jeudi 13 juin 2024

The Duchess : Georgiana Spencer Cavendish. Ou les stratégies des femmes pour survivre en patriarcat

Ce film, sorti en 2008, production franco-italo-britannique réalisé par Paul Dibb tourne en boucle sur les chaînes de la TNT. Il y est multi diffusé. Je l'ai revu récemment : il me semble être un bonne somme des stratégies que durent déployer les femmes, ici du XVIIIe siècle, mais sans doute aussi des siècles précédents et suivants, pour survivre sous la féroce loi des vieux pères. 


Dans son ouvrage Au NON des femmes, Jennifer Tamas écrit que notre époque est incapable d'imaginer la violence des rapports entre les hommes et les femmes avant la fin du XVIIIe siècle, violence exercée par les hommes contre les femmes évidemment. The Duchess raconte la vie d'une personne historique : la Duchesse Georgiana Cavendish née Spencer, femme aristocrate qui vécut entre 1757 et 1806 en Angleterre.

Les stratégies de survie des femmes, ici aristocrates, se révèlent à travers divers personnages féminins, de la mère comtesse à la fille devenue duchesse, en passant par la concubine maîtresse du Duc. Ca m'a paru terrifiant. 

La mère, stratège marieuse accomplie, vend sa fille de 17 ans contre un titre de noblesse supérieur au sien, de comtesse à duchesse, pour acquérir plus de statut social, concentrer les fortunes et agrandir les domaines. Il y a une contrepartie bien entendu, la production par la femme vendue, sa fille, d'un héritier mâle au Duc Cavendish. Aucune révolte chez Georgiana, elle accepte le contrat sauf qu'elle doit subir la naissance de deux filles aînées, que le garçon se fait attendre, et que le contrat peut être dénoncé puisque sa partie à elle est non remplie. D'où les visites de la comtesse mère à sa duchesse de fille pour l'exhorter à tout bien faire comme il faut, même accepter des affronts cuisants. Par exemple, Georgiana se laisse imposer sans discussion une fille bâtarde du Duc, provenant d'une liaison extra conjugale, fille qu'elle élèvera comme les siennes et à laquelle elle s'attachera. On verra dans le développement du récit que cela ne marche plus de la même manière quand c'est elle qui met au monde un bâtard, issu d'un amour romantique avec un jeune homme politique prometteur. Son enfant lui sera arraché sans pitié par le mari tout-puissant dès la naissance, et envoyé chez une nourrice à la campagne, au grand déchirement de sa mère. 

Le Duc dans le film est un pleutre mal élevé, capricieux et mauvais coucheur, mais comment pourrait-il en être autrement puisqu'il n'a qu'à exiger pour être obéi, maître, saigneur et possesseur qu'il est ? A une réception chez lui, il plante sa duchesse seule en bout de table où elle joue à l'hôtesse parfaite, "parce que la compagnie est ennuyeuse" et qu'il préfère aller dormir plutôt que d'écouter des inepties. Surtout celles de sa femme qui se pique de donner son avis politique et que ses hôtes écoutent ? Elle se retrouve donc seule à taper la discute, elle qui n'a aucun droit, surtout pas celui de voter, avec une cinquantaine de mâles titrés.

Evidemment, pour le plaisir amoureux ne comptez pas sur le duc non plus ! Il consomme. Pour lui, l'acte sexuel est une sorte de viol, il y a d'ailleurs une pénible scène de viol conjugal à un moment du film, il n'y met aucune forme, tant et si bien que Georgiana sera initiée au plaisir sexuel et aura son premier orgasme avec.... une femme, son amie Elizabeth Foster, divorcée et mère de deux enfants, qui n'a plus de toit parce que plus de mari. Le conjugo au XVIIIe siècle, précédents et suivants : le mari qui n'a rien à démontrer est un mauvais coup au lit. 

Elizabeth Foster doit elle, utiliser une stratégie d'entrisme, se faire bien voir, et trahir la Duchesse en acceptant (je ne parlerai pas de consentement, les forces en présence étant peu en faveur de cette pauvre femme éperdue) que le Duc l'impose comme maîtresse et vienne dans son lit. Les deux femmes (amies au départ, rappelons-le) se retrouvent donc rivales dans le foyer du Duc Cavendish qui les montre ensemble en toutes circonstances sociales. Elizabeth est évidemment victime elle aussi : elle plaide sa cause comme une question de survie pour elle et ses enfants. Divorcée, désargentée, sans toit ni revenus, elle doit accepter de tromper sa meilleure amie avec le mari de cette dernière. Les deux sont bel et bien piégées en système patriarcal tout puissant, et doivent s'arranger avec le système puisqu'elles ne peuvent le changer. 

D'un bout à l'autre du film, on voit des femmes asservies, malgré leur haut rang et leur statut social, et un patriarcal arrogant qui impose son bon plaisir à tout le monde, épouse et maîtresses incluses. Epouse qui supplie qu'on lui laisse ses enfants, soumise au chantage de devoir abandonner un nouveau-né sous peine de se voir retirer ses enfants légitimes. Le double standard est omniprésent. On a comparé le destin de Georgiana à celui de sa lointaine parente, Lady Diana Spencer, princesse de Galles (1961-1997). A part le fait qu'elles étaient toutes deux mariées à des pleutres capricieux exigeant qu'elles poulinent un héritier mâle, la comparaison s'arrête là, leur destin est différent. Georgiana s'intéressait et se mêlait de politique, Diana se dépensait en bonnes oeuvres. Pas exactement un surclassement. Georgiana Spencer était consciente que les dés étaient pipés en sa défaveur, elle s'en arrangeait en renâclant auprès de sa mère, en négociant le plus possible avec le tyran. Diana s'est fait piéger par l'aaaamourrrr, elle est tombée dans les rets d'une famille cynique et arrogante qui l'a plantée dans ses appartements après sa nuit de noces, le mari retournant à ses amours antérieures. Georgiana ne s'embarrasse pas de sentiments sauf ceux, indéfectibles, qu'elle éprouve pour tous les enfants qu'elle a élevés, elle sait qu'elle est l'enjeu d'un contrat social, qu'elle a un prix. Diana se laisse embobiner dans le conte du Prince Charmant. 

Autre époque, même classe sociale, mêmes pratiques. 

Tout cela pour montrer que c'est de là que nous venons, nous les femmes. De l'esclavage, de l'échange néolithique des femmes pour faire société, gagées, même encore à naître, dans le ventre de nos mères, vendues, prêtées pour la domesticité ou la prostitution, servant de lettre de change et de reconnaissance de dettes. Serves. Attachées à une propriété, violées, raptées, ravies ; butins de guerre, échangées lors des razzias, trophées distribués aux vainqueurs (survivance qu'on retrouve dans la stratégie actuelle de Boko Haram, de Daech, des Talibans...) et qu'il a fallu survivre, monnayer en courbant l'échine le fait de rester en vie. Nous sommes toutes des survivantes. De la famine, des guerres, de la reproduction à laquelle nous avons payé sur notre santé et notre vie un lourd tribut, des rivalités mâles et de l'injustice de notre sort. Tout cela a traumatisé, laissé des traces, abîmé notre psyché, nous a castrées métaphysiquement, si bien que nos réflexes en face de leur violence, c'est la sidération, la trouille, la peur de faire mal à un agresseur, mal qui se retournerait contre nous, le masochisme, le réflexe d'obéir et de subir l'emprise plutôt que se révolter, la soumission en somme. Aucun animal, à ma connaissance, n'est "sidéré" quand il est attaqué, il se défend, jette toutes ses forces et sa ruse pour se tirer des griffes et des crocs du prédateur, il arrive même qu'ils y échappent laissant l'attaquant tout étonné que ce fut si peu facile. 

Un exemple vécu cette semaine, que n'importe qui d'un peu attentif peut reconnaître dans sa vie de tous les jours. Un chantier dans ma rue creuse un grand trou pour changer une canalisation veille de 40 ans. Barrières partout, dalles explosées, escaliers et trous périlleux à franchir, une tractopelle à grand renfort de boucan creuse, deux mecs regardent ailleurs. J'arrive, j'en ai plein de dos, j'ai une lombalgie, je vais au culot (je suis culottée, ça m'a sauvé la vie des quantités de fois, le culot c'est ma stratégie de survie à moi !) vers le gars près de l'accès barriéré. Puisque je suis là, je vais vous ouvrir me dit-il. Vous êtes trop bon Monseigneur ai-je failli répondre en faisant la bossue à pied bot, mais, poliment, je me suis contentée d'un sobre merci. Et ayant traversé, se matérialise devant moi, out of the blue, une dame conduisant un énorme trolley avec quatre enfants du même âge dedans. Et portant de grosses séquelles de ce que je viens de décrire ci-dessus, comme vous allez constater. S'adressant au gars du BTP elle demande si elle peut elle aussi bénéficier du passage. Je vous promets, elle a REMERCIE le mec qui l'a laissée passer TROIS FOIS ! A la troisième, j'ai un peu fondu une durite et exaspérée, je l'ai suppliée d'arrêter de s'excuser. "Mais ils travaillent quand même", me signale-t-elle ! Et vous, vous vous baguenaudez avec vos quatre mômes du même âge qui ne sont pas à vous ? J'en ai perdu mon sang-froid et toute mon élégance habituels. Nounou, c'est moins bien que gars du BTP ? Nounou, c'est pas un boulot ? Payé. Mal. Mais payé ?  Le conducteur de tractopelle n'en a pas perdu une miette. Je suis partie exaspérée, il sont restés discuter, sans doute en me cassant du sucre sur le dos. L'énervée du quartier. Je ne comprends pas qu'elles ne voient pas l'escroquerie, l'esbroufe qu'est l'emploi masculin ! La pire application en est la balayeuse de ville à moteur thermique qu'eux seuls conduisent. Ils font mine de nettoyer les caniveaux tout propres, en laissant des trottoirs et des places entières jonchées de mégots et des saloperies diverses parce l'accès est impossible à leur machine. Mais il en existe plein d'autres de ces escroqueries.  Les mecs s'emploient à des boulots inutiles, touchent un salaire, les femmes travaillent, en bénévolat ou mal payées, dans le soin. 

Elles assurent toutes les corvées utiles du globe, elles soignent les corps jeunes, vieux, malades, la Terre, elles réparent l'entropie, elles gardent, éduquent, élèvent les enfants, avenir de l'espèce (voir billet précédent), mais leur travail, leurs emplois sont toujours subsidiaires, l'emploi étalon est toujours celui des mâles, fût-il inutile, destructeur, nuisible même. Le conditionnement est tel qu'ils n'ont même plus besoin de froncer les sourcils, elles se précipitent au secours de la forteresse assiégée, la reddition est totale. La conscience investie, phagocytée, à la manière de ces jumeaux chimériques, deux en un, dont l'un a définitivement absorbé l'autre. Tout cela est le résultat d'un asservissement que seules les bêtes ont connu au même niveau à travers la protohistoire et l'histoire qui, comme chacune sait est toujours racontée par les vainqueurs, et où les femmes occupent toujours le rôle des vaincues. L'héritage de Lady Georgiana Spencer Cavendish, résistante, survivante, militante politique émérite un siècle avant les Suffragistes, s'est perdu dans les sables de l'Histoire des vainqueurs.  

Lady Georgiana Spencer Cavendish peinte par Thomas Gainsborough : 


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