Les actualités débordent d'affaires de viols, de femmes battues, tuées, victimes de féminicides, de rapts d'enfants pour "punir" la mère d'avoir quitté le Prince Cogneur ; les témoignages de femmes font les succès éditoriaux, à raison, car ils sont de grande qualité littéraire souvent, et les réalisatrices/teurs de cinéma s'emparent du sujet avec tout leur talent. Jusqu'à la garde de Xavier Legrand en 2017, La nuit du douze qui relance la carrière de Dominik Moll en 2022, tous deux traités en mode thriller, et en ce moment sur les écrans, L'amour et les forêts de Valérie Donzelli, sur une emprise conjugale (maritale). Toutes ces productions attirent l'attention sur des faits criminels qui étaient jusqu'ici réservés à la rubrique des faits divers locaux, ou pire tus, les violences conjugales généralement considérées comme un comportement déviant des hommes, à seuil incompressible, une sorte de fatalité, le viol lui, réputé rare, et le fait de simples brutes, comme écrivait Françoise d'Eaubonne. Il était surtout rare parce qu'on n'en parlait pas.
Les garçons jouent à Du Guesclin ou au Chevalier Bayard, nous il ne nous viendrait pas à l'idée de jouer à Jeanne d'arc, une martyre, mains jointes, yeux renversés regardant vers le ciel, les flammes du bûcher lui léchant les pieds ; les scènes de Jeanne qui ont existé aussi, guerrière en arme, vainqueure, triomphante à Orléans où elle fait lever le siège des anglais, puis sa chevauchée victorieuse jusqu'à Reims, ne soulèvent pas l'enthousiasme des filles en mal d'héroïnes. " Il n'est de bonne héroïne que morte. " Personne ne peut s'identifier à un destin aussi atroce !
" Je crois que c'est précisément sa mort qui justifie la place de Jeanne d'Arc dans les livres d'histoire (HIStoire, his story). Guerrière, victorieuse et heureuse, elle aurait sans doute perdu beaucoup de son prestige auprès des historiens qui, à tout le moins, auraient alors tenté de déprécier son image. Car la femme qui prend les armes, quelle que soit la justesse de sa cause, ne peut que mal finir, et on ne l'excuse que si c'est contre son gré (Jeanne, la douce bergère, obéissant à Dieu et à ses voix) et si elle finit mal. La guerrière n'est justifiée que par son sacrifice qui lui fait réintégrer le rôle de victime dévolu aux femmes, et par une vie irréprochable qui lui permet d'accéder à la sainteté. Il fallait que Jeanne soit réputée pucelle (quoique violée par ses gardes, mais le patriarcat couillu n'en est plus à une contradiction criminelle près) pour passer à la légende de l'HIStoire. "*
Il faut toutefois se demander à l'instar de Marie-Jo Bonnet (voir billet ci-dessous) si toutes ces fictions et histoires épiques, tirées de la réalité la plus sombre ne pèsent pas sur notre moral, notre psyché, en nous traitant en perpétuelles victimes, les hommes agresseurs, et les femmes éternellement allant à l'équarrissage sous leurs couteaux de bouchers ou sur leurs bûchers. Essayez juste de parler ou de revendiquer la légitime défense, et on vous traite de pétroleuse, virago, bréhaigne, ou sorcière coupeuse de couilles. J'ai essayé plein de fois, en mode guérilla urbaine, je peux témoigner des réactions outrées que j'ai encaissées ; c'était moi l'agressive, pour hommes et femmes confondus.
Aussi, je propose dans ce billet quelques idées et modes de comportement pour cultiver son assertivité, sa présence corporelle dans les endroits réputés hostiles, sa confiance en soi.
D'abord se nettoyer le cerveau des histoires de prince charmant et de dormeuse au bois. Vous aussi vous coupez des ronces et escaladez des murs. Donc vous n'avez pas forcément besoin de vous en "trouver un et le garder". Ce n'est de toutes façons pas écrit dans le marbre de la Constitution. Pas plus qu'il n'est écrit que les hommes ont droit à un paillasson souffre-douleur à la maison.
DANS LA SPHERE PRIVEE
Si vous projetez toutefois de vous engager, ne perdez pas de vue que c'est lorsque vous êtes ferrée (même domicile, mariée, enceinte) que les personnalités perverses se déchaînent ; avant, ils ne sont que douceur et prévenances, vous n'y voyez que du bleu. Le double domicile, quoique économiquement dispendieux, est une garantie d'avoir une porte de sortie. Gardez votre profession et votre salaire : ils sont les garants de votre indépendance économique. Personne ne sait ce que l'avenir réserve. Ne vous laissez pas couper de votre entourage, ils font partie de votre jardin personnel, pas plus que vous n'êtes obligée de supporter les copains de votre conjoint s'ils ne vous plaisent pas ; le kibboutz socialiste c'est bien pour faire pousser des pamplemousses en Israël, son organisation communautaire n'est pas adaptée à votre espace domestique.
DANS LA SPHERE PUBLIQUE
Dans la rue, réputée espace des hommes, hostile aux femmes, marchez au milieu du trottoir, ne rasez pas les murs. Votre attitude physique est signal pour les hommes qui passent. Si on vous aborde, soyez assertive : on vous demande l'heure (un classique, la pauvreté de leur imagination pour aborder une femme est confondante) ? Donnez l'heure et passez votre chemin. Pareil pour du feu, d'ailleurs vous n'en avez pas, vous ne fumez pas. Il vous tutoie ? Répondez en le vouvoyant, vous n'avez pas ramassé les patates ensemble.
Apprenez à vous défendre. A l'instar de Françoise d'Eaubonne qui était judoka, prenez des cours de sports de combat : taïchi chuan, krav maga, épée, boxe, peu importe, vous y gagnerez en présence, vous n'aurez sans doute jamais à vous en servir mais au cas où, vous assurerez. Ayez un système de défense dans votre sac, spray anti-agression par exemple, même remarque, vous n'aurez sans doute pas à le sortir mais on ne sait jamais, il suffit d'une fois. Et il vous rassurera.
Soyez vigilante pour vous et les autres, femmes, filles, enfants. Soyez solidaire : on n'insulte pas, ne menace pas, ne dégrade pas quelqu'un-e devant vous sans que vous réagissiez, minimum en mobilisant de l'aide, en reportant à la police si vous êtes témoin.
EN SOCIETE, AU TRAVAIL
Vous n'êtes pas obligée de fréquenter les lourdauds. S'ils sont odieux, insistants, tenant des propos déplacés, cessez la relation. La situation devient scabreuse ? Protestez et sortez de la pièce. Vous allez passer pour prude et coincée, on s'en fout. C'est votre style, à prendre ou à laisser. Take it or leave it. Un rappel : on ne passe pas d'entretien d'embauche ni d'évaluation professionnelle dans une chambre ni à l'hôtel (sauf si on y a loué un bureau, des hôtels en offrent, mais on vous l'aura précisé lors de l'arrangement du rendez-vous). Si on vous le propose, refusez, l'affaire est de toutes façons mal engagée. Dans le même ordre d'idées, ne montez pas dans un ascenseur bourré de mecs (caractéristique des centres d'affaires) même si vous êtes pressée. Dites que vous allez attendre le prochain omnibus, ne leur demandez même pas où ils vont (en enfer, n'en doutez pas) pour avoir l'air de justifier votre refus.
Si vous n'êtes pas organisatrice, ne soyez pas spontanément accueillante ni souriante dans un milieu que vous ne connaissez pas ; restez sur la réserve, le temps d'évaluer la situation.
Les femmes qu'on n'élève pas en leur apprenant à se défendre sont de fait enclines à faire dévolution de leur sécurité à l'adversaire de classe. Pour remédier à cette déplorable habitude, engagez-vous dans des mouvements et collectifs féministes, environnementalistes, participez à leurs actions de rues, voire de guérilla urbaine. Les femmes ne naissent pas non-violentes, et elles ne sont pas condamnées à prendre des insultes et des coups. N'oubliez jamais qu'ils sont un moyen de contrôle social des femmes. La société, l'état, leur police et leur justice, sont les instruments de ce contrôle social, d'où leur faible capacité à mobiliser des moyens et à légiférer ou juger, de façon dissuasive.
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Se réapproprier son corps.
" Ce tabou levé sur notre violence initiale de femmes, toujours refoulée, toujours auto-censurée, qui fait si souvent de nous des 'non-violentes' à la façon du renard de la fable qui a la queue coupée et explique aux autres renards que c'est eux qui ont tort d'en avoir une, est-ce que ce n'est pas une explication du profond frémissement qui ébranle chacune d'entre nous devant l'histoire d'une Ulrike, d'une Gudrun **?
Sommes-nous donc à la veille de les imiter, nous qui craignons si fort l'escalade -à laquelle nous ramène chrétiennement Bruno Frappat qui dans Le Monde mit en garde contre les représailles les quelques féministes qui voudraient imiter les Dolle Mina d'Amsterdam et former des commandos anti-violeurs- nous qui avons peur de donner un coup de poing autant que de le recevoir, qui n'osons pas courir dans la rue, escalader un mur, nous asseoir sur un banc à côté d'un inconnu, nous aventurer dans un espace désert ? Avons-nous suffisamment réfléchi au sens de la formule : se réapproprier son corps ? Dans les milieux féministes, elle est toujours employée dans un sens sexuel : pouvoir faire l'amour ou le refuser, pouvoir être mère ou ne pas l'être ; au mieux, pouvoir contrôler l'espace public réservé aux hommes sans nous heurter à l'insulte physique, la drague, la violence. On n'a pas encore réfléchi sur la nécessité de nous réapproprier l'agressivité, ou plutôt, tout simplement, sa possibilité ; redécouvrir les attitudes ignorées, refoulées, qui nous font si peur, les plus simples positions combatives du corps ***. L'être humain ne se sert que des deux cinquièmes de son cerveau, dit-on ? S'il en est du deuxième sexe, il ne connaît que la moitié -ou moins encore- des attitudes corporelles.
(Et c'est là encore, soit dit en passant, qu'on peut faire échec au retour par la bande des vieilles métaphysiques de la biologie et de tous les 'faits féminins' quand on prétend que la relation imparfaite de la femme à l'espace est innée !). "
* Texte d'Evelyne Le Garrec répondant à Françoise d'Eaubonne. Pour une salutaire piqure immunisante contre ce statut de martyre, lire le chapitre sur la femme vierge dans Coïts d'Andrea Dworkin, où elle rend un hommage vibrant à Jeanne, refusante de la trivialisation dans l'asservissement domestique et sexuel à un ou des hommes, et dont elle fait une proto-féministe.
** Respectivement Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, têtes pensantes de la RAF (Fraction Armée Rouge) ou groupe Baader, qui commettaient des attentats contre les centres de pouvoir dans les années 70 en RFA, sur la violence desquelles j'avais écrit un article consacré aux Amazones de la terreur, ouvrage de Fanny Bugnon, historienne des mouvements sociaux.
*** Françoise d'Eaubonne a pratiqué le judo toute sa vie, dès la prime enfance.
" A la rencontre une femme a dit : 'La violence est une dégénérescence de l'agressivité, le culte de la mort, de ce qui détruit...' Et cette femme conclut : '...alors que l'agressivité est une expression de l'instinct vital. NOUS DEVONS REVENDIQUER L'AGRESSIVITE. " (Histoire d'elles n°5)
" Et cessons de croire que nous pouvons changer l'ennemi. "
** Ces citations en gras bleu ou rouge sont toutes tirées de Contre-violence ou la résistance à l'état de Françoise d'Eaubonne, chez Cambourakis Editeur. Mon résume est chez Babelio, ainsi qu'une citation qui représente bien le style épique de d'Eaubonne.
Sitôt posté mon billet, je suis allée voir L'amour et les forêts de Valérie Donzelli évoqué au début de cet article. C'est exactement l'illustration de mon paragraphe sur la SPHERE PRIVEE, tout y est. Le film est la description clinique (pesante j'ai trouvé) d'une descente aux enfers sous la forme de l'emprise implacable d'une femme amoureuse. Il y aurait beaucoup à dire sur la ritournelle du début servie par la famille sur l'aaaamourrr, notamment par la mère vendant à sa fille ce qu'elle a acheté, comme si ce qui a convenu à l'une conviendrait automatiquement à l'autre, et sur les bonnes camarades de boulot qui envient à l'héroïne amoureuse sous emprise les coups de fil incessants sur son lieu de travail du mari harceleur (tu as de la chance qu'il t'appelle comme ça sans arrêt, moi le mien ne me dit jamais rien, il me voit comme un meuble qui a toujours été là). Et aussi sur le désarmement des femmes par leur éducation, qui les rend incapables d'assurer par prudence élémentaire leur propre sauvegarde, en allant, prenant une revanche hypothétique sur le mari maltraitant, à la rencontre d'un type inconnu recruté sur Internet, habitant au fin fond d'une forêt, et qui fait du tir à l'arc ! J'ai trouvé la scène terrifiante.
RépondreSupprimerA l'illustre inconnu qui vient poster des liens dans mes commentaires : oui, certaines femmes mentent, mais les faux reports de viols et violences envers les femmes auprès de la justice ne sont que pouyèmes à côté des faits de violence massive que nous subissons et qui font PEU OBJET DE PLAINTES. C'est à la justice d'instruite et de condamner au besoin, ce dans les DEUX CAS de figure. Reprenez une verveine, et bonne fin d'été.
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