" L'industrie porte en elle la guerre, comme la nuée porte l'orage " - Jean Jaurès
Dans ce petit pamphlet de 124 pages -Les échappés Editeur, chez tous les bons libraires - Fabrice Nicolino raconte l'histoire du monde paysan de ces 80 dernières années, de la grande boucherie de 14-18 où mourront des milliers de jeunes paysans d'une France à 80 % rurale, au désastre de la FAO (Food and Agriculture Organisation), organisme des Nations Unies dont la principale occupation est d'éradiquer la faim : malgré l'industrialisation de l'agriculture, son objectif est toujours inaccessible. 900 millions de personnes dans le monde connaissent la faim ! Après la deuxième guerre mondiale, les industriels de l'armement se lancent dans la fabrication de tracteurs et d'engins agricoles, les industries chimiques qui fabriquaient les gaz utilisés dans les camps de la mort combattent désormais les "nuisibles" qui s'attaquent aux récoltes, dont le doryphore amené par les américains en Europe, le DDT fait des merveilles ; et Henri Ford s'inspire de la "disassembly line" des abattoirs de Chicago pour inventer l'assembly line de ses usines de montage de tracteurs et de voitures.
A partir de la Libération, une classe de technocrates va imposer sans aucune concertation démocratique un modèle agricole basé sur la productivité : on bourre les maisons de retraites de paysans "inadaptés" et on met en coupe réglée la nature : " la Terre, cette rebelle à mater". Les Jean Bustarret, Raymond Février, Fernand Vuillaume, Michel Debatisse, Edgar Pisani..., tous issus de Polytechnique ou des JAC (Jeunesses Agricoles Chrétiennes) vont imposer d'abord une idéologie, la croyance dans le progrès technique, puis des mesures drastiques : mécanisation, productivisme, remembrements brutaux, disparition des chemins creux et des zones humides, tant et si bien qu'entre 1950 et 1985, 280 000 Km de haies et de talus sont arasés en Bretagne, soit 7 fois le tour de la terre !
Pas une femme à l'horizon, hormis une qui résiste : Rachel Carson, qui invente l'écologie en 1962 avec la parution de son livre Silent Spring, et finit par faire interdire le DDT malgré la guerre implacable que lui mène l'industrie chimique.
Les animaux de ferme aussi sont transformés en machines à produire du lait et de la viande : négation des liens tissés entre éleveurs et animaux, négation des cultures paysannes, négation des besoins des bêtes qui seront parquées sur caillebottis en bâtiments, sans accès à l'herbe, l'air pur et la lumière du soleil. La vidéo de l'INA ci-dessous où l'on voit l'ineffable Raymond Février, parler de la maîtrise des organismes et de la biologie des animaux pour notre propre intérêt, fait froid dans le dos. Jusqu'à la fin grandiose, où le journaliste lui pose tout de même la question qui fâche : peut-on imaginer qu'on applique un jour ces techniques aux humains ?
1970 - Sauver le boeuf par ina
Vaches à hublots, culards, vagins artificiels pour tromper le taureau, insémination artificielle, implacable asservissement reproductif des femelles animales, Docteurs Mengele des animaux à l'INRA, hybris masculine : "avec un père, nous aurons 100 000 fils" (en fait des filles, Raymond, puisque les mâles sont considérés surperflus en élevage !), le Raymond part littéralement en sucette avec sa croyance obscurantiste en ce qu'il appelle "le progrès" qui est en fait un fantastique recul dans notre approche éthique des animaux et de la nature dont nous faisons partie. Aujourd'hui, il reste en France environ 800 000 agriculteurs pour 66 millions d'habitants, la FNSEA, premier syndicat agricole (11 présidents, tous mâles, multipliant les conflits d'intérêts) continue à promouvoir la réduction de ses effectifs de 25 % tous les 10 ans !
L'épuisement de la terre, l'accaparement des nappes phréatiques et des terres agricoles pour produire des céréales et des légumineuses destinées à la consommation animale, le hold-up des semenciers sur les variétés de plantes et de graines induisant l'appauvrissement et la destruction de la biodiversité, le crime contre l'humanité que représentent les nécrocarburants, le suicide massif des paysans partout sur la planète, l'épidémie d'obésité couplée avec 900 millions de mal nourris, le changement climatique qui fait planer sa menace sur la Terre : à quand un sursaut contre ce système financiaro-militaro-industriel ? On ne le voit pas arriver et pourtant, c'est urgent. Némésis attend son heure.