La FEMME POLITIQUE : fonction politique de l'amour
Discours prononcé le 21 février 1970 au Juniata College, Huntington, Pennsylvannia par Ti Grace Atkinson - Odyssée d'une amazone.
" Plusieurs femmes, pendant le week-end, ont manifesté une certaine réticence à considérer les hommes comme l'ennemi. Je serais la dernière personne au monde à penser que cette réticence n'est pas naturelle. C'est tout ce qu'il y a de plus normal. C'est ce qu'on appelle, je crois, instinct de conservation.
D'autres femmes admettent sans aucun doute que la logique des hommes est notre ennemi de classe. Mais, par quelque heureux hasard, leur fiancé actuel est l'une des rares exceptions à la règle. A moins que certaines femmes ne produisent une évidence politique vérifiable à l'appui de ce genre d'affirmation, cette position n'est qu'un compromis.
Et puis, il nous a fallu aussi digérer l'argument de la "rareté", avancé par un homme du Dakota : "La raison de la rapide croissance du Mouvement des Femmes, a-t-il dit, et de son apparente amertume à l'égard des hommes, ne provient pas du fait que les hommes oppriment les femmes. Non, le problème, c'est qu'il n'y a plus assez de vrais hommes (c'est à dire de suprématie masculine) pour toutes".
Il n'y a rien de très compliqué à devenir "politique". Une personne politique est un individu qui a un ensemble de croyances particulières et qui agit en accord avec ces croyances. Ce qui a rendu si difficile la politisation des femmes, ce sont les échappatoires qu'on a trouvées pour la deuxième partie de la définition : agir en accord avec un ensemble donné de croyances politiques.
Les hommes parlent aux femmes de guerre des sexes depuis l'origine des temps. Bien sûr, de notre point de vue, il s'est agi d'un massacre. Il est plus facile de comprendre ce que font les hommes, c'est à dire mentir, que de comprendre ce que font les femmes. Les hommes ont baisé les Indiens jusqu'à la mort, l'idiotie et la cécité. Ensuite les blancs ont présenté le "conflit" à leur manière en décrivant les hordes rouges à l'attaque des pieux pionniers, des femmes blondes et des enfants.
Mais la "pathologie" de l'oppression, en l'occurrence la division des classes masculine et féminine, est présente chez des femmes qui nient ce que les hommes eux-mêmes sont en train d'avouer. Pour s'accrocher à l'ennemi, il faut être prêt à y mettre le prix : sa propre vie. Entrer en relation avec un homme aussi dépouillé soit-il (complètement et publiquement) du rôle masculin, serait encore un risque. Mais s'unir à un homme qui a fait moins encore, c'est du suicide. Prouver sa conscience de classe c'est se couper des hommes, de ces unités de deux personnes face à face (par exemple le mariage et la maternité). Aucune amélioration significative de la situation des femmes ne sera possible sans cette décision.
Jusqu'à présent, le mouvement féministe a rassemblé des femmes qui voulaient surtout se plaindre. Mais ces plaintes n'ont rien de nouveau. Les femme se plaignent entre elles depuis des siècles, mais elles se traînent ensuite chaque jour dans leurs cuisines pour préparer les dîners de leurs maris. Cette pratique a développé au cours des siècles une sorte de personnalité multiple chez les femmes, dont chaque aspect est resté intact. Je peux illustrer hic et nunc ce que je viens de dire. La plupart des femmes ici présentes ont sans doute une alliance institutionnelle avec les hommes, le mariage ou bien
l' "amour". Si vous ne l'avez pas, vous êtes probablement en train de la chercher. Alors, comment pouvez-vous chercher une telle alliance et être en même temps ici ? Cette contradiction n'est pas seulement présente ici, mais dans tout le Mouvement. Les féministes les plus anti-mâles, celles qui disent que tout homme est l'ennemi -et pas seulement comme je le dis que ce n'est que la conduite ou le rôle du mâle qui sont inacceptables- se montrent pourtant en même temps dans la rue, la main dans la main avec l'ennemi même !
Personnellement, j'ai pris la décision de ne pas me montrer en public avec un homme, dans les lieux où l'on pourrait croire à une amitié entre nous. Puisque selon moi, c'est la conduite des hommes (à définir) qui est l'ennemi, il me faut, à l'appui de ma thèse, tout un dispositif de différentiation. Donc, faire une exception à ma règle serait admettre : "cet homme s'est publiquement et tangiblement (donc c'est significatif), désolidarisé du rôle masculin, du mieux qu'il peut. Les journaux prétendent que cet acte assez modeste du point de vue politique fait de moi une séparatiste. Techniquement, une séparatiste est une personne qui préconise un état séparé pour un groupe particulier de gens. Je n'ai jamais fait cela... jusqu'ici. Quant à moi, je crois que je suis simplement cohérente. C'est le moins qu'on puisse faire pour sa propre estime.
Un des traits les plus frappants de ce Mouvement est qu'il ne préoccupe pas vraiment le gouvernement. Mais pourquoi l'inquiéterait-il ?
Nous les femmes, je vous le concède, nous exprimons des idées assez "radicales". Mais nous n'avons pas fourni de preuves qu'il existe le moindre rapport entre ce que nous disons et ce que nous pensons faire. Actuellement, nous sommes ridicules et drôles. La contradiction, après tout, est le "cœur" de la comédie.
Nous devons essayer de comprendre cette anomalie. Nous, femmes, nous devons nous demander pourquoi nous aimons faire couple avec les hommes. Il faut commencer à comprendre la fonction politique de l'amour. Réfléchissez à l'importance de l' "amour " dans cette structure politique qu'on appelle "religion". "Aimez votre prochain". Bien sûr, c'est un hasard, dira-t-on si les religions les plus puissantes, comme la religion catholique par exemple, sont surtout composées de pauvres. Et si les pauvres n'aimaient pas leurs frères ? Et s'ils voyaient leurs "frères" comme la classe ennemie, et s'ils se révoltaient ?
Avez-vous jamais réfléchi au rapport entre l'amour et la violence ? La violence est la transgression commise sur la personne d'autrui ou son individualité. L'amour n'est-il pas une transgression de l'individualité ? Céder ce qui, autrement, nous serait pris par la force ? L' "amour" est-il la réponse de l'esclave à l'esclavage ? Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi il n'était plus nécessaire d'enchaîner la deuxième génération d'esclaves ? Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi tant de prédicateurs prêchent la non-violence et le "aime ton ennemi" ? Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les églises étaient détruites dans toutes les révolutions ?
Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour ? "
Ti Grace Atkinson (Féministe radicale)
Odyssée d'une Amazone
Editions Des femmes
Red stocking Manifesto (en anglais)
"Le genre est une fiction sociale" : John Stoltenberg Sexualité masculine -ce qui rend sexy la possession d'autrui.
vous parlez tout au long de ce texte, d'amour : je trouve que c'est très midinette comme discours :) pourquoi une femme n'aimerait elle pas seulement être avec un homme pour l'illusion du "sentiment d'amour" qui autorise de vivre le sexe sans ce foutu sentiment de culpabilité ?!... se dire amoureux libère de cette culpabilité non ? c'est bien le sexe avec un homme, pourquoi vouloir être libre ? et peut-on réellement être libre ? pour être libre il faudrait laisser le cerveau, et les affects auxquels lui seul peut donner du sens, en mode "off" !...
RépondreSupprimerAlors, c'est Ti Grace Atkinson qui parle, pas moi, même si évidemment, je suis d'accord avec elle. C'est vous la / le midinette, qui vendez la culpabilité quand on n'a pas "réussi" selon les critères patriarcaux qui ne s'imposent qu'aux femmes, au passage, sa vie sentimentale, même si on ne sent pas le coup. Presque toutes mes amies se sont mariées, contre mon gré (je me demandais le jour de leur mariage, auquel on m'invitait, pourquoi elles le faisaient) et entre 6 mois et 2 ans après,elles divorçaient en me prenant à témoin ! Le patriarcat est un village Potemkine, un mensonge destiné à leurrer les femmes. Et ça marche bien, tellement le matraquage est efficace. Merci d'être venu le rappeler sur mon blog.
SupprimerPS L'amour est un comportement mis au point par l'évolution pour permettre à certaines (pas toutes) espèces animales d'élever leurs petits. Rien à voir avec la pathologie névrotique que le patriarcat en a fait.
C'est drôle vous m'accusez d'"être midinette" quand moi je ne faisais qu'écrire que "c'était très midinette" comme discours ! Je n'accusais personne de l'être ! Je retrouve ces façons de dire "tu es...." tu dois....que les "féministes" critiquent chez les autres ?!..bof ! Je "vends la culpabilité quand on n'a pas réussi selon les critères patriarticaux" ?? Je me suis peut-être mal exprimée ou alors vous m'avez peut-être mal comprise, mais je ne place pas du tout la culpabilité à ce niveau là ! Dans les systèmes patriarcaux dans lesquels nous baignons et desquels nous tentons de nous désolidariser, et à juste titre, pour atteindre l'équité homme femme, légitime, (qui aurait du d'ailleurs aller de soi), la culpabilité, pour moi, se situe plutôt dans le fait que la sexualité n'y est pas assumée. Alors nos sociétés l'ont entourée de cette notion, égrenée telle un chapelet dans le texte de Ti Grace Atkinson (désolée pour la confusion :)): la notion d'"amour" ??!... Qu'est-ce donc que l'amour ?!.. C'est d'ailleurs très récent, puisque qu'au début du XXè les mariages étaient plutôt basés sur la raison :) La société est construite sur le mariage civil (je ne parle même pas du religieux !) mais effectivement lorsque les femmes se seront émancipées, et avant tout en se sortant elle même du cloître dans lequel elles s'enferment parfois, conditionnées par le familial qui lui même est conditionné par le social, , elles n'auront plus besoin des hommes que pour l'affectif ;-) c'est ce que je pense ! Nous sommes pour la plupart suffisamment libres dans nos quotidiens, mais si nous aimons partager la sexualité avec un partenaire, nous n'avons pas d'autre choix que cette "association" ! Osons avouer ce seul intérêt pour l'autre dans l'intime, sans culpabilité ;-), et nous n'aurons plus aucune raison de partager un quotidien... Dans Sine Hebdo de ce mois il y a un article très intéressant de Philippe Brenot dans lequel il explique en substance que le couple est pathogène quand il recherche "l'amour". Libérons nous de l'amour et concentrons nous sur la relation "sexuelle" :) Les femmes doivent seulement veiller à ce que les choix de société concernant leur sexualité ne repartent pas en arrière : contraception, IVG, c'est là aussi qu'est la clé de leur liberté...
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