Cassandre est la fille d'un roi de la mythologie grecque qui reçut le don de prophétie. L'histoire de Cassandre est très banale : harcelée par Apollon qui la draguait, Cassandre l'envoie balader en lui disant que ça suffit comme ça ! Le bellâtre le prend mal et, pour se venger de la blessure narcissique infligée par une gonzesse, la maudit et lui prédit que désormais, puisque c'est comme ça, plus personne JAMAIS ne croirait les prophéties de Cassandre. Mauvais joueur, mauvais perdant. Depuis ce funeste jour, la malédiction de Cassandre frappe toutes les femmes qui ont, avec elle, perdu le magistère de la parole.
Depuis, les témoignages des femmes sont pris avec des pincettes, et il vaut mieux qu'ils soient corroborés par des hommes. Notez que le mot témoin en français n'a pas de féminin. Pas dignes de foi quand elles témoignent de viols ou d'agressions sexuelles, accusées d'exagérer quand elles disent les douleurs de l'accouchement, sommées de donner de solides références académiques pour démontrer et soutenir une étude universitaire menée pourtant avec la plus grande rigueur : l'accusation de légèreté, d'affabulation ou de mensonge n'est jamais loin. Et nous connaissons toutes ces moments de soulagement quand un homme appuie nos arguments féministes par exemple, et nous apporte son soutien en abondant dans notre sens ! Évidemment, tout cela a un but : puisque nos mots n'ont pas de poids, cela conforte notre statut de citoyens de seconde classe.
Le sacré, le pouvoir qui vont avec le magistère de la parole appartiennent aux hommes. Pourtant qui peut dire avec certitude que les femmes n'ont pas participé du sacré, ou même, l'ont inventé ? Personne. Conventionnellement, il est admis sans contestation que les pochoirs de mains trouvés sur les grottes des caves préhistoriques auraient été faits par des hommes, et que ce seraient donc leurs mains qu'on verrait en négatif, entourées d'ocre. Or un chercheur américain a conçu un algorithme comparant des mesures de phalanges d'hommes et de femmes où existe un dysmorphisme de l'espèce, les (petites) mains des caves seraient des mains de femmes ! Les premiers artistes humains seraient donc des femmes, idée révolutionnaire iconoclaste. Zut pour leur matricule : un mythe s'effondre ?
Ils se proclament toujours premiers en tout et partout : les enfants des écoles connaissent Vercingétorix, résistant à l'occupant romain de la Gaule, Jules César. Mais qui enseigne les noms de deux femmes cheffes d'armée, résistant aux armées romaines : Zénobie de Palmyre, expulsant carrément un préfet romain d' Egypte occupée puis libérée par elle de l'occupation romaine, et de Boadicée, Reine d'une tribu bretonne qui leva et commanda une armée pour empêcher la progression des troupes romaines en ce qu'on n'appelait pas encore la Grande-Bretagne ? En quoi sont-elles moins valeureuses que Vercingétorix ?
Si la malédiction n'est pas assez efficace, on peut aussi forcer le destin : effacer ces satanées femmes de l'histoire quand elles sont incontournables !
Scientifiques brillantes, font-elles une découverte fondamentale comme Lise Meitner (ci-dessus) qui découvrit la fission nucléaire ? Le Nobel et la découverte sont attribués à un homme : Otto Hahn qui ne prononcera même pas le nom de Lise dans son discours de réception du prix devant le Jury Nobel. Hedy Lamarr, actrice américaine de cinéma, spectaculaire à cause de sa beauté à couper le souffle, pratique-t-elle les mathématiques entre deux tournages ? Lorsqu'elle invente un code de brouillage de radio-fréquences de fusées, elle ne déposera pas elle-même le brevet, c'est un homme qui le fera. Hedy Lamarr est aujourd'hui connue comme actrice hollywoodienne des années 30/40, certainement pas comme mathématicienne de génie, ce qu'elle était pourtant... A la voir, il est vrai que c'est difficile de tenter de s'aligner ! Belle ou intelligente, il vaut mieux généralement choisir : le cumul des deux options n'est pas possible en patriarcat ! L'option "ravissante idiote" est imposée.
Si on n'arrive pas totalement à vous éradiquer de l'HIStoire, car une décidément trop grande présence en empêche, qu'à cela ne tienne, on s'arrange pour perdre vos textes : Sappho, connue et appréciée dans l'Antiquité pour ses poèmes lyriques, est plus connue de nos jours pour sa bisexualité ou son amour des femmes, puisque, de son Ile de naissance Lesbos, on a créé le mot lesbienne. Ou alors, comme pour l'incontournable Hypatie d'Alexandrie, on attribue vos études à d'autres : en effet des historiennes pensent que les travaux d'Hypatie ne seraient pas si perdus qu'on veut bien le dire, ils auraient été plus sûrement attribués à des auteurs mâles ! Enfin, on peut aussi forger le destin au sens littéral, en faire carrément un faux : Hatchepsout, pharaonne égyptienne de la XVIIIème dynastie se fait construire, comme tous les pharaons, un tombeau digne de sa royale personne. Quelques années après son ensevelissement son neveu ou son beau-fils ont fait marteler son nom pour l'effacer du monument !
Ce ne sont là que quelques exemples. Femmes talentueuses effacées de l'HIStoire, exclues des archives et des Panthéons, vilipendées, calomniées au besoin, elles sont gênantes, car elles sont la preuve irréfutable de notre parité avec les hommes, et qu'à moins de nous tenir dans l'ignorance, de nous oblitérer, nous sommes leurs égales et qu'il faut faire avec nous, notre parole et notre talent valant les leurs. Il est plus que temps de rétablir la justice, d'en finir avec la malédiction de Cassandre, d'écouter et de croire ce qu'elle dit.
Dédicace de ce billet à Anna Walentynowicz, 1929-2010, ouvrière conductrice de grue aux chantiers navals de Gdansk en Pologne, fondatrice dans les années 80 du syndicat Solidarnosc, évincée puis remplacée, après des dissensions internes, par Lech Walesa qui en devint le leader. Anna Walentynowicz est, comme les précédentes, une femme effacée de l'HIStoire.
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