dimanche 28 février 2021

Un voile sur le monde

J'ai lu ce livre-enquête de Chantal de Rudder, grande reporter, ancienne rédactrice en chef du Nouvel Observateur, qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire


Chantal de Rudder "bâchée" la plupart du temps lors de ses rencontres pour écrire son ouvrage, nous entraîne dans un passionnant voyage à travers l'histoire et les géographies. 

Comment le voile a progressé là où on ne l'avait jamais vu, là où ne le voyait plus ? 

Tout commence en 1979 en Iran par la "révolution" ultra-conservatrice de l'Ayatollah Khomeiny arrivant en Iran de Neauphle-le-Château, où il fut hébergé durant 4 mois par la France, Iran d'où il chasse le tyran tortionnaire pro-occidental Reza Shah. Les femmes qui participaient à la révolution islamique en manifestant massivement voilées de la tête aux pieds, firent elles aussi un accueil triomphal au barbu, le premier février 1979 à Téhéran. Le 7 mars, l'Ayatollah décrétait le port du voile obligatoire ; le 8 mars 1979, les femmes redescendaient dans la rue tête nue pour protester contre cette atteinte à leur liberté. Les mollahs reculent ; ils mettront 10 ans pour arriver à leurs fins, voiler les iraniennes. L'Iran et l'Arabie saoudite (le frère ennemi) sont les seuls pays à l'avoir rendu obligatoire. Aujourd'hui, les femmes iraniennes se battent pour reconquérir des droits qu'elles croyaient acquis puisqu'elles les avaient obtenus 20 ans avant la "révolution" iranienne. Pour commencer, enlever son voile dans la rue via le mouvement #WhiteWednesdays" où elles portent un foulard blanc les mercredis en signe de protestation. On est 40 ans après. Les droits des femmes, jamais acquis.

[ Mesdames, je fais ici une incise : toutes les révolutions que nous avons faites en solidarité avec les hommes, de la Révolution française, en passant par les algériennes combattant pour l'Indépendance de l'Algérie dans les années 50, à la pseudo-révolution islamiste iranienne et tant d'autres, ont tourné à la fin à notre renvoi à la cuisine et au gynécée. Même après la révolte antiautoritaire de 1968, les femmes se sont retrouvées couvertes de mômes issus de plusieurs pères, en train de les élever dans des ashrams pendant que les mecs buvaient des bières. Prendre des pavés dans la figure, être torturée ou embastillée, avoir été guillotinée (Olympe de Gouge) ne suffisent pas, il faut être encouillé, et nous on ne l'est pas ! Les hommes se contentent de remplacer les pères par les fils, les hommes d'avant par les hommes d'après, ils ne font pas de révolutions. Aussi, arrêtons de gober leurs bobards, arrêtons de courir derrière eux et de s'attribuer les  symboles de leurs "révolutions" ça finit toujours par un retour à la production de futurs petits révolutionnaires / ouvriers / croyants. Au moins Daech était franc du collier : les femmes selon une solide tradition de bédouins éleveurs de chèvres, lecture littérale et d'époque du Coran oblige, y étaient dédiées à la seule ponte. Les militantes d'extrême-gauche qui prônent aux côtés de leurs bons camarades la démolition du capitalisme, le patriarcat suivra au-to-ma-ti-que-ment (elles m'embêtent avec ça sur Twitter) feraient bien d'y réfléchir à deux fois. D'autant qu'à force de soutenir le voile au nom du "libre-choix", elles vont finir "bâchées " et les autres avec ! Les luttes des femmes pour leur autodétermination ne sont pas secondaires, subordonnables à celles des hommes, elles sont primaires et affaire de femmes. Fin de l'incise.]

Chez les Saoud, " ces similis-wahhabites salafistes pharisiens amerloquisés " selon Daech (on s'adore entre salafistes, c'est fou !) la coquetterie est permise au contraire de chez ces coincés d'ayatollahs chiites iraniens. Dessous, parce que dessus c'est niqab obligatoire. On ne montre que les yeux. D'ailleurs en arrivant à Riyad, une saoudienne enquêtée s'empresse d'offrir à notre grande reporter une tenue compatible sunnisme wahhabite alors que Chantal de Rudder arbore partout la même tenue noire râpée chiite iranienne, en s'étonnant des regards torves que provoquent sa tenue. Elle rencontre ces femmes saoudiennes très éduquées qui tentent leur émancipation dans une implacable théocratie combinant une lecture littérale du Coran du temps des transports à dos de chameaux, tout en affichant tous les éléments de la modernité : villes gigantesques ultra-modernes gagnées sur le désert, 5G, téléphones cellulaires, Internet et gros SUV ! " Les femmes du pays ont la démarche du crabe, elles avancent en faisant des pas de côté ", impossible d'être frontales (elles en sont tout de même à se battre pour pouvoir conduire leurs voitures elles-mêmes !), aussi ces femmes occidentales qui " font perdurer une époque de plomb " dont elles-mêmes essaient de se débarrasser leur insupportent ; les voilées françaises n'ont pas la cote :" Je déteste ces européennes en burqa, ces filles se font manipuler, on ne leur vend pas l'islam mais une identité qui n'est pas la leur, " affirme Sheika.

D'Iran à Grenade en Andalousie, où un rond-point sert de pèlerinage aux décoloniaux, on passe d'abord par la Belgique gangrenée par le salafisme, où l'on apprend l'accord historique entre le pieux roi catholique Beaudouin et les rois saoudiens, accord qui a mis sous tutelle saoudienne les musulmans du pays, " solidarité habituelle de calotins" ; puis par le Danemark, petit pays de 6 millions d'habitants qui a payé le prix fort au terrorisme islamique, et dont le welfare state généreux attire les émigrés venant de pays en guerre : son actuel gouvernement de centre droit qui mène une politique volontariste et pragmatique contre les ghettos a institué des cérémonies de naturalisation où serrer la main de toutes les personnes présentes est obligatoire, la covid a d'ailleurs suspendu ces cérémonies jusqu'à nouvel ordre tellement ils ne plaisantent plus sur le sujet de l'égalité femmes hommes ; par la Bosnie musulmane où les accords de Dayton ont figé la situation de la fin de guerre et qui subit plein pot l'influence de la Turquie et celle concurrente des saoudiens qui y financent des mosquées géantes, où le voile islamique jilbeb fait une grande progression au nom de l'identité musulmane. Islamisation par la guerre. Par la Grande-Bretagne gangrenée par le communautarisme où les tribunaux chariatiques sont tolérés, tribunaux dont les jugements sont toujours défavorables aux femmes, mais qui, prétexte, soulageraient la justice britannique mise à mal par les restrictions budgétaires imposées par les régimes néolibéraux. Alliance du libéralisme ultra et des religieux, des pétrodollars et de McWorld. Par les USA enfin où perdure la " bigoterie de la race ". 

Enfin, le dernier et étonnant chapitre chez les décoloniaux à Grenade où ils tiennent un séminaire décolonial, où parvient avec difficulté à s'infiltrer de Rudder en planquant sa judéité, invoquant sa famille berbère dans son dossier de candidature. Ce chapitre nous apprend plein de choses sur ce mouvement fondé par un portoricain, et nous mène au bout d'un voyage où Chantal de Rudder a repris son métier de grand reporter, ses carnets d'adresses et ses souvenirs d'ancienne journaliste ; on comprend comment les révolutions, mais aussi les guerres (Bosnie), la fin de la guerre froide, tous les soubresauts de l'histoire, l'argent des pétro-monarchies qui coule à flot et permet de tout acheter, les démissions occidentales ravagées par le consensualisme, la mollesse sur les principes, la mauvaise conscience et les compromissions, l'impuissance rigidifiée, ont permis le retour de la bigoterie, du religieux, et du coup, à ce vieux stigmate des femmes (le voile est pré-islamique évidemment), d'être revendiqué comme un gage de révolte, un attribut féministe et révolutionnaire. Ce qu'il n'est pas. " C'est fascinant ce pouvoir de détourner les mots, de dévoyer des valeurs ". Il faut réaffirmer haut et fort que les lois qui limitent le port du voile dans l'espace républicain sont faites pour protéger celles qui ne le portent pas du prosélytisme de l'islam radical, rien de moins. Celles qui le portent en étendard revendiquent une limitation, pas une émancipation. 

Le soft power, les femmes instrumentalisée par des vieux barbus, ça vous a tout de suite une allure (trompeuse) pop et moderne, plus en tous cas que les ensoutanés que plus personne ne supporte, surtout dans les pays musulmans qui n'en finissent pas de s'émanciper du joug de la religion et des tyrannies, les Printemps arabes des populations urbanisées nous l'ont clairement montré en 2011, 2012, tandis que les campagnes résistaient comme en Turquie ; il n'y a que la petite Tunisie qui a accouché du sien dans la douleur. La démocratie est un long chemin. Chantal de Rudder écrit un livre plein de verve, résolument impertinent, avec même un solide sens de l'humour, où chaque chapitre est bouclé comme dans une série, on peut donc choisir son ordre de lecture. Ce qui frappe tout de même, c'est la haine générale que provoquent les femmes, et ce besoin fanatique des hommes de nous soumettre, de surveiller nos corps, tandis qu'eux s'autorisent toutes les privautés, ne s'interdisent rien ou presque !

Le capitalisme s'accommode très bien de la post-modernité et de la bigoterie : 

" L'essentiel pour McWorld, comme le soulignait Benjamin Barber, c'est d'agrandir sa clientèle. L'Institut Thomson-Reuters évalue le marché mondial de la mode islamique à 484 milliards de dollars pour 2019. En toute logique économique, les marchands de la mosquée -comme on dit les marchands du temple- prolifèrent désormais, tous avides d'occuper désormais ce nouveau créneau porteur de la consommation. Dans les sweatshops du Tiers-monde, de pauvres créatures piquent et cousent du hijab au kilomètre pour qu'en Occident et ailleurs des femmes affichent leur musulmanité orthodoxe. " Révolutionnaire, vous avez dit ? 

A lire donc, pour remettre les pendules à l'heure. 

Les citations du livre sont en caractère gras et rouge

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