mercredi 31 août 2022

Cause animale, Luttes sociales

  

" Je veux ici plaider la cause d'une classe particulière de travailleurs et de salariés, classe nombreuse, car ses membres se comptent par millions ; classe misérable, car pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim, ils sont assujettis au travail le plus dur, à la chaîne et sous le fouet ; classe qui a d'autant plus besoin de protection qu'elle est incapable de se défendre elle-même, n'ayant pas assez d'esprit pour se mettre en grève et ayant trop bonne âme pour faire une révolution ; je veux parler des animaux. "

Charles Gide - 1886

Charles Gide, 1847-1932, professeur d'économie, théoricien de la coopération, végétarien. 

J'ai lu cette semaine cette anthologie de textes d'auteurs et de militants de la cause animale. Ils / elles étaient anarchistes, libertaires, féministes, néo-malthusiennes, suffragistes, antivivisectionnistes, socialistes défendant la cause ouvrière. Elles / ils connurent le bagne, l'exil, et tous firent le lien entre oppression des humains et celle multimillénaire des animaux, leurs frères en oppression. Dénonçant la chasse, les courses espagnoles (corridas), témoignant des abattoirs, et faisant leur révolution personnelle en renonçant à manger de la chair animale. Je vous ai sélectionné quelques-unes de leurs phrases parmi les plus percutantes, mais l'ouvrage est à lire pour ne plus nous laisser dire à nous, végéta*iens, que nous serions des illuminés, des djihadistes, des terroristes extrémistes ; nous venons de loin, nous avons une filiation multimillénaire, et pas des moindres. Depuis que l'humanité s'est dressée sur ses pattes de derrière, tuer pour manger n'est jamais allé de soi. Il y eut aussi bien des cueilleurs que des cannibales. Nous sommes les descendants de ces cueilleurs végétariens, de la tradition pythagoréenne antique, ainsi que d'un courant libertaire socialiste et féministe. " Les végétariens sont une utopie active, l'honneur de l'humanité " dit la philosophe Elizabeth de Fontenay.  

" Parce que je ne suis 'qu'une' femme, parce que tu n'es 'qu'un' chien, parce qu'à des degrés différents sur l'échelle sociale des êtres, nous représentons des espèces inférieures au sexe masculin -si pétri de perfections !- le sentiment de notre mutuelle minorité a créé en nous plus de solidarité encore, un compréhension davantage parfaite. " Séverine (Caroline Rémy), 1855-1929, anarchiste, féministe, pionnière du journalisme, co-créatrice de La Fronde journal féministe, antispéciste.  

" Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu'il le souvienne l'horreur des tortures infligées aux bêtes... Et plus l'homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent. " Louise Michel, 1830-1905, anarchiste, féministe, institutrice, communarde condamnée au bagne de 1873 à 1880.  

" Matador, bourreau, tueur de bêtes, assassin d'amour, assemblage d'os, de muscles et de sang qu'on revêt de broderies d'argent et d'or ! Je ne te parlerai pas de sensibilité, de cruauté, de l'univers, des rapports des êtres entre eux, des droits de l'homme et de ceux de l'animal, du principe de ton existence et de la sienne. Tu ne sais rien de tout cela ; ton métier est de détruire pour vivre. " La corrida de toros en Espagne - Jours d'exil. Ernest Coeurderoy, 1825-1862 - Médecin, révolutionnaire socialiste de 1848, libertaire, condamné à l'exil, il séjourne dans plusieurs villes européennes, il écrit Jours d'exil, un long poème en prose ; refusant toute amnistie, il finit ses jours à Genève, où il se suicide à 37 ans. 

" Tout concourt, tout conspire à faire de l'animal une chair taillable et torturable à merci : ... la curiosité scientifique et l'égoïsme à le transformer dans les laboratoires en chair à scalpel et en réactif, lorsqu'il s'agit d'expérimenter les poisons qui convulsent et qui tuent. "  Marie Huot, 1846-1930, journaliste, féministe représentante du courant néo-malthusien, anarchiste et antivivisectionniste, elle est contre l'utilisation des animaux à des fins médicales ou ludiques. 

" Si nous devions réaliser le bonheur de tous ceux qui portent figure humaine et destiner à la mort tous nos semblables qui portent museau et ne diffèrent de nous que par un angle facial moins ouvert, nous n'aurions certainement pas réalisé notre idéal. Pour ma part, j'embrasse aussi les animaux dans mon affection de solidarité socialiste. " Elisée Reclus, 1830-1905, géographe, libertaire, communard, exilé pour soutien à la Révolution de 1848, confronté dans son exil à l'esclavage en Louisiane. Il devient végétarien et prône une "grande confédération des égaux".

" Les chiens qui ne savent rien, comprennent tout ce que nous disons... Et nous qui savons tout, nous ne sommes pas encore parvenus en dépit de tant d'expériences, de tant de travaux, à comprendre ce qu'ils disent. Et ils sont polyglottes. Sans les avoir jamais appris, ils parlent le français, l'anglais, l'allemand, l'arabe, le cafre... tous les argots et tous les patois... "  Octave Mirbeau, 1848-1917. Journaliste puis romancier, immortel auteur de l'implacable Journal d'une femme de chambre, critique sociale féroce, les animaux traversent toute son oeuvre littéraire. Sympathisant anarchiste, il perçoit une communauté de destin entre tous les êtres.   

" Le régime végétalien est séduisant, éthique, esthétique, même socialement incontestablement libérateur par ses conséquences, car il permet à l'individu de vivre en Robinson à l'écart de la vie des civilisés ou soutenir la lutte avec le capitalisme plus longtemps. " Sophie Zaïkowska, 1874-1939, anarchiste et féministe, fondatrice avec Georges Butaud de deux foyers végétaliens à Paris puis à Nice. Ils partagent avec Louis Rimbault, autre libertaire, la conviction que le végétalisme " c'est la révolution immédiate contre tous les parasitismes, sans effusion de sang, sans haine, sans violence, sans dictature, sans maîtres, sans faux espoirs et sans désillusions. ". Conférenciers, elle et lui parlent de socialisme, proposent des repas végétaliens aux sans abris, militent contre la chasse et pour la libération des animaux de la domination des humains. " Le végétalien ne reconnaît pas à l'homme le droit de dominer, d'abuser de sa force sur des êtres sensibles.

Vous découvrirez également des écrits de Léon Tolstoï 1828-1910, le grand romancier russe né entre deux révolutions, élevé en aristocrate dans une campagne où règne le servage, chasseur repenti et ayant connu les horreurs de la guerre. A partir de 54 ans, il place la morale au centre de ses actes, il lie les meurtres des animaux aux guerres humaines, devient végétalien. Puis enfin, de l'écrivain britannique Henry Salt 1851-1939, cofondateur du Parti Travailliste et fondateur de la Humanitarian League en 1891, articulant les luttes sociales et celles en faveur des animaux. 

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains et à consulter régulièrement. 

mercredi 17 août 2022

Les femmes du Paléolithique, précurseures sans descendance ?

Un nouvel engouement promu par les féministes se fait jour dans la presse et sur les réseaux sociaux, à tel point qu'on ne peut plus faire un pas sans tomber dessus : les femmes de la Préhistoire ne se contentaient pas de balayer la grotte, elles chassaient aussi ! Autant les anthropologues hommes s'intéressant aux tribus primitives (qui sont nos contemporaines, rappelons-le) ne voyaient jamais les femmes, le cas le plus frappant ayant été Claude Lévi-Strauss, donc ne savaient pas, en tous cas ne s'intéressaient pas à ce qu'elles faisaient, autant désormais les nouvelles féministes leur trouvent des occupations de mecs. Guerrières avec la découverte d'une tombe viking occupée par une femme, entourée de ses armes et de ses biens funéraires, chasseuses comme tentent de le démontrer quelques ouvrages dont L'homme préhistorique est aussi une femme de Marylène Patou-Mathis, ou encore Femmes de la Préhistoire de Claudine Cohen chez Taillandier, et bien sûr, Lady Sapiens écrit par trois auteurs, et édité par Les Arènes. Ce dernier livre m'a même personnellement narguée sur l'étagère d'une de mes bibliothèques. Les arguments sont minces : il n'y a pas de preuves d'une division genrée des activités écrit Marylène Patou-Mathis relayée par Terriennes, et les premiers préhistoriens étaient tous des mâles affreusement phallocentrés, ce qui ne fait aucun doute, et s'il n'y avait que les préhistoriens ! 

Pourquoi pas après tout ? Personne n'est revenu vivant du Paléolithique ni de la Préhistoire, donc on peut écrire ce qu'on veut sur le sujet qu'on soit homme ou femme anthropologue. Deux indices mettent toutefois la puce à l'oreille : et si à la vision affreusement divisée des tâches par genres du XIXe siècle nous répondions exactement par le même travers ? Si nous calquions ces analyses sur la sensibilité inverse de notre époque ? La multiplication des ouvrages sur le sujet permettent en effet de flairer qu'il est porteur et qu'il se calque sur l'esprit contemporain, le zeitgeist, l'air du temps, comme disent les anglais et les allemands, où les femmes ont l'impression de gagner un peu d'égalité avec les hommes dans certaines fonctions à eux réservées jusqu'à récemment : militaires, amirales, pompières, Première Ministre, maires ou députées. Si cela peut rendre les femmes et filles plus assertives, plus sûres d'elles pour briguer ces fonctions, pourquoi pas ? 

En tous cas, quoi qu'il en soit, deuxième indice, tout ça a salement foiré ! A un moment, les femmes sont retournées balayer la grotte (comme si ce n'était pas une tâche indispensable, au moins autant que d'aller faire connement la guerre et chasser) et les mecs ont bien repris le contrôle des outils et des armes ! A tel point qu'aujourd'hui les femmes ne sont même pas capables de se défendre d'un simple harceleur de rues, et qu'elles font dévolution de leur sécurité aux hommes qui les accompagnent, ce qui n'est pas forcément une bonne idée, demandez à Féminicides par compagnons ou Ex. 

Triste état des lieux : 

Les Etats-uniennes ont été férocement attaquées dans leurs droits fédéraux sur l'interruption volontaire de grossesse en juin dernier par la Cour suprême des Etats-Unis, les renvoyant à la juridiction de leur état, à la majorité de 6 voix conservatrices contre 3. Dont celle de l'influent juge Clarence Thomas, un temps militant pour les droits civiques, avant de se tourner vers le conservatisme le plus étroit. Les féministes intersectionnelles doivent toujours être en pleine perplexité devant le dossier Thomas, en tous cas on ne les entend pas. On comprend que c'est complexe : un homme noir attaquant les droits des femmes noires et pauvres, il y a de quoi y perdre son latin. Même pensum pour les femmes polonaises interdites d'IVG par leur très catholique et conservateur gouvernement, et par ricochet pour les ukrainiennes arrivant en Pologne, fuyant la guerre et les bombardements russes, certaines ayant été violées par la soldatesque de l'agresseur, ce traitement spécial femmes pendant les guerres masculines. 

Les femmes russes qui avaient réussi à hausser la voix devant l'hécatombe de leurs garçons durant la guerre de Tchétchénie se taisent aujourd'hui alors qu'elles n'ont aucune nouvelle des leurs envoyés au front en Ukraine, ou qu'elles les voient rentrer affreusement blessés ou invisibles dans un cercueil plombé. Poutine, qui n'a aucun égard pour la vie humaine, à l'instar de tous ses prédécesseurs, achète leur silence en enrôlant à prix fort, surtout les hommes des républiques les plus pauvres de la Fédération de Russie. Le sultan Erdogan n'en finit pas de réduire les droits chèrement acquis par les femmes turques pendant l'ère kémaliste. Les femmes africaines sont régulièrement la proie des soldats perdus de guerres oubliées, violant, pillant, enrôlant leurs enfants, mutilant et tuant villageois et villageoises ; elles ne prennent toujours pas les armes pour se défendre à l'instar de leurs consœurs du Paléolithique, il y aurait pourtant de quoi. Je ne vois pas pourquoi les femmes n'auraient pas le droit de se défendre. Même remarque pour les Asiatiques qui subissent les oukases de leurs dirigeants, une fois sommées de produire de la chair à usine, une autre fois d'arrêter, toujours par la contrainte, le choix du roi allant dans ce cas aux garçons, les filles elles, avortées comme en Inde, ou finissant infanticidées sur des tas de fumier à la campagne, sur des tas de gravats en ville. Avons-nous entendu qu'elles aient pris les armes pour arrêter le massacre ? Si les femmes se sont un jour servies d'armes et d'outils pour la chasse et la guerre, elles ont curieusement oublié le mode d'emploi et perdu la clé de l'armurerie ! 

Les femmes afghanes ont vu il y a un an, des talibans analphabètes barbus sentant des pieds et des dessous de bras descendre des montagnes en motocyclettes, kalachnikov en bandoulière, prendre Kaboul sans coup férir. Un an plus tard, elles sont ensevelies sous des kilomètres de tissus, interdites d'école, interdites de travailler comme fonctionnaires, effacées de la vie publique, priées de retourner au gynécée se consacrer à la reproduction humaine, mariées de force si nécessaire. La régression touche surtout les villes où les femmes avaient bénéficié de 20 ans d'occupation américaine, mais dans les campagnes les filles sont toujours restées vouées au service sexuel et domestique des hommes, y compris les fillettes mineures. Pédocriminalité au nom de la tradition et de la pauvreté. 

Chez nous ? Les féministes comptent les féminicides, sans jamais proposer de prophylaxie, l'aaaamourrr restant l'alpha et l'oméga de toute vie de femme. Il vaut toujours mieux être mal (mâle) accompagnée que seule. L'espèce humaine, notamment ses femmes, ont tellement besoin de se vouer à quelqu'un, que la liberté et l'autonomie, l'autodétermination ne sont pas en option. Rendez-vous compte, prendre des décisions, faire ses choix seule et en assumer les conséquences, pour certain-es c'est inenvisageable. Et puis on a toujours fait comme ça. 

Elles règnent pourtant toutes sur "leur" cuisine, ce lieu dangereux par excellence, le lieu le plus dangereux dans une maison : feu, huile et eau bouillantes, couteaux, hachoirs, poêles à frire et rouleaux à pâtisserie, toutes sortes de produits ménagers toxiques et de poisons, mais il semble qu'il ne reste dangereux que pour nous, les femmes. C'est incompréhensible. L'interdiction des outils et des armes, l'interdiction de se défendre restent des injonctions inoxydables, impossibles à transgresser. Les femmes en meurent tous les jours par milliers à travers le monde. Avec la complicité de la société. Conflits de loyauté, syndrome de Stockholm, éducation brimée, bourrage de crâne, dévalorisation, voire dégradation systématiques expliquent en grande partie.  

Pour illustrer mes propos, un cas clinique de soumission à retardement relaté sous la plume de Gérard Biard dans Charlie Hebdo de mercredi 10 août : Fatima Payman, 27 ans, élue en juin sous les couleurs du parti travailliste en Australie, ce pays du Commonwealth dont la maison-mère la Grande-Bretagne s'est compromise avec les pires exceptions cultuelles de l'Islam politique, notamment en permettant des tribunaux chariatiques sur son sol. Payman est une Afghane qui a fui au péril de sa jeune vie, à 8 ans, avec ses parents, le premier régime taliban. L'Australie lui a offert sa chance : elle a brillamment réussi des études en plusieurs disciplines à l'Université de Perth. Désormais sénatrice, elle arbore fièrement le hijab et milite pour le "droit" de toutes les musulmanes de le porter. Bien oublieuse que les femmes de son pays d'origine sont désormais interdites d'école et d'université, reléguées à la domesticité, voilées par force et non par "fierté", désormais effacées, fantômes de tissu rasant les murs, par contrainte, sinon elles sont battues ou emprisonnées. Une recherche de son nom sur Internet rapporte surtout des liens vers des sites idéologiques de l'islam politique qui ne tarissent pas de louanges, la mettant en avant, à tel point qu'on se demande si tout ça est bien canonique, étant donné que la "pudeur" tellement valorisée chez les femmes en prend un sacré coup. Mais il faut ce qu'il faut, une femme de 27 ans envoilée attirera toujours plus d'adeptes qu'un barbu présumé ne pas sentir le frais. Ainsi fonctionne le soft power. Gérard Biard rappelle que " le droit de porter le voile n'est qu'une obligation déguisée s'il n'est pas associé au droit de ne pas le porter. Or ce droit-là, ces militantes de la liberté n'en parlent jamais ". 

Si les femmes des temps préhistoriques ont fait la guerre comme et avec les hommes, ont chassé pour subvenir à leurs besoins alimentaires ou pour se défendre des bêtes sauvages, il y a eu incontestablement un moment où elles ont déposé les armes, ou en ont été spoliées. Il y a eu un moment où est intervenu le tabou des outils et des armes dont l'utilisation est devenue le privilège exclusif des hommes, permettant les gains de productivité et la capacité à se défendre ou... à attaquer. En conclusion, j'ai envie de citer Ti Grace Atkinson, féministe radicale, dans Odyssée d'une amazone, sachant qu'elle y parle de l'amour pathos, du sentiment amoureux qui nous a souvent dans l'histoire été imposé par la force, le rapt ou le viol, laissant de lourdes traces dans la psyché, pas de l'amour, généralement parental, ce comportement mis au point par l'évolution qui permet aux mammifères d'élever leurs petits : 

" Avez-vous jamais réfléchi au rapport entre l'amour et la violence ? La violence est la transgression commise sur la personne d'autrui ou son individualité. L'amour n'est -il pas une transgression de l'individualité ? Céder ce qui, autrement nous serait pris par force ? L'amour est-il la réponse de l'esclave à l'esclavage ? Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi il n'était plus nécessaire d'enchaîner la deuxième génération d'esclaves ? Si nous étions libres aurions-nous besoin d'amour ? " 

Les arguments de ce billet sur les outils et les armes m'ont été inspirés par L'anatomie politique tomes 1 et 2 de Nicole-Claude Mathieu, et par deux ouvrages de Paola Tabet, La construction sociale de l'inégalité des sexes, La grande arnaque : sexualité des femmes et échange économico-sexuel. Toutes deux sont anthropologues ayant observé et étudié les tribus premières et notamment les femmes. Ces quatre ouvrages sont des classiques, des valeurs sûres, à mettre dans toute bibliothèque féministe.