mercredi 25 novembre 2020
Féminisme et cause animale - Solidarité animale par Yves Bonnardel et Axelle Playoust-Braure
lundi 9 novembre 2020
Des corps en capitalisme
" Le corps, cet objet éminemment historique, domestiqué, violenté, pathologisé ".
Après Caliban, (voir ma chronique de 2017) Silvia Federici continue, en 9 courts chapitres alertes, son exploration de la captation-transformation des corps pour les besoins du capitalisme : celui de l'ouvrier d'abord, temps minuté, gestes calibrés au rasoir pour servir une machine convoyeur, puis corps augmenté pour servir les défis à venir : aller dans l'espace, la Terre étant désormais vidée de ses ressources. Puis le corps des femmes, historiquement domestiqué pour le travail de (re)production d'autres corps pour l'usine et aussi pour la guerre, avec interdiction et criminalisation de l'avortement et de la contraception comme crimes contre l'humanité.
Pour les femmes donc, après la création de la figure de la "sorcière" qui a contribué à la tentative de "perfectionnement de l'humain", la dernière trouvaille du capitalisme c'est de vendre leurs corps à la découpe, histoire d'améliorer les fins de mois. La GPA, Gestation pour Autrui, (Federici s'y oppose) parée du substantif valorisant d' 'altruisme', (qui refuserait d'être altruiste, franchement ?) est donc le dernier moyen, permis par les techniques de reproduction largement expérimentées et utilisées sur les animaux d'élevage, pour asservir le corps des femmes au profit des hommes gays et de tous les couples stériles, du moment qu'ils paient pour utiliser 9 mois de votre vie, pour une stricte surveillance de la femme durant la grossesse, son "produit" ne lui appartenant pas, pour sa soumission à des techniques biologiques invasives, pour finalement aliéner ce "produit" à d'autres personnes par contrat. Rappelons à toutes fins utiles, qu'il n'y a pas de droit à l'enfant, pas plus que de droit au sexe dans la Déclaration des droits humains !
Je préfère prévenir, c'est étasunien : on retrouve souvent le mot "communautés" puisque les Etat-Unis sont une mosaïque de communautés, qu'ils vivent dans une société qui a longtemps été ségréguée : blancs, noirs, hispaniques, lesbiennes, trans,... Federici utilise aussi l'expression "travailleuses du sexe" : en effet, elle est contre la criminalisation du client de prostitution au motif que le "travail du sexe" permet à des femmes, notamment de minorités ethniques puisqu'elles sont les plus pauvres, de subvenir "aux besoins de leurs communautés et familles". Ca laisse un peu perplexe pour dire le moins : si la GPA est une exploitation par un client, la vente de sexe, pour une durée plus courte c'est entendu, l'est aussi il me semble.
Dans son chapitre VIII, "Revisiter les mormons dans l'espace", Federici se livre à une prospective éblouissante sur la conquête de l'espace, pour laquelle le capitalisme aura besoin de nouveaux corps, augmentés ceux-ci, car comment tolérer la promiscuité imposée, le confinement plusieurs mois de suite dans des vaisseaux spatiaux, sachant que nous sommes une espèce belliqueuse, velléitaire et instable, qui peut à tout moment s'affronter pour son espace vital. Il faudra des individus stabilisés émotionnellement, augmentés physiquement, qui devront avoir des facultés pour faire face à des problématiques pionnières sur lesquelles nous n'avons pas de retours d'expérience, le tout sans espoir de retour. Un peu le genre sans affect des astronautes de 2001 Odyssée de l'espace (Kubrick 1959) qui sont les seuls robots du vaisseau, l'ordinateur de bord ne tardant pas à devenir fou, il est même le seul humain de l'équipage, la preuve, il trompe son monde et ment comme un arracheur de dents ! On retrouve le pantin humain, thème qui traverse toute l'oeuvre du visionnaire Kubrick.
Critique personnelle toutefois : jamais l'arrêt de la production n'est envisagé, alors que c'est l'arme utilisée par les ouvriers qui eux, ont droit à la grève, donc l'arrêt de la production, comme sanction à la non acceptation de leurs revendications. Les féministes les plus articulées ne dénoncent jamais la maternité et les effets économiques et sociaux délétères qu'elle induit pour les femmes et leurs enfants ; il me semble que la première des préoccupations quand on défend les femmes, ce devrait être la défense de leur sauvegarde, de leur santé physique et économique, de leur auto-détermination, d'abord. Mais tout se passe comme si, même pour les féministes, la maternité, cette pourtant construction sociale issue d'une domestication du corps des femmes, ne peut pas être écartée du "destin" féminin, comme si, puisqu'il y a femmes il y a forcément maternité, enfants, familles, consécration au soin des autres, sacrifice pour l'espèce, alors que l'autre moitié les maltraite. L'injonction pèse de tout son poids, pas moyen de "réussir sa vie" autrement, selon l'expression consacrée. Pourtant à 8 milliards avant 10 ans sur une planète aux ressources limitées, plus la négation de nos besoins par les diktats patriarcaux (on l'a encore vu en Pologne cette semaine, où les droits des femmes leur servent de variable d'ajustement politique) les femmes donc, à mon sens, devraient être incitées à avoir comme agenda de s'occuper d'abord d'elles-mêmes. Ni l'environnement patriarcal hostile où nous vivons en permanence ni la négation de nos besoins individuels ne sont propices à s'alourdir de charges ; c'est déjà un gros programme en soi, et même difficile à tenir : survivre, même seule, dans une société faite par et pour les besoins des hommes !
Evidemment, je sais que Silvia Federici est marxiste, et que son sujet c'est l'analyse et la critique des rapports sociaux de production, qu'elle a commencé sa carrière en revendiquant un salaire maternel pour les mères, considérant que le "travail" des femmes, c'était de produire des corps pour l'usine, MAIS sans salaire, l'usine étant, dans ce cas, leur fonction "naturelle". Elle colle donc à son sujet. Les femmes sont toujours arrimées au fatum de la maternité. Aux hommes l'HIStoire, aux femmes (et aux animaux) le destin ! L'épistémologie du récit biblique n'est pas au programme féministe*. Et pourtant le verset 1- 28 de la Bible me paraît être le premier commandement du capitalisme qui a fait de la destruction des ressources la condition de son expansion et de sa survie sous l'oxymore 'destruction créative'. Jugez-en : " Dieu leur dit, soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez, dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur terre. ". Ils sont désormais en partance pour d'autres planètes : leurs besoins en minéraux, terres rares, en extractivisme de toute sorte est inassouvible, ils ont épuisé la terre (et les femmes), ils iront désormais épuiser ailleurs.
* En fait, une seule a consacré son oeuvre à cette épistémologie : il s'agit de la féministe philosophe et théologienne US Mary Daly. Malheureusement, son oeuvre n'est pas traduite en français.
dimanche 1 novembre 2020
L'éléphant dans la pièce (Buveurs de sang)
The elephant in the room : ou comment ne pas voir ce qui est pourtant énorme, les désastres provoqués par la violence et la frustration masculines. Dans un silence assourdissant.
Après un attentat terroriste de plus, incessant défilé de frustrés enragés "faisant effraction dans le réel" pour nous terroriser, sidérer la société, et tenter de provoquer une guerre civile, on a une fois de plus le même déluge de commentaires, analyses, contre-analyses de spécialistes, généralement tous des hommes, suroccupant les plateaux télé, les colonnes de journaux et les médias sociaux, proposant leurs solutions devant des animateurs et animatrices s'arrachant les cheveux pour ceux qui en ont encore : que faire pour lutter contre la violence de ces "individus" "loups solitaires" (vraiment on l'entend encore !) et "personnes radicalisées" (une personne, c'est personne disait un de mes clients se trouvant spirituel), après des micro-trottoirs déplorant que la religion qui est tout amour, conduise certains à de telles actions déviantes. Mais jamais personne ne fera remarquer ce qui crève pourtant les yeux : les terroristes sont des hommes à 99 % !
Il y a bien eu les trois femmes aux bouteilles de gaz aux abords de Notre-Dame en plein cœur de Paris en 2016, pourtant téléguidées par les combattants de l'EIL au Cham, mais elles avaient été sans doute mal briefées, elles avaient arrosé les 6 bonbonnes de fuel au lieu d'essence "parce que c'est moins cher" SIC, du coup le fuel étant moins inflammable, elles ont raté leur coup. Elles ont été jugées, et elles ont pris cher, 30 ans, pour la principale accusée Ines Madani.
" L'homme a une préférence marquée pour les objectifs "virils", la guerre et la mort "
Mettez-vous en tête mesdames que dans les religions du Livre, issues de la proto-histoire, narrations épiques transmises oralement par des éleveurs de moutons du Néolithique, les femmes ont pour destin de reproduire l'espèce ; nous avons même été domestiquées pour ça. Les hommes font la guerre, les femmes fournissent les soldats pour leurs guerres, c'est ainsi que ça fonctionne. Dans les territoires conquis par Daech, pour ne citer que cet exemple récent, les femmes converties ou radicalisées arrivant au Cham étaient mariées immédiatement à un combattant, ou le lendemain de leur veuvage quand le premier, voire deuxième, troisième mari tombait au front, et elles étaient parquées dans le quartier des femmes à Raqqa, (une "ferme" aurait dit Dworkin) la capitale de l'EIL. Source Le jihadisme français de Hugo Micheron. Celles, occidentales, élevées dans l'égalité avec les garçons, qui étaient venues pour combattre aux côtés des "frères" en ont été pour leurs frais : on ne va quand même pas donner une arme à une femme, elle pourrait être tentée de la retourner contre son oppresseur ! Pour domestiquer les femmes, les rendre à merci, il a fallu leur imposer le tabou des armes.
" Le système de compensation le plus courant du mâle, à savoir dégainer son gros calibre, se révélant notoirement inefficace, puisqu'il ne peut le sortir qu'un nombre limité de fois, il dégaine sur une échelle franchement massive, donc sublime, prouvant ainsi au monde entier qu'il est un "Homme". "
Tenter d'expliquer ces passages à l'acte violents, comme le font certain-es par la frustration sociale et la désocialisation de "laissés pour compte", lumpen prolétaires relégués dans des banlieues tristes, ne résiste pas à l'examen. D'abord parce que pas mal s'en sortent et fournissent même des député-es à la République, et puis surtout parce que les plus mal loties dans ces quartiers, ce sont les femmes ! Mal traitées par la société patriarcale, elles peuvent l'être en plus par leurs familles, leurs frères, pères et maris, les voisins, tous les membres de la famille ou du clan. Exemple entre cent, une jeune femme tondue par sa famille parce qu'elle ne fréquentait par un garçon "acceptable" par le clan. Elles ne se saisissent pourtant pas de kalashnikovs ni même des couteaux qui ne manquent pas dans leurs cuisines pour foncer dans le tas. Alors ?
" Notre société n'est pas une communauté, c'est un entassement de cellules familiales. Miné par son sentiment d'insécurité, l'homme est persuadé que sa femme va le quitter si elle s'expose aux autres hommes et à tout ce qui peut présenter une lointaine ressemblance avec la vie. Aussi cherche-t-il à l'isoler de ses rivaux et de cette faible agitation qu'on nomme civilisation, en l'emmenant en banlieue pour la caser dans une rangée de pavillons où s'enferment dans une contemplation mutuelle des couples et leurs enfants ".
Notre classe sociale femmes est maudite : au mieux, nous sommes diffamées par la société misogyne, au pire, nous sommes passées sous silence, nos actes de bravoure (ailleurs que sur des champs de bataille, il faut du courage pour affronter le quotidien, pas mal d'hommes n'y arrivent pas) et notre grand calme inclus. Taxez-moi d'essentialisme, je m'en moque. Les femmes ne sont pas élevées, construites socialement comme les hommes, et malgré un siècle de féminisme, côté actions malveillantes (mâleveillantes ?) nous sommes toujours sous le plafond de verre : meurtres, braquages de banques, viols, délinquance sexuelle, terrorisme, tueries de masse. Ils tiennent toujours massivement les statistiques de la délinquance : 97 % de la population carcérale française ce sont des mecs. C'est qu'il y a des raisons à notre stagnation : on ne vient pas en un siècle à bout de 6 000 ans de domestication, de conditionnement par la peur, de castration psychique et métaphysique et même physique (sexes coupés, mutilations génitales diverses, pieds déformés...) à coups de pieds et de poings, de viols laissant des traces dans la psyché, de traumas se transmettant de générations en générations ! A l'inverse des autres opprimé-es, ouvrièr-es, femelles animales, nous sommes impliquées émotivement, affectivement, physiquement avec nos oppresseurs, pire, nous leurs fournissons leurs troupes et leurs soldats. Nous sommes mithridatisées, isolées les unes des autres à dessein depuis 6000 ans.
" Même chez les femmes à la coule, les amitiés profondes sont rares à l'âge adulte car elles sont presque toutes ligotées à un homme afin de survivre économiquement, ou bien elles essaient de se tailler un chemin dans la jungle et de se maintenir à la surface des masses amorphes. "
" Aucune véritable révolution sociale ne peut être réalisée par les hommes, car ceux qui sont en haut de l'échelle veulent y rester et ceux qui sont en bas n'ont qu'une idée, c'est d'être en haut. La "révolte" chez les hommes n'est qu'une farce. Nous sommes dans une société masculine, faite par l'homme pour satisfaire ses besoins. S'il n'est jamais satisfait, c'est qu'il lui est impossible de l'être. "
Si l'on fait l'inventaire de 6 millénaires de pouvoir masculin prédateur et sans partage, que constatons-nous ? Une population planétaire provoquant des effractions incessantes dans les espaces des autres terriens avec les risques inhérents, la guerre avec les autres espèces pour l'espace vital, le vidage, l'épuisement et la dégradation du biotope terrestre et marin par extractivisme à coups de gros engins phalliques ; débordements d'ordures non dégradables, surpêche, braconnage -dans pas mal de cas pour soutenir leur virilité défaillante, que paient aussi bien les espèces animales que les espèces végétales ; guerres de haute et basse intensité à cause de leurs systèmes de croyances délétères, obscurantistes, aliénantes, concurrence entre eux pour des "terres vierges" restant à saccager, la compétition sans cesse promue au détriment de la coopération qu'il laissent aux "femmelettes", la course en avant au "progrès" privilégiant toujours le curatif au préventif ; la détérioration du climat qu'ils promettent, ces forcenés, de régler par la géo-ingénierie voire la colonisation hypothétique d'autres planètes, "Big Bang, Big Phallus" (Federici), et même si quelques-uns arrivent à se carapater vers les étoiles, l'humanité, celle qui n'a pas été "augmentée", restera dans les décombres de ce qui fut notre havre. Car ces nouvelles colonies ne seront pas peuplées comme les précédentes, de voleurs, outcasts, bagnards-lie de la société, mais d'hommes et de femmes technologiquement et biologiquement transformés. On le voit, le tableau des bénéfices n'est pas brillant, même si les services de recherche et développement sont littéralement capables de miracles d'inventivité et de créativité. On peut même se demander s'ils ne favorisent pas leur hybris chronique, leur sentiment de toute puissance. Mais ils pourraient bien trouver leur Némésis !
Et nous, les femmes, voulons-nous du rôle de " co-gérantes de la merde ambiante ", laissant faire et regardant passivement le ravage se commettre ? N'est-ce pas notre tour, à nous qui gérons leur quotidien pendant qu'ils vont prétendument à la chasse ou à la guerre, ce qui revient désormais au même ? Peut-être ne ferons-nous pas mieux, mais au moins essayons ce qui n'a jamais été fait, le pouvoir aux femmes ! Qu'est-ce qu'on a à perdre, nous les femmes, quand on voit le résultats de leurs contre-exploits et de leurs méfaits ? Préférons-nous rester des " Filles à son Papa, gentilles, passives, consentantes, 'cultivées', subjuguées, apeurées, ternes, angoissées, avides d'approbation, déconcertées par l'inconnu, " ou au contraire des "grisantes", des SCUM, des " femmes dominatrices, à l'aise, sûres d'elles, méchantes, violentes, égoïstes, indépendantes, fières, aventureuses, sans gêne, arrogantes, qui se considèrent aptes à gouverner l'univers, qui ont bourlingué jusqu'aux limites de cette société... " ? Les adjectifs de la précédente phrase, n'oubliez pas, ont été forgés, stigmatisés, par le patriarcat et ses allié-es pour nous tenir dans l'aliénation, la peur et la dépendance. Ils ne sont pas péjoratifs mais valorisants, ils sont destinés à briser nos chaînes.
Les citations en caractère gras et rouge retranscrites dans ce billet sont extraites de SCUM Manifesto, pamphlet écrit en 1967 par Valerie Solanas. Il garde 50 ans après toute sa verve, tout son pouvoir subversif et révolutionnaire. Malgré quelques errances essentialistes, et références douteuses, ce texte est un dazibao, un coup de gueule, plus hurlé qu'écrit : Valerie Solanas survivait en marge, comme pas mal de femmes, en faisant la manche et en se prostituant, elle avait donc quelques raisons d'être dans une colère noire. Texte fun, accrocheur, avec un sens inégalé de la punchline, texte assertif et empouvoirant, texte salutaire donc. La colère, ce sentiment si réprimé chez les femmes : avec Valerie Solanas, affirmons notre droit d'être en colère, une colère motrice, pulsion de vie, refusant le statu quo et l'abattement devant leurs perpétuelles pulsions de mort.