vendredi 27 mars 2020
Le regret d'être mère
Etre mère
La Maternité, construction sociale issue de la division des tâches entre femmes et hommes consacrée au XIXème siècle, qui nous gouverne toujours, pousse les femmes à engendrer, à la production d'enfants et à leur élevage à l'intérieur du foyer : le vocable maternité, loin d'être innocent, s'assure que ce sont les seules femmes qui en auront la charge. Les hommes, eux, travaillent au dehors du foyer, rapportant l'argent à la maison, en produisant autre chose : des objets marchandises, inutiles la plupart du temps, voire toxiques, comme des chars d'assaut ou des sous-marins nucléaires. Le fait que les femmes désormais dans les pays de l'hémisphère nord travaillent à l'extérieur du foyer n'a rien changé au fait que ce sont toujours les femmes qui s'y collent, pire même, elles sont souvent seules à élever leurs enfants, c'est la rançon de leur nouvelle indépendance économique. Impensé de la société, la maternité est considérée comme un déterminisme biologique, "naturel" et a-historique. Vous avez un utérus, c'est pour être mère. Ainsi endoctrinées socialement, l'imagination des femmes est colonisée. C'est leur seul scénario envisageable, il est si intériorisé dans la conscience des femmes, qu'elles n'envisagent même plus d'autre possibilités. Voire elles se trouvent des sensations, des appels de la nature et autres billevesées, y compris invoquant leurs hormones ! Les hormones peuvent être en effet tyranniques, poussant au désir sexuel, mais comme dans l'espèce humaine, les femmes n'ont pas d’œstrus, contrairement à la plupart des autres espèces animales, les deux, désir sexuel et reproduction y sont parfaitement découplés. On peut obéir à ses hormones en se trouvant un-e partenaire de jeux sexuels sans pour autant produire des enfants. Il est plus que temps de se décoloniser le cerveau des bobards de la propagande nataliste, cela nous éviterait bien des malheurs comme on va le voir.
Le regret
Regretter ses actions est généralement vu par la société comme un acte vain et négatif : l'origine en serait la femme de Loth quittant Babylone, à qui les anges interdisent de se retourner, de regarder en arrière, sous peine d'être transformée en statue de sel, ce qui lui arrive bien entendu, les femmes sont tellement sottes aussi. Le regret, c'est tenter de défaire l'irréversible. Aux refusantes de la maternité, la société promet l'enfer du regret : tu vas le regretter, car tu finiras vieille, seule et dans le dénuement affectif voire pire, matériel, les enfants étant abusivement utilisables comme bâtons de vieillesse. Dans ce cas, le regret est le chien de garde de l'hégémonie, un mécanisme de normalisation destiné à nous ramener dans le giron de la société. Tout autre est prohibé, surtout celui d'avoir eu des enfants. Tout au plus peut-on avouer regretter d'avoir bu comme un trou, ou fumé comme une cheminée pendant 20 ans, à l’extrême limite une mère peut regretter d'avoir mis au monde un fils, en prison pour avoir tué un convoyeur de fonds et une directrice de banque, parce que là, quand même, elle aura été une "mauvaise mère", mais on le voit, ce sont des regrets qui renforcent la norme sociale régnante : se conduire bien, être mère et une "bonne" mère. Pas de pardon si vous ratez votre coup, vous serez jugée et vouée sans pitié à la réprobation sociale.
L'étude sociologique d'Orna Donath, sociologue chercheuse, elle même femme sans enfant par choix (généralement les livres sur les no kids sont écrits par des femmes ayant obéi scrupuleusement aux normes sociales en pondant à la chaîne trois enfants minimum) porte donc sur le regret d'être mère, tabou majeur. Son échantillon est de 23 femmes, recrutées par annonces dans la presse ou par bouche à oreille, plusieurs candidates possibles ayant renoncé au moment des propositions de rendez-vous, la norme jouant à plein son rôle de gendarme. Elle est basée sur des entretiens en vue de recueillir un verbatim, c'est ce qu'on appelle une étude qualitative par opposition aux études quantitatives. La plupart de ses interviewées ont entre un, deux ou même quatre enfants, sont grand-mères, certaines sont enceintes de leur 2ème ou 3ème enfant, redoutant par avance la dépression post-partum, qui pour certaines se transformera en dépression pour de longues années. Certains entretiens sont déchirants, prouvant qu'il est difficile voire impossible de refuser de vouer un culte à cette vache sacrée, la maternité. Court échantillon :
Trois journées en une : " la troisième journée, le travail titanesque sur les émotions pour tenter de réparer les dégâts causés par la collision entre les exigences de la première journée et celles de la deuxième. "
" La maternité à fermé mes espaces, mes horizons, mon développement, j'affirme qu'une femme une fois qu'elle a un enfant renonce à beaucoup de choses auxquelles un homme n'a pas à renoncer ".
Et aussi : " mes deux grossesses je les ai eues avec des traitements contre l'infertilité. Juste parce que je ne pouvais pas être enceinte. Parce qu'en fait je ne voulais pas ! C'est aussi simple que ça. Et c'est incroyable. En fait, je ne voulais pas." Clash entre la prescription/pression sociale intériorisée et le cerveau, notre premier organe sexuel, qui ne veut pas. Ecoutez votre cerveau mesdames, il vous parle, il refuse.
Parce que les injonctions sont contradictoires et paradoxales : être mère, c'est aussi vivre dans une inconfortable schizoïdie. Madone asexuelle, pure, sacrée ET depuis les années 80, objet sexuel érotique, MILF (mother i'd like to fuck), hot mamas, yummy moms, mères baisables. " Je suis une salope, je suis une amoureuse, je suis une enfant, je suis une mère, je suis une pécheresse, je suis une sainte, voilà comment Meredith Brooks fait tenir ensemble l'incompatible." En effet, ça marche par paires inversées, noir et blanc ensemble, de quoi devenir folle à lier. On comprend le malaise, la souffrance. Mais taisez-vous surtout, fermez-là, ce que vous avez à dire nous ne voulons pas l'entendre, la maternité est sacrée, alpha et omega de tout épanouissement féminin, de toute vie de femme réussie. Sinon vous êtes une ratée, une inutile, une merde, indigne d'attention et d'écoute, indigne de compassion.
Où sont les féministes dans tout cela ?
Voilà, la question que je me suis bien posée toutes ces années de blogueuse, lisant les blogs des autres, de twitta recevant tous les jours dans mon fil Twitter les plaintes et dénonciations allant du plus bénin au plus lourd, notamment lors des divorces où elles mènent une bataille forcenée pour ne pas partager la charge -dénommée fort à propos la "garde"- des enfants, souvent c'est vrai aussi avec un père maltraitant, alors que jamais elles n'ont un mot dénonçant le mariage, elles comptent les mortes et dénoncent les manœuvres des pères promouvant le "syndrome d'aliénation parentale" inventé par les masculinistes ; vie des mères seules vouée à la pauvreté, la misère, la détresse économique, exercice de la profession entravé, univers borné par les enfants, jamais je ne lis un mot de prévention contre ces deux boulets que sont apparemment la conjugalité et la maternité / reproduction ! Eh bien, la réponse claire est dans cet ouvrage : ainsi qu'écrit Orna Donath " il semble que même dans les théorisations féministes sur la question, la possibilité de voir a posteriori les choses autrement, sans même parler de les regretter ne soit pas envisagée ". De plus, " le langage postféministe, capitaliste et néo-libéral énonce que les femmes ayant plus de choix aujourd'hui, si les femmes sont si nombreuses à devenir mères, cela signifie qu'elles ont toutes choisi de l'être". Exit les analyses féministes sur le conditionnement social et culturel.
L'intérêt des féministes pour la maternité écrit Bell Hooks, repose sur des stéréotypes sexistes, elles ont une vision romantique de la maternité ; mais surtout, comme elles se battent pour l'amélioration du statut des femmes en tendant vers l'égalité avec les hommes (féminisme réformiste), elles sont persuadées que c'est une question de conditions : si les conditions économiques et sociales des mères s'améliorent, deviennent optimales, alors le problème est réglé. De fait, elles adhèrent à l'idéologie capitaliste et néo-libérale qui vénère la réussite, la culture du progrès qui nous pousse à nous développer en permanence, elles sacralisent l'enfantement et l'éducation des enfants, en objectivant les femmes dans un rôle, celui mère.
Or les femmes sont des sujets, pas des personnages jouant un rôle, elles font des choix indépendamment de leur classe sociale. Riches ou pauvres, faisant carrière ou pas, elles peuvent ne pas vouloir des contraintes de la maternité. Tout bien considéré, elles peuvent préférer rester non mères quelles que soient les conditions. Qu'elles n'aient pas d'enfant du tout, ou que en ayant, et tout en les aimant, elles regrettent et disent que si c'était à refaire, elles ne le referaient pas. Pour rien au monde. Nous devons les écouter et les entendre alors même que ce faisant, elles constatent l'écart entre la réalité fantasmée, souhaitée, et la réalité telle qu'elle est. Surtout, et la société n'aime pas ça, elles défient les tabous, elles ébranlent l'ordre du monde.
Un grand livre féministe car questionnant les injonctions et servitudes qui pèsent sur les femmes, au final, un livre libérateur.
Lien : Le regret d'être mère chez Odile Jacob éditeur
Je dédicace ce billet à ma mère qui, mariée, mère de quatre enfants, à l'usage n'a pas du tout aimé ça non plus. Mais elle n'avait pas les possibilités ni les opportunités, ni l'agentivité des femmes d'aujourd'hui. Mariée parce que c'était la seule carrière qui s'offrait à elle, mettant au monde quatre enfants sans les avoir réellement voulus car sans moyens de contraception, enfants qu'elle a élevés (bien, très bien même, nous n'avons jamais manqué de rien, ni souffert d'aucune violence ou traumatismes) en se plaignant que si elle avait su, eu le choix, elle non plus ne l'aurait pas fait. Elle n'a pas eu elle, contrairement à moi, accès à ce privilège de pouvoir ébranler l'ordre du monde.
Les citations du livre sont en caractère gras et rouge.
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Bonjour Hypathie,j'ai longtemps résisté à l'envie d'avoir un enfant. Mon fils est né quand j'avais 36 ans et ma fille 44, c'est dire. Est-ce que je l'ai regretté ? Oui quelques fois. Mais je suis heureuse de la belle relation que j'ai pu établir avec ces deux humains. Et je comprend et respecte le choix de ne pas en avoir. En revanche, je trouve dommage le regret "inconsolable". C'est une passion triste (Spinoza)dont il faut se garder qu'on ait eu des enfants ou qu'on en n'ait pas. S'il est vrai que les femmes se font berner par la mythologie maternaliste, il est vrai aussi que donner la vie est une expérience unique qu'on peut être tentée de connaître. Le plus difficile est de ne pas renoncer à ses autres projets et surtout de trouver un compagnon qui ne vous prend pas pour la servante du château et ça c'est pas gagné!
RépondreSupprimerLe regret a un aspect positif toutefois, s'il permet d'éviter une deuxième fois un écueil : il est "la possibilité de voir a posteriori les choses autrement", c'est d'Orna Donath et c'est cité dans mon texte. A mon sens il n'est pas assez utilisé de cette façon positive quand on en voit certain-es s'enferrer plusieurs fois dans la même erreur. Je ne parle pas de toi bien sûr. PS Toutes les femmes interviewées par Orna Donath sont en bonne relation avec leurs enfants, les deux doivent absolument être distingués. Mais je suis bien persuadée qu'il y a des mères qui regrettent d'avoir mis aux monde des enfants qu'elles n'aiment pas ou qui leur sont indifférents, avec lesquels elles n'ont plus aucun contact. Ce volet n'est pas abordé dans l'ouvrage. L'auteure ne parle pas non plus d'infanticide, le premier et quasi seul crime commis par les femmes qui, rappelons le, sont très calmes à côté des hommes en matière de délinquance, après et malgré un siècle de féminisme.
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