lundi 9 novembre 2020

Des corps en capitalisme

J'ai lu ce petit ouvrage de 140 pages cette semaine. 

" Le corps, cet objet éminemment historique, domestiqué, violenté, pathologisé ".

Après Caliban, (voir ma chronique de 2017) Silvia Federici continue, en 9 courts chapitres alertes, son exploration de la captation-transformation des corps pour les besoins du capitalisme : celui de l'ouvrier d'abord, temps minuté, gestes calibrés au rasoir pour servir une machine convoyeur, puis corps augmenté pour servir les défis à venir : aller dans l'espace, la Terre étant désormais vidée de ses ressources. Puis le corps des femmes, historiquement domestiqué pour le travail de (re)production d'autres corps pour l'usine et aussi pour la guerre, avec interdiction et criminalisation de l'avortement et de la contraception comme crimes contre l'humanité. 

Pour les femmes donc, après la création de la figure de la "sorcière" qui a contribué à la tentative de "perfectionnement de l'humain", la dernière trouvaille du capitalisme c'est de vendre leurs corps à la découpe, histoire d'améliorer les fins de mois. La GPA, Gestation pour Autrui, (Federici s'y oppose) parée du substantif valorisant d' 'altruisme', (qui refuserait d'être altruiste, franchement ?) est donc le dernier moyen, permis par les techniques de reproduction largement expérimentées et utilisées sur les animaux d'élevage, pour asservir le corps des femmes au profit des hommes gays et de tous les couples stériles, du moment qu'ils paient pour utiliser 9 mois de votre vie, pour une stricte surveillance de la femme durant la grossesse, son "produit" ne lui appartenant pas, pour sa soumission à des techniques biologiques invasives, pour finalement aliéner ce "produit" à d'autres personnes par contrat. Rappelons à toutes fins utiles, qu'il n'y a pas de droit à l'enfant, pas plus que de droit au sexe dans la Déclaration des droits humains ! 

Je préfère prévenir, c'est étasunien : on retrouve souvent le mot "communautés" puisque les Etat-Unis sont une mosaïque de communautés, qu'ils vivent dans une société qui a longtemps été ségréguée : blancs, noirs, hispaniques, lesbiennes, trans,... Federici utilise aussi l'expression "travailleuses du sexe" : en effet, elle est contre la criminalisation du client de prostitution au motif que le "travail du sexe" permet à des femmes, notamment de minorités ethniques puisqu'elles sont les plus pauvres, de subvenir "aux besoins de leurs communautés et familles". Ca laisse un peu perplexe pour dire le moins :  si la GPA est une exploitation par un client, la vente de sexe, pour une durée plus courte c'est entendu, l'est aussi il me semble. 

Dans son chapitre VIII, "Revisiter les mormons dans l'espace", Federici se livre à une prospective éblouissante sur la conquête de l'espace, pour laquelle le capitalisme aura besoin de nouveaux corps, augmentés ceux-ci, car comment tolérer la promiscuité imposée, le confinement plusieurs mois de suite dans des vaisseaux spatiaux, sachant que nous sommes une espèce belliqueuse, velléitaire et instable, qui peut à tout moment s'affronter pour son espace vital. Il faudra des individus stabilisés émotionnellement, augmentés physiquement, qui devront avoir des facultés pour faire face à des problématiques pionnières sur lesquelles nous n'avons pas de retours d'expérience, le tout sans espoir de retour. Un peu le genre sans affect des astronautes de 2001 Odyssée de l'espace (Kubrick 1959) qui sont les seuls robots du vaisseau, l'ordinateur de bord ne tardant pas à devenir fou, il est même le seul humain de l'équipage, la preuve, il trompe son monde et ment comme un arracheur de dents ! On retrouve le pantin humain, thème qui traverse toute l'oeuvre du visionnaire Kubrick. 

Critique personnelle toutefois : jamais l'arrêt de la production n'est envisagé, alors que c'est l'arme utilisée par les ouvriers qui eux, ont droit à la grève, donc l'arrêt de la production, comme sanction à la non acceptation de leurs revendications. Les féministes les plus articulées ne dénoncent jamais la maternité et les effets économiques et sociaux délétères qu'elle induit pour les femmes et leurs enfants ; il me semble que la première des préoccupations quand on défend les femmes, ce devrait être la défense de leur sauvegarde, de leur santé physique et économique, de leur auto-détermination, d'abord. Mais tout se passe comme si, même pour les féministes, la maternité, cette pourtant construction sociale issue d'une domestication du corps des femmes, ne peut pas être écartée du "destin" féminin, comme si, puisqu'il y a femmes il y a forcément maternité, enfants, familles, consécration au soin des autres, sacrifice pour l'espèce, alors que l'autre moitié les maltraite. L'injonction pèse de tout son poids, pas moyen de "réussir sa vie" autrement, selon l'expression consacrée. Pourtant à 8 milliards avant 10 ans sur une planète aux ressources limitées, plus la négation de nos besoins par les diktats patriarcaux (on l'a encore vu en Pologne cette semaine, où les droits des femmes leur servent de variable d'ajustement politique) les femmes donc, à mon sens, devraient être incitées à avoir comme agenda de s'occuper d'abord d'elles-mêmes. Ni l'environnement patriarcal hostile où nous vivons en permanence ni la négation de nos besoins individuels ne sont propices à s'alourdir de charges ; c'est déjà un gros programme en soi, et même difficile à tenir : survivre, même seule, dans une société faite par et pour les besoins des hommes ! 

Evidemment, je sais que Silvia Federici est marxiste, et que son sujet c'est l'analyse et la critique des rapports sociaux de production, qu'elle a commencé sa carrière en revendiquant un salaire maternel pour les mères, considérant que le "travail" des femmes, c'était de produire des corps pour l'usine, MAIS sans salaire, l'usine étant, dans ce cas, leur fonction "naturelle". Elle colle donc à son sujet. Les femmes sont toujours arrimées au fatum de la maternité. Aux hommes l'HIStoire, aux femmes (et aux animaux) le destin ! L'épistémologie du récit biblique n'est pas au programme féministe*. Et pourtant le verset 1- 28 de la Bible me paraît être le premier commandement du capitalisme qui a fait de la destruction des ressources la condition de son expansion et de sa survie sous l'oxymore 'destruction créative'. Jugez-en : " Dieu leur dit, soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez, dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur terre. ". Ils sont désormais en partance pour d'autres planètes : leurs besoins en minéraux, terres rares, en extractivisme de toute sorte est inassouvible, ils ont épuisé la terre (et les femmes), ils iront désormais épuiser ailleurs. 

* En fait, une seule a consacré son oeuvre à cette épistémologie : il s'agit de la féministe philosophe et théologienne US Mary Daly. Malheureusement, son oeuvre n'est pas traduite en français.

2 commentaires:

  1. Je viens de voir une pub pour un bouquin intitulé : "sacrés sorciéres" , et la couverture présente une sorciére genre "pin-up" hyper-sexy , et alors je me dit que le paternalisme qui brulait les vraies sorciéres est prêt à les accépter si ce sont des "pin-up" hyper sexy et donc défini comme telle par le paternalisme comme sorciéres aceptables ..........

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  2. Dommage que vous n'ayez pas mis de lien. Je ne trouve que le livre pour enfants de Roald Dahl. Ca ne peut pas être le même.
    La figure de la sorcière est depuis assez longtemps adoptée par les féministes réformistes et les libérales, qui les désamorcent, mais aussi par les radicales ; les utilisations ne sont pas du tout les mêmes. Et bien sûr, les patriarcaux qui s'en servent soit comme repoussoir (la virago), soit comme rebelle sexy. Elles sont un fait historique d'extermination, on n'a même pas le nombre exact de femmes qui ont été exterminées, les ouvrages sur le sujet n'abondent pas ; hormis Federici et Eaubonne qui traitent le sujet politiquement, et Armelle Le Bras-Chopard politiquement et historiquement. Elles sont toutes les trois sur mon blog.

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