Lundi matin dans une société de service. Réunion. Examen des dossiers en cours : commercial, production et facturation. Le patron est là, trois consultant-e-s (dont moi) et l'assistante.
La génération de new business se fait par piges presse, sourcing sur Internet en plus de la prospection classique, chasse de nouveaux clients et entretien de la clientèle existante.
La culture de l'entreprise : en gros, anti-commerciale, les commerciaux étant vécus comme des êtres au bas mot incontrôlables et impossible à manager. La quadrature du cercle : s'ils ne sont pas là, il y a toujours un doute sur ce qu'ils/elles glandent, et s'ils sont là, on se demande ce qu'ils fichent à ETRE LA précisément, alors qu'ils devraient être dehors chez les clients !
Justement, une grosse entreprise régionale (appelons-là DUPIED DUBRAS), je l'ai lu dans l'actualité économique, risque d'avoir besoin des services que nous produisons et commercialisons.D'ailleurs, ce qui prouve l'importance stratégique de la nouvelle, c'est que le patron ouvre la réunion par ce dossier.
A tous seigneurs, tout honneur, il s'adresse d'abord aux hommes de l'assistance, à un en particulier :
- Didier, tu as vu dans la presse que DUPIED DUBRAS a un plan social en cours, il faudrait identifier le DRH* et prendre contact avec lui pour voir ce qu'on peut lui proposer.
Je lève la main pour intervenir, j'ai une communication à faire sur le dossier et le moment me paraît approprié.
- Oui, Hypathie, vous parlerez quand je vous donnerai la parole, si vous permettez je finis d'abord, dit le patron en chef. Bon sang, c'est vrai que selon une tradition datant des hordes pré-humaines et du tigre à dents de sabre, les bonnes femmes ne parlent qu'après le Chef, j'avais oublié ! D'ailleurs vu ce que j'ai en face de moi, l'Evolution n'est pas patente.
- Donc, je disais avant d'être interrompu Didier, tes anciens collègues de SupDeCo peuvent peut-être te tuyauter sur le nom du gars ?
Mais oui, la Mafia masculine cooptée, il n'y a que ça de vrai ! Les anciens copains d'école, le ciment de l'amitié virile et tout ça.
- Je vais voir ce que je peux faire, répond Didier, sans se compromettre et très emmerdé que ça tombe sur lui, pour qui le prend-on, le téléphone c'est juste bien bon pour unE standardistE ! Je veux bien passer quelques coups de fil ; peut être que mon copain Machin de dernière année connaît la filleule du concierge de la grand-mère du DRH de DUPIED-DUBRAS...
... On pourrait aussi peut-être demander à la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur -ex RG et DST) me pensé-je en attendant ; quand ils ne sont pas occupés à traquer la deuxième menace terroriste mondiale, en substance et sans rire, les défenseurs des animaux, peut être qu'ils s'intéressent aux patrons et aux DRH voyous qui délocalisent dans des pays à bas coût ? Non, ça ne me paraît pas plausible, un patron voyou, oxymore indécent... Ou alors le FSB russe : ils doivent bien avoir des bases de données sur les boîtes occidentales, histoire de faire de l'espionnage industriel ? Oui, mais ils vont parler anglais, ce qui est déjà répréhensible en soi, mais avec l'accent russe en plus, carrément rédhibitoire : ça ne va pas coller ! Le MOSSAD, les services de renseignement israéliens ! Voilà ce qu'il nous faut : multilingues, français inclus, les israéliens issus de la Diaspora parlant toutes les langues, ce serait bien le diable si ces professionnels de l'intelligence n'auraient pas le nom de notre DRH, le professionnalisme en fichiers consistant à collecter toutes sortes d'informations en se disant qu'elles vont forcément servir un jour !
Vingt minutes de brain-storming effréné pour eux (et de semi-perte de conscience pour moi) après :
-... oui, c'est ça, tu t'y mets rapidement, Didier, il faut absolument qu'on fasse une proposition à ce type.
- Hypathie, c'est à votre tour, vous vouliez dire quelque chose ? On vous écoute.
- Euh, non finalement, je crois que je ne suis plus dans le sujet...
- Mais si, j'insiste, vous vouliez dire quelque chose au sujet de DUPIED DUBRAS, on vous écoute !
- Bon, bin, voilà : le DRH de DUPIED DUBRAS s'appelle Mr ORTEIL. J'ai appelé l'entreprise, j'ai eu le standard, j'ai demandé son nom, on me l'a donné. Et j'ai aussi tenté ma chance en demandant qu'on me le passe, ça tombait bien il était là, il a pris ma communication.
Je lui ai expliqué les services qu'on peut lui rendre, lui ai proposé une documentation électronique, documentation qu'il a acceptée en me disant qu'il avait eu des tas de coups de fil de la concurrence (un ou deux tout au plus, dont le mien, le business n'étant pas caractérisé par l'agressivité commerciale, à d'autres !) et que de toutes façons, on était trop tôt, que tout n'est pas finalisé, il n'a besoin de rien à l'horizon de 6 mois, où il veut bien être rappelé. Je me suis fait une alerte sur mon organizer pour dans trois mois. Voilà.
-.....
- O?O
- ಠ_ಠ (._.) (,_,)
- ..... B(
Inutile de vous expliquer que je n'ai pas marqué de points ce jour-là ! L'efficacité est mal vue, surtout chez les inopérants, le principe de Peter sévissant dans toutes les entreprises, Et puis, ça m'apprendra à ramener ma fraise ! Allez, courage à celles qui cherchent un emploi et vont faire leur entrée dans le monde du travail !
* DRH : Directeur des Ressources Humaines