Combien de femmes, et combien de fois, celles qui s'annonçaient féministes dans une conversation à plusieurs ont été apostrophées brutalement par un homme aux mots de "tu n'aimes pas les hommes, finalement ?" et qu'avez-vous bredouillé comme réponse ? J'ai posé la question sur Twitter, et j'ai eu... une réponse. Le flop quasi intégral. Je pense que mes abonnées n'osent même pas dire qu'elles sont féministes.
Moi j'ai bredouillé, mais de moins en moins à chaque fois, que c'était hors sujet, que les féministes luttent contre un système, le patriarcat, en précisant de plus en plus, à la longue, que les hommes en sont les agents et les principaux bénéficiaires tout de même. La réponse réglementaire, régulière, admise par les féministes. Donc aimer les hommes est un commandement tellement intégré qu'avouer, comme on avoue un péché, ne pas trop les aimer, en tous cas s'en méfier, c'est avouer une maladie honteuse. Quelle féministe exige des hommes qu'ils aiment les femmes ? Aucune à ma connaissance, et j'en ai lu une grande quantité. Elles réclament un traitement égal et équitable, c'est tout. Donc, regardons un peu, la question vaut bien un examen, qui aime les hommes au fond ? Hein ?
Mais PERSONNE, absolument PERSONNE. A part quelques timides, en conflit de loyauté, mais je vais y revenir. Voyons un peu.
A tout saigneur tout honneur : les hommes. Les hommes aiment-ils les hommes ? Mais non. Toujours en compétition les uns contre les autres, ils sont à couteaux tirés, ils se battent, se plantent, se trahissent, se font la guerre, se blessent et se tuent. Les premières victimes de la violence masculine sont les hommes : neuf morts par meurtre sur dix sont des hommes. Le dixième meurtre concerne une femme, sachant que femmes ou hommes tués, les assassins dans presque tous les cas sont des hommes. Même la ville mexicaine de Ciudad Juarez qui, dans les années 2000, avait le douteux privilège d'être appelée "la ville qui tue les femmes", il y avait quatre meurtres de femmes pour six d'hommes, soit quatre fois la fréquence mondiale. Il y a toutefois un moment où ils arrivent à se coaliser, c'est pour faire la guerre aux femmes, pour garder leurs postes, pour nous tailler des costards, bref pour conserver leur pouvoir délétère et destructeur. Dans ce cas là, ils font front ensemble, dans la forteresse assiégée.
Leurs mères ? Il y a doute. Elles tremblent et se méfient en tous cas, ce qui n'est pas exactement la définition du bonheur tant vendu avec la maternité. Toujours à craindre que la gendarmerie ou la police vienne les prévenir au point du jour qu'ils ont été confondus par leur ADN et qu'ils sont en garde à vue. Un jour incroyable, il y a quelques années, j'ai entendu Françoise Giroud répondre à une interview de journaliste lui posant une question dont je ne me souviens pas la teneur : "Ne m'en parlez pas, ce serait comme d'avoir UN FILS en PRISON !" Pas une fille en prison, non, un fils en prison. Même les plus affermies dans leur mode d'éducation ne sont donc pas à l'abri de grosses frayeurs. D'ailleurs c'est prouvé que les mères de garçons ont une longévité moindre que les mères de filles. Pour des motifs tout à fait sexistes d'ailleurs, les filles sont plus aidantes et viennent voir leur vieille mère (et leur vieux père), elles.
Leurs épouses, compagnes ? J'ai évidemment fait quelques sondages, vous pensez bien, auprès de mes amies, parentes, et collègues de boulot, ou même parfaites inconnues rencontrées dans un train, par exemple. Pendant mes voyages d'affaires, j'ai rencontré et noué conversation avec toutes sortes de gens, c'est même un des avantages du train par rapport à la voiture. D'après ce que j'ai entendu, il appert qu'elles "tirent le bon numéro" ! Je l'ai entendu des dizaines de fois, au bas mot : "j'ai de la chance, j'ai tiré le bon numéro !" Confier son avenir à la loterie, et avoir l'appréhension d'avoir touché le mauvais numéro ne me paraît pas être le comble de la sérénité, ni donc du bonheur tant désiré et investi, pourtant. Si et quand elles sont rassurées sur leur choix (quoique, Madame Vérove, épouse du Grêlé, tueur en série, et Madame Dino Scala, épouse du violeur en série, étaient tout à fait sereines vis-à-vis de leur mari, jusqu'au moment où la gendarmerie est venue à 6 h du matin leur expliquer que, voir paragraphe au-dessus), si et quand donc, elles sont rassurées sur leur choix, elles craignent les autres, ce qui renforce la perception du "bon numéro" qui serait chez elles, les mauvais numéros rôdant dehors à la recherche d'une proie. Je suis allée trois fois au départ de Rennes manifester à Paris pour la fermeture des abattoirs, en car affrété par l'association organisatrice, et je voyageais à chaque fois avec une activiste qui était devenue une copine de militantisme, on se retrouvait avec plaisir aux mêmes happenings ou manifestations. Le car nous ramenait le soir vers minuit sur le même parking qu'au départ. Soit à 3 km de chez moi, trajet que je refaisais à pied, comme le matin. A chaque fois, elle me posait la question angoissée : "tu n'as pas peur ?" Sous-texte, de rentrer seule. Peur de quoi ? demandais-je hypocritement, sachant qu'elle n'avait pas les mêmes opinions que moi en matière de féminisme (en gros, j'en faisais quand même un peu trop, voire beaucoup) pour la pousser dans ses retranchements. A la fin, je lui répondais que ce serait peut-être aux hommes d'avoir peur, qui sait de quoi je suis capable ? Donc, pour résumer, ce n'est pas la grande confiance. Et puis, régulièrement, un tueur familial de masse vient leur, nous rappeler que dévier du droit chemin, à savoir, que les services domestique, sexuel, reproductif leur sont dus, et que vouloir les laisser en rase campagne en les quittant peut se payer de notre vie, notre vie et celle des enfants. Des sortes d'opérations "shock and awe", de raids de représailles avertissant toutes les autres de se tenir à carreau. Ce qui vaut pour une, vaut pour les autres avertissement.
La forteresse assiégée fait corps contre les femmes, leur excellence et leur grand calme, toujours non reconnus par la société viriarcale à dessein, il leur faut des raisons de nous tuer. Toujours à pleurer quand on attaque leurs privilèges indus de dominants incontestés et incontestables. Les hommes font peur, ils sont craints, même les animaux les craignent, à raison, car ils répandent la terreur, paroxystiquement.
Alors qui reste-t-il ? Quelques-unes ayant peur d'être taxées d'anti-hommes (mais qu'est-ce qu'on s'en fout, eux sont anti-femmes et personne ne le leur reproche) et de vaillantes soldates qui ne veulent pas renier leurs choix.
Le conflit de loyauté, ce chantage ultime. Aucune classe sociale autre que celle des femmes n'est impliquée émotionnellement avec son oppresseur ; vous n'entendrez jamais un ouvrier socialiste proclamer en revenant de manifestation, ou terminant une grève, dire "mais finalement on les aime bien quand même nos patrons". Des hommes, nous les femmes, on en a à la maison, ils sont notre famille, ce résidu de système clanique : des pères, des frères, des oncles, des grands-pères, des beaux-pères, des fils, et nous sommes impliquées affectivement et émotionnellement avec eux, c'est donc difficile de dénoncer certains comportements machistes pourtant intolérables. Nous avons l'impression de trahir. Mais au fond, qui trahit qui et qui trahit l'amour et la confiance, notre sécurité, quand on est victime de viol conjugal, d'inceste ou simplement de tours de vaisselle supplémentaires ? Qui abuse de l'attachement et de l'affectif pour obtenir des services indus et des travaux qu'ils peuvent accomplir eux-mêmes ? Les hommes abusent, ils font peur, en jouent, leur règne sur les femmes et filles se perpétue par la terreur, la crainte, la crainte de la déloyauté aussi, de trahir un parent, un père, un frère, un compagnon. Celles qui veulent s'affranchir doivent donc faire sécession, ils ne nous laissent pas d'autre choix. Nos choix de liberté, d'émancipation, sont légitimes, quoi qu'ils en pensent. Il n'y a donc aucune raison de culpabiliser. La liberté se conquiert, personne ne nous la donne, elle implique donc des efforts et des choix forcément discriminants.
Comme j'ai un lectorat masculin, et que je ne veux pas le décourager, je lui dirai qu'il n'y a pas de fatalité. On peut s'amender, arrêter de croire les boniments que nous sert la société, on peut se désintoxiquer de ses mantras, moi j'y suis arrivée, avec des rechutes bien sûr, mais tout de même j'y suis arrivée, il n'y a donc aucune raison que ce soit impossible pour vous aussi. Non, vous n'êtes pas des petits princes, pas plus que les filles ne sont des princesses, si on vous l'a dit, on vous a menti, et vous n'avez pas plus de droits que n'importe qui, et surtout pas plus que les filles et femmes de votre entourage familial, amical ou professionnel. Donc, vous prenez votre tour de ménage, et si et quand la tension monte, vous allez faire un tour d'une heure à pied, ça calme et ça remet les idées en place, moi je fais ça aussi. Et ça marche bien.
Je conclus par une citation de Shulamith Firestone, citée par Andrea Dworkin dans Pornographie, dont la plus simple définition est la domination des femmes par les hommes. Il ne tient qu'à nous de renverser ce choix infernal :
" Dans La Dialectique du sexe, Shulamith Firestone démontre que chaque garçon a le choix : rester fidèle à la mère qui est en réalité avilie, sans autorité contre le père, incapable de protéger l'enfant de la violence du père ni de celle d'autres hommes adultes, ou devenir un homme, celui qui détient le pouvoir et le privilège de blesser, de contraindre, d'utiliser sa volonté et sa force physique sur et contre les femmes et les enfants. Devenir la mère -faire le ménage- ou devenir le père -porter le phallus. Devenir la mère -se faire baiser- ou le père -baiser l'autre. Le garçon a le choix. Le garçon choisit de devenir un homme parce qu'il est préférable d'être un homme que d'être une femme. "