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vendredi 29 mai 2020

Les crimes au féminin



J'ai lu cette semaine ce passionnant ouvrage de 146 pages, écrit en 2010 par Chrystèle Bellard (CB), doctorante en droit pénal. Elle y démystifie nos croyances et a priori sur les femmes criminelles.

Too few to count 

Les criminelles sont "trop peu nombreuses pour compter".
Le crime et la délinquance sont masculins, même si cela ne s'énonce pas facilement. La France est marquée par la pensée universaliste, donc si l'espèce humaine commet les pires horreurs, cela ne peut pas manquer d'affecter les deux sexes à égalité. C'est l'antienne qu'on vous sert à chaque fois que vous soulignez les insupportables comportements antisociaux des mecs. D'ailleurs on se garde bien de publier les chiffres de la délinquance entre les deux sexes et le vocabulaire sert à noyer le poisson : "les jeunes", commode adjectif substantivé désigne généralement tous types de délinquants, occultant le fait qu'on ne parle que de garçons ; violence "conjugale" ou mieux "intra-familiale", permet de masquer qui cogne sur qui. Les filles, c'est connu, ne sont jamais jeunes. Vieilles comme le monde, elles sont : si elles sont frustrées (et il n'y a pas de raison qu'elles le soient moins que les mecs vu que la société les maltraite davantage), elles ont tendance, soit à faire contre mauvaise fortune bon cœur, soit à retourner leurs frustrations plutôt contre elles-mêmes. Bien qu'elles représentent plus de 50 % de la population, les femmes tiennent une part infime parmi les auteurs d'infractions. Rappel : selon le Ministère de la Justice, qui gère les prisons, 97 % des places d'incarcération sont occupées par les hommes. On nous objectera que les femmes ont moins d'opportunités vu qu'elles sont enfermées socialement dans le conjugo et à la maison. Au fait qu'en disent les féministes ?

Chrystèle Bellard en distingue deux sortes : les féministes matérialistes qui expliquent que si les femmes sont moins agitées et criminelles, c'est à cause de leur socialisation. Mais les femmes étant après tout des hommes comme les autres (Beauvoir), l'émancipation pour laquelle elles se battent devrait faire que, alleluia, à la fin, quand nous aurons gagné, on pourra aligner des contre -performances égales à celles des mecs, voire qu'on pourrait même les battre, vu qu'on est meilleures qu'eux en tout. Je suis matérialiste, mais, euh non, je n'ai pas envie de ce genre de victoire.
Les féministes essentialistes, elles, opposent le courant radical de la "spécificité" : elles revendiquent la "femellité" des femmes, faite de douceur, d'attention à l'autre, elles défendent " un territoire, un savoir, une éthique et un pouvoir féminin ".  Heu, merci, non plus.

Mais dans tous les cas, les deux courants féministes identifiés par Chrystèle Bellard (CB) prennent pour modèle criminel l'étalon masculin ! Ce que conteste CB. 

On peut être d'accord avec elle : en effet, malgré la révolution féministe qu'on va dater des débuts du suffragisme, il y a maintenant un siècle, malgré l'empouvoirement des femmes qui s'en est suivi, l'émancipation, l'autonomisation, l'agentivité gagnées, les criminelles ne sont qu'une poignée aux Assises, elles restent des étrangetés criminelles. Les femmes restent (désespérément ?) calmes au niveau social. D'un calme olympien même. Tandis que les hommes eux, sont surreprésentés dans les meurtres, la violence, la tuerie de masse.

Mais écrit CB :" il ne s'agit pas de se demander pourquoi les femmes commettent moins de crimes que les hommes, mais bien plutôt pourquoi eux en commettent tellement plus ? " Au contraire, il serait " plus cohérent de considérer la criminalité des femmes comme la norme : elle est le meilleur modèle des deux, la criminalité des hommes devrait donc être étudiée en fonction d'elle. "

Criminelles et fantasmes

La femme étant de toute éternité, selon les mythes culturels et religieux un potentiel danger pour l'homme, la criminelle agite d'autant plus les fantasmes qu'elle est minoritaire (voir ci-dessus). L'empoisonneuse diabolique hante la littérature : La Brinvilliers, Thérèse Desqueyroux..., et les faits divers : Violette Nozières (victime d'inceste paternel, muse des Surréalistes), Marie Capelle, épouse Lafarge, et (merci CB, elle a été totalement invisibilisée par l'histoire  :) Hélène Jégado tueuse en série bretonne, "elle pourrait être LE tueur en série le plus important du XIXème siècle", elle a semé la mort en Bretagne pendant 18 ans, elle pimentait la soupe de ses employeurs à l'arsenic, elle n'a été jugée que pour 3 meurtres et 4 tentatives de meurtres alors qu'elle aurait tué au moins 23 personnes, certains disaient 80. Mais les faits étaient couverts par la prescription. " Dans l'imaginaire collectif, l'empoisonneuse présente l'image inversée de la mère nourricière ". Sauf que, patatras : les plus nombreux criminels empoisonneurs sont les hommes, l'empoisonnement n'arrive qu'en neuvième position chez les femmes, c'est un fait statistique, leur arme favorite étant l'arme blanche ! Le couteau de cuisine sans doute, puisque la cuisine est leur lieu de destination ?

Autre archétype, la "diabolique" qui a tendance à mener sa vie sans respecter les rôles qui lui sont dévolus. Effectivement, pas beau, ça ! " Instigatrice, muse sanglante, les journalistes lui attribuent un surnom choisi dans le domaine animalier (d'une pierre deux coups, sexisme et spécisme, ça peut toujours servir). Elle est ainsi tour à tour une "veuve noire", une "mante religieuse", une "mygale", une "vipère, ou encore une "pieuvre". Pas mal d'avocats, et pas des moindres, se sont ridiculisés en abusant de ces adjectifs à leurs procès. Les meurtrières sont généralement jugées au prisme du genre qui fonctionne en double face : certains de leurs actes sont excusables parce c'est une femme, d'autres impardonnables parce que c'est une femme. Il y aurait des comportements criminels acceptables pour une femme, d'autres impardonnables, la tolérance dépendant de son respect des normes féminines." Quand une femme transgresse gravement, au contraire d'un homme, cela fait vaciller la société toute entière, écrit CB. Le genre demeure donc un élément discriminatoire puissant dans la sphère pénale. L'idée demeure que toute femme qui commet un délit est doublement coupable, d'un délit réprimé par la loi et d'un délit contre l'ordre moral.

Hors des fantasmes, les femmes criminelles

Les femmes tuent maris, amants, patrons, enfants (le crime d'infanticide est le crime féminin le plus répandu), elles violent, peuvent être pédophile, tabou suprême. les femmes sont des êtres humains qui tuent par intérêt, par vengeance, par passion, par amour.
Il y a la femme trahie qui tue plutôt Valentin, les femmes tuant leurs rivales sont rares, la mère meurtrière, -l'infanticide est l'acte criminel le plus féminin-, elle-même comportant deux catégories : la néonaticide, généralement considérée avec indulgence par la société, sans doute au prix de l'exaltation permanente de la tellement géniale maternité-c'est-que-du-bonheur. Une extrême minorité de néonaticides arrive en Cours d'Assises. A ce sujet, le traitement judiciaire compréhensif réservé aux femmes qui tuent leur nouveau-né à la suite d'un déni de grossesse est, je trouve, particulièrement choquant. On reconnaît ici le même travers que chez les féministes considérant la femme comme éternelle victime des hommes, de leur violence, la même croyance en la faiblesse constitutive des femmes. Et l'évitement sociétal d'affronter la mise en place de mesures de prévention.

Le deuxième catégorie de mère meurtrière est la libéricide : prototype Médée qui égorge ses enfants parce qu'elle est rejetée par Jason pour une autre femme. Autre nom : suicide altruiste, qui est plutôt un travers des pères quittés par la mère. Mais des femmes tuent leurs enfants handicapés. 
Meurtre du conjoint : il est admis que les femmes tuent pour se libérer d'un homme violent, maltraitant, pour mettre fin à une liaison toxique, alors que les hommes eux, tuent leur conjointe parce qu'elle veut les quitter ! De quoi mettre à mal une croyance ancrée qui veut que les femmes sont demandeuses de conjugo alors que les hommes, eux, ne se mettraient en couple que sous la pression de leur conjointe. Encore une légende patriarcale réduite à néant. 

CB distingue les meurtres des autres violences : maltraitances à nourrisson, violence maternelle ; pour y remédier il faut cesser de présenter la maternité comme le bonheur absolu, il faut en finir avec l'angélisme propagandiste, la maternité sacralisée. Taboues, les infractions sexuelles commises par des femmes : viols, pédophilie, généralement exercés sur les filles, avec la complicité d'un homme ou non. Chez les femmes aussi, les agressions sexuelles sont la manifestation d'un pouvoir sur la victime. La définition du viol en droit français est non genrée, contrairement au droit de pays comparables au nôtre : il n'y est pas question d'attributs que les femmes n'ont pas. En matière d'abus sexuels, la prise de conscience, et donc la législation, sont récentes : la réalité criminelle du viol date des années 60, l'inceste des années 80/90, l'affaire Dutroux introduit la pédophilie dans les faits divers ; pour l'inceste et la pédophilie des femmes, il faudra attendre les années 2000 avec l'affaire Outreau.

Immatures, dépressives, adolescentes mineures, peu diplômées, sous l'influence de drogues, de l'alcool, ou d'un homme, violentées pendant leur enfance, les femmes criminelles sont toutefois de tous les milieux sociaux. L'enquête de CB est faite sur un panel de délinquantes, sur les archives des tribunaux, sur des entretiens de criminelles de la prison centrale des femmes de Rennes. Ses tableaux statistiques sont en fin d'ouvrage. A lire. L'autrice débunque à tout va nos croyances.

En conclusion, Chrystèle Bellard propose une comparaison des deux contentieux masculin et féminin mais en prenant celui des femmes comme référence. " Il s'agirait alors d'analyser l'excédent criminel masculin, afin d'identifier ce qui, chez les hommes, ou plus probablement dans leur socialisation, dysfonctionne. " CB propose d'asexuer le concept de violence, d'arrêter de l'associer au genre masculin, et de considérer la criminalité féminine comme norme criminologique ; la société pourrait ainsi se fixer comme objectif " de supprimer cet écart, d'uniformiser le volume des contentieux, en ramenant les hommes à un niveau de dangerosité comparable à celui des femmes. "
" Il faudrait faire preuve de bon sens : que les filles soient éduquées à prendre soin des autres, à respecter les règles et à réfléchir avant d'agir explique pour beaucoup leur moindre criminalité. Présenter cela comme l'illustration voire la cause des inégalités subies par les femmes, une injuste discrimination à combattre semble être une conclusion absurde. Ces acquis caractérisent une socialisation réussie et on peut se féliciter que les femmes possèdent de telles facultés."

Il n'y a plus qu'à. Pour cela, il faut inverser le paradigme actuel sur lequel vit la société : la dévalorisation des qualités des filles et femmes, et à l'opposé, l'exaltation, la flatterie dont bénéficient les garçons pour leurs comportements virils, cossards, irresponsables, m'as-tu-vu, cruels, dilettantes, j'en passe. Leurs mères sont-elles prêtes à renoncer au prestige douteux d'avoir élevé un tel misfit comme revanche sur leur vie dévalorisée, jouant ainsi contre leurs intérêts de classe ?

Les citations de l'auteure sont en caractères bold et rouge.

Edit le 31 mai 2020
Pour instruire la dernière citation de CB sur les filles, avant qu'on nous accuse d'essentialisme ce qui ne va pas manquer d'arriver, je rajoute ce qu'écrit Colette Guillaumin dans Sexe, race et pratique du pouvoir, sur les "qualités de femmes", les "traits féminins" (liens entre être humains, attention aux autres, inventivité dans la vie matérielle quotidienne) tant prisés par l'autrice de cet ouvrage :
" Loués comme tels, ces traits sont les CONSEQUENCES, heureuses, estimables (tout ce qu'on voudra) mais conséquences tout de même, d'une relation matérielle. D'une certaine place dans une relation d'exploitation classique ". Ca va mieux en le précisant.

Liens supplémentaires sur le traitement double standard que subissent les femmes criminelles et les fantasmes qu'elles agitent :

Les amazones de la terreur Par Fanny Bugnon, historienne, chroniqué sur mon blog en 2015
Présumées coupables, les grands procès faits aux femmes, le beau catalogue de l'exposition des Archives Nationales en 2016, toujours disponible en bibliothèques ou en librairies.

samedi 16 mai 2020

Théorie politique : Carte du territoire ennemi, stratégie de renversement

Cette semaine je vous propose un texte politique de Ti Grace Atkinson, féministe radicale, auteure de Odyssée d'une Amazone dont provient cet extrait. Il a le mérite d'aller à la racine des choses et de les nommer. Elle est à mon avis la seule féministe qui, après avoir fait le diagnostic, propose une stratégie pour parvenir à bout de l'oppression. Evidemment cette stratégie est radicale. Elle ne peut être que radicale, toute autre n'étant qu'aménagement (réforme).

Ti Grace Atkinson attends conference held at Barnard College - Photo Bettye Lane

" Ces deux dernières années, j'ai insisté sur la nécessité pour les féministes d'élaborer une analyse politique. Une théorie politique suppose une carte du territoire ennemi . Sans elle, il est impossible de développer une stratégie appropriée. On pourrait aussi proposer une analogie moins polémique : un médecin doit faire un diagnostic avant de prescrire un traitement. [...]

L'oppression est une activité créée, développée et soutenue par l'Oppresseur. La classe des femmes est déterminée par certaines caractéristiques sexuelles. Appelons-la la classe "sexuelle". Or, un aspect de la nature des classes politiques est leur dichotomisation : blanc / noir, riche / pauvre, et homme / femme. Pour la classe opprimée, il n'existe qu'une autre classe : son antagoniste. C'est donc nécessairement la classe antagoniste à la classe des femmes qui est l'Oppresseur. La classe des hommes est l'oppresseur de la classe des femmes. En termes politiques, les hommes oppriment les femmes. Or, ceci veut dire tous les hommes, et aussi toutes les femmes. Ce point doit être bien clair. 

L'activité de l'oppression implique, semble-t-il, plusieurs tours de passe-passe, rapidement exécutés. D'abord, l'Oppresseur stimule et développe sa conscience de classe, en réponse à certaines caractéristiques communes de la classe qu'il opprimera. La classe oppressive se détermine donc, en un sens, par voie de négation. Dans le cas des femmes, la caractéristique perçue par l'Oppresseur est évidemment la possibilité d'avoir des enfants, et par extension, les caractéristiques sexuelles secondaires.

Il existe différentes descriptions anthropologiques de ce phénomène historique, le premier tour de passe passe.

[Capacité à mettre des enfants au monde, source enviée de pouvoir politique ; mise en avant du pénis, organe reproducteur des hommes dont ils sont obsédés, qui devient l'organe de la suprématie de classe, l'acte sexuel évoluant en rappel de l'infériorité de classe des femmes]

Le premier stade de l'oppression est plus ou moins franc. L'Oppresseur peut révéler son jeu dans le contexte de la seconde étape. Il lui faut en effet dissimuler son activité de formation d'une classe politique en vue d'éviter la résistance. La consolidation et le maintien de l'oppression exigent que la charge de l'oppression revienne aux Opprimés afin de justifier l'oppression comme partie nécessaire et naturelle de l'ordre de l'univers. Les Opprimés, groupe d'individus, se retrouvent ainsi transformés en fonction particulière de la société. Cette fonction devient alors un instrument ou un prolongement de la société. Il me semble évident que l'aptitude à mettre au monde des enfants, aptitude que possèdent certains individus de la société, est devenue une fonction nécessaire à la société. Il est évident aussi que cette aptitude individuelle a été transformée politiquement, c'est à dire artificiellement,en incapacité de classe. Après avoir sournoisement amené les femmes dans cette fausse position, les hommes furent à même de consolider l'activité oppressive en schémas sociaux appelés aujourd'hui "institutions".

Ces premiers tours de passe passe permirent aux hommes de faire passer ces institutions pour des "protections". Le mariage en est l'exemple le plus évident. Les lois parlent clairement. La femme est le prolongement de son mari. Etant donné ce principe, la structure de l'institution ne peut surprendre personne : aucune liberté de mouvement, aucune rétribution du travail domestique, et des relations sexuelles selon le bon vouloir et la décision du mari. [...] Une des "réalisations" les plus célèbres de l'ancien Mouvement des Femmes fut "l'Acte de Propriété de la Femme Mariée". Sur quelle base éventuelle pourrait-on sauver l'institution du mariage ?

J'ai dit plus haut que le seul changement possible de l'oppression féminine aurait été la conscience de l'oppression chez les Opprimés. Il a fallu enchaîner les esclaves de la première génération. Mais dès la seconde génération, seuls quelques esclaves durent subir les chaînes ou la coercition. Quand les opprimés sont isolés les uns des autres, quand ils voient depuis la naissance les membres de leur classe jouer certains rôles et quand les conditions de libération ne représentent qu'une modification de la situation immédiate, les esclaves peuvent accepter leur définition politique d'Opprimés ou d'Inférieurs. Mais aucun être humain ne peut "accepter" l'oppression en tant que telle. Le dilemme, du point de vue psychologique, est de résister à l'Oppresseur ou d'accepter d'être inférieur, avec tout ce que cela implique. L'alternative à ce dilemme est d'accepter la notion d'identité comme prolongement d'un autre individu. La vie même d'une femme en tant qu'être humain dépend de son adhésion et de son identification à la classe qui lui est opposée, à savoir les hommes.

Certaines femmes du Mouvement prétendent que le phénomène de l'amour, en particulier celui de "l'amour romantique", est relativement récent. Mais avant d'entrer dans la polémique, je dois signaler l'importance même du problème de l'amour. [...]
Cette condition mentale, si désespérément recherchée par les femmes ne me semble pas particulièrement mystérieuse. Apparemment "l'Amour" est une réponse traditionnelle à l'oppression accablante. De plus, il fait partie du processus d'identification avec "l'Homme". Aimer c'est s'abandonner. C'est probablement pour l'opprimée la seule façon d'échapper à son oppression.

La prostitution est le type même de fausse alternative au mariage. Cette sinistre leçon de choses permet à l'Oppresseur de maintenir la femme moyenne enfermée dans la prison du mariage, subordonnée à son Oppresseur.
Le viol est une activité terroriste.
Les rôles, distincts de la fonction*, sont l'expression des caractères de classe des institutions.

Ce que le Mouvement appelle les activités pour les "droits civils", par exemple la lutte contre la discrimination dans l'emploi, sont à n'en pas douter des aspects secondaires de l'oppression des femmes dans la mesure où ils reflètent les rôles attribués aux femmes au sein des principales institutions sexuelles. Combattre la discrimination dans l'emploi et en faire le pivot de la lutte contre l'oppression des femmes est plus ou moins analogue au cas des noirs qui combattaient pour la même cause dans les années 1850, croyant attaquer le cœur de leur oppression. Tactique suicide !
La religion est, semble-t-il, le type d'instrument officiel destiné à faciliter l'adaptation de la conscience des femmes à l'oppression. Il ne faut pas oublier qu'une théorie de l'oppression des femmes doit envisager tous les cas, toutes les structures et toutes les institutions de cette oppression.

... et que dire de toutes ces lois faites par les hommes qui décident de l'utilisation du corps des femmes, comme par exemple les lois sur le contrôle de la natalité et les lois sur l'avortement.

Je  voudrais proposer brièvement un programme destiné à enrayer l'oppression des femmes. Manifestement, les femmes -le plus grand nombre de femmes- doivent avant tout se couper des institutions sexuelles et s'organiser pour créer un contre-pouvoir opposé à celui des hommes. Aussi, je vous en prie, pour votre bien et celui du Mouvement, ne vous mariez pas. Une fois les institutions majeures minées ainsi, il faut lutter pour trouver les moyens de passer de l'oppression à la liberté.

Les Féministes (The Feminists) ont avancé un programme de dédommagements élaboré sur le modèle des programmes de l'Administration des Anciens Combattants. Ceci pourrait être fait par un Ordre de l'Exécutif. Ce programme, comme celui de l'Administration des Anciens Combattants, comprendrait trois catégories de bénéficiaires : femmes célibataires, femmes mariées et femmes ayant des personnes à charge. Ce serait un engagement national à une telle échelle que les dépenses se rapprocheraient vraisemblablement de celles que nous consacrons actuellement à la "défense" militaire. Il serait naïf de croire que n'importe quel gouvernement, et à plus forte raison le nôtre, est prêt à admettre la nécessité d'un tel engagement sans une énorme pression.

Quant à la tactique, je crois que la méthode la plus efficace consiste à isoler l'objectif et à l'attaquer sous tous les angles, jusqu'à la chute définitive. Prenons le cas du mariage. Il faudra développer une campagne d'éducation massive. Et ensuite faire un procès au mariage en s'inspirant du Treizième Amendement de la Constitution des Etats-Unis qui déclare l'illégalité de l'esclavage et du servage involontaires. Notre gouvernement, comme tous ceux que je connais, peut prétendre que le mariage est une forme de servitude volontaire. Mais les femmes n'étant pas informées des termes du contrat et cette ignorance étant à l'origine de l'annulation de toute autre forme de contrat de travail, force est de déclarer nul le contrat de mariage. Même les Nations Unies peu favorables aux points de vue "radicaux", affirment que le servage** ne va pas de soi dans la condition humaine. Ainsi, à moins de proclamer que les femmes ne sont pas humaines -idée qui n'est pas neuve- la "servitude volontaire" est une contradiction dans les termes. "

Ti Grace Atkinson 
Conférence à Kingston, Rhode Island, 4 mars 1970
Ti Grace Atkinson est une féministe en rupture avec le féminisme réformiste, théoricienne du féminisme radical et des rôles sociaux des sexes. 

J'ai supprimé ou résumé quelques phrases et paragraphes, suppressions et résumés signalés par des [entre crochets]. Une conférence-discours, pour celles qui en ont fait, peuvent et doivent même être redondantes, c'est une façon de rythmer son propos, comme un refrain dans un chant. A l'écrit, au contraire, la redondance est à proscrire.

* Cette notion de rôle, distinct de la fonction, est repris par Orna Donath dans Le regret d'être mère.

** Le servage ou péonage n'est pas la même forme d'asservissement que l'esclavage ; le serf ou péon, contrairement à l'esclave qui ne s'appartient pas, qui peut être acheté ou vendu, le serf, lui est un humain libre, à ceci près qu'il n'est pas libre de ses mouvements. Il doit en effet à son suzerain une dette qu'il rembourse sous forme de corvées et de dîmes, de paiements en récoltes ou en produit de chasse ou d'élevage. Il doit donc habiter jusqu'à extinction de sa dette sur les terres de son suzerain.
Lire Dette, 5000 ans d'histoire de David Graeber

mardi 5 mai 2020

Prophylaxie

En France, devant les dégâts causés par la violence routière (3500 personnes tuées par année sur les routes, plus plein d'autres estropiées, handicapées à vie) on a imaginé des mesures de prévention de ladite "violence routière", nommer le problème est un progrès : vitesse sans cesse abaissée sur les routes et autoroutes, contrôles routiers aléatoires en voitures de police banalisées, radars de plus en plus perfectionnés, dos d'âne-traquenards sur les lignes droites qui menacent votre suspension si vous dépassez 30 à l'heure, contrôles du taux d'alcoolémie des conducteur pour ceux (celles ?) qui voudraient prendre la route avec une mufflée.  Toutes ces mesures ont fait que les accidents provoqués par la délinquance routière baissent sans discontinuer depuis 20 ans.

Par ailleurs, on recense 60 000 morts du cancer du poumon dans notre pays, dont 44 000 de cancer dû au tabac. Des mesures prophylactiques ont donc été mises en oeuvre pour stopper l'épidémie : augmentation du prix du tabac, interdiction de la publicité des marques de cigarettes, emballages anonymes de plus en plus dissuasifs avec FUMER TUE inscrit dessus, campagnes de publicité sur les moyens d'arrêter.

Enfin, l'alcool rend malade et tue : on considère que 60 % des lits d'hôpitaux tous services confondus, y compris la psychiatrie, sont occupés par des maladies liées à l'alcool, inclus les polytraumatisés de la route. Pareillement, des mesures prophylactiques sont prises pour limiter le fléau : interdiction de vente aux mineurs, interdiction de vente d'alcool sur les autoroutes, contrôles d'alcoolémie au volant, campagnes dissuasives. Pour l'instant, mais jusqu'à quand, la publicité pour l'alcool reste autorisée sous la pression du puissant lobby viticole.

Si l'on considère à présent les victimes de la violence appelée "conjugale" où c'est en écrasante majorité les hommes qui maltraitent, blessent et/ou tuent, violences en recrudescence d'au moins 30 % depuis le début du confinement de l'épidémie de COVID 19 selon les statistiques des associations de prévention et de secours, on obtient certes un nombre de victimes nettement inférieur même si on ajoute les enfants tués ou blessés avec leurs mères, les suicides abusivement déclarés "altruistes" (le père tue toute la famille avant de se donner la mort, dans le cas de séparations violentes) : on obtient entre 2015 et 2018, 1086 femmes victimes d'homicides et 363 enfants morts sous les coups de leurs parents entre 2012 et 2016, ces statistiques ne faisant pas de différence entre les meurtriers, les femmes étant davantage infanticides, et l'infanticide se nomme ainsi jusqu'aux deux ans de l'enfant. Il ne tient pas compte non plus des enfants battus, ou victimes d'inceste en général par un père, grand-père, beau-père, frères ou demi-frères, les filles étant sur-représentées dans les victimes de ces crimes. Mais en tout état de cause on peut dire que le sacro-saint mariage ou l'union libre blessent, handicapent, tuent violemment des femmes et des enfants, voire mettent gravement en danger leur santé physique et mentale. On me rétorquera que ce ne sont pas les mêmes niveaux de chiffres et qu'on ne pourrait donc pas comparer. Sauf que dans ce dernier cas, il s'agit généralement de coups, de crimes, d'actes de torture, de morts violentes, dont les enfants sont parfois témoins, et qu'ils mettent en péril l'ordre public. Ils choquent davantage l'opinion. Et puis, il y a une différence entre s'arsouiller copieusement chez soi en solo, fumer comme une cheminée pendant des années et en payer ensuite le prix individuellement tout en coûtant à la société et au système de santé tout de même, et mourir violemment aux mains du précédemment mal nommé Prince Charmant ! Je t'aime, je t'ai dans la peau, je te tue, serinent l'opéra comme la chanson populaires qui regorgent de ces refrains.

Aussi, je me demande s'il ne serait pas temps de mettre en garde (dissuader) les femmes contre le conjugo (de la main droite comme de la main gauche) vu les mort-es et les blessé-es qu'il provoque. Parce que c'est bien beau de compter les mortes comme font les associations féministes, d'être en permanence dans le constat (impuissant) et la déploration sans jamais engager de mesures dissuasives du type de celles évoquées ci-dessus contre la violence routière, le tabagisme et l'alcoolisme. Vous me direz, il s'agit de l'aaaamourrr tellement prisé, survalorisé même, surtout quand il s'agit de l'amour entre parents et enfants, de l'aaaamourrrr (névrose, dépendance) entre une femme et un homme. Trouver le bon, trouver l'amour, trouver et garder sa moitié d'orange, se sacrifier pour ses enfants : toute la littérature, la culture, populaire ou plus huppée, la chansonnette, la poésie, toutes ces narrations édifiantes nous entretiennent dans l'illusion cékedubonheur : l'amour, le conjugo, la maternité et la paternité, bref toutes les vaches sacrées du patriarcat sans lesquelles la société ne serait pas ce qu'elle est, une succession de normes intangibles et inamendables. Tiens d'ailleurs, c'est tellement un lieu commun indiscutable malgré le malheur occasionné que j'ai vu passer un concours lancé par un tweet genre "on se désennuie pendant le confinement", je vous le donne en mille : quel est le plus beau film d'aaaaamourrrr que vous ayez jamais vu ? Devinez ? Le tweet d'origine a été repéré par une (importante) asso féministe dont je vais taire le nom par charité, et relayé ! Je n'ai pas creusé, mais il serait intéressant de savoir combien de féministes ont voté pour Pretty Woman, histoire d'amour entre une prostituée et son client qui la sort par.... le mariage de... la prostitution ! Richaaarrrd, Juliaaaaaa ! Non mais on se pince.

Bien que personnellement je n'ai jamais tenté le DIABLE, (voir mes nombreux précédents billets sur le sujet) je vais tenter, devant le silence abyssal de la société, quelques propositions pour au moins avertir les filles et femmes avant que le mal soit fait ; si j'en sauve une ou deux ce sera déjà un succès.

Aux grands maux, les grands remèdes, suggestions préventives -les solutions curatives, il y en a plein : trois propositions prophylactiques.

Il convient d'abord de se sortir de l'ornière et arrêter de dire par actes délibérés ou manqués que se marier et avoir des enfants est l'alpha et l'oméga d'une vie de femme ; on leur expliquera même les tas d'INCONVENIENTS auxquels elles s'exposent en s'engageant dans un système qui n'est décidément pas fait pour leur plus grand épanouissement social, économique et politique. Pas de fausse pudeur, il est temps d'arrêter la machine à décerveler et aliéner. Cela vaut évidemment pour les garçons, même (surtout) si vous vous attaquez à leurs privilèges d'ayant-droit. Avant de se marier, c'est la loi, il faut déposer des bans qui seront affichés en mairie : c'est le bon moment pour que les fiancés repartent avec un copieux fascicule leur rappelant leurs droits d'êtres humains : vivre en paix et en sécurité sans prendre de baffes pour madame en lui rappelant que la société le lui garantit, et pour monsieur, un sérieux rappel à la loi, le mariage ne lui donne pas tous les droits, et qu'au cas où il récalcitrerait ou se montrerait non respectueux des conventions, lui faire bien comprendre que ça peut vraiment barder pour son matricule. Joie, liesse, ok, mais dans le strict respect des lois et us, on n'est pas là que pour rigoler et s'embrasser. Bis repetita placent : le jour du mariage s'ils ont décidé de persister contre tout, rajouter un moment dans la cérémonie, à un endroit stratégique, leur rappelant bien tout ce à quoi ne s'engage pas madame (se prendre des baffes et servir d'exutoire aux frustrations de Monsieur) et à quoi s'engage Monsieur, assurer à deux la paix dans le ménage. Sans quoi, etcoetera...
J'avais pensé rajouter que, sur le modèle des paquets de cigarette où est inscrit "fumer tue", on aurait pu inscrire de la même manière sur le fronton des mairies ou au moins sur celui de leurs salles de mariage, SE MARIER PEUT PROVOQUER DES BLESSURES physiques et psychiques GRAVES, et MEME LA MORT ! Mais bon, toutes celles qui n'y passent pas ne le verraient pas. Mais quand même, franchement, ça se tente, ce n'est pas parce que les unes ne le voient pas qu'elles ne savent pas par les autres ce qui est écrit. Non, franchement, finalement, c'est une bonne idée. De même, lorsque les femmes sont enceintes et lors des examens médicaux obligatoires, ces conseils de prévention prophylactique seront rappelés : n'oublions pas que les violences commencent quand la femme est en situation de vulnérabilité : être enceinte réduit vos possibilités de fuir le prédateur, être enceinte est une situation de vulnérabilité.

Ces propositions ne sauraient être exhaustives, ce sont des rappels préventifs oraux et par écrit, car l'écrit est dissuasif dans notre pays de droit romain. Toute autre suggestion peut être ajoutée en commentaires.

Je mets en lien un texte de Marlène Schiappa, publié par la Fondation Jean Jaurès sur les implications et les conséquences pour les femmes de la pandémie de COVID19 : évidemment pas réjouissantes ! Quand les mecs déclarent et font la guerre, nous les femmes on est mal, quand on revient à la paix on est mal, quand le réchauffement climatique pointe on est les premières impactées, quand la planète tombe malade, on est en première ligne littéralement, salariées ou bénévoles fabriquant des masques grand public en tissu, et payant le prix sur notre santé, bref, on est toujours les plus désavantagées. Il est plus que temps de sortir de la déploration, de proposer des solutions et de les appliquer.
Je suis passée pour une ennemie du genre humain, asociale, parce que refusante de toutes ces injonctions dont je n'ai jamais vu quel avantage personnel j'en retirerais, ni pour quelles raisons je devrais me sacrifier pour la société : carrière, engagement syndical, politique et associatif, bien-être personnel, je n'ai même jamais pensé que ce serait un plus pour la société si, perdue dans les regrets et les remords, j'avais été une charge pour elle parce que je n'aurais pas pu faire face à mes "obligations" de femme mariée et mère de famille. Et surtout, je n'ai pas été élevée comme cela. Je n'ai pas vu non plus pourquoi il fallait absolument inviter de nouveaux participants au banquet humain dont on voit de plus en plus qu'il est empoisonné, surtout pour les femmes. J'ai donc préféré m'abstenir. Dès lundi, jour du déconfinement, les nouvelles règles de vie en société vont être la distanciation sociale, un-e tous les deux mètres, arrêt de tous les grands raouts où l'humanité se plait à être innombrable et en grande promiscuité dans un grand melting-pot d'amour et de convivialité ; à l'école ça va être 15 enfants par classe maximum ; haro sur les transports en commun bondés, bus, métros, vols en avion à bas coûts mais vrais transports de bestiaux vers des plages achélèmes surpeuplées où votre serviette touche celle d'un-e parfait-e inconnu-e ; les gens commencent à envisager de fuir les mégapoles ; fin du mythique open space teeeellement convivial et chaleureux de la joyeuse bande des collègues de travail (tu parles !), et avènement du télétravail : chacun dans sa chacunière. Fin des serrages de pognes, fin des fricassées de museaux, comme on dit dans les Côtes d'Armor, pour tout et pour rien. Une nouvelle ère commence : je ne me prononce pas si c'est mieux ou moins bien. Mais clairement, pour l'instant, celles et ceux qui trouvaient quand même comme moi que c'était too much vont avoir, au moins temporairement, raison.

Je vous souhaite un déconfinement le plus sécurisé possible ; à nous de tirer toutes les conséquences de cette crise en remettant à plat nos standards de vie. Et par dessus tout, puisque le thème de ce billet est la prudence, soyez prudentes.