(Photo de Jack Dorsey, créateur de Twitter ;)FUN CHALLENGE: every single professional woman show up to work dressed like this pic.twitter.com/ffPh8cQz9n— Ariel Dumas (@ArielDumas) 17 avril 2019
Vous allez vite vous rendre compte que les mecs dans les entreprises sont frappés d'extra-territorialité, depuis Bill Gates qui travaillait, pas douché, dans son garage, -c'est en tous cas ce que dit la légende- et Zuckerberg qui arrivait aux cours -quand il y allait- à la fac en robe de chambre, chaussettes blanches dans des sandales. L'important est que la légende urbaine du geek méritant, travaillant pas lavé dans son garage, en se nourrissant (mal) de pizzas graisseuses ou de pommes, se transmette et occulte la prosaïque réalité : en fait, ils sont tous diplômés du MIT ou de Harvard, et ils sont cooptés avant la fin de leurs études par des entreprises prestigieuses qui étalent ainsi leurs mafias, boys clubs, et autres fraternités masculines tout en se battant les flancs "parce que femmes refuseraient de venir" se joindre à ces pourtant tellement conviviales boîtes de mecs !
Donc, pour montrer comment ça marche au cœur de cette industrie, je vous propose, pour ce nouveau billet, la traduction de quelques pages de Technically wrong par Sara Wachter-Boettcher, consultante en technologies web. Elle est, de ce fait, stratégiquement placée au cœur de ces entreprises de technologies sexistes et toxiques.
" Évidemment que les industries de technologie ont des problèmes de pipeline : les universités diplôment relativement peu de femmes en études d'informatique, et encore moins d'étudiants noirs et hispaniques. Par exemple, les chiffres les plus récents rapportés par la National Science Foundation (NSF) pour 2014, donnent 18 % de femmes ayant obtenu une licence d'informatique. Ce qui est intéressant au sujet de ces chiffres de la NSF, c'est qu'en comparant les statistiques à travers le temps, on voit qu'en réalité les femmes obtiennent moins de diplômes en informatique, rien de plus.
Originellement la programmation informatique était catégorisée "travail de femmes", puisqu'elle était agrégée à des compétences administratives comme la frappe sous la dictée (en réalité durant la seconde guerre mondiale le mot ordinateur/trice était associé, non pas aux machines, mais aux femmes qui les utilisaient pour calculer des données). Tandis que de plus en plus d'universités commençaient dans les années 60 à proposer de plus en plus de formations diplômantes en science informatique, les femmes se précipitèrent sur ces études : 11 % des majors sortant de ces écoles d'informatique en 1967 étaient des femmes. En 1984, elles étaient 37 %. A partir de 1985, ce pourcentage tomba chaque année jusqu'en 2007, où il se stabilisa à 18 % jusqu'à 2014.
La bascule coïncide parfaitement avec l'avènement de l'ordinateur personnel (PC) dont le marketing cibla exclusivement les hommes et les garçons. Nous entendîmes alors sans cesse des histoires à propos des Steve Jobs, Bill Gates, Paul Allen -bricoleurs de garages, génies masculins, geeks. Les compagnies d'informatique aussitôt suivies des entreprises de l'Internet, toutes mettaient en avant, à la barre, des hommes, soutenus par des armées de techniciens qui leur ressemblaient.
Et pendant le même temps, les femmes arrêtèrent d'étudier les sciences informatiques, alors même que plus que jamais les femmes accédaient aux études universitaires. Je ne prétends pas savoir de façon précise les raisons de ce basculement, mais si des gens ne peuvent s'imaginer travaillant dans un champ de connaissances, alors ils ne l'étudieront pas. Et c'est très difficile de se projeter dans une profession où personne ne vous ressemble *. C'est aussi pourquoi il est critique que des compagnies de technologies, non seulement recrutent un staff diversifié, mais aussi qu'elles travaillent aussi très dur pour le garder. Car à moins que la tech ne puisse montrer des gens, toutes sortes de gens, réussissant dans sa culture, les femmes et les groupes sous-représentés continueront à réussir ailleurs, dans des endroits où ils pourront s'imaginer en harmonie avec leur lieu de travail. En d'autres mots, accusez le pipeline autant que vous voulez, mais les gens différents ne sauteront pas dedans les yeux fermés avant d'être sûr-es que c'est pour eux un endroit où ils seront en sécurité quand ils l'intègreront, peu importe le nombre de filles noires que vous enverrez en code camp !
Aujourd'hui, cependant, les compagnies de technologie font de gros efforts pour retenir les femmes et les minorités sous-représentées qu'elles arrivent à recruter. En 2008, une étude qui incluait des milliers de femmes travaillant dans le secteur privé en sciences, ingénierie et technologie (SET, qui rassemble un large panel de métiers pas seulement de l'Internet ou du développement logiciel), les chercheurs trouvèrent que plus de la moitié des femmes quittent leurs emplois "à cause d'environnements hostiles ou à cause une pression extrême au travail'. Un autre observe que près d'un tiers des femmes dans ces positions techniques et scientifiques, se sentent entravées dans leur carrière, et pour les femmes noires, ce chiffre peut atteindre 50 %.
Vous pouvez tenter de prétendre que cette diminution est due à des femmes qui partent pour s'occuper de leur famille. Sûrement pas. Seulement 20 % de celles qui quittent ces postes techniques et scientifiques quittent définitivement l'emploi salarié. Le reste (80%) soit emporte ses compétences vers un autre secteur industriel (dans une association ou dans l'enseignement, disons), ou elles évoluent vers des positions non techniques.
Les professionnels appellent le phénomène "le seau percé" : il se produit quand les femmes et les groupes sous-représentés s'en vont parce qu'illes en ont assez de cultures d'entreprises biaisées où illes ne peuvent pas progresser. Aucun pipeline au monde ne peut compenser cette fuite hors des compagnies technologiques. Cate Huston, chef de service chez Automaticc (la compagnie derrière Wordpress) et proéminente programmeuse, va jusqu'à assumer qu'elle a envisagé cette direction elle-même, et elle dit que ses collègues font pareil :
- " nous en plaisantons mes autres collègues femmes et moi, de ce que nous ferons quand nous partirons. Devenir avocate. Retourner aux études. Produire un acte de disparition, me dit une amie, me laissant seule expliquer le chaos qu'elle laissera derrière elle. Je lui réponds : sauf si je pars la première."
Ainsi le cycle se reproduit-il : la tech renvoie un autre round de communiqués de presse détaillant les maigres améliorations de la diversité et appelant à des programmes supplémentaires d'enseignement de code à des bacheliers, pendant qu'une autre génération de femmes et de gens issus de la diversité essaient de gagner davantage de visibilité et de valeur dans une industrie qui veut afficher des chiffres, mais qui ne veut en aucun cas bouleverser sa culture pour gagner, garder et intégrer des gens de la diversité. "
oOo
Ce qui est écrit dans ce texte est validé par ce qu'on voit des différentes tentatives en France des écoles telles 42, Epitech et d'autres, qui mettent en avant des associations de filles, à bureau et présidents garçons, puisqu'il n'ont pas de filles ou pas assez- tentatives de donner le change sans modifier d'un iota une culture faite de présentéisme, de "piscines" d'inspiration militaire, de jours d'intégration -l'autre nom du bizutage, de boys'clubs, de fraternités masculines toxiques, où jamais des filles n'iront, hormis quelques-unes, des femmes qu'ils mettront en avant pour montrer qu'ils ne sont pas sectaires/sexistes, femmes condamnées à servir de paravent à une culture inhospitalière de la virilité. Enfin, pourquoi ce serait aux femmes et aux gens issus de la diversité de s'adapter aux boîtes masculines et pas l'inverse ? Ils ne peuvent même pas utiliser l'excuse d'avoir été là en premier, puisque c'est faux, les boulots de défrichages fastidieux sont généralement confiés aux femmes ; en réalité, ils nous en ont évincées pour s'installer et prendre toute la place.
Le mythe du garage, la légende urbaine geek : en fait de mec qui bricole tout seul dans son garage, en mangeant gras et en ne dormant pas, c'est pipeau. Ils sont en majorité diplômés du MIT ou de Harvard et ils sont recrutés sur une appartenance (la plus prisée, le genre masculin) d'où le nécessaire mythe du garage pour donner le change.
Notez aussi que chez Google, une femme ne va pas pisser seule : elle est obligatoirement accompagnée aux toilettes, son accompagnant attend devant la porte qu'elle ait terminé, ce qui en dit long sur les rapports de bienveillance, et la confiance qu'entretient cette compagnie avec le sexe féminin.what’s your excuse? pic.twitter.com/7RJkdiSiEA— skinny legend (@tooskinnymariah) 19 avril 2019
sidenote: while I was in the gplex I had to be escorted to the bathroom w/someone waiting at the door while I pissed. I was not allowed to go pee alone. That's how benevolent & trusting this corporation is. Never experienced that level of paranoia/inhumanity at any other tech co.— Mar Hicks (@histoftech) 23 avril 2019
" Le travail intellectuel des femmes fut à l'origine des technologies de l'information, les femmes ont élevé les opérations rudimentaires des machines en art appelé programmation. Elles ont donné le langage aux machines. Elles ont transformé des systèmes informatiques bruts en services publics, montrant comment des produits industriels pouvaient être mis au service des gens si l'intention y était. Quand l'Internet était encore un assortiment d'hôtes sans règles, elles construisirent des protocoles pour diriger le flot du trafic et le faire croître. Avant que le World Wide Web arrive dans nos vies quotidiennes, des femmes ingénieures et scientifiques créèrent des systèmes pour transformer de vastes banques de données digitales brutes en connaissance ; nous avons transformé des stocks de données primaires en pure simplicité. Les femmes ont bâti les empires de l'ère des dot-com, elles furent parmi les premières à établir et faire prospérer des communautés virtuelles. Les leçons qu'elles ont apprises ce faisant pourraient nous servir aujourd'hui, si seulement nous écoutions. "
Broadband - The untold story of the women who made the Internet
Introduction
Claire L Evans
* Ca marche dans les deux sens : pas mal de femmes ne se sentiront pas à l'aise dans un univers strictement masculin mais, et là, je fais appel à mes souvenirs de candidate à des postes commerciaux dans des entreprises d'informatique et de technologies : je sentais bien aussi que des mecs dirigeants de boîtes de mecs ne se voyaient pas engager une femme pour leur services commerciaux, aussi attractif qu'eût été son CV ! Ce fut mon expérience de candidate ou de commerciale dans des univers masculins. Les candidatures de femmes sont ainsi bel et bien rejetées des procédures de recrutement.