Pourquoi suis-je végétarienne (ou vegan) et féministe ? Pourquoi le féminisme et le végétarisme me paraissent-ils aller de pair ?
Le sexisme et le spécisme sont à l'origine de deux sortes d'objectivations et d'exploitations, ils sont tous deux des racismes, sans doute les premiers, puisque ce sont les deux différences qu'on a sous les yeux sans être jamais sorti de chez soi. Les féministes s'opposent à la misogynie et aux hiérarchies patriarcales : nous réclamons l'égalité plutôt que le contrôle. Les antispécistes végétariens rejettent ces mêmes objectivations et subjugations pour les animaux. Ils en dénoncent l'exploitation, au motif qu'ils ne nous appartiennent pas et que leur exploitation pose une question de morale.
Les femmes, sans doute affamées durant la proto-histoire, puis servant les hommes, se tenant debout pendant qu'ils mangent et qui, ensuite, prennent leur repas avec les restes quand ces derniers ont quitté la table : cela se passait ainsi dans les campagnes françaises au début du siècle dernier. Aux hommes la part du lion, aux femmes les restes, quand les hommes sont nourris et repus.
Stéréotypes sexistes autour de la nourriture : les femmes cuisent au four, les hommes grillent, occasionnellement, car de tous temps, la cuisine est la place dévolue aux femmes. Et, bien entendu, nous préfèrerions les salades et les pâtisseries au chocolat, pendant qu'eux auraient BESOIN de nourritures plus viriles, plus corsées et pimentées : sexisme de la nourriture.
Corps des femmes soumis aux diktats des structures patriarcales : diktat de la minceur, voire de la maigreur, anathème sur les "grosses", soupçonnées de non-contrôle et d'intempérance, de mauvaise santé. Les hommes peuvent s'empiffrer, les femmes doivent "garder la ligne" sous peine de jugements moraux humiliants. Le corps des femmes (leur champ de bataille à table aussi : il n'y a pas que le contrôle sexuel) est entièrement livré aux structures patriarcales : presse féminine, publicité, médecine, cinéma..., toutes les productions culturelles véhiculent ce message. Trop ceci, trop cela, jamais bien. Femmes réduites à une apparence, avec les troubles alimentaires que cela provoque : anorexies, boulimies, modes idiotes comme en ce moment le thigh gap, recours à la chirurgie esthétique pour ressembler à des standards inaccessibles, car générés par une imagerie faite de retouches informatiques, l'arnaque absolue.
Corps de femmes objectivés et déréalisés -comme celui des animaux dans la viande. Corps réduits à la marchandise, fractionnés en morceaux dans l'industrie du sexe : pornographie et prostitution. Corps de femmes sans tête de la publicité.
"Nous n'allons plus pendre les femmes comme des pièces de viande"- Larry Flint
Dernier numéro tout viande de Hustler Magazine Juin 1978
Viande érotisée : femmes se léchant les lèvres ou les doigts de façon lascive dans toutes les publicités alimentaires, à moins qu'un rappel péremptoire ne leur ordonne de nourrir correctement (avec des steaks Charal) leurs garçons "qui font du sport et se dépensent, eux" !
L'élevage est l'exploitation exclusive du corps des femelles animales, les mâles étant considérés comme inutiles, voire parasites et gênants, ils sont massivement mis à mort dès leur naissance, quand on ne peut les utiliser (jeunes) pour leur viande. Femelles animales entassées dans des espaces concentrationnaires : poules pondeuses et truies en cage, vaches en bâtiments, assignées à la reproduction , violées, inséminées par un technicien, coincées dans une stalle, puis impitoyablement envoyées à l'abattoir (leur seul voyage où elle verront une seule et unique fois le soleil) quand elles seront bien épuisées par les gestations et les mise-bas, leur corps fatigués déclassés en plats cuisinés, bouillons et ingrédients culinaires. Les vaches, très maternelles, sont privées de leur veau dès la naissance pour que l'éleveur puisse bénéficier du lait.
Les veaux sont envoyés à l'abattoir, maltraités par des hommes insensibles, déshumanisés, sans empathie, qui les frappent, comme dans la vidéo ci-dessous prise par une caméra australienne : elle est en anglais mais les images parlent d'elles-mêmes !
Alors oui, il existe bien une superposition d'oppressions : sexisme, spécisme, renvoi à l'altérité par la création de l'Autre (cf billet prédédent), négation de sa qualité d'être sensible, souffrant, (humain pour les femmes), l'exploitation infernale de la force de travail des femmes et du corps des femelles animales forment consensus. Ils ne valent rien : une fois épuisés au travail, on les jette pour les remplacer par de plus jeunes et de plus alertes. D'ailleurs, on organise des concours de beauté et des foirails où l'on montre les plus beaux spécimens, avec distribution de prix et d'écharpes ! Et le cycle infernal peut recommencer.
Oui, la question de comment nourrir l'humanité à 9 milliards, alors que 70 à 80 % des femmes de la planète sont des productrices agricoles, sans accès à la propriété, aux financements ni aux machines qui permettent une meilleure productivité, oui, cette question est une question féministe. Est-ce raisonnable de nourrir des milliards d'animaux avec des céréales et des légumineuses que nous pouvons manger nous-mêmes, accaparant les meilleures terres, détruisant des paysages et polluant l'environnement comme le fait l'agriculture industrielle productiviste dominée par les hommes ? Est-ce raisonnable de faire couler le sang de milliards d'animaux juste pour manger sa côte de bœuf ou de porc, égoïstement, tous les jours, au titre d'ayant droit de la classe moyenne ? Les animaux, la terre et l'environnement peuvent-ils supporter un tel fardeau ?
La réponse est évidemment non. Tant pis pour la virilité mal pendue des hommes qui auraient besoin de se nourrir de chair animale pour se rassurer ! Tant pis pour les chasseurs qu'ils pensent être, ce qui reste à prouver, bien entendu, et qui est parfaitement douteux*. Je suis féministe depuis plus longtemps que je ne suis végétarienne : je ne suis pas née végétarienne, car mes parents ne se posaient pas la question. Il faut du temps pour apercevoir la big picture, la vision panoramique de l'oppression. Mais aujourd'hui, les deux, féminisme et végétarisme chez moi se superposent exactement : je suis végétarienne pour les animaux, mais sûrement AUSSI parce que je suis féministe.
* Le chasseur carnivore tue sa proie et la dévore sur place. Le charognard se nourrit de proies tuées pas d'autres : manger de la viande d'animaux abattus par d'autres correspond donc à la définition du charognard. Désolée pour la blessure narcissique !
Billet inspiré par les travaux de Carol J Adams, liens ci-dessous, et de The Opinioness of the world.
LIENS :
Viande info
Association végétarienne de France
Le blog de Carol J Adams
Politique sexuelle de la viande
Un élevage industriel : Hypathie à la ferme
Léviathan , l'horreur de la pêche intensive, au cinéma en ce moment.