Si vous êtes une femme sans enfant ayant choisi ce destin hors de l'injonction sociétale patriarcale, que n'avez-vous entendu sur vos choix ?
Péremptoire :"Tu vas le regretter" ;
Terrorisant : "Tu finiras ta vie seule"
Enjôleur : "Les enfants, c'est que du bonheur"
Incrédule : "Tu es sûre que c'est ce que tu veux ?"
Intrusif et atterré (en entretien de recrutement plusieurs fois, une femme non encombrée étant décidément la menace ultime, une sorte de bombe H, pour ces sociétés miniatures que sont les entreprises : "Pourquoi vous n'avez pas eu d'enfants ?" Evidemment, en entretien de recrutement, vous pouvez vous lever, partir sans répondre, je vous le conseille, même, mais ici je vais répondre, on n'est pas en séance de recrutement.
Et puis comme on me l'a posée maintes fois, je retourne la question : Mais pourquoi vous, vous avez eu des enfants ?
L'injonction sociale à la maternité pour les femmes, ces êtres biologiques, est un tel impensé, qu'à part quelques borborygmes hésitants, des bouts de phrases commençant par "Bin, parce que.. aboutissant à une absence d'arguments rationnels, conviant les croyances et phrases passe-partout qu'on a entendues mille fois "j'ai toujours voulu des enfants" (oui ? mais encore ?), "c'est merveilleux de donner la vie" (???), pour finir par un excédé
" tu ne peux pas comprendre, tu n'en as pas !" Comme ils / elles sont dans la croyance en une fonction "naturelle", impossible de formuler qu'ils sont mus par une pure construction sociale. C'est une injonction biblique patriarcale révélée il y a 6 000 ans, non critiquable, inamendable, puisque c'est Dieu le Père Lui-Même qui l'énonce. Les croyances sont irréfutables par définition.
La reproduction humaine est un impensé. C'est comme ça : j'ai un utérus, donc c'est qu'il DOIT servir à faire des bébés, "
anatomie est destin" (Freud), je continue le mouvement général -le moins questionné de l'espèce-, on est sur terre pour avoir des enfants, si on n'en a pas, l'espèce humaine va s'éteindre ! A 7,7 milliards, 8 milliards en 2030 ou même avant, je doute carrément, mais ça ne se questionne pas, ça ne se justifie pas, c'est l'ordre "naturel" des choses ! Pour une espèce qui s'est délibérément placée au-dessus des autres, ce n'est vraiment pas fort.
" Les civilisations ont toujours eu un schéma pyramidal. La civilisation, c'est le petit nombre qui fait la loi sur le grand nombre. Être civilisé, c'est vivre au dessus de ses moyens. L'astuce, c'est d'obtenir de gré ou de force, des prêts de la nature ou du voisin "
Les voisins les plus évidents des mecs étant les femmes, évidemment !
En réalité, pendant des millénaires, les femmes ont été domestiquées ; elles ont subi la violence sociale et patriarcale de se faire mettre enceintes de force : par des enlèvements de fiancées, par des viols collectifs, comme dans certaines tribus premières en Afrique et ailleurs, par le viol conjugal, ou celui d'un ancêtre de la famille "expérimenté", par le mariage forcé, les femmes étant conduites chez l'époux imposé les yeux bandés après les avoir fait tourner plusieurs fois sur elles-mêmes afin qu'elles ne puissent pas retrouver le chemin de la maison de leur mère, -tous exemples qu'on trouve dans La construction sociale de l'inégalité des sexes de Paola Tabet- et évidemment, cela pèse sur la psyché des femmes. Une série de traumatismes aussi violents à travers des siècles ne peuvent que laisser des traces ravageuses dans la mémoire des gènes, des corps, de la psyché. Rajoutez que les femmes ont eu de tous temps interdiction de se servir d'armes, réservées aux hommes pour mieux contrôler les femmes et les contraindre. Double bénéfice : pas moyen de se défendre et pas accès aux gains de productivité. Les outils découlant des armes, ils seront réservés aux hommes, les femmes resteront attelées aux corvées manuelles domestiques. Les gains de productivité permettent de dégager du temps de loisirs pour faire de la politique, par exemple. Ce qu'ils font pour le grand bénéfice de leurs intérêts de caste, les femmes empiétant sur leur pré carré se voyant demander "qui va garder les enfants ?".
Voir sur ce lien un résumé de l'ouvrage de Paola Tabet, anthropologue. Rappelons tout de même que bien que nettement en récession, ces pratiques primitives continuent leurs ravages partout sur la planète, y compris dans l'hémisphère nord.
Puis vinrent les luttes féministes -elles remontent à loin. Des quantités de femmes inconnues ou connues (artistes, femmes politiques, littératrices,...) ont contesté cet asservissement, dans des termes autrement virulents qu'aujourd'hui. Un relatif progrès aidant, on est passées de
l'enfant-malheur (nos mères et grands-mères), à l'enfant "si je veux, quand je veux" (hélas, j'y reviendrais) des féministes des années 70, à l'enfant roi (voire caractériel sous ritaline) parce que choisi, puis à la fin, à l'enfant à tout prix (congélation d'embryons encouragée par leurs boîtes pour les femmes qui font carrière, PMA médicale et autres techniques d'élevage, "maternité de substitution", ou "pour autrui" introduisant un faux altruisme qui ne va toujours que dans le même sens. Les hommes, même les gays avec cette technique, revendiquent désormais, eux aussi, un accès au corps des femmes. Progrès, vous avez dit ?
Remettre en question le dogme de la reproduction humaine ? Vous n'y pensez pas voyons ! On a besoin de soldats chair à canon pour faire la guerre, et plus sûrement, dans nos sociétés moins guerrières, d'ouvriers chair à usines -de moins en moins dans l'hémisphère nord où la production industrielle est transférée dans des pays à bas coûts de main d’œuvre avant l'avènement des robots déjà en cours d'apparition partout. Le Japon vieillissant (1,5 naissance par femme) et refusant l'immigration est en pointe sur la robotique d'assistance. Nos richesses collectives sont mesurées par des PIB (Produits Intérieurs Bruts), basés sur une croissance infinie, et sur... le modèle du vélo qui tombe s'il s'arrête ! S'ensuit une accumulation de "ferraille humaine" (Françoise d'Eaubonne) : c'est tout bon, ça fait baisser les salaires, maintient des salariés bien dociles à qui on peut dire dès qu'un bronche dans les rangs "vous n'êtes pas contents ? Il y a 25 chômeurs qui attendent à la porte !". 140 000 primo-demandeurs viennent s'ajouter chaque année en France au stock de 5 millions de chômeurs et précaires. Et puis, si vraiment ça déborde, une bonne guerre y pourvoira.
La quantité, jamais la qualité. S'occuper de ceux qui sont ici et maintenant (réfugiés par exemple) avant d'en mettre d'autres en route, pas question. On préfère le veau local, élevé au maïs en grains.
Alors voilà mes arguments, mes
raisons à moi, quand on me pose la question : "Pourquoi vous n'avez pas eu d'enfant ?"
Parce que je préfère avoir des semelles de vent plutôt que des semelles de plomb ;
Je m'amuse bien en faisant carrière, et je suis créative ailleurs ;
Le monde n'est pas accueillant, je n'ai pas envie de perpétuer le malheur ;
Vous allez leur léguer quoi à vos enfants ? Des tas d'ordures, nucléaires en plus, plus aucun animaux sauvages ni oiseaux, des océans morts, une terre désolée bétonnée à mort, une vie dans des clapiers empilés ? Le chômage la plupart du temps, de l'emploi de temps en temps ?
La population humaine en cours de multiplication est en train de détruire la beauté du monde ;
La biodiversité recule devant la destruction de ses habitats par l'humanité ;
La croissance pour la croissance est la stratégie de la cellule cancéreuse.
A peine né-es et capables de se redresser, on leur fait déjà faire la queue (la pénurie réelle ou décrétée des ressources se gère par la file d'attente, c'est vieux comme le monde) : à la crèche, à l'école primaire (réservez votre petite école dès que vous avez un "projet d'enfant" SIC), dans les bons lycées, faites les prendre des cours supplémentaires, les Legendre et Acadomia leur donneront plus de chance d'accéder aux chères, très chères grandes écoles et finalement au graal de l'emploi ; à la faculté, puis à Pole Emploi et à l'ASSEDIC -voir plus haut- car le premier emploi stable est de plus en plus tardif ; aux urgences si vous êtes malade, puis dans les maisons de retraite et, à la fin, au cimetière. Car il n'y a plus de place dans les cimetières non plus ! Mais super, avec le "progrès teknik", bientôt c'est un robot qui vous accueillera à un guichet, qui répond déjà au téléphone chez Orange, et la consultation d'un médecin en ligne par Skype va désenclaver les territoires sans médecins ni services publics ! Génial.
Les patriarcaux détestent l'humanité : c'est pour cela qu'ils la multiplient, ça justifie à posteriori la façon dont ils la traitent.
J'en entends déjà qui me traitent de "petite personne égoïste", l'argument massue ou qui se veut tel ; je nierais mes instincts : je conteste absolument. Et j'affronte la réprobation générale. Désolée mais au-dessus de mes ovaires, il y a ma tête, c'est elle qui décide. Je n'aime pas les sentiers battus et rebattus, je préfère les minorités aux majorités, je n'ai pas d'instincts là où tout indique la construction sociale injonctive et péremptoire, depuis la Bible et sa malédiction d'Eve "tu enfanteras dans la douleur", jusqu'à tous les leurres "la maternité, c'est que du bonheur". La maternité n'a longtemps été que du malheur,
elle l'est encore dans pas mal d'endroits et pas mal de fois dans nos sociétés. La maternité est un choix, pas un destin. La non-maternité sera donc mon choix.
Je vieillirai seule (
tu finiras seule, ma pauvre fille ! est la formule exacte en réalité) : mais vous allez tous vieillir seul-es, mes ami-es ! Inutile d'emmerder et culpabiliser vos enfants : le village est devenu planétaire, vos enfants iront bosser ailleurs que dans votre ville et même votre pays, minimum dans une capitale, parce qu'il n'y a pas de boulot ailleurs. Les ancêtres avec toutes les générations entourant leur lit de mort, c'est fini. Les enfants et petits-enfants vivant dans le même village comme dans les années 50, c'est fini. Ils viendront vous voir deux, trois fois l'an, aux fêtes, comme vous avez fait avec vos vieux parents.
Alors autant s'habituer jeune à être vieille, seule et autonome.
Où sont les féministes ?
Elles défendent les mères, et il y a du travail quand on voit le tribut que paient les femmes à la "maternité bonheur". Dans les années 70, elles inventèrent le slogan "
un enfant si je veux, quand je veux", que Christine Delphy analyse de la façon suivante dans l'ouvrage collectif
La maternité occidentale contemporaine :
" La radicalité du "si je veux" était mitigée par le "quand je veux". La campagne a toujours mis l'accent sur le contrôle du moment et du nombre de naissances, jamais sur leur principe. En clair, jamais le mouvement féministe n'a osé exprimer l'idée qu'une femme pouvait ne pas vouloir d'enfant du tout ".
Refuser d'enfanter, c'est se dérober à une norme sociale : peu font ce choix. 4,3 % des femmes déclarent ne pas vouloir d'enfant du tout, -6,3 % pour les hommes ; environ 14 % n'en ont pas du tout, inclus celles qui n'ont pas pu en avoir pour des raisons d'infertilité. Même si la France ne fait plus que 1,9 enfant par femme, nous restons un pays nataliste comparé à nos voisins italiens (1,34 enfant par femme) et allemands (1,5) ; la moyenne européenne est de 1,7 enfant par femme.
Le mot même de "maternité" attribuant la fonction de reproduction aux seules femmes (voir lien ci-dessous) fait que celles-ci supportent toute la charge de la mise au monde et de l'élevage des enfants ; elles y sacrifient leur carrière, leurs potentialités, leur sécurité économique ; elles s'y appauvrissent, surtout quand survient le divorce (un mariage sur deux finit par un divorce) lequel est
la continuation du mariage par d'autres moyens selon Christine Delphy. La charge des enfants, commodément renommée, euphémisée en "garde" (toujours Delphy) leur est généralement attribuée parce qu'elles la demandent dans plus de 80 % des cas, pénalisant leurs revenus, la poursuite de leur carrière, le pire étant selon moi la résidence alternée, sorte de mariage à laisse plus longue, elles prennent des emplois à temps partiel pour faire face à la charge de travail domestique ; précisons enfin qu'un nombre important de pensions alimentaires restent impayées et / ou non recouvrées. Tout cela continue à peser quand elles vieillissent : non seulement elles touchent des pensions inférieures (le piège est infernal : mi-temps = demi-salaire = demi-chômage = demi-retraite, le seul travail marchand posté modèle masculin comptant pour l'accumulation de points), mais elles restent arrimées à leur carrière maternelle et maternante, n'ayant pas réellement pris conscience ni cultivé d'autres potentialités, ni champs d'expérience ; celles qui sont encore mariées devront traîner vaille que vaille un mariage branlant sans pouvoir s'émanciper pendant leur vieillesse qui, rappelons-le, pourrait être le moment de vivre enfin pleinement, et de faire tout ce qu'on n'a pas pu faire plus jeune. Quel gâchis au final.
Celles qui n'ont pas eu d'enfants seront nettement mieux loties, même si leurs pensions seront inférieures pour cause de discriminations à l'emploi, mais elles sauvent les meubles ; à condition toutefois qu'on ne vienne pas leur seriner qu'elles ont fait carrière pour "combler un manque" ;
les femmes ne sont pas condamnées au maternage, ni réel, ni symbolique ; toutes les productions créatives des femmes ne sont pas par extension leurs "bébés" de substitution, ni une carrière, ni un livre, aucune production artistique..., ne sont des substitutions à la maternité ; il ne viendrait à l'idée de personne ne prétendre cela d'un homme. Madame Bovary n'est pas le "bébé" de Gustave Flaubert, ni Les Tournesols celui de Van Gogh. Les femmes qui font carrière ne le font pas pour combler un manque : elles s'engagent dans une autre forme de créativité, elles y trouvent le même accomplissement, voire un accomplissement supérieur sans être enchaînées aux nécessités biologiques et sociales de la maternité. Elles sont des refusantes, réfractaires au rouleau compresseur social qui enjoint aux femmes le service aux hommes de leur donner une descendance.
C'est la norme la moins contestée de nos sociétés dites avancées.
Je voudrais pour finir dire un mot pour les femmes à un enfant qui entendent le rester : j'ai eu une copine d'activisme qui, quand je râlais sur mon sort, me répondait que pour elle, mère accidentelle d'un enfant et entendant arrêter les frais, s'entendait sans arrêt demander "alors, le deuxième, c'est pour quand, vous allez bien lui faire un petit frère ou une petite sœur ?" avec force démonstrations qu'enfant unique, c'est l'enfer ! Elles aussi refusent la sacro-sainte production, faillissent au renouvellement de générations superfétatoires. Voilà. J'espère que ce billet est subversif en diable. Allumez les bûchers. Vivent les femmes autonomes, émancipées, libres. Quel que soit leur choix : elles font ce qu'elles veulent. Moi aussi.
" Combien de politiciens étaient prêts à dire au monde que 4 milliards d'individus, ou 6 milliards, ou 10, ne pourraient jamais bénéficier du rêve californien ? S'ils l'avaient été, combien de ces individus auraient voté pour eux ? Je sais une chose en tous cas : lorsque le monde a accepté de voir l'iceberg, il était bien trop tard pour que Léviathan change de cap. Mais le beau navire a-t-il jamais eu de gouvernail ? "
Ces deux citations en grand caractères sont tirées du beau roman
Chroniques des jours à venir de Ronald Wright, un auteur canadien, paru chez Actes Sud en 2007.
Lien :
Réfléchir sur la "production d'enfants" et non sur la maternité : un défi pour l'analyse féministe
* Je n'ai rien contre la tribu des Baruyas bien entendu. C'est une des tribus observées par Paola Tabet, c'est tout. L'humanité est une et indivisible, nous sommes tous des Baruyas, les soi-disant "modernes" de nos sociétés occidentales devraient s'en souvenir.