Malgré le fait que des femmes subissent des violences ou meurent assassinées dans le conjugo (mariage, concubinage, ou durant la procédure de divorce), alors que nous connaissons en Ille et Vilaine un cas de féminicide récent, et une disparition de femme depuis un mois, le cas récent aussi d'Aurélie Vaquier à Bédarieux, nous restons dans la dénonciation des crimes et la déploration de la perte de victimes femmes du fait de la violence masculine. On a l'impression que ça n'arrêtera jamais et même que le phénomène empire. En revanche, aucune mesure de prophylaxie n'est jamais envisagée. Les mots d'ordre, c'est toujours le brainwashing hétérosexuel, se trouver un mec et le garder, la mise au pinacle de femmes effacées ou supportant tout sans broncher, résilientes même, qui se laissent poser de façon impavide mais insistante, après un témoignage glaçant et révoltant de sévices subis (viols, coups, menaces...) la question qui tue selon moi "si malgré tout, elles font encore confiance aux hommes ?". Faustine Bollaert est la spécialiste du dressage hétéropatriarcal sur France 2 à 14h pétantes, vaisselle faite et bonhommes partis au travail ou au... cimetière, la tranche d'âge visée étant les retraitées. Jamais de relâche, même à 70 balais, elles doivent TRANSMETTRE la tradition d'oppression je suppose ! Sinon où va-t-on ? Qui va faire la bouffe et la vaisselle, pendant que les mecs s'occupent des choses sérieuses franchement ? Evidemment, je ne regarde pas, je me contente de la bande annonce, un accident de matériel est vite arrivé avec une personne irascible, moi, en face.
Prophylaxie donc, décontamination. Il va falloir s'y coller. Franchement, on a l'impression que c'est un fond de commerce la maltraitance aux femmes, comme la faim dans le monde et la réparation des dommages de guerre : si jamais ça s'arrête ou ralentit même un peu, on va perdre nos beautiful Toyota, notre aide alimentaire et nos subventions ! Le charity business, la déploration et la compassion vivent de la misère du monde et des femmes, puisque c'est elles qui en bavent le plus de toutes façons.
La combinaison de l'assignation patriarcale à s'en trouver un et le garder sinon vous n'êtes qu'une moitié de quelque chose c'est à dire RIEN, à se trouver "un protecteur" SIC, -plein de femmes vivent encore avec cet archaïsme vissé dans la tête- avec l'interdiction anthropologique de se défendre, cette combinaison donc, provoque un mélange mortel pour les femmes. L'indifférence de la société, de sa police et de sa justice complètent le tableau clinique. Le cas d'Aurélie Debaillie (sa famille vient de déposer plainte contre le Ministère de l'Intérieur pour défaut d'intervention) est emblématique : assassinée en réunion par son ex et trois complices recrutés et payés 300 euros chacun par le compte bancaire d'Aurélie, enlevée sur son lieu de travail, après de multiples menaces, suivie dans la rue, sur son lieu de travail, voisinage et famille témoins des exactions de l'ex, police prévenue par plusieurs mains courantes et une plainte avec un dossier constitué des preuves du harcèlement, Aurélie n'a pas été protégée par la police qui s'est présentée au domicile après l'enlèvement et n'est même pas entrée, parce qu'on n'a pas répondu au coup de sonnette ! Elle était peut-être encore vivante à l'intérieur, ne pouvant bouger. L'argument opposé aux femmes battues et maltraitées dans le couple est toujours que les violences se produisent dans le huis-clos privé familial, alors que dans ce dernier cas, tout s'est passé "outdoor" comme disait l'avocate de la famille sur BFMTV, tout le monde savait, avait les preuves, puisque ça se passait sur le lieu de travail, dans la rue, dans le voisinage et auprès de la famille de la victime, mais, terrorisme mâle obligeant, la police n'a pas bougé. Solidarité de classe ? Grande tolérance au malheur des femmes toujours soupçonnées de jouer un rôle dans les exactions qu'elles subissent ?
A ce train, et au vu des événements qui se suivent et se ressemblent, je me demande s'il ne serait pas temps de laisser se déssécher dans leur coin ces ayant-droit incapables de faire face à leurs frustrations sans cogner ou tuer ? Pourquoi les femmes devraient-elles aller au casse-pipe ? Le jeu en vaut-il la chandelle quand une meurt tous les 3 jours sous les coups ? Quand on est face à un pathogène, une substance toxique ou dangereuse, on prend des précautions, on met en place des mesures prophylactiques, des "gestes barrières", de la "distanciation physique", on décontamine ! Pourquoi les femmes devraient elles être exclues de mesures de précaution mises en place par toute société préoccupée par la sauvegarde et la santé de ses citoyen-nes ? Pourquoi ne pourrions-nous pas être sur la défensive ? Pourquoi toujours se présenter comme accueillante et open alors qu'on a en face un agresseur potentiel à gros pédigrée ? Il est temps d'apprendre à évaluer la menace et à se défendre : légalement, juridiquement et physiquement. Même si on n'a pas à s'en servir, l'aptitude à se défendre sert à dissuader les potentiels agresseurs qui ont un don pour détecter la proie boiteuse. Se fabriquer son propre fluide glacial dissuasif a toujours un avantage, au moins le temps d'hésitation peut être mis à profit pour mobiliser des ressources, appeler à l'aide, répondre en cognant aussi, ou simplement fuir.
Aujourd'hui les femmes ne sont plus obligées de faire compagnonnage et famille pour trouver un rang dans la société. Nous pouvons désormais faire des études où nous sommes meilleures qu'eux, nous réussissons mieux nos concours et examens que les hommes (ça doit d'ailleurs les énerver et ne pas améliorer leurs dispositions à notre égard à mon avis ;( ; nous pouvons faire carrière où nous voulons, toutes sortes d'opportunités nous sont offertes de gagner notre vie, parfois en nous amusant et faisant des choses passionnantes (engagement associatif, public, politique, dans nos propres entreprises...) alors pourquoi en plus s'encombrer d'un mec qui peut se révéler un boulet, aigri au fil du temps, parce que la société l'a préparé à être un éternel ayant-droit ? Pourquoi les laisser nous boucher la vue avec ou sans pectoraux ? Quand à avoir des enfants, à pas loin de 8 milliards, on est peinardes, pas besoin d'en réinviter tout de suite. Le biotope est en train de périr sous notre omniprésence colonialiste envahissante. Il faudrait d'abord faire l'inventaire des stocks restants avant de convier des invités à un nouveau banquet. Et puis, ça fera des maltraité-es en moins, parce que là aussi, côté enfants, il y aurait à redire.
Il y a un siècle, Virginia Woolf héritait d'une tante la somme de 500 livres qui la mettait à l'abri du besoin et donc du conjugo. Virginia voulait vouer sa vie à l'écriture et à l'art, avoir un bureau à elle. Aujourd'hui, nous n'avons plus forcément besoin de faire un héritage (quoique si ça se présente ne le refusez pas, en revanche, le partager ou en confier la gestion à Valentin peut être une très mauvaise manœuvre, voir ce qui est arrivé à cette pauvre Madame De Ligonnès !) ; aujourd'hui, nous avons infiniment plus de possibilités que Virginia Woolf n'en avait il y a un siècle, avec tout son talent !
Aussi voici la déclaration d'indépendance de Virginia Woolf dans Un lieu à soi : comment se ménager un "ciel dégagé" !
" Il faut que je vous dise que ma tante, Mary Beton, est morte en tombant de son cheval alors qu'elle se promenait pour prendre l'air à Bombay. La nouvelle de mon héritage m'est arrivée un soir, à peu près à l'époque où fut passée la loi qui donna le droit de vote aux femmes. La lettre d'un notaire tomba dans ma boîte aux lettres et quand je l'ouvris je découvris que ma tante m'avait laissé 500 livres par an pour toujours. Des deux -le vote et l'argent- l'argent, je l'avoue me sembla infiniment plus important. Avant ça, j'avais gagné ma vie en mendiant toute une variété d'étranges travaux auprès des journaux, ici sur une foire aux ânes, là sur un mariage ; j'avais gagné quelques livres sterling en écrivant des adresses sur des enveloppes, en faisant la lecture à des vieilles dames, en fabriquant des fleurs artificielles, en enseignant l'alphabet dans un jardin d'enfants. C'étaient là les principales occupations ouvertes aux femmes avant 1918. Je n'ai pas besoin, je le crains, de décrire en détail la difficulté du travail, car vous connaissez peut-être des femmes qui l'ont fait ; ni la difficulté de vivre de l'argent ainsi gagné, car vous avez peut-être essayé. Mais ce qui me reste encore comme pire blessure, c'était le poison de la peur et de l'amertume que ces jours généraient en moi. Pour commencer, toujours faire un travail sans envie de le faire, et le faire comme une esclave, à flatter et complaire, sans toujours de nécessité peut-être, mais la nécessité semblait réelle et les enjeux trop grands pour courir des risques ; et puis la pensée de cet unique talent -c'était la mort de le cacher- ce talent petit mais cher à celle qui le possédait -qui périssait, et avec lui mon moi, mon âme- tout cela devenait comme une rouille dévorant l'éclosion du printemps, détruisant l'arbre au cœur. Cependant, comme je l'ai dit, ma tante mourut ; et chaque fois que je change un billet de dix livres, un peu de cette rouille, de cette corrosion, est décapée ; la peur et l'amertume s'en vont. Vraiment, me disais-je en glissant les pièces d'argent dans mon porte-monnaie, quand je me rappelle l'amertume de cette époque, quel remarquable changement de caractère un revenu fixe peut apporter. Aucune force au monde ne peut me retirer mes cinq cents livres. Je suis logée, nourrie, blanchie pour toujours. En conséquence, non seulement cessent l'effort et le labeur, mais aussi la haine et l'amertume. Je n'ai besoin de haïr aucun homme ; il ne peut pas me blesser. Je n'ai besoin de flatter aucun homme ; il n'a rien à me donner. Ainsi, imperceptiblement, me suis-je retrouvée à adopter une nouvelle attitude envers l'autre moitié de la race humaine. Il était absurde de blâmer une classe ou un sexe dans son ensemble. Les grandes masses des peuples ne sont jamais responsables de ce qu'elle font. Elles sont menées par leurs instincts, qui sont hors de leur contrôle. Eux aussi, les patriarches, les professeurs, ont eu des difficultés sans fin, et de terribles obstacles à affronter. Leur éducation, par certains aspects, a été aussi déficiente que la mienne. Elle leur a inculqué d'aussi grands défauts. Certes, ils avaient l'argent et le pouvoir, à un coût cependant, celui de nourrir en leur sein un aigle, un vautour, pour toujours leur dévorant le foie et leur déchirant les poumons- l'instinct de la possession, la rage de l'acquisition, qui les pousse à désirer les terres et les biens des autres, perpétuellement; à fabriquer des frontières et des drapeaux ; des vaisseaux de guerre et des gaz empoisonnés ; à offrir leur propre vie et celle de leurs enfants.
Promenez-vous sous l'arche de l'Amirauté (j'avais atteint ce monument) ou toute autre avenue dédiée aux trophées et aux canons, et songez au genre de gloire célébrée ici. Ou regardez, au soleil du printemps, l'agent de change et le ténor du barreau s'enfermer pour faire de l'argent et plus d'argent et encore plus d'argent quand il est avéré que cinq cents livres par an suffisent à rester vivant sous le ciel. Ce sont là de déplaisants instincts à nourrir ; ils sont le fruit des conditions de vie ; du manque de civilisation, songeais-je en regardant la statue du Duc de Cambridge, et en particulier les plumes de son bicorne, avec une fixité qu'elles ont rarement reçue jusque-là. Et comme je prenais conscience de ces obstacles, graduellement la peur et l'amertume se changeaient en pitié et tolérance; et au bout d'un an ou deux, c'en était fait de la pitié et de la tolérance, pour laisser place au véritable lâcher-prise, qui est la liberté de penser les choses en elles-mêmes. Cet édifice, par exemple, est-ce que je l'aime ou pas ? Ce tableau est -il bon ou non ? Ce livre, à mon avis, est-il bon ou pas ? Vraiment, l'héritage de ma tante m'a dévoilé le ciel, et a mis à la place de la vaste et imposante figure d'un monsieur, que Milton recommandait à mon adoration perpétuelle, la vue d'un ciel dégagé. "
Une excellente lecture, décapante et radicale : Un lieu à soi - Virginia Woolf, nouvelle traduction par Marie Darrieussecq chez Denoël Editeur.