Chose promise, chose due, voici donc ma chronique à propos de ce deuxième ouvrage de Marie-Jo Bonnet (MJB).
" La vie la plus belle est celle qu'on passe à se créer soi-même, non à procréer ".
Nathalie Clifford Barney.
" Nous pouvons résister à la pression sociale, enfanter d'autres rêves, investir un autre devenir de l'humanité. " Les militantes du MLF.
La revendication de la non-maternité est vieille comme le monde, il y a toujours eu des femmes qui en leur for intérieur ont refusé cette injonction en prenant la tangente, en devenant artistes ou religieuses choisissant la spiritualité, voire le mysticisme, ce qui leur permettait de se consacrer à une vie spirituelle, seule condition où c'était toléré. Certaines ont d'ailleurs produit et laissé une oeuvre considérable : MJB explore le destin de quelques-unes dans la première partie de l'ouvrage. Jeanne d'Arc, elle, autre mystique, refusante de ce rôle dévolu aux femmes, prit les armes, ces outils réservés aux hommes, on sait ce qu'il lui en coûta. En 1949 est publiée une oeuvre majeure qui va faire scandale en même temps qu'un succès de librairie : dans Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir refuse le rôle biologique de la maternité pour des raisons philosophiques, au motif que ce n'était pas une activité mais une fonction naturelle. Dans Les mémoires d'une jeune fille rangée, premier tome de ses mémoires, elle rêvait d' "être sa propre cause et sa propre fin". Simone de Beauvoir considère n'avoir pas à subir passivement son destin biologique. Même si on peut discuter cette position (les femmes qui ont des enfants font des choix, elles ne subissent pas forcément leur destin biologique, au moins en certains rares pays avancés socialement), je suis et reste personnellement beauvoirienne, marquée sans doute par la lecture jeune, de cette oeuvre, révolutionnaire au moment où elle fut publiée.
Les femmes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) des années 68 - 70, inventèrent le slogan révolutionnaire "Un enfant, si je veux, quand je veux". Ce qui fit écrire par Christine Delphy, elle aussi partie prenante du mouvement : " La radicalité du si je veux, était très tempérée par le quand je veux". Hélas. A force de happenings, de manifestations, elles obtiennent la contraception (aux forceps, les décrets d'application traîneront quatre ans, les hommes ne lâchant pas comme cela leur statut de propriétaires de la fécondité des femmes), et surtout l'avortement. Les seventies, années effervescentes, créatives, joyeuses et productives en matière de droit des femmes laissent la place aux années 80, et comme écrit Marie-Jo Bonnet (MJB), backlash, retour en arrière !
En 1982, se produit un évènement qui va considérablement modifier notre perception de la maternité. Les hommes vont se coller à ce qu'on peut appeler après coup le " forçage des corps " ! Deux médecins René Frydman, gynécologue obstétricien, et Jacques Testard, ancien chercheur de l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique, qui travaillait sur les vaches laitières -ça ne s'invente pas !, devenu biologiste) font naître Amandine, premier bébé éprouvette, le premier bébé "hors la mère" ou "bébé high tech". Sous un prétexte totalement altruiste et humaniste bien sûr, on n'est pas des brutes, on permet à des couples infertiles d'engendrer. Le pouvoir médical (biopouvoir) aux mains des hommes reprend le contrôle de la reproduction humaine. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler ici et ailleurs : les hommes adorent segmenter, analyser, disséquer les processus. J'ai eu tout le loisir durant ma carrière avec eux dans l'industrie, de le constater. Ils découpent, analysent et décrivent l'action en segments, au millimètre près, le gravent dans le marbre, en font un manuel de 600 pages avec plein de paragraphes et de sous-paragraphes, même des sous sous-paragraphes, juxtaposent ensuite les segments sur une chaîne de montage longue, et il n'y a plus qu'à lancer le truc en appuyant sur un bouton. Après pas mal d'affres et de ratages, de corrections, mais ils sont tenaces. Ils adorent tellement presser des boutons, et que des machines se mettent en branle pour en bout de chaîne, récupérer le bébé ou produit fini. Ils vous en font comme ça 5000 dans une journée chez PSA ou Renault. Après, vous m'avez comprise, il n'y a plus qu'à délocaliser dans un pays à bas coût, avec des règles et lois moins coercitives que les nôtres, et le tour est joué. Vous croyez que je plaisante ? Pas du tout. On est passées du bébé-éprouvette par banques de sperme, prélèvement et congélation d'ovocytes, tri et réimplantation d'embryons, traitement hormonal de cheval pour le succès de l'opération, le tout enrobé dans des sigles imbuvables, à la mère porteuse Ukrainienne (qui accouche sous les bombes, mais je m'égare). En mettant d'ailleurs tout sur le même plan : prélèvement de sperme et prélèvement d'ovocytes par exemple. Le deuxième est diablement plus invasif, et on peut se poser la question de savoir s'il y aurait autant de candidats hommes au don de sperme s'il fallait les charcuter pour le leur prendre ?
Mais au fait, interroge très justement MJB, l'infertilité c'est quoi ? Elle a des causes psychologiques ignorées dans pas mal de cas, le premier organe sexuel des humains étant leur cerveau. On a toutes entendu l'anecdote de la dame qui ayant jeté les gants et bazardé toute sa layette d'occasion après deux ou trois ans d'essais infructueux, se retrouve enceinte une semaine plus tard. Moi, je l'ai entendue. Alors, les gens infertiles, posez-vous les bonnes questions si vous n'arrivez pas à concevoir ! Peut-être que votre cerveau vous envoie un message de bon sens, qui sait ? Et puis, est-ce un drame après tout ? Je sais, je suis très mal placée pour appréhender les souffrances (?) des couples qui n'arrivent pas à concevoir puisque je suis une refusante et que je n'ai jamais rêvé d'accomplissement par la maternité, mais franchement, je me demande si tout cela n'est pas un peu surjoué. Avec ces techniques de reproduction, posant par ailleurs de graves problèmes éthiques, on assiste à incontestable retour de l'injonction patriarcale à la maternité. Alors que le problème de la planète ce n'est pas l'infertilité, c'est la surpopulation et la consommation effrénée des ressources.
" L'absence de critique féministe de ces pratiques médicales aliénantes pour la santé des femmes est-elle le symptôme d'une régression de la pensée féministe sur les rôles traditionnels des femmes ? " se demande MJB. Effectivement, la question vaut d'être posée. Le féminisme s'est mis à défendre les droits des mères, notamment au moment de la séparation du couple, mais sans jamais remettre en question cette injonction normative faite aux femmes de s'apparier et se reproduire.
On a toutes et tous des mères (et des pères) symboliques : ce sont ces femmes qui nous révèlent à nous-mêmes, que nous côtoyons durant notre enfance, qui nous éveillent par une phrase ou un comportement qui nous marqueront et nous orienteront. Pour MJB, ce furent des artistes (Charlotte Calmis entre autres), des inspiratrices, des penseuses et des mystiques. Ses camarades de lutte aussi. Des enfants, il y en a partout, on peut s'occuper de ses neveux et nièces, des enfants du voisinage, leur donner à voir des comportements différents, à entendre des propos un peu plus subversifs que ceux qu'ils entendent dans leur famille normative, dont la portée révolutionnaire et créative est limitée. Ce ne sont pas les jeunes gays et lesbiennes qui me contrediront. Je suis partisane qu'on s'occupe d'abord de celles et ceux qui sont ici (même venant de loin, fuyant des pays inhospitaliers) et maintenant, avant d'inviter de nouveaux convives au banquet.
MJB conclut son livre par une tentative de mettre en face de la norme reproductive des voies un peu plus féministes, surtout hors des sentiers rebattus. Mais je suis dubitative sur l'efficacité des sabbats de sorcières, des tentes rouges et autres maisons de la lune, toutes solutions intermédiaires proposées par MJB dans son livre. Je me demande si elles sont d'une réelle efficacité sur la crapulerie d'en face. Mais on sait qu'il faut conclure un essai et ne pas désespérer les lectrices. Personnellement, je préconiserais des solutions plus radicales. D'autant plus qu'ils n'ont pas plutôt quitté leurs mères et les femmes qui les ont mis au monde et élevés, qu'ils n'ont rien de plus pressé à faire que de nous envoyer leurs bombes sur la figure. Ils fabriquent la vie et font la guerre, nos maîtres et possesseurs. Ils prennent leurs décisions en se passant bien de notre avis.
La primitive maison des hommes décrite par les anthropologues : Conseil de sécurité au Kremlin le 21 février 2022 avec haut niveau de testostérone. Il y a une femme, bien seule, Valentina Matvienko, la présidente de la chambre haute de Russie. Photo Aleksey Nikolskyi / Sputnik AFP
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Pour conclure mon billet forcément réducteur de cet ouvrage que je conseille de lire, même si les chapitres sur la psychanalyse, le mysticisme, et à la fin, sur l'incendie de Notre-Dame, ne m'ont pas tout à fait convaincue, il me paraît intéressant de proposer un résumé de l'action des 6000 dernières années pour celles et ceux qui auraient loupé des épisodes : au néolithique, sédentarisation des populations humaines, invention de l'agriculture et de l'élevage par domestication des animaux et, dans la foulée, des femmes de l'espèce humaine sur le même modèle, pour servir de domestiques rendant des services sexuels et reproductifs aux hommes, au besoin par la contrainte, le rapt et le viol, l'interdiction des armes, donc l'interdiction de se défendre. Pendant que les hommes s'affrontent, agrandissent leurs territoires, dominions et empires, asservissent les femmes des vaincus. L'apport de protéines plus le forçage à la reproduction provoquent un accroissement sans précédent de la population humaine, pourtant naturellement assez peu fertile. Tout cela s'est encore accru en allant piller des ressources,
notamment minières, dans les pays tiers en éliminant ou asservissant des peuples commodément accusés de sauvagerie et renvoyés à l'altérité. Permettant l'essor de l'industrie et un niveau d'armement jamais atteints. Nous sommes désormais 8 milliards à nous regarder en chiens de faïence, la biodiversité animale et végétale s'effondrant autour de nous par destruction des habitats sous la pression humaine, notre biotope gravement dégradé, mais avec des besoins et un appétit comme l'espèce humaine n'en a jamais montrés. Il nous faut désormais les ressources de trois à sept planètes selon l'endroit où l'on vit pour soutenir notre train de vie. Pas touche à mes privilèges de classe moyenne, privilèges qu'il sera difficile de refuser aux anciens colonisés et spoliés, qui attendent eux aussi une retombée de la manne. L'accumulation et le fétichisme de la marchandise ne font pas relâche, disséminant dans la nature des tonnes de déchets, pour la plupart non dégradables. Les guerres continuent, par nationalisme ou pour garder un espace vital, ou juste pour que des hommes de pouvoir montrent qu'ils en ont et parce que les stocks d'armes c'est quand même fait pour servir, sinon à quoi bon ? Actuellement, le tsar rouge nationaliste de l'Oural, bien enfermé dans son bunker et son univers parallèle, plonge ses voisins dans l'enfer et la destruction, et déclare la guerre alimentaire aux pays du Sud dans un chantage abominable sur le Nord qui l'a sanctionné pour agression et viol du droit international, en empêchant les porte-conteneurs de céréales de quitter le port d'Odessa, pendant qu'ici nous continuons à nourrir des millions d'animaux avec des céréales. Franchement, je me demande si c'est bien le moment de mettre au monde, au besoin par forçage, des enfants, dans ce chaudron du diable surpeuplé et proie de féroces testostéronés, qu'est devenue la Terre ? Le problème de la planète ce n'est pas l'infertilité, c'est la surpopulation.
Marie-Jo Bonnet est historienne, spécialiste de l'art. Féministe universaliste et lesbienne ayant su très tôt qu'elle aimerait les femmes et n'aurait pas d'enfant.
A lire pour échapper au tohu-bohu injonctif et productiviste ambiant.
Les citations de l'autrice sont en caractères gras et rouges.
Chère Hypathie, je respecte le choix de celles qui ne veulent pas enfanter, en revanche je souhaite, alors que j'ai donné naissance à deux enfants qui sont ma joie, ne pas être considérée comme traître à la cause féministe. C'est un choix que j'ai fait (à un âge avancé) et sans que personne ne m 'y ait obligée. J'ai plutôt dû convaincre mon partenaire , peu chaud pour l'aventure. Si je n'avais pas eu d'enfants, ma vie aurait été tout autre, sans aucun doute. Plus heureuse? moins épanouie ? Qui sait ! Mais c'est le seul choix irréversible. On peut divorcer, on peut certes abandonner sa progéniture. Est-on plus heureuse? J'en doute.
RépondreSupprimerUne phrase de mon billet à dû vous échapper, chère Zoé (je ne sais plus si on se tutoie ou se vouvoie) la voici "Même si on peut discuter cette position -de Simone de Beauvoir- (les femmes qui ont des enfants font des choix, elles ne subissent pas forcément leur destin biologique, au moins en certains rares pays avancés socialement). Je ne condamne aucun choix, je me contente de constater ce que disent les statistiques. J'espère que la joie d'avoir des enfants que personnellement je n'ai pas connue :) compense le gap économique. Merci de m'avoir lue et commentée.
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