprès de sa communauté réduite à quelques centaines ou milliers d'abonné-es. Elle n'était pas sur Twitter et c'est pourtant Twitter qui va lui apporter la haine et la notoriété. Ce réseau de mises à jour permet à la fois le meilleur (faire de l'activisme avec succès en agrégeant des militant-es pour promouvoir une idée ou une cause, informer) et le pire, ostraciser et menacer de mort en meute. La haine des femmes et du sexe (minoritaire dans ce cas) fait le reste. 97 % des harceleurs sont des hommes et ils harcèlent des femmes. Identitaires, extrême-droite, virilistes tremblant de perdre leur derniers privilèges indus face à la montée du féminisme, hétéros normopathes, religiosité en écharpe, haineux des corps et du sexe des femmes, chassant celles qui mettent en avant une différence, ils opposent au sujet Mila une meute, magma informe et non identifié, leurs propositions obscènes, puis devant son refus catégorique, leurs injonctions, anathèmes et finalement leurs menaces de mort. Mila, devant le sérieux de la menace, se demande même si elle sera vivante au moment où son livre paraîtra. 

Fine analyse sur la façon dont fonctionnent les réseaux sociaux et leurs algorithmes, du comportement de sa génération abreuvée aux écrans et à l'instantanéité, mais génération sans références, sans capacités d'analyse, de mise à distance et de recul, le livre de Mila est aussi un appel à résister. Je suis le prix de votre liberté. Il n'y a pas à ergoter ni à chipoter, Mila est la cible de totalitaires, de malfaisants acculturés à une idéologie mortifère ou juste inconscients du mal qu'ils font, qui veulent nous imposer leurs diktats, nous faire taire, nous museler, nous faire "fermer nos gueules" comme dit Nadia Daam dans le documentaire #SalePute diffusé sur Arte. Il n'y a aucune analogie à faire entre critiquer ou même insulter une idée, une entité abstraite dont l'existence pas plus que la non existence n'est prouvable par des moyens rationnels, et insulter des personnes réelles, des individus pour leurs croyances. Les personnes sont réelles, elles souffrent de l'insulte et de l'anathème. Mila en témoigne. Et elle n'a jamais franchi la ligne. "Si vous croyez au combat sans cesse renouvelé pour nos vies libres, lisez ce livre". Je cite et souscris à la dernière phrase de quatrième de couverture de l'ouvrage. 


#SalePute, le documentaire des journalistes belges Myriam Leroy et Florence Hainaut diffusé sur ARTE et toujours en libre accès sur leur site ainsi que sur Youtube creuse la question en faisant témoigner des cyber-influenceuses, des blogueuses, une vidéaste sur Twitch, et des journalistes qui ont dû fermer leurs comptes sociaux à la suite de plusieurs mois de cyberharcèlement, ou se sont vu supprimer leurs émissions à la radio (Lauren Bastide sur France Inter ; elle a fermé aussi un compte de 60 000 abonnées sur Twitter). Nadia Daam a subi une campagne haineuse de plusieurs mois avec menaces de mort sur elle et sa fille. Natascha Kampusch, rescapée survivante d'un rapt en Autriche par un homme qui l'a séquestrée pendant 8 ans est aussi interviewée, avec des féministes allemandes. Le cas Mila n'y est pas abordé, je ne sais pas si c'est pour non concordance de délais de tournage ou si c'est pour ostracisation de Mila par les féministes intersectionnelles politiques, ce que sont presque toutes les femmes témoins du documentaire, qu'il faut voir de toutes façons. L'inextinguible haine masculine pour les femmes a indubitablement trouvé dans les médias sociaux une façon de se renouveler. 

Lauren Bastide a publié sur Instagram un article "Pourquoi je ne soutiens pas Mila" où elle expose ses arguments dont le discutable "Mila est irrespectueuse des musulmans de France" ou comment instrumentaliser les "musulmans", les assigner à une case "offensés" dans laquelle ils ne se reconnaissent pas tous, bref les bons sentiments classistes et relativistes habituels : puisqu'Instagram est un réseau filiale de Facebook donc totalement fermé, déroulez le fil Twitter avec captures d'écrans de Hadrien Mathoux journaliste à Marianne, et un article-réponse du même Marianne sur le non soutien de Lauren Bastide à Mila et la réfutation de ses arguments. Le problème c'est que les accusés au procès des harceleurs de Mila n'ont pas de profil type religieux ou social, ils (10 hommes, 3 femmes) sont étudiants en psychologie, un se dit athée, un est cuisinier passionné d'astrophysique. Evidemment ce n'est qu'un échantillon dans les centaines de milliers de messages haineux reçus. Il y a donc instrumentalisation d'un groupe social pour justifier une reculade ; il y aurait les bonnes harcelées, femmes influentes, journalistes, femmes désirant se faire connaître et promouvoir leur carrière (je n'ai RIEN contre bien entendu) et l'adolescente lycéenne "grossière" qui s'énerve devant des propositions indécentes de se faire mettre des "coups de bite" pour changer d'orientation sexuelle et de façon de penser. Elle a besoin d'un bon sermon en somme, et tout le monde, ses harceleurs et les féministes intersectionnelles seraient d'accord sur ce point ?

Moi je suis solidaire de Mila et de Lauren Bastide dont je ne suis pas forcément toutes les idées intersectionnelles et dont je n'ai pas apprécié sa postface intersectionnelle aussi à la réédition du SCUM Manifesto chez 1001 nuits, de Nadia Daam, dont je vois de loin en loin les chroniques sur 28 minutes, et de toutes les autres qui témoignent dans le documentaire #SalePute. Par solidarité féministe avec les femmes, puissantes ou non, adultes, professionnelles, faisant carrière, ou lycéennes. Les masculinistes, les virilistes toxiques porteurs de la plus vieille haine anté-historique qu'est la haine des femmes sont nos ennemis à toutes. Les doctrines religieuses sont par essence patriarcales car elles ont été inventées contre les femmes pour les contrôler socialement et les asservir à leur reproduction et leur service domestique. Pour moi, il n'y a là aucune ambiguïté, pas de conflit de loyauté, pas de connivence possible avec l'extrême-gauche qui a toujours subordonné les luttes de femmes pour leur auto-détermination à celle des "damnés de la Terre", c'est une plaie historique du féminisme, hélas. Céder à la pusillanimité, c'est être molle du genou, c'est ne pas être ferme sur les principes, c'est s'exposer à rendre les armes pour des picaillons. Pas de compromis. Pas plus envers l'extrême-droite dont on sait ce qu'elle pense des femmes, ce qu'elle ferait de leurs droits chèrement acquis, et qui soutiendrait Mila, prétexte utilisé pour que la gauche ne la soutienne pas, excuse commode et clivante. 

Les deux réalisatrices du documentaire #SalePute n'ont pas souhaité participer non plus à cette émission de France-Culture sur l'affaire Mila et le cyber-harcèlement, misogynie, technologie, laïcité, qui m'a été signalée par une de mes abonnées Twitter, qui analyse assez bien la situation : raison invoquée, Mila serait soutenue pas l'extrême-droite ! C'est vraiment sympa pour nous de ne pas voir une fois de plus les nombreuses féministes universalistes qui soutiennent Mila. 

Je souhaite le meilleur à Mila et je suis fière d'elle ; je pense qu'elle a un fort potentiel artistique et de performeuse, elle est créative et a du charisme, c'est à dire qu'elle sait fédérer des gens autour d'elle ; ce qu'elle appelle sa déscolarisation, alors que bien sûr elle suit des cours par correspondance, son isolement, l'abandon par une partie de l'opinion publique, sont évidemment des épreuves, mais on n'apprend pas la vie dans une école, même si c'est un raccourci pour faire des pas de géante. Elle est très jeune et elle a le soutien et la solidarité d'une bonne famille. Elle apprend en ce moment à s'exprimer sur des plateaux de télévision et quand on ne lui tend pas de pièges, mais elle apprend vite, son discours est réfléchi et pondéré, sa pensée est structurée, elle réfléchit avant de parler, et n'hésite pas à ponctuer ses réponses de silences. A 18 ans ! Elle a déjà écrit un livre de mémoires. Lesquels de ses attaquants ont fait le quart de ce qu'elle a accompli ? 

vendredi 18 juin 2021

Malaise dans l'éducation des garçons

Il y a une quinzaine, j'ai vu Les Héritières, un bon téléfilm sur ARTE porté par d'excellentes actrices dont Tracy Gotoas dans le rôle principal. Douée en classe, Sanou, 15 ans, qui a grandi dans le 93, est sélectionnée pour faire une prépa avant d'intégrer le prestigieux lycée Henri IV à Paris. Le principal problème de Sanou, c'est sa famille et ce que celle-ci attend d'elle. Elle est enfermée dans un conflit de loyauté entre son milieu social d'origine, sa mère, son redoutable père et le service dû obligatoirement, puisqu'elle est une fille, à ses petits frères. C'est proprement infernal, on souffre tout du long pour elle. Sa mère, elle-même en conflit de loyauté avec son mari peine à défendre sa fille. Devoir travailler sans lieu à soi, sans bureau au calme dans une famille nombreuse, être "autorisée" à aller à Paris en train à condition toutefois de revenir chercher ponctuellement un petit frère à l'école quand sa mère travaille, tout cela pèse sur les efforts à accomplir et sur les résultats. Imagine-t-on une seconde une telle charge peser sur un garçon dans la même situation ? Au contraire, ses sœurs, mère... ne seraient-elles pas convoquées en soutien pour le porter vers le succès ? Pourquoi les parents qui mettent au monde des enfants -rappelons que depuis plus de 50 ans la contraception est libre dans ce pays- veulent ensuite que LEURS FILLES les aident dans leurs missions d'élevage, sauf à vouloir les brimer et les limiter ? 

Il ne s'agit pas bien entendu de décourager la serviabilité et la solidarité dans les liens familiaux, mais il faut tout de même reconnaître que ce sont les femmes et filles qui y sont le plus souvent, voire toujours mises à contribution. 

Dans le même ordre d'idée, puisque décidément les séries décrivent bien les assignations à rôles sociaux dans nos sociétés, la minisérie sur l'affaire Skripal (The Salisbury poisonings sur la BBC) survenue en 2018, raconte en 4 épisodes, et en mode quasi documentaire, avec les vrais héros du quotidien interprétés par des acteurs, toute l'affaire, son déroulé et sa fin. L'héroïne de la série est Tracy Daszciewicz, cheffe de la santé publique du comté de Salisbury, en charge de dizaines de milliers d'habitants. La personne réelle qu'est Tracy va le vivre comme une épreuve personnelle ; elle est mobilisée 24/7 pendant plusieurs semaines, le poison neurologique utilisé étant un puissant toxique neurologique qui a été disséminé sans savoir où et il provoque la mort. Devinez ce qu'il advient ? Son fils de 12 ans (environ) va lui faire une guerre sans merci parce qu'elle n'est plus à la maison pour lui servir son petit déjeuner, ni le soir pour surveiller ses devoirs. Trahison suprême. Si c'avait été le père (qui dans la vie est un psychologue !) on lui aurait expliqué que c'était un héros et qu'il sauvait la vie de milliers de gens. Mais c'est la mère, alors pas question. Elle a plus que du mal à remettre son fils unique en place, et à lui expliquer ce qu'elle fait, le garçon est d'une mauvaise foi totale, le père absent fait la gueule aussi, il y a même une scène où elle s'excuse en pleurant de travailler au bien public ! J'en aurais lacéré l'écran. Les hommes font carrière sans se poser de questions, la soupe est prête, les gosses ont fait leurs devoirs, sont lavés, couchés, mais les femmes sont prises dans d'inextricables conflits de loyauté avec toute la Famillllllia, surtout avec les hommes (maris, fils, pères..) d'ailleurs ! Et c'est le bruit de fond émis en permanence par la société. On leur doit des services. Eux, en contrepartie, ne nous doivent que des sévices. 

On reproche sans arrêt aux mères de ne pas avoir d'autorité, d'élever des enfants sans père, mais j'ai bien peur qu'elles n'y peuvent pas grand chose. Leurs garçons leur échappent plusieurs heures par jour : à la maternelle ou chez la nounou, puis à l'école, au collège, lycée, clubs de sports, tous ces endroits où on s'entend à les dresser contre les femmes, contre les "fiottes", à en faire de vrais durs, où on les acculture au manque d'empathie, où on flatte leurs mauvaises actions et incivilités, leur cossardise, la société adorant définitivement les bad boys. Toute la culture populaire en témoigne. 

La féminité c'est l'impuissance, la maternité aussi. Les mères sont alternativement portées au pinacle, puis bafouées en permanence : accusées de tous les maux, de défaillances, tenues incapables de nommer le problème puisque accusées d'avoir failli ; ce sont des "enfants qui tuent nos filles" entend-on. Comment dans ces conditions avoir la moindre autorité puisque l'image qu'elles renvoient c'est celle de la personne corvéable et diffamable en toutes circonstances, mais dignes. Digne dans ce cas voulant dire ne disant pas un mot plus haut que l'autre contre le système patriarcal ! Le piège est parfait. Comment s'y retrouver en étant malmenées ainsi ? Comment acquérir une assertivité, se défendre ? Pour acquérir une culture politique, il faut du temps à soi, l'immense majorité des femmes et mères n'a ni l'une ni l'autre. D'autant que c'est épuisant en plus. Et ça fait système. Epuisées, elles se débarrassent de leurs jeunes gars infernaux dans les espaces publics où ils tapent dans des ballons tandis qu'elles et leur filles préparent le repas. C'est plus simple que de négocier chaque service demandé. Pendant ce temps-là ils leur fichent la paix. Et il vaut mieux ne pas avoir besoin de traverser ! Il y a une semaine, sans réfléchir, j'ai dû aller d'un point A à un point B, le plus court chemin étant la place où ils jouent, j'ai traversé ; mal m'en a pris. Un garçon, 10 ans à tout casser, est venu faire des roues arrière sur son vélo de minus autour de moi. Je lui ai dit "pas terrible, ça" sans m'arrêter : j'ai été traitée de raciste par un môme de 10 ans totalement hors sujet ! Il m'a suivie en proférant des phrases auxquelles je n'ai rien compris, mais le sous-texte était bien clair : "ce n'est pas ici ta place". La place est à nous les garçons, et la tienne est à la cuisine. 

Une autre expérience qui m'est arrivée antérieurement : des mecs arrogants plus âgés occupent une rue à plusieurs avec jeux de ballons à chaque extrémité, je le leur fais remarquer. N'ayant pas de conflits de loyauté avec les hommes, ni d'intérêts dans La Firme d'ailleurs, je l'ouvre haut et fort, autant en profiter, c'est un avantage. Je leur rappelle donc que c'est un espace public où tout le monde passe, donc qu'ils n'ont pas à le privatiser. Réponse du Philistin (et ça prétend avoir un niveau en plus) : "puisque c'est à tout le monde, on a LE DROIT d'y jouer au ballon !" Bitocentré, tous les droits, de droit divin. Incurables. Notez qu'il n'y a pas grand monde pour les arrêter eux et leur morgue de saigneurs de la Terre : ce ne serait pas difficile d'interdire les jeux de ballons durs en plantant un panneau sur le lieu, et d'être ferme sur les principes. Mais quand on vit dans une ville où les investissements se font à perte sur les garcons (ce n'est pas une faute d'orthographe, c'est voulu, GARCONS) en skate parcs, terrains de foot, pistes bitumées où ils peuvent faire des rodéos et des roues arrière tout leur saoul -mais là c'est un acte manqué de la Maire tellement elle ne voit plus leurs privilèges indus auxquels elles abonde même-, pissotières où ils peuvent la sortir en public ce qui est interdit par la loi (mais what the fuck, franchement ?) tandis que les femmes peuvent faire des cystites, les incivilités masculines incontestablement majoritaires sont niées. Des mecs se tuent-ils entre eux (bon débarras !) à Villejean, à Maurepas, à Cleunay pour des places au marché de la drogue, réponse, devinez ? L'adjointe à la sécurité (j'ai bien regardé les articles de presse, au début je pensais naïvement que ça s'était fait à la demande des parents, mais non, l'initiative vient de la Mairie), l'adjointe à la sécurité donc a fait poser des voiles BRISE-VUE autour de la maternelle qui jouxte le point de deal et les éventuels canardages entre dealers. Alléluia. J'espère qu'elle est bien payée pour avoir des idées pareilles. Là, ce n'est même plus du consensus mou, c'est du coma dépassé, une tartufferie sans nom : cachez cette violence masculine que je ne veux pas voir. Un indice tout de même, les brise-vue n'arrêtent pas les balles de Kalachnikov. 




Les photos sont les miennes. Les expériences racontées aussi. 

Les parents et la société toute entière réussissent à nous persuader que nous aurions une dette envers eux, celle de la vie, alors que c'est eux qui nous ayant mis au monde en contractent une : ils doivent à leurs enfants assistance, sécurité, toit, nourriture et temps éducatif. Avec tous les moyens anti-conceptionnels offerts aujourd'hui, on peut faire des choix, c'est la nouvelle donne anthropologique, et c'est une bonne nouvelle. S'ils ne peuvent pas assumer toutes ces obligations, qu'ils s'abstiennent ou au moins se limitent. Ce n'est pas à la société de payer pour leurs mauvais choix ou pour leur production mal calculée. On ne devrait mettre au monde que les enfants qu'on peut élever sans forcer, sans s'épuiser. Les femmes et filles ne sont pas au service des garçons ni des hommes. Il faudrait que ça rentre.