mardi 7 janvier 2025

Les meurtres en série et de masse : dynamique sociale et politique - Poulin / Dulong

Après l'attentat islamiste du premier janvier à La Nouvelle-Orléans* dans lequel, selon l'enquête du FBI, l'auteur, citoyen états-unien d'origine indo-pakistanaise Shamsud Din-Jabbar, aurait hésité entre tuer toute sa famille et l'attaque massive dans un lieu public, pour finalement choisir cette dernière option, et aussi puisque nous commémorons les dix ans de l'attentat de Charlie Hebdo, Hypercacher, Imprimerie de Dammartin en Goële commandité par Al Qaïda** en 2015, j'ai voulu relire ce petit ouvrage de Richard Poulin et Yanick Dulong publié aux éditions Sisyphe, les deux auteurs québécois de cet essai sur la dynamique sociale et politique des meurtres en série et de masse, perpétrés à 90 % par des hommes. 

Le premier texte est de Richard Poulin : Misogynie et racisme, le fondement des meurtres en série. Le tueur sériel est un homme opérant seul, se choisissant des victimes au hasard, sans lien entre elles, sans mobile apparent, ce qui le rend très difficile à appréhender. 

Le second texte de Yanick Dulong : Dans l'ombre des meurtres de masse. Le meurtrier de masse lui a un mobile, haine, jalousie, et surtout, il commet soit des crimes de possession dans le cas des assassinats familiaux, soit il se venge d'un sentiment de tort que la société ou une catégorie sociale lui infligeraient, ses droits acquis seraient lésés. Dans les deux cas, leur carburant est la frustration . 


Le meurtre sériel comme le meurtre de masse se comptent à partir de 3 victimes, ce qui inclut les meurtres maritaux et familiaux, le pater familias propriétaire qui tue toute la famille parce que sa femme le quitte (les féminicides), mais aussi les menteurs pathologiques sur le point d'être percés à jour, donc de perdre leur statut social, tels Xavier Dupont de Ligonnès ou Jean-Claude Romand, typiquement ; le meurtrier en série tue ses victimes au hasard ce qui le rend difficile à trouver ; le meurtrier de masse s'attaque lui aux groupes avec lesquels il est en relation : école, entreprises, communautés, famille. Les deux ont en commun d'être commis dans 90 % des cas par des hommes. Les deux auteurs de ce petit ouvrage percutant et nécessaire, rejettent l'explication psychologisante (le pauvre tueur avait des problèmes psychologiques, était incompris, dépressif, et il fut atrocement maltraité dans son enfance, par sa mère généralement -les mères prennent toujours cher) ce qui n'est pas une excuse. La classe sociale la plus maltraitée par la société ce sont les filles et les femmes, elles ne tirent pas dans le tas pour autant. Le 'malheureux' 'monstre' avait des troubles psychiques, c'est un fou, un 'loup solitaire', rien de tout cela n'est avalisé dans cet ouvrage. Les tueurs de masse sont des hommes à la masculinité hégémonique exacerbée, haineux des femmes, des minorités, des homosexuels, ils sont généralement des mâles de la majorité blanche (le type caucasien est majoritaire dans ces crimes) considérant que les privilèges de leur classe sociale de dominants sont acquis, et que si ces privilèges acquis sont lésés, ils pensent pouvoir tirer dans le tas en guise de représailles. Leurs meurtres et tueries sont sexistes, homophobes et racistes, le nombre de femmes victimes, même quand elles ne sont pas visées expressément comme dans la tuerie de l'Ecole Polytechnique de Montréal en 1989, ou dans leur foyer, est considérable. Ils commencent souvent par tuer leur mère ou leur grand-mère avant de faire un carnage dans une zone industrielle, à une fête populaire, ou dans une école. Ces assassinats de masse sont aussi commis pour faire une fin : ils n'en sortiront pas vivants, ils le savent, c'est un "suicide by cops" disent les Américains (suicide par policiers interposés). Bref, pas fichus de partir seuls par leurs propres moyens.  

Le refus de nommer le problème -la masculinité hégémonique- est pour la société, rejetant les travaux des féministes qui avertissent depuis longtemps sur le sujet, une façon de perpétuer un système. Il a une fonction : il maintient en l'état l'ordre des choses. Un ordre patriarcal fait de l'appropriation privée des femmes et de l'autre, le différent, généralement déprécié, dévalorisé, déclassé, les prostituées, les femmes des classes sociales défavorisées, les autochtones, les handicapées mentales. Un ordre social inacceptable qui se perpétue par la violence. Les discussions sur les armes, la psychologie des tueurs en série et de masse, l'abondante littérature sur les concepts de "loup solitaire", de monstruosité, les rejetant hors de l'humanité, sont la manifestation du refus de nommer le problème. Or, on ne vient pas à bout d'un problème sans d'abord le nommer. Les meurtres sériels et de masse ont une dynamique sociale et politique. Il s'agit de terrorisme viril. Le problème, ce ne sont mêmes pas les armes en vente libre, c'est la masculinité. Evidemment, armes plus masculinité hégémonique, le cocktail est explosif.

Quelques citations : 
 
" Un bon nombre d'hommes développent des pratiques et des comportements, où protéger les plus faibles en usant de violence pour y parvenir, fait figure d'héroïsme. La violence est donc présentée comme un moyen légitime et banal de résoudre les conflits et de s'affirmer.

" Les femmes tuent généralement dans la sphère dite privée et non dans l'espace public. Ainsi, le meurtre de masse revêt un caractère social spécifique puisqu'il reflète la distribution des rôles entre les sexes.

" Dans la littérature populaire -les romans, les films et les biographies des tueurs- comme dans un grand nombre d'essais universitaires, le meurtre s'explique par le meurtrier, et le meurtrier s'explique lui-même par les traumatismes subis dans son enfance. Or ces homicides reproduisent des schémas identiques non seulement du point de vue individuel (psychologique), mais également du point de vue collectif. Bien que l'on ait affaire à un individu isolé qui se déchaîne et tue, on ne peut réduire au seul aspect individuel la violence, qui représente à la fois un acte personnel et un processus social. "

" La violence sexuelle est généralisée. Les violences masculines, qu'elles soient sexuelles ou non, font partie du fonctionnement de la société. Le meurtre à caractère sexuel, qu'il fasse partie d'une série ou non, est partie prenante d'une culture misogyne et sexiste. [la dynamique sociale de cette violence] est liée à l'oppression des femmes et fondée sur une conception de la masculinité et une construction sociale favorable à l'appropriation des femmes par les hommes. "

" Nommer cette violence, et reconnaître ses victimes, briser le silence, font partie des conditions pour la combattre. La non-reconnaissance a une fonction, pour les dominants comme chez les dominées, le maintien en l'état de l'ordre des choses. " Nicole-Claude Mathieu, 1991. 

* On peut rajouter, puisqu'elle est quasiment concomitante, la tuerie de Magdebourg perpétrée par le  saoudien, médecin psychologue faussaire (il n'avait pas tous les diplômes pour exercer en Allemagne), harceleur de femmes, et agitateur d'extrême-droite. 
** L'organisation Al Qaïda rassemble des idéologues islamistes avec un calendrier politique : patriarcaux, virilistes, niant l'autonomie des femmes, considérées comme propriété des hommes du clan ou de la tribu.