Cette quinzaine, j'ai lu deux ouvrages de Marie-Jo Bonnet. D'abord La Maternité symbolique, Etre mère autrement, publié fin 2020, et ensuite Adieu les rebelles, publié fin 2013, aussitôt après la promulgation de la loi Taubira sur le mariage pour tous, une lecture en entraînant une autre. Décidément j'ai du retard dans mes lectures.
Je vais donc chroniquer ces deux ouvrages de Marie-Jo Bonnet (MJB) dans le sens chronologique en deux articles afin que mes lectrices / lecteurs aient en tête la pensée de cette féministe, lesbienne militante des années 70, et historienne écrivant es qualités.
" Le mariage considéré comme un progrès social : c'est un comble. "
Féministe du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) des années 70, MJB a toujours contesté le mariage petit-bourgeois, cette institution contractuelle patriarcale subordonnant les femmes aux hommes, institution dont le pédigrée et l'ADN sont fondamentalement inégalitaires dans la pratique sinon dans le droit. Personnellement, ayant refusé pour moi-même le mariage et la maternité pour ces raisons, je n'étais pas non plus à l'aise pendant ces débats de 2012. Mais le vent féministe ayant tourné néolibéral, la suspicion d'homophobie étant pendante, il était quasi impossible de ne pas soutenir ce projet des gays (surtout) et des lesbiennes, au nom de l'égalité ! Mais on peut réfuter cette position avec de bons arguments, c'est ce que fait Marie-Jo Bonnet dans ce court mais percutant ouvrage de 150 pages.
Avant toute chose, il faut préciser que tous les combats des femmes et les gains qu'elles obtiennent profitent largement aux autres classes de la société. Mais ils sont aussi systématiquement digérés par la société patriarcale, récupérés, et se retournent contre nous, voient un retour à l'ordre ancien (backlash), ou échappent aux principales intéressées. On l'a constaté lors de la révolution sexuelle des années 60 qui ont vu les hommes largement en profiter en accumulant les aventures sexuelles et les partenaires, au besoin en taxant de prudes celles qui refusaient, et en continuant à ne pas assumer leurs responsabilités en cas de grossesses. On l'a vu aussi après la lutte féministe des années 70 pour le contrôle par les femmes de leur propre fécondité (jusqu'ici contrôlée étroitement par les hommes qui ont toujours du mal à s'abstraire du sujet) par l'obtention de lois sur la contraception et l'avortement qui déboucheront sur le retour de la maternité triomphante, voire obligatoire, par les techniques de la PMA ou fivete, en agitant le chiffon rouge de l'infertilité réelle ou supposée. Mais ce sujet sera traité plus largement, il le mérite, dans mon prochain article sur La maternité symbolique, qui développe largement ce point. Et enfin, désormais, la revendication du port du voile par des militantes de l'islam politique, reprenant sans vergogne les slogans du combat collectif du MLF : mon corps mon choix pour revendiquer un choix individuel aliénant, ce qui est le comble.
Le mariage gay en trois étapes selon MJB : comment les gays (les lesbiennes, selon le principe intangible de l'universalisme au masculin de la langue française, ont été amalgamées aux gays et progressivement effacées, toute contestation semblant impossible) ont accédé à la normativité patriarcale et à la reconnaissance de leurs couples via le sacro-saint mariage.
C'était dans le programme de François Hollande élu en 2012, seul président célibataire de la 5ème République ! Il n'est pas question ici de contester une loi qui a été votée par la représentation nationale et qui s'applique, qui accorde les mêmes droits aux couples homosexuels qu'aux couples hétérosexuels ; on peut juste analyser comme le fait MJB qu'après s'être battues pour l'égalité entre les hommes et les femmes, on est passées " insensiblement à une problématique d'égalité entre les sexualités, c'est-à-dire entre les homosexuels et les hétérosexuels ", concept d'égalité sexuelle " permettant finalement de placer les gays du côté des dominés et non plus des hommes appartenant à la catégorie sociale des dominants ". Ce faisant, personne ne s'est posé la question de l'égalité des célibataires avec les gens mariés, il y aurait tant à dire, mais les célibataires rasent les murs et, sans doute persuadés de leur indignité serinée à longueur de journée explicitement ou implicitement, ils / elles n'osent jamais revendiquer quoi que ce soit. D'ailleurs ils ont le PACS, statut contracté devant un fonctionnaire ou un notaire, que les gays jugeaient imparfait par rapport aux droits accordés par le mariage.
Première étape : le MLF des années 70. Le Mouvement de Libération des Femmes dont les réunions et les manifestations étaient non mixtes acceptait cependant que des gays les accompagnent en fin de cortège et défilent avec elles. Ils sentaient que le mouvement était porteur d'un projet révolutionnaire et d'une libération qu'ils appelaient eux aussi de leurs vœux. Ce sont d'ailleurs des femmes, dont Françoise d'Eaubonne, qui ont créé le FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), puis ensuite les Gouines Rouges dont MJB a été une active militante. Les féministes hétéros ou lesbiennes et les gays étaient donc alliés contre le patriarcat en ces années-là.
Deuxième étape, l'arrivée du SIDA au début des années 80 : les gays se mettent à mourir de cette infection contre laquelle la médecine n'a aucune parade. Les gays vivant en couple se retrouvent sans aucun droit quand leur compagnon concubin décède. La société va prendre conscience à ce moment-là que les gays paient le prix du sang : " l'histoire du PACS et du mariage pour tous s'est développée dans le contexte très particulier de l'épidémie de SIDA " écrit MJB. " C'est en s'organisant pour lutter contre l'épidémie de SIDA que les gays vont acquérir une visibilité, une force communautaire et un pouvoir d'achat sans équivalent avec celui des lesbiennes et des femmes en général ". Et ce désir de normativité ne souffrira aucune contestation ; nous sommes en plus dans les années 80, dans un ordre libéral mondialisé qui ringardise la lutte anticapitaliste. Les gays prides où défilent des hommes virils, musclés, avec un sens affirmé du spectacle et de la fête vont finir par gagner la sympathie publique et imposer les gays dans le paysage.
Il va y avoir réaction : les rassemblements spectaculaires de la Manif Pour Tous, leur conservatisme où l'on voit "des papas et des mamans" selon l'insupportable lexique régressif de l'époque, promenant des enfants habillés de rose ou de bleu genrés dans des poussettes, vont servir de repoussoir avec leurs slogans binaires ; la loi finit par passer, les gays sont désormais des gens comme tout le monde, leur lutte pour la visibilité et leur désir de normativité va les conduire à l'invisibilité. Ils ont le droit de se marier, et bientôt suivra le droit d'avoir des enfants. On est loin de l'idéal révolutionnaire des féministes des années 70 qui se battaient contre toutes ces injonctions patriarcales aliénantes. L'ordre familial est de retour et ce, curieusement, par le biais des homosexuels ! Un vrai backlash.
La PMA pour toutes en 2021 : L'ouvrage de MJB a été publié en 2013, la loi dite de bioéthique n'existait donc pas, mais déjà la revendication de la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes se faisait jour, selon la même revendication d'égalité ; puisque les femmes hétérosexuelles en couple avec un homme et les célibataires y avaient droit, pourquoi la refuser aux lesbiennes visiblement en couple ? Or, argumente MJB, la PMA n'est pas un droit, c'est une technique médicale contre l'infertilité remboursée par la sécurité sociale (comme si l'infertilité était d'ailleurs le problème de la planète, ajoute-t-elle, le problème de la planète c'est la surpopulation !). Et il y a une différence entre l'infertilité somatique (ou psychosomatique !) traitable médicalement, et l'infertilité sociale des lesbiennes due au fait que l'espèce humaine a besoin pour se reproduire d'un gamète mâle et d'un gamète femelle. On nage donc en pleine confusion des concepts et des définitions.
Toutes ces dispositions ouvrent la voie à la GPA (Gestation pour autrui), les couples d'hommes (majoritaires et à fort capital économique et social généralement) devraient revendiquer l'égalité avec les lesbiennes, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Or comme le souligne MJB, il y a une différence entre paternité et maternité (cette expérience organique de 9 mois), entre don de sperme et don d'ovules, entre insémination artificielle (après traitement hormonal de cheval) pour une femme en vue d'une grossesse pour elle-même, et location de ventre par un couple gay (ou hétérosexuel) pour obtenir un enfant. On n'en a certainement pas fini avec le brouillage des concepts, ni avec l'asservissement des femmes par les hommes dans la reproduction. Les hommes hétérosexuels l'exigeaient, sous couvert d'égalité les hommes homosexuels vont-ils l'exiger aussi ? Avant l'utérus artificiel, déjà expérimenté sur les animaux, permettant qu'advienne cet archaïque rêve patriarcal de se reproduire entre eux sans passer par les femmes. Prochaine étape, la maternité pour tous ?
Bien sûr, nous savons que tous les gays et toutes les lesbiennes ne veulent pas du mariage, ni même vivre en couple en ayant des enfants. La logique libérale portée par un petit nombre de faux progressistes écrit MJB, n'a pas encore contaminé tout le monde. Mais le risque est grand que sous prétexte d'égalité, un petit nombre fasse " le jeu d'un néolibéralisme puissant, porté par le dieu argent qui n'en finit pas de déstructurer les vies, les consciences, l'économie, le lien social et l'avenir de la planète. "
L'ouvrage de Marie-Jo Bonnet est indisponible, sans doute épuisé, chez l'éditeur ; on peut le trouver dans certaines bibliothèques, en tout cas chez Recyclivre et ses revendeurs, où j'ai trouvé le mien. Livre à lire de toute façon.
Les citations tirées du livre sont en caractères gras et rouges.