mardi 31 août 2010

Au coeur de l'Industrie

Humeur.
Lundi matin dans une société de service. Réunion. Examen des dossiers en cours : commercial, production et facturation. Le patron est là, trois consultant-e-s (dont moi) et l'assistante.

La génération de new business se fait par piges presse, sourcing sur Internet en plus de la prospection classique, chasse de nouveaux clients et entretien de la clientèle existante.
La culture de l'entreprise : en gros, anti-commerciale, les commerciaux étant vécus comme des êtres au bas mot incontrôlables et impossible à manager. La quadrature du cercle : s'ils ne sont pas là, il y a toujours un doute sur ce qu'ils/elles glandent, et s'ils sont là, on se demande ce qu'ils fichent à ETRE LA précisément, alors qu'ils devraient être dehors chez les clients !

Justement, une grosse entreprise régionale (appelons-là DUPIED DUBRAS), je l'ai lu dans l'actualité économique, risque d'avoir besoin des services que nous produisons et commercialisons.D'ailleurs, ce qui prouve l'importance stratégique de la nouvelle, c'est que le patron ouvre la réunion par ce dossier.

A tous seigneurs, tout honneur, il s'adresse d'abord aux hommes de l'assistance, à un en particulier :

- Didier, tu as vu dans la presse que DUPIED DUBRAS a un plan social en cours, il faudrait identifier le DRH* et prendre contact avec lui pour voir ce qu'on peut lui proposer.
Je lève la main pour intervenir, j'ai une communication à faire sur le dossier et le moment me paraît approprié.
- Oui, Hypathie, vous parlerez quand je vous donnerai la parole, si vous permettez je finis d'abord, dit le patron en chef. Bon sang, c'est vrai que selon une tradition datant des hordes pré-humaines et du tigre à dents de sabre, les bonnes femmes ne parlent qu'après le Chef, j'avais oublié ! D'ailleurs vu ce que j'ai en  face de moi, l'Evolution n'est pas patente.

- Donc, je disais avant d'être interrompu Didier, tes anciens collègues de SupDeCo peuvent peut-être te tuyauter sur le nom du gars ?
Mais oui, la Mafia masculine cooptée, il n'y a que ça de vrai ! Les anciens copains d'école, le ciment de l'amitié virile et tout ça.
- Je vais voir ce que je peux faire, répond Didier, sans se compromettre et très emmerdé que ça tombe sur lui, pour qui le prend-on, le téléphone c'est juste bien bon pour unE standardistE ! Je veux bien passer quelques coups de fil ; peut être que mon copain Machin de dernière année connaît la filleule du concierge de la grand-mère du DRH de DUPIED-DUBRAS...

... On pourrait aussi peut-être demander à la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur -ex RG et DST) me pensé-je en attendant ; quand ils ne sont pas occupés à traquer la deuxième menace terroriste mondiale, en substance et sans rire, les défenseurs des animaux, peut être qu'ils s'intéressent aux patrons et aux DRH voyous qui délocalisent dans des pays à bas coût ? Non, ça ne me paraît pas plausible, un patron voyou, oxymore indécent... Ou alors le FSB russe : ils doivent bien avoir des bases de données sur les boîtes occidentales, histoire de faire de l'espionnage industriel ? Oui, mais ils vont parler anglais, ce qui est déjà répréhensible en soi, mais avec l'accent russe en plus, carrément rédhibitoire : ça ne va pas coller ! Le MOSSAD, les services de renseignement israéliens ! Voilà ce qu'il nous faut : multilingues, français inclus, les israéliens issus de la Diaspora parlant toutes les langues, ce serait bien le diable si ces professionnels de l'intelligence n'auraient pas le nom de notre DRH, le professionnalisme en fichiers consistant à collecter toutes sortes d'informations en se disant qu'elles vont forcément servir un jour !

Vingt minutes de brain-storming effréné pour eux (et de semi-perte de conscience pour moi) après :
-... oui, c'est ça, tu t'y mets rapidement, Didier, il faut absolument qu'on fasse une proposition à ce type.

- Hypathie, c'est à votre tour, vous vouliez dire quelque chose ? On vous écoute.
- Euh, non finalement, je crois que je ne suis plus dans le sujet...
- Mais si, j'insiste, vous vouliez dire quelque chose au sujet de DUPIED DUBRAS, on vous écoute !
- Bon, bin, voilà : le DRH de DUPIED DUBRAS s'appelle Mr ORTEIL. J'ai appelé l'entreprise, j'ai eu le standard, j'ai demandé son nom, on me l'a donné.  Et j'ai aussi tenté ma chance en demandant qu'on me le passe, ça tombait bien il était là, il a pris ma communication.
Je lui ai expliqué les services qu'on peut lui rendre, lui ai proposé une documentation électronique, documentation qu'il a acceptée en me disant qu'il avait eu des tas de coups de fil de la concurrence (un ou deux tout au plus, dont le mien, le business n'étant pas caractérisé par l'agressivité commerciale, à d'autres !) et que de toutes façons, on était trop tôt, que tout n'est pas finalisé, il n'a besoin de rien à l'horizon de 6 mois, où il veut bien être rappelé. Je me suis fait une alerte sur mon organizer pour dans trois mois. Voilà.

-.....

- O?O

- ಠ_ಠ    (._.)   (,_,)

- ..... B(

Inutile de vous expliquer que je n'ai pas marqué de points ce jour-là ! L'efficacité est mal vue, surtout chez les inopérants, le principe de Peter sévissant dans toutes les entreprises, Et puis, ça m'apprendra à ramener ma fraise ! Allez, courage à celles qui cherchent un emploi et vont faire leur entrée dans le monde du travail !






























* DRH : Directeur des Ressources Humaines

jeudi 26 août 2010

Publicité Reebok EasyTone : des corps de femmes en morceaux

Voici trois des films (de 32' ) de la dernière campagne de publicité Reebok Easy Tone, la chaussure technologique qui vous muscle le derrière en marchant, en courant, en promenant le chien ou en passant l'aspirateur ! Pas de tête, rien que des morceaux de corps. Have your pick ! (Choisissez votre morceau).




Dans ce film, les seins (boobs) qui parlent (!) sont jaloux des fesses (butt) de la dame. D'ailleurs le film s'appelle "Dialogue".

 

La campagne internationale de Reebok est sur tous les écrans en ce moment. Ce deuxième film (en langue allemande ici pour la voix off, je ne le trouve pas en français) est bel et bien sur les écrans de télévision en France. Les images parlent d'elles-mêmes.

Et en noir et blanc, version "érotique" ou "porno-chic" diront à raison certaines : en voyant vos formes rebondies et musclées, les hommes en resteront sans voix et les femmes seront vertes de jalousie,
évidemment !




A comparer avec l'utilisation du corps des hommes dans la campagne nationale d'affichage Poulets de Loué (élevés sur de l'herbe, les poulets hors-sol étant réputés gonflés aux facteurs de croissance, et réellement entassés dans des bâtiments sans lumière), corps d'hommes présentés en entier eux, à voir sur le site Pourquoitufaisca et bien sûr, celle des policiers (faites deux petits scroll down !) : tous ont un visage !

Morceaux d'anatomie de femmes, utilisation de corps d'hommes pour vendre du poulet, marchandisation des corps dans tous les cas. Et traitements différents. Je ne me rappelle pas de publicités morcelant le corps des hommes alors que pour les femmes, c'est usuel.

PS Bon anniversaire le Mouvement de Libération des Femmes ! 40 ans, le bel âge, avec tellement encore de batailles à mener et à gagner.
Keep up the good job !

samedi 21 août 2010

Masterchef : graisses animales et testostérone



Crédit photo : Mon boucher en ligne.com

TF1 lance son concours de chefs cuisiniers comme M6 l'a fait avant elle.
Un jury : trois hommes (remarquez si c'est pour en remplacer un par Ghislaine Arabian, non merci, ce n'est pas la peine !), dont deux cuisiniers (ultra classiques) et un critique gastronomique looké, légèrement déjanté et bondissant, pour faire le spectacle.

Des candidats et des candidates qui veulent "changer de vie", rien que ça, et qui comptent sur la cuisine et la télévision pour ce faire. Émotion et pleurs garantis.

Émission ultra-scénarisée, au casting échantillonné : régionaux priés de cuisiner "terroir", blacks pour faire diversité et mélange des classes sociales. Le montage est serré, plans réguliers sur l'oeil sans concession voire méprisant des jurés, pleurs et mimiques d'appréhension des candidat-e-s, fanfaronnades ponctuées de "Chef, oui, Chef" pour faire amende honorable, embrassades émues et sanglots des familiers des victimes qui viennent soit de gagner, soit de se faire humilier. Car on se fait humilier publiquement : plats non goûtés (non, je ne goûte pas ça !) ou alors cuillère posée d'un air dégoûté par un des jurés, regard de mépris devant le plat, debrief demandant d'un air ahuri "mais pourquoi vous êtes là ?" et conseil de faire tout sauf de la cuisine. Heureusement, il y a Carole Rousseau qui materne et console dans la coulisse devant les cameras. Partage des tâches.

Une végétarienne convaincue (et convaincante) fait essayer son plat bien présenté et apparemment goûteux aux jurés et se fait retoquer par le plus prospère d'entre eux : "moi, si je ne mange pas ma côte de boeuf, je n'ai pas fait de repas" ! Avale ça, la végétarienne. Mais, miracle, on n'est pas des brutes bornées, elle récolte les deux "oui" qui l'envoient dans le top cent des finalistes. Après avoir été sondée, évaluée sur ses motivations à "travailler du veau, écailler et découper un poisson, ébouillanter un homard, trancher dans du boeuf" et promis de déchirer de la chair animale avec les dents ! Toutes convictions ravalées, créativité rentrée sous le boisseau et allégeance à la virilité ponctuée d'un "Chef, oui, Chef". Non mais !

Car la "grande cuisine" française c'est quand même avant tout une école para-militaire du larbinat ; uniforme obligatoire, soumission au chef, travail en brigades, garde à vous devant les ordres du chef, étalage de virilité comme dans les centres de redressement (on n'est pas des mauviettes tout de même), on ne répond pas, on baisse les yeux et on épluche ses 5 kilos d'oignons sans broncher. C'est comme cela que le métier rentre, petit. Entre ce style d'éducation, les brimades et la maltraitance, il n'y a que l'épaisseur d'une pelure d'oignon. Pas étonnant que les femmes ne soient pas tentées.

Plats : au centre de l'assiette, un gros morceau de viande ou de poisson entouré de trois carottes naines mais épluchées au scalpel -tout est dans l'épluchage- ou d'un dé à coudre de purée de céleri, voire de trois feuilles de salade (une de pissenlit, une de roquette et une de pourpier pour les omégas trois) en déco, d'ailleurs, ils appellent ça une "garniture". Nous, les végétariens, on ne mange que des garnitures selon les omnivores ! Conservatisme et tradition, valeurs viriles : s'il y a un métier où la recherche et le développement devraient fonctionner à plein parce qu'ils en ont bien besoin (les chefs étoilés renoncent à leurs étoiles : trop de pression et plus assez de clients, cuisine hypercarnée démodée), ce serait vraiment la cuisine ! Faire passer les légumes au centre de l'assiette, travailler les protéines végétales et les légumineuses pour les faire accéder au statut de grande cuisine, voilà un défi !

Mais il ne faut pas se fâcher avec les labos qui fabriquent des médicaments anti-obésité ou des crèmes qui gomment la culotte de cheval. Et je ne parle même pas des laiteries industrielles et de leurs alicaments, ni des produits allégés qui ne font pas maigrir ni mincir mais qui coûtent très cher ! Il faut bien vendre des écrans publicitaires.

Petites perles relevées au cours de l'émission : une poissonnière qui se gèle tous les matins à Rungis souhaite changer de métier car "poissonnier, c'est un métier d'homme" ! A quoi lui rétorque le Chef, que "cuisinier AUSSI, c'est carrément un métier d'hommes". Ah bon ? Et toutes ces femmes qui cuisinent pour leur famille ? Ah oui, mince, c'est des CUISINIERES, j'oubliais ! Ne pas confondre. Et puis c'est étonnant quand on y songe, lorsque les hommes partent s'entretuer dans les boucheries mondiales (14-18, 39-45) avec obligatoirement les femmes qui travaillent en usine à l'effort de guerre à fabriquer des avions, des chars de combat, des munitions, qui remplacent les hommes partout même aux postes de commandement puisqu'il n'y a plus de mecs nulle part, celles aussi qui ramassent les mourants sur les champs de bataille, personne ne se pose la question à ces moments-là de savoir si les métiers ont un genre ? Tant que le boulot est fait...
C'est prouvé : ils n'en ont pas, la preuve, c'est que les femmes font tout (bien) quand les mâles sont indisponibles.

J'ai jeté l'éponge au moment où l'épluchage des oignons commençait. Allée me coucher épuisée. Pris deux Alka Seltzer pour digérer l'émission.

Carole Adams dit en citant la poétesse Francine Winant :
"Mangez du riz, faites confiance aux femmes".*

*"Slowly we begin
   Giving back what was taken away
   Our right to the control of our bodies
   Knowledge of how to fight and build
   Food that nourishes
   Medicine that heals
   Eat rice, have faith in women"

samedi 14 août 2010

Les "crises" auraient-elles du bon pour les avancées des femmes en politique ?

Actualisation 24/8/10 : Madame Gillard n'est pas élue ; elle (Labor) et son concurrent Tony Abbot (Libéraux) arrivent ex aequo avec 73 sièges, alors que la majorité est de 76 sièges au parlement (le Premier Ministre Australien sort des urnes lors de l'élection des représentants comme en Angleterre) ; aussi a-t-elle cité William Clinton : "Le peuple a parlé, il va juste nous falloir quelques temps pour savoir exactement ce qu'il a voulu nous dire !". Elle va devoir s'allier avec les Indépendants et les Verts pour former une éventuelle coalition. L'Australie est un des pays les plus grands pollueurs de la planète.

Première femme élue au suffrage universel dans un pays africain, Ellen Johnson-sirleaf est à la tête du Libéria depuis 2006 ; elle concourait contre un joueur de foot ! (Pas de doute : ça fait sérieux !) Elle hérite d'une situation désastreuse derrière Charles Taylor, élu en 1997 grâce à des élections probablement truquées, et qui a provoqué une guerre civile. Un article en Anglais de The Liberian Dialogue du 31 mai dernier montre que les libériens plombés par des décennies de corruption et de violence attendent beaucoup de l'honnêteté et de l'intégrité de l'administration Johnson-Sirleaf.

L'Islande en 2009 après l'éclatement de la crise de liquidités où son économie est emportée par la récession et le "défaut" (cessation de paiement pour un pays) nomme sa première Première Ministre Johanna Sirgurdardottir ; elle était la seule capable de relever le défi selon le Figaro électronique du 5 février 2009 qui titre "Sainte Johanna" (franchement Le Figaro, on n'en demande pas tant) ; précédemment, les deux patrons des deux principales banques avaient été "démissionnés" et remplacés eux aussi par des femmes ! Ce qui avait fait dire à Axel de Tarlé, très remonté un matin sur Europe 1 que "au final, ce sont toujours les femmes qui font le ménage derrière les bordels laissés par les mecs!" dans un brutal et inhabituel accès de lucidité ! Il se trouve qu'en plus Madame Sigurdardottir a épousé en justes noces sa compagne le 27 juin dernier, après que le mariage homosexuel ait été légalisé dans son pays.

Le 3 juillet dernier, à la suite d'un soulèvement populaire et d'affrontements inter-ethniques faisant des dizaines de morts au Kirghizstan, Rosa Otounbaïeva, leader de l'opposition au Président déchu Bakiev et ancienne ambassadrice de son pays, se proclame chef de l'état et promet à son peuple une nouvelle constitution et des élections présidentielles conformes aux règles démocratiques ; elle a surtout obtenu le soutien de la Russie et de l'armée Kirghize. Elle ménage la secrétaire d'état Hilary Clinton. Le referendum constitutionnel du 27 juin dernier s'est bien passé malgré une faible participation et l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et son organe des droits humains ont reconnu les résultats.

Dans ces trois premiers cas, on peut dire que les femmes sont arrivées au pouvoir par défaut des hommes ; ou en tous cas parce qu'il n'y en avait plus de vraiment convenables à présenter ! On peut dire aussi qu'elles héritent d'une situation catastrophique.

La première Première Ministre australienne Julia Gillard a elle aussi prêté serment par défaut de son prédécesseur masculin, Kevin Rudd, obligé de renoncer avant la fin de son mandat par un "putsch" orchestré au sein du parti travailliste revenu au pouvoir en 2007. Elle a prêté serment avant l'organisation d'élections anticipées qui vont avoir lieu le 21 août prochain et qui l'opposent à son concurrent libéral Tony Abbot ; les pronostics sont serrés. Elle aurait fait des déclarations impopulaires en matière de réchauffement climatique et d'immigration.

La Somalie est un pays africain d'environ 10 millions d'habitants, ravagé par les conflits ethniques et par la guerre civile dont ce sont surtout les femmes et les enfants qui font les frais. Elle est dirigée par un gouvernement fédéral de transition dont le mandat arrive à terme en 2011. L'écrivain somalien exilé Nuruddin Farah demande qu'on laisse les femmes diriger la Somalie dans une interview récente à Jeune Afrique, selon une brève trouvée sur les Nouvelles News. Je laisse parler Nuruddin Farah : c'est lui qui dit que les hommes sont "destructeurs" et que les femmes "peuvent représenter une alternative pacifique à
l'autodestruction" ! Pas moi. Et il explique pourquoi, selon lui.

Tous sont des "petits" pays : moins de 4 millions d'habitants au Libéria, environ 300 000 en Islande, et 5 millions cinq cent mille au Kirghizstan, environ 10 millions en Somalie. L'Australie elle, compte 22 millions d'habitants. A part l'Islande et l'Australie, les trois autres sont des pays en voie de développement.

Sources : Jeune Afrique, RiaNovosti, Le Figaro, Tribune de Genève, La Croix et Les Nouvelles News.
Chiffres-clés trouvés sur le site de la CIA/Wold Factbook.

PS : je viens de recevoir un mail de Prochoix parce que j'avais demandé qu'on ajoute mon nom à la lettre qu'elles envoyaient à Sonya Gandhi pour soutenir la demande de Taslima Nasreen : le visa Indien valable jusqu'au 17 août prochain de Taslima Nasreen (bangladeshi) vient d'être renouvelé par le gouvernement Indien. Grâce à la mobilisation des citoyen-nes, des féministes et de toutes les personnes qui ont écrit aux ambassades et interpellé les autorités indiennes.

dimanche 8 août 2010

Arundhati Roy : la défense du bien commun contre les grands barrages
















Le Barrage des Trois-Gorges sur le fleuve Yangtsé en Chine, mis en service en 2006 et opérationnel en 2008 est le plus grand barrage de la planète.
Vieux projet conçu dans les années 70 (cette technologie des barrages est définitivement datée des années 50 à 70), puis abandonné pendant 20 ans, la crue de 1998 du Yangtsé (3000 morts - 1 million de personnes déplacées) a sans doute relancé le projet.
27 à 35 milliards de dollars d'investissements financés par la Banque Mondiale (les Français ALSTOM, BNP Paribas et la COFACE sont partenaires du projet), 2310 mètres de long, 185 m de haut et  27 millions de m3 de béton, 660 km de long pour le bassin de retenue, 26 turbines de 25 mètres de diamètre et de 3300 tonnes chacune, et 1 million 200 000 personnes déplacées. Les chiffres donnent le tournis : un projet pharaonique destiné à fournir de l'électricité au centre de la Chine.

Les environnementalistes détracteurs du barrage invoquent, outre les dommages causés aux personnes déplacées sans consultation sur de moins bonnes terres, des rejets massifs de gaz à effets de serre, des destructions importantes de biodiversité, l'inondation de sites archéologiques peu ou pas explorés et de terres arables alors que la Chine en manque cruellement. Les oiseaux migrateurs et les poissons qui se remontent les fleuves pour frayer seront les deuxièmes victimes après les paysans chinois. Sans parler de l'endettement de trois ou quatre générations à venir : il faut rembourser le prêt de la Banque Mondiale.

Le deuxième plus grand barrage de la planète est celui d'Itaipù au Brésil : Construit en 1979 sur le fleuve Parada, il est binational et fournit en électricité le Brésil et le Paraguay. Coût final : 20 milliards de dollars. Le coût final de ces barrages excède généralement de plus de 40 % le devis initial, disent les détracteurs.




Enfin, c'est à venir : le troisième plus grand barrage du monde, Bello Monte, toujours au Brésil sur le fleuve Xingu, affluent de l'Amazone, vieux projet des années 70 lui aussi, toujours reporté à cause des protestations des indiens indigènes et des environnementalistes, il vient d'être approuvé par le Président Lula en avril dernier. 10 milliards de dollars de budget, 200 000 ouvriers sur le site, la production de 11 000 GW d'électricité commencerait en 2015. Les Peuples Indiens et la Commission Inter-américaine des Droits humains sont opposés au projet. 9 millions d'ha de forêt seront affectés par inondation, la majeure partie des déplacés seront des indiens et on s'attend à un impact majeur sur la forêt amazonienne et les stocks de poissons. Plus même : il ouvre la porte à la construction de 100 autres barrages qui transformeront le fleuve Amazone en une série de réservoirs sans vie, de béton et d'acier !
Mais que pèsent ces forêts, ces poissons, les oiseaux et les peuples Premiers face aux énormes besoins en électricité du géant brésilien ?

Nos sociétés technicistes mettent toujours en œuvre les projets et les plans sur lesquels elles ont travaillé et qui sont opérationnels. Pour tester grandeur nature et pour ne pas se renier. Nous vivons sous l'ombre de l'holocauste nucléaire.

Voici ce que dit Arundhati Roy, écrivaine indienne (Inde), environnementaliste et pacifiste militante pour le désarmement nucléaire (déjà citée dans le billet du 21/7) à ce propos dans The Greater Common Good (en anglais) :

 "Les grands barrages sont au développement d'une nation ce que sont des bombes nucléaires à son arsenal militaire. Ils sont tous les deux des armes de destruction massive. Ils sont tous deux des armes que les gouvernements utilisent pour contrôler leurs propres peuples. Tous deux des emblèmes du XXème siècle qui marquent un point du temps où l'intelligence humaine a dépassé son propre instinct de survie. Ils sont tous deux des indications malignes d'une civilisation qui s'est retournée contre elle-même. Ils représentent la coupure du lien -pas seulement le lien- la compréhension- entre les êtres humains et la planète sur laquelle ils vivent. Ils brouillent l'intelligence qui relie les oeufs aux poules, le lait aux vaches, la nourriture aux forêts, l'eau aux rivières, l'air à la vie, et la terre à l'existence humaine."

Arundhati Roy milite en Inde pour la démocratie, l'environnement et contre le projet Sardar Sarovar Dam qui prévoit des barrages hydro-électriques sur la rivière Narmada dans le Gujerat.

Liens : The Greater Common Good Arundhati Roy (en Anglais) et  Les Amis de la Terre. Le blog d'Arundhati Roy non tenu par elle mais où on trouve ses articles et ses interviews (en anglais).

lundi 2 août 2010

Verbatim 4

On a tué le loup avec des mots avant de le massacrer et de l'éradiquer de nos forêts européennes.

Le vocabulaire stigmatise les animaux pour mieux les rejeter dans une altérité radicale : loup (féroce, prédateur), âne (ignorant, bête comme un âne), linotte (petite tête à petit contenant), pie (bavarde), truie (sale, comportement sexuel répréhensible) chienne (insatiable sexuellement), cochon (dégoûtant, avide), ours (infréquentable), thon (moche), requin (forcément dans la finance), taupe (espion russe), pigeon (gogo), bourrin (peu raffiné) ou boeuf (lourdaud) : prononcez beu que vous l'employiez au féminin ou a masculin, au singulier ou au pluriel. "Il m'a vraiment prise pour un boeuf !". Peut être avantageusement remplacé par bouseux ou crotteux en cas de nécessité absolue.

Les élevages intensifs hors-sol emploient un vocabulaire de manufacture et d'usinage : "Dans la fabrication de mon cochon..." ai-je entendu un jour un éleveur dire. Il ne s'agit plus d'élevage, lequel implique une relation entre l'éleveur et ses animaux, mais de fabrication, de manufacturing d'un produit comme un autre, destiné à la consommation courante : animal machine.
Merci Descartes, sans toi, on n'aurait jamais pu descendre à de telles extrémités dans la négation de l'autre. Un de ces jours derniers sur France Info, une éleveuse de vaches sollicitée sur la sécheresse et donc le manque d'herbe et de fourrage, parlait d'être obligée de décapitaliser ! En d'autres termes de vendre son bétail : elle ne précisait toutefois pas où elle allait le décapitaliser, chez un autre éleveur -peu probable, ils sont tous touchés par le manque de nourriture- ou directement dans un abattoir où son capital lui sera remis sous forme de liquide ou encore mieux, de cash !

Négation de l'être vivant, sensible, social, interagissant avec les autres et son milieu, voire être politique, retors, querelleur, joueur... qu'est l'animal. Pour celles et ceux qui en doutent, suivre le lien chez Angèle dont la voisine entretient sa pelouse avec deux moutons.

Dans la pêche industrielle, on ne parle même pas d'unités mais de stock, de ressource, de tonnage : on peut dire combien on abat d'animaux par milliers, dizaine de milliers ou dizaines de millions dans une journée, un mois ou une année sur la terre ferme, mais les poissons tués ou abattus (on dira pêchés ou pris et on parlera de prise sur le milieu) sont comptabilisés en tonnes, jamais en individus. L'indifférenciation absolue.

De même le vocabulaire des abattoirs est dégraissé de toute tournure agressive : on va parler d'une vache, truie ou poule de réforme pour signifier qu'elle est en fin de vie (qu'elle est arrivée à la fin de son cycle de citron pressé et qu'il n'y a plus rien à en tirer pour être tout à fait précise) et que l'heure de sa mort industrielle -et prématurée, on ne fait pas de vieux os dans une usine à viande- a sonné.

Mais dans ce processus de déshumanisation et de négation de l'être sensible qu'est l'animal, tout le monde est touché, y compris les salariés qui travaillent dans l'élevage : ne sont-ils pas appelés UTH en technolecte productiviste courant : Unités de Temps Humain ! "Sur l'exploitation, nous employons deux UTH" : la première fois que je l'ai entendu, il m'a fallu un décodeur. Et si les animaux vivent dans un milieu pauvre, pestilentiel, saturé d'ammoniac, sans voir la lumière du jour ou l'herbe, il va de soi que l'UTH ou technicien porcher ou volailler aussi, puisque c'est là qu'il travaille. Que si l'animal est contenu, parqué dans une cage, sommé de grossir en faisant des gains de productivité pris sur son bien-être, le salarié posté dans ce genre d'usine le paie de troubles respiratoires et musculo-squelettiques, et de la détérioration de ses conditions de travail, donc clairement de son bien-être à lui aussi. Techniciens ou ingénieurs agronomes, incollables sur le taux butyreux (gras) du lait de vaches, chèvres, brebis... mais ignares en éthologie (comportement) parce qu'elle n'est pas incluse dans le programme !

Et je ne parle même pas des conditions de travail dans un abattoir ! Il est à noter d'ailleurs que la population ouvrière des abattoirs est ancrée dans un territoire, qu'elle n'est pas ou peu mobile géographiquement, qu'elle est peu diplômée, et qu'elle doit donc se contenter du travail qui se propose au pied de chez elle. Et qui dit pas de mobilité géographique dit pas de mobilité sociale, peu de pouvoir de négociation, et donc bas salaires et conditions de travail à l'avenant. Ce sont en majorité des femmes qui travaillent dans les abattoirs, contrairement à une idée reçue !

Alors il est peut être enfin temps de revoir notre vision de l'animal, être vivant comme nous et de modifier nos comportements vis à vis de lui vers plus d'éthique. "Frère Loup" disait François d'Assise*.

* Je ne renie pas mes principes agnostiques : le sort de ce pauvre François d'Assise a longtemps balancé entre la "sainteté" accordée par la hiérarchie mâle catholique et les culs de basse fosse de l'hérésie ; pensez donc, un homme accordant une place à nos voisins de planète et prêchant la pauvreté, la simplicité, la frugalité à une hiérarchie catholique bitocentrée phallocentrée et autiste, calée sur le trône d'or de Pierre et arbitrant les élégances entre hommes (le Top model de la Création ironise Jean Michel Truong, quelle prétention !), femmes (bas morceau de la Création écrit Michel Onfray citant la bible et se reférant à la côte d'Adam) et le reste. Pauvre François, il l'a échappé belle !