jeudi 30 janvier 2014

6 raisons pour lesquelles la nudité des femmes peut être puissante

Traduction de l'article de Soraya Chemaly paru sur le site Salon.com : 
6 reasons female nudity can be powerful. Soraya Chemaly est activiste féministe et contribue à différents médias américains. 
[ A partir du buzz et de la fascination qu'a créée la série américaine Girls de Lena Dunham où le personnage féminin apparaît dans une nudité casuelle, de l'interdiction par Facebook de monter des tétons -alors que des vidéos de décapitation y sont visibles-, et de l'appel à crowdfunding d'un documentaire « Free the nipple »], de nombreuses personnes semblent étonnées par l'expression de la nudité non sexuelle des femmes -car l'excitation sexuelle en serait la seule utilité. La vraie question n'est pas de savoir si la seule raison de monter des seins de femmes est l'excitation ; la vraie question est qui a le droit de dire à quoi cela sert, où et quand ils peuvent être montrés et par qui. C'est une question de pouvoir. C'est un sujet qui affecte toutes les femmes. [...]

Pourquoi exposer au monde la nudité non-sexuelle des femmes est important.
1 – Trop souvent, le corps des femmes est siège de pouvoir, d'honneur et de honte pour les hommes. Ce n'est pas bon pour nous. Nos corps, et ceux des gens qui ne se conforment pas à la binarité des genres, sont sujets à des jugements moraux, alors que ceux des hommes ne le sont pas, notamment dans l'espace public et dans celui de la contestation. Certaines d'entre nous expérimentent leur corps, en particulier dans la nudité, comme objet de répression, d'oppression et d'impuissance. Aussi, le représenter, non pas comme appartenant à quelqu'un, mais comme nôtre, à l'encontre des représentations dominantes, est important. 
- La nudité des femmes est habituellement traitée comme une offense morale, une cause de préoccupation et de discussion, on lui permet rarement d'être source de pouvoir non-sexuel. La nudité mâle est chose entièrement différente. Quand un homme (hétéro) moyen est nu ou demi-nu, c'est considéré comme humoristique, comme dans les clubs d'hommes pariant de se mettre à poil. Ou c'est un signe de virilité ou d'athlétisme. Exception : les images de torture d'irakiens à Abu Ghraib, hommes vulnérables, humiliés et en souffrance, qui sont féminisés dans leur nudité. 

3 – La nudité des femmes n'est pas juste une question de sexualisation, c'est aussi une question de hiérarchies sociales, comme celles de classe et de race. Les corps de femmes non idéalisés, utilisés de façon autonome, minent un continuum narratif sur le corps-pour-le-sexe et les différences raciales. Quand notre production culturelle est sur des représentations hyper-genrées, racialisées et sexualisées de la nudité, c'est plus facile de maintenir des idées racistes et sexistes : des corps de femmes échappant à l'approbation sociale et aux contextes sexualisés sont un défi.  La régulation culturelle de la nudité des femmes et les représentations de la sexualité sont également signes de pouvoir en ceci que les corps des femmes sont utilisés pour nous opposer les unes aux autres et renforcer les hiérarchies masculines. Les corps noirs, notamment ceux des femmes, ont toujours été objets de consommation publique : vente, viol, élevage, expérimentations médicales... et le pouvoir persistant de mythologies racistes et sexistes à propos des femmes blanches et des hommes noirs, du viol et du sexe, sont perceptibles chaque jour. Quand les femmes prennent en main les circonstances de leur propre nudité, elles défient les tentatives des autres de les placer au sein de ces hiérarchies. [...]


4 – La nudité des femmes comme protestation sociale n'est pas nouvelle : elle est parole critique, expressive et censurée. Lady Godiva n'est pas la seule femme à utiliser sa nudité à des fins politiques. Les excellents récits de Barbara Sutton racontant son expérience de manifestations dévêtues sont pleins de discernement, d'analyses historiques et politiques.  Les femmes ont régulièrement utilisé leur nudité pour protester contre la corruption et l'exploitation qui vont avec le colonialisme. C'est une des raisons pour lesquelles la narration néocoloniale des (topless) Femen est offensive. Avant elles, il y a eu la protestation, topless également, de la tunisienne Amina Sboui (qui fut arrêtée, soumise à un test de virginité et obligée de fuir), et de l'activiste égyptienne Aalia Magda (elle aussi en exil) postant des images d'elle nue pour protester contre la charia et la censure. En janvier dernier des centaines de femmes du Delta du Niger marchaient à moitié nues en protestation contre les pratiques de Shell envers leur communauté, répétition de protestations similaires antérieures. Elles étaient pacifiques, au contraire de celles d'Argentine le mois dernier, où quelques 7000 femmes envahissent une cathédrale défendue par 1500 hommes catholiques récitant le rosaire. Elles crachèrent, hurlèrent, peignirent au spray les hommes, et furent accusées sans la moindre trace d'ironie, d'user de violence de genre contre les hommes catholiques. La plupart de ces femmes étaient seins nus.
La nudité exprime aussi de façon permanente et essentielle la critique sociale de femmes artistes. Les travaux de Lorna Simpson, Judy Chicago, Ana Medieta, Carolee Schneemann, Yoko Ono, Marina Abramovic, Hanna Wilke, et de tant d'autres, parlent d'identité, de race, de sexe et de classe, utilisant la nudité des femmes pour le faire. Quand les journaux, le cinéma, les actualités télé, les médias sociaux et en ligne refusent de montrer la nudité des femmes comme faisant partie de la protestation politique des femmes, ou comme déclaration artistique, ils nient leur égalité de droit à l'expression. Et quand ils font ça pendant que prolifèrent des alternatives grossièrement réifiantes, ils condamnent doublement les femmes au silence. 


5 – Ce n'est pas que les femmes n'ont pas le droit d'être des objets sexuels, mais nous avons aussi le droit de démanteler un canon discriminatoire. Dans son essai de 1977 « What Wrong With Images of Women ? », l'historienne d'art Griselda Pollock décrivait une culture visuelle patriarcale globale et commerciale, qui use symboliquement du corps des femmes et rend impossible pour nous d'utiliser nos propres corps pour défier efficacement cette culture. C'est le symptôme de la position des femmes dans le monde, que l'efficacité de l'utilisation de notre nudité pour protester est ténue. De nouveau, prenez Femen. Hormis leurs façons de faire, leur bizarre provenance et leur concentration sur deux choses : a) l'utilisation de leur corps nu pour exprimer l'agression et la rage, et, b) le fait qu'elle apparaissent en phase avec les requêtes de l'idéal de beauté de la culture Occidentale globalisée: elles sont minces, jeunes, grandes, topless et presque toutes blanches. Dans les termes de Louise Pennington, elles passent avec succès le test de baisabilité patriarcale. Et quelques medias gobent tout. Les mêmes médias qui chaque jour font des choix à propos de quoi ne pas montrer : des mannequins protestant contre le racisme de leur métier, des foules de femmes en colère, de féministes anti-catholiques, et de pacifiques et déterminées vieilles femmes nigérianes. Ce n'est pas la faute des Femen. Ce n'est certainement pas elles qui prennent les décisions à propos de ce qui fait l'actualité. Utilisent-elles le biais ? Les femmes devraient-elles le faire ? Femen est exactement ce de quoi doutent de nombreuses féministes : que la nudité peut être un outil d'activisme efficace. Cependant, chaque controverse nous permet de penser que nos propres corps et « leur place » sont utilisés pour saper nos intentions et nos souhaits. 


6 – La nudité non sexuelle des femmes est un défi pour le capitalisme et son utilisation des femmes comme produits, supports, actifs, et ressources distribuables. Rien sur Terre n'est utilisé à ce point pour tirer les ventes et les profits, montrer la richesse et le statut des hommes, que les corps de femmes nues ou demi-vêtues. Si vous pensez que les femmes font ce choix et sont complices, et bien, sûr, certaines les sont, vous êtes dans la définition même de la misogynie. Tant que nous n'aurons pas un égal accès aux ressources et que nous serons sujettes à une constante prédation, la question ne se pose même pas. En attendant, quand des femmes utilisent leur corps de façon non sexuelle pour défier les puissants intérêts qui profitent de cette sexualisation, les mots que nous devons utiliser ne sont pas « indécent » ou « obscène », mais bien « menaçant » et « déstabilisant ». Les femmes qui utilisent publiquement leur nudité pour faire du commentaire social, de l'art, ou pour protester, détruisent les mythes : elles sont actives, pas passives, fortes et non vulnérables, ensemble et non pas isolées, leur action est publique, située hors du domaine privé, généralement elles sont en colère et non pas charmantes ! 
Aux Etats-Unis, [...] les politiques des médias sociaux, comme de tous autres statuts et ordonnances publiques reflètent les normes courantes qui privilégient l'hétérosexualité, combinent corps des femmes, indécence et sexe (une mauvaise chose), et insistent pour que ces corps (et le sexe) soient tenus en réserve, distribués et consommés selon les règles patriarcales. Ces règles, et les obsessions puritaines qui les gouvernent, sont les raisons pour lesquelles nous avons des industries milliardaires en dollars de « good girls gone wild » et un Internet nourri de gonzo pornograghie, soigneusement labellisées pseudo-transgressions, qui ont peu à voir avec l'autonomie des femmes et rien pour miner un status quo bien enraciné.
Nous savons toutes que la prohibition des tétons des femmes n'a rien à voir avec les tétons des femmes, mais tout à voir avec le contrôle. La menace que posent les femmes topless et la nudité non-sexuelle est définie culturellement, elle peut donc être redéfinie. Aussi, en tant que société, nous pourrions repenser cet outil Photoshop déformant.

Soraya Chemaly
Iconographie : dans l'ordre Free the nipple, Femen Québec, Femen Free Amina, Femmes du Delta du Niger contre compagnies pétrolières.

Liens : La série "Girls" est diffusée en France sur la chaîne OCS City
Une interview de Lena Dunham dans Télérama.

5 commentaires:

  1. Excellente analyse merci de la reproduire ici !

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    1. Analyse excellente en effet de Soraya Chemaly... Petit clin d'oeil aussi aux féministes des seventies qui faisaient pareil !

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  2. Il y a la nudité imposée par le pouvoir patriarcal , le pouvoir divin : La nudité coupable . La nudité pour punir , pour dominer , pour posséder .... La nudité de la fouille à corps imposée par les matons aux prisonniers . La nudité des déportés ...... La nudité que le boucher crée en arrachant sa peau à l'animal ....... La nudité que le scientifique impose à l'être qu'il chosifie en le réduisant à son pouvoir d'interprétation par son discours scientifique qui dénude , en volant à l'être le droit d'être un sujet vivant ....... La nudité imposée par le pouvoir médical ...... La nudité imposée par la pornographie ...... La nudité imposée par le pouvoir religieux qui décrète le bien et le mal ...... La nudité imposée par l'art : Ces corps qui , au nom de l'esthétique , sont dépouillés de leur beauté ......
    Et puis il y a la nudité sauvage , puissante , insupportable au pouvoir patriarcal : Nudité brute , sans fard , sans esthétique ..... Nudité libre et terrifiante pour le machisme : nudité de la femme qui enfante , avec des cris et du sang ..... Nudité de la bête libre qui a des griffes et des dents ...... Nudité de l'esclave qui s'enfuit à travers la forêt ..... Nudité première de l'enfant loup , l'enfant sauvage ..... Nudité cruelle et belle , laide et terrifiante , non pas asexuée mais au delà de l'esthétisation du désir ....... Nudité puissante parce qu'elle détruit le pouvoir de Dieu et de sa faute originelle ........ La nudité libre d'avant le créateur , voila quelle est la nudité puissante ......

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  3. http://www.pornodependance.com/

    Un site intéressant je crois ......

    Stéphanie .......

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    1. Merci pour le lien :)) - Effectivement, c'est très intéressant.

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